Guy Mérimé Padja, itinéraire d’un enfant du cinéma et de la webTV

Guy Mérimé Padja ne fait pas son âge. On a peine à croire que derrière ce visage lisse se cache un homme de 42 ans, qui vit sa deuxième vie sur terre. La première se passe au Cameroun. Fils d'un instituteur et d'une infirmière , enfant de la petite classe moyenne postindépendance, il fait partie de la génération sacrifiée, celle des cohortes de jeunes qui à partir des années 80-90 font face au chômage de masse dans un marché du travail anémié. Dans ce contexte difficile, Guy Padja va toutefois réussir à faire jouer sa petite musique personnelle. L'adolescent était un littéraire frustré. Dans sa famille, lire était synonyme de désœuvrement. Au lycée, malgré sa secrète admiration pour l'éloquence et la culture des littéraires, Guy suivra la filière scientifique, que tout le monde s'accorde alors à reconnaître comme la filière d'excellence réservée aux bons élèves. Cela le conduira à une licence en biologie.

L'université devenue payante, il ne pourra poursuivre ses études faute de moyens. Il quitte les bancs universitaires pour le monde du travail en 1993, et devient stagiaire dans un magazine pour jeunes, où il s'occupe de la rubrique culture. Entre temps, l'université lui a offert un espace de liberté où il a pu assouvir sa passion de la lecture, qu'il ne commence réellement qu'à l'âge de 20 ans. C'est de là que lui vient sa fascination pour l'écriture, et son désir de devenir journaliste. Sa première expérience est enrichissante : la culture est certes le parent pauvre du journalisme, la rubrique confiée aux stagiaires, mais le jeune Guy Padja en profite pour s'ouvrir à de nouveaux horizons, notamment au cinéma africain. Déçu par les lourdeurs hiérarchiques de son employeur, il souhaite avec quelques amis fonder leur propre magazine culturel, quelque chose de totalement nouveau au Cameroun, un magazine dédié au cinéma. Si ces derniers sont enthousiastes à l'idée, ils se révèlent très vite sceptiques quant à la viabilité économique du projet. Guy s'y lance donc tout seul et fonde Sud Plateau.

Au bout de quatre numéros, la viabilité économique de son projet se confirme. Ce n'est pas tant la vente des numéros qui lui rapporte, que les services annexes qu'il rend grâce à cette vitrine, et notamment des services de communication auprès d'ambassades. Pour son magazine, il chronique des films qu'il n'a pas vu parce qu'ils ne lui sont pas accessibles… Ses chroniques rencontrent toutefois un certain succès, et des lecteurs s’enquièrent de pouvoir visionner ces films dont il parle si bien. Son sujet de préoccupation devient dès lors de trouver ces films africains dont le principal public est étranger, et qui de fait ne se trouvent que dans les centres culturels européens. Il se donne alors pour mission la réappropriation par les jeunes camerounais de leur patrimoine cinématographique. Il organise pour cela des vidéos-clubs à l'université, puis dans des villes et villages de province, où sont projetés des films camerounais, nigérians et d'Afrique francophone. Il bataille avec les salles de cinéma qui diffusent des films occidentaux mais refusent tous les films locaux, quand bien même certains se voient primés internationalement. Il essaye de promouvoir les nouveaux créateurs, par le biais d'un festival de court métrage à Yaoundé (Yaoundé Tout Court). Et de fil en aiguille, Guy Padja se voit happé par le monde du cinéma, passer du journalisme à la distribution puis la production.

Le parcours de l'homme s'inscrit dans une trajectoire plus large du cinéma camerounais et d'Afrique francophone. Longtemps, ce cinéma a été en grande partie financé par la France et par l'Europe. Cette aubaine financière pour les créateurs aurait également été leur malédiction, tant sur le plan économique qu'idéologique. C'est le diagnostic que pose Guy Padja « On a longtemps fait des films que ne ressemblaient pas à l'Afrique, parce que les cinéastes africains ne vendaient pas leur film aux Africains mais aux occidentaux. C'est pour cela que les Africains, pendant longtemps, ne se reconnaissaient pas dans leur cinéma, même s'ils pouvaient être contents de se voir à l'image ». Les deux dernières décennies ont toutefois vu la raréfaction des financements occidentaux. Cette situation permet paradoxalement la naissance d'un nouvel âge du cinéma d'Afrique francophone, où les cinéastes vont devoir se financer par leur public, et donc lui parler. Ces dernières années, la crise du cinéma a pris un tour nouveau avec la vague de fermeture de salles de projection. Au Cameroun, des 77 salles qui avaient pignon sur rue dans les années 70-80, il n’en subsistait plus que trois au milieu des années 2000. A Dakar, ville de plus de 3 millions d’habitants, les deux salles de cinéma que comptait la ville ont déposé le bilan et fermé.

On peut voir ces fermetures comme le symptôme de la fin de vie d’un modèle économique et culturel devenu moribond, le début d’un cycle de « destruction créatrice » pour reprendre le langage économique de Schumpeter. Dans la bouche de Guy Padja, cela donne : « ces fermetures ne sont pas forcément une mauvais chose, parce que ces salles ne faisaient que la promotion de l’idéologie dominante, et c’était le parcours du combattant pour faire la promotion de films africains. Désormais, les films africains et occidentaux sont diffusés sur les mêmes réseaux (ventes de DVD, ciné-clubs, téléchargement, etc.). Pour une fois, on peut diffuser un film africain dans les mêmes conditions qu’un film américain. Avant que je ne parte du Cameroun, les ciné-clubs diffusaient plus de films burkinabés et nigérians que de films américains. »

Dans la vie de Guy Mérimé Padja, il y a un avant et un après le départ du Cameroun en 2004. A la base, il y a l’insatisfaction du self made man impliqué dans la vie cinématographique de son pays mais qui ne s’est jamais formé sur le sujet. C’est son désir de poursuivre des études de cinéma qui le pousse à venir en France. Il laisse derrière lui son bébé Yaoundé Tout Court, qui lui a survécut, ainsi que sa réputation dans le milieu. Il repart presque de zéro pour retrouver le chemin de l’université. Ce sera Paris 8 pour un master pratique sur la « valorisation des patrimoines cinématographiques et audiovisuels », une formation qui semble inventée pour lui. Il fait son mémoire sur le « déficit de visibilité des films africains en France ». Il travaille quelques temps à la Cinémathèque Afrique, liée à l’époque au Ministère des Affaires étrangères et maintenant à l’Institut Français. Mais, simple employé, il n’y trouve pas le cadre pour s’épanouir à sa mesure. La bosse de l’entrepreneuriat le reprend et il fonde en 2008 Sud Plateau TV.

Dans la continuité de ses expériences passées, Sud Plateau TV œuvre à la réappropriation par les afro-descendants de leur culture. Pour ce faire, le média choisi est le support vidéo. « Sud Plateau TV est un chaîne culturelle sur les cultures du Sud : tous les aspects de la culture, le cinéma, le théâtre, la musique, les arts plastiques ou la littérature y sont mis à l’honneur. Nous essayons de couvrir avec nos moyens l’essentiel des activités de ces cultures à Paris et en région parisienne. Heureusement pour nous, Paris est un peu la capitale culturelle du Sud francophone », explique le fondateur du projet. Quand on l’interroge sur son choix de l’espace culturel qu’il appelle le « Sud », qui semble a priori moins cohérent que « l’Afrique », sa réponse est toute trouvée : « L’Afrique c’est la mère, mais on peut difficilement s’occuper de la mère sans s’occuper des enfants qui se sont éparpillés dans les Caraïbes ou à travers le monde avec la diaspora. L’Afrique est diverse : on l’a retrouve au Brésil, aux Antilles, en France, en Amérique. On ne peut pas dire à un Noir Brésilien que l’on ne va pas couvrir ses activités parce qu’il n’est pas né en Afrique ! »

Une fois de plus, Guy Padja s’est heurté à la difficulté du modèle économique qui sous-tend son activité culturelle. Il y a très peu de chaîne télé sur le web, totalement gratuite qui plus est, qui soit rentable en elle-même. La solution consiste à adosser cette activité à une autre, plus rentable. De fait, au-delà de la webTV, Sud Plateau TV est aussi une maison de production audiovisuelle sollicitée pour diverses activités, allant du tournage de court-métrages et de reportages, de clips vidéo, ou de pilotes d’émissions. Autant d’activités qui permettent, tant bien que mal, à l’ensemble de fonctionner. Après quatre années de mise en service, l’activité reste toutefois précaire. Guy Padja est le seul employé à temps plein, épaulé par trois intermittents du spectacle à temps partiel et par un réseau d’une trentaine de personnes sollicitées suivant les besoins. Son public est essentiellement situé en France, la lenteur du débit de connexion en Afrique rendant difficile la lecture internet des vidéos. Mais qu’importe ! L’industrie culturelle en Afrique est en pleine reconfiguration. Un monde nouveau émerge sur les cendres de l’ancien, porté par les nouvelles technologies (caméra numérique, internet, etc.). Les consommateurs africains de biens culturels sont de plus en plus nombreux. Un modèle économique durable reste toutefois à inventer. Guy Padja aura peut être son rôle à jouer dans cette histoire. Ce serait alors le début de sa troisième vie.

 

Mariétou Seck et Emmanuel Leroueil

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