Le FIFDA 2017 se place sous le signe de la mémoire et de l’identité

Gurumbe. Copyright

Pour sa cinquième édition, le Festival International des Films de la Diaspora Africaine (FIFDA), qui aura lieu du 8 au 11 septembre dans plusieurs cinémas parisiens, célèbre la mémoire et l’identité. Mémoire des Africains du continent vue de l’intérieur, mémoire de leur diaspora située entre deux rives : de ces deux faces de l’Histoire découlent les questionnements identitaires que vivent au quotidien les milliers d’Africains, locaux ou immigrés, et d’afro-descendants de la diaspora.

Des mémoires enfouies ou niées  

Après Tango Negro, de Dom Pedro de Angola, qui remettait au goût du jour les origines africaines du tango, Gurumbe exhume les traces de la présence d’esclaves en Espagne : les racines profondément africaines de la musique andalouse. Independencia nous envoie vers d’autres mémoires ibériques : celles de la lutte angolaise pour l’indépendance, une des plus longues et des plus éprouvantes de l’Histoire. Des vétérans joignent leur témoignage à des images inédites. Dans le registre de la lutte, le Maroc n’est pas en reste : Fidaa relate le dilemme d’un résistant anti-colonial face à un beau-père collaborateur ayant participé à l’emprisonnement et à la mort de nombreux résistants.  Même combat pour les rastafari de la Jamaïque dans The price of memory, qui demandent réparation à la reine Elisabeth II d’Angleterre pour les années d’esclavage qui ont marqué la belle île, s’inscrivant dans la lutte pour la reconnaissance de l’esclavage qui a pris racine dès 1960.

FIFDA
Mariannes noires, de Mame-Fatou NIANG & Kaytie NIELSEN, à l’affiche du FIFDA 2017.

Un présent à réinventer  

Pour les protagonistes des Mariannes Noires, il est avant tout question de liberté. Liberté de choisir à quelle(s) culture(s) on appartient, à quels principes on adhère. La question de la liberté d’être est tout aussi prégnante chez les héros de Dites-leur que nous avançons, sur l’histoire des universités noires aux Etats-Unis, de Mohammed le prénom, ou de Medan Vi Lever, où l’on explore la problématique du retour avec un humour salvateur. S’y ajoute l’effet de miroir en rapport avec le regard de l’autre. Stand down Soldier, qui met en scène une femme soldat témoignant de son expérience en Irak, inscrit les parcours de la diaspora dans un destin détaché des carcans identitaires, et pose la question du rôle de chacun dans la destinée universelle. Chez le réalisateur de N.G.O. (Nothing Going On), c’est l’espoir suscité par l’ ailleurs qui ressort, poussé par la représentante américaine d’ une fausse ONG. Avec, en prime, une réalisation teintée d’humour pour évoquer des sujets d’une extrême gravité. Déroutant, le FIFDA, comme chaque année !

Voir l’intégralité du programme et les dates de projection

Touhfat Mouhtare

Rentrée du cinéma 2016 : la sélection ambitieuse du FIFDA

Le Festival International des Films de la Diaspora Africaine (FIFDA) déballe ses valises dans les cinémas parisiens du 9 au 11 septembre, à l'occasion de la rentrée du cinéma. Nous vous invitons à l'édition 2016, qui, fidèle à la philosophie du festival, comprend cette année des perles de réalisation francophones et anglophones, où la profondeur et les relations humaines occupent le haut du pavé. Diarah Ndaw-Spech, organisatrice du festival, a bien voulu répondre à nos questions. 

 

Selon vous, quel film nous transportera, cette année ? 

Il y en aura plusieurs:

La première mondiale du documentaire de la réalisatrice Keria Maamei « Nos Plumes » qui explore le travail d’une "nouvelle vague" littéraire hétéroclite française issue des banlieues.

«Image» un thriller à propos des relations entre  le monde des média  et les quartiers populaires de Bruxelles. Le film a fait la une des salles en Belgique pendant plus de 10 semaines.

« Supremacy » un thriller avec Danny Glover basé sur une histoire vraie qui illustre vivement les tensions raciales constantes aux Etats Unis aujourd’hui.

« Héros Invisibles : Afro-Américains Dans La Guerre Civile Espagnole » une page de l’histoire de la solidarité entre les peuples devant un ennemi commun.

Pensez-vous que le cinéma est plus à même de faire passer certains messages mieux que d'autres médias comme le livre par exemple ? 

Déjà, en 1960, celui qui est considéré par beaucoup comme le père de Cinéma Africain, Ousmane Sembène, a choisi de passer de l’écriture au cinéma pour mieux faire passer ses messages. Il avait compris, déjà à son époque, la force de l’image pour communiquer plus facilement et à plus large échelle. L’impact de l’image est plus important que jamais aujourd’hui. Pas juste en Afrique, dans le monde entier !  C’est pour ça que le cinéma a un grand potentiel pour aider à faire évoluer les idées et les sociétés.

Quels sont les grands thèmes abordés cette année ? 

La grande turbulence dans nos sociétés contemporaines.  Les tensions montent, l’intolérance s’installe, l’abus de pouvoir et la corruption abondent, et les gens se révoltent contre les injustices.  Ces thèmes sont présents dans Image, Supremacy, Insoumise, Hogtown et Dzaomalaza Et Les Mille Soucis.

Les questions identitaires d’appartenance et d’acceptation sont abordées dans Nos Plumes, Ben & Ara, et la Belle Vie. 

Diriez-vous que nous allons vers un cinéma plus international, plus porté vers l'innovation ? 

Avec la globalisation, l’information circule plus que jamais. Cela peut avoir un effet de standardisation à travers les cultures.  Beaucoup de jeunes réalisateurs partout dans le monde prennent comme modèle le cinéma fait à Hollywood. Cela peut limiter les initiatives novatrices. D’un autre côté, la technologie a démocratisé cette forme d’art.  Cela permet à de nouvelles voix de s’exprimer sans dépendre d’un système qui a le pouvoir de la censure et de l'argent.  Des films indépendants comme Nos Plumes, Hogtown ou Ben & Ara sont des films d’auteurs où sont abordés des thèmes  qui les concernent les créateurs. Ces films n’auraient probablement pas pu exister sans les nouvelles technologies.  Un cinéma plus international ? Certainement. Plus porté vers l’innovation ? C’est encore à débattre.

Rendez-vous aux Cinémas La Clef (Paris 5ème, 34 rue Daubenton, métro Censier-Daubenton), et Etoile Lilas (Paris 20ème, Place du Maquis du Vercors, métro Porte des Lilas).  

Pour aller plus loin : Rendez-vous sur le site du FIFDA (www.fifda.org). 

Comores : De l’art et des femmes puissantes

Marche des femmes dans la capitale pour les droits des femmes, 2014. Copyright RFI
Marche des femmes dans la capitale pour les droits des femmes, 2014. Copyright RFI

"Ce dont une femme a besoin, c'est d'une chambre à soi, et d'un peu d'argent", disait Virginia Woolf. En attendant la chambre, les femmes Comoriennes s'attaquent depuis longtemps aux fondements mêmes leur société, à travers l'art notamment, et parfois sans avoir conscience de leur impact sur les tabous qui les encerclent. Peut-être grâce au droit de cité que leur cède, bon an mal an, la structure matrilinéaire de leur société, elles posent les problématiques propres au pays : Education des enfants, condition féminine, vivre-ensemble dans un pays morcelé. Echo de ces voix qui s'expriment principalement par la musique, le cinéma et, plus récemment, la littérature.


Bora : Le chant-transmission

Comme un secret murmuré a l'oreille, le bora dévoile plus que ne le laisse soupçonner son.rythme entrainant. Le refrain de cette litanie poétique populaire, fréquente dans les mariages et les cérémonies,  se chante en chœur et accompagne une soliste qui, la plupart du temps, se sert des confidences quelle fait dans ses couplets pour sonder la société dans laquelle elle vit. Ainsi, dans ulindo mgu, on retrouve la problématique du mariage arrangé et de la déchéance programmée de la femme en tant que sujet de la société : mariée jeune, mère (trop) tôt, puis affublée par son époux d'une coépouse ou d'une maîtresse plus jeune, car flétrie avant l'âge. Le chant deplore la situation de cet être Éternellement défini selon une autre personne et jamais selon ce qu’il est. Debe, un autre chant, prend le parti de triompher de la vie malgré tout et de célébrer l' éternité dans l éphémère de la beauté féminine. Ce faisant, le chant érige la femme, perdante dans de nombreuses batailles, en gagnante de la guerre, car il lui reste finalement les mots et leur poésie :
 

" C'est le destin qui m' a donné cet homme, ô Tarora ; mais il n' a pas mon coeur
Et quand je me drape de mon hami, que je l' attache à ma hanche pour en faire un pli
Quiconque me voit ne baisse point les yeux, mais me fait du sourcil ! "


Côté nouvelle génération, on connaît surtout Imany et sa voix atypique.  Avant elle, les deux voix engagées du pays, Chamsia Sagaf et Zainaba Ahmed, ont assuré une transition entre les complaintes formulées a demi voix dans les bora et l'entrée dans la  musique contemporaine. Leurs chansons a messages démontrent une prise de position plus ferme dans tous les apsects qui touchent à la sociét, comorienne. Tantot Controversées, tantôt louangées, Zainana Ahmes, « la voix d’or », et Chamsia Sagaf, sa congénère, ont exhorté la femme d' aujourd'hui à sortir de son mutisme, à "rompre ses chaînes", à "se prendre en charge sans tarder" et à participer activement à l'avenir de l'humanité comme égale de l'homme. Aujourd'hui, les voix de Nawal et Mame, pour ne citer que celles-là,  font entendre l’héritage spirituel soufi de l’archipel, et continuent de percer la coquille.

 

L'identité et la maternité au cinéma

Le cinéma comorien est encore tout jeune, mais ce qu'il a de surprenant, c'est que les femmes en sont les pionnières. Dans une communauté réputée pour surprotéger ses femmes, la matrilinéarité, en faisant de la femme la gardienne des traditions, semble évoluer avec son temps et pousser, malgré les tabous sociaux, des femmes à libérer leur parole. Ces trois dernières années, deux des  héritières de cette parole  se sont distinguées par leurs productions : Sania Chanfi, réalisatrice d'Omnimum, et Hachimiya Ahamada, réalisatrice de L'ivresse d'une oasis. Les sujets abordés sont loin du plaidoyer pour le droit des femmes, et s'attaquent directement à des questionnements profondément universels. L'ivresse d'une oasis, deuxième œuvre de Hachimiya Ahamada, suit la réalisatrice dans son  parcours à travers un  pays-archipel morcelé par la mer, dont les habitants se ressemblent bien plus qu'ils ne se connaissent entre eux. Omnimum traite, avec transparence et délicatesse, des  méandres de la monoparentalité, situation d'extrême solitude dans une communauté où le mariage est une institution sacrée.


Littérature : Le corps censuré

Taboue dès la puberté, destinée au mariage et a la maternité, car  "femme avant tout" : Le corps de la femme comorienne serait il un prêt, dont elle ne peut se servir que comme support de sa tête en attendant que les propriétaires le récupèrent ? C'est en tout cas le message qui ressort dans les discussions féminines, et gare à celle qui oserait affirmer un peu trop fort son droit  de propriété sur son propre corps. Faiza Soulé Youssouf, auteure du roman Ghizza, (éditions Coelacanthe 2015, 12e), en a fait les frais : La présence d"une scène érotique dans son ouvrage, où il est question d'une jeune fille qui tente de reprendre le contrôle de son corps confisqué par la société, a soulevé le débat sur les réseaux sociaux. Une polémique qui dessine, à n'en pas douter, les contours du prochain grand thème artistique comorien : L'appropriation par la femme de son propre corps. A l’instar de Woolf, de Simone de Beauvoir ou de Sylvia Plath, on  peut compter sur les intéressées pour s'emparer de la question, avec ou sans une chambre à soi. 

Touhfat Mouhtare-Mahamadou

Notes sur l’ouverture du 3ème festival international des films de la diaspora africaine

Le festival international des films de la diaspora noire a été initié en 1997 à New York. GANGOUEUS a participé à la 3ème édition, dans sa version française, organisée le week-end du 7 au 9 septembre 2013 avec plus d’une dizaine de courts et de longs métrages présentés. Cet article, produit dans le cadre du partenariat entre Terangaweb et ce festival, revient sur ses impressions.
 


 
Portes fermées
J’ai été invité au démarrage du 3ème Festival International des Films de la Diaspora Africaine le samedi 07 septembre dans un très beau cinéma indépendant aux portes de Paris. Sortant d’une semaine laborieuse, quoi de plus sympathique que de retrouver des animateurs du 7ème art, refaisant le monde autour de samousas et autres amuse-bouches. A vrai dire, je me suis embarqué dans une discussion passionnante et quasiment exclusive avec un cinéaste centrafricain dont un court métrage allait être présenté en compétition.
 
 
Discussions d’apéro : "Ma famille" en question?
 
Notre échange porta sur des considérations aussi basiques que savoir à quoi sert le cinéma aujourd’hui en Afrique ? Quel type de public touche-t-il ? Comment expliquer le gap entre certaines séries populaires du type « Ma famille » dont la qualité technique et le piètre jeu d’acteurs horripilent les amoureux du 7ème art, là où le plus grand public exulte pour ces séries « Z ». Est-il envisageable de penser des collaborations entre ces deux mondes afin que la technique des uns améliore l’esthétique et le discours des autres ? Naturellement, les choses ne sont pas aussi simples et on peut comprendre dans le discours de ce cinéaste que sa vision, ses objectifs, sa cible ne sont pas les mêmes que les producteurs de ces divertissements populaires. Toucher l’universel pour les uns. Oui, peut-être. Entretenir les particularismes pour les autres. Un abîme sépare ces deux mondes.
 
Soutiens américains
 
Sans suivre la chronologie des événements durant l’apéro, j’ai eu également un trop bref échange avec une représentante de l’Ambassade des Etats Unis. L’occasion de voir de nouveau le soutien de l’ambassade américaine à des projets de ce type dans la capitale française. Il y a deux ans, avec le Club-Efficience, j’avais déjà eu le plaisir d’assister à un passionnant colloque parrainé par l’US Embassy sur le sujet Diversité et performances
 
Bon, l’apéro c’est cool, mais on est venu au cinoche pour voir des films. Dans la très belle et confortable salle du cinéma Etoile, Thibaut Willette de l’Observatoire  de la Diversité Culturelle introduit ce festival dans un lieu de la diversité par excellence à la lisière de Paris et du fameux 9-3. Quelques mots de remerciement  de Reinaldo Spech, président du festival et les hostilités sont lancées avec le court-métrage de Meriem Amari, intitulé Mon enfant.
 
Mon enfant, Meriem Amari
 
Le court métrage. L’exercice est difficile et je dois reconnaitre que j’ai rarement été convaincu par ce format de film. Une femme occupe l’espace. En noir et blanc. Elle porte une robe berbère. Elle est tatouée à l’henné. Elle est seule. Les plans sont rapprochés. On sent une certaine maîtrise de la technique par la réalisatrice et la qualité du matos. L’esthétique de la représentation contraste avec la noirceur de ce que cette femme, cette épouse, cette mère de famille, la cinquantaine passée exprime. La beauté pour décrire l’abject ou la douleur de violences longtemps ignorées. Une mère décrit un projet mortifère à l’endroit de ses enfants. Choc.
 
 
Derrière les portes fermées, Mohamed BenSouda
 
L’équipe de la rubrique Culture ayant fait une interview de Mohamed Ahed Bensouda en ligne sur Terangaweb depuis une semaine, je suis un peu au fait du sujet du long métrage qui ouvre le 3ème festival international des films de la diaspora africaine. Le harcèlement sexuel est le sujet du film Derrière les portes fermées qui a pour cadre le Maroc. Il s’agit d’une première projection en Europe.  Un poil parano, je suis avec attention le générique d’entrée pour identifier la nature du financement de ce projet. Maroc et OIF. Bon point.
 
Chacun de nous regarde un film avec son background et ses traumatismes parfois encore purulents quand il s’agit d’une histoire parfois proche de soi, quand on paie à regret une séance pour contempler de lourds clichés dont le cinéma africain subventionné est assurément le meilleur vecteur, le pouvoir immédiat de l’image étant désastreux. Aussi, suis-je séduit par les images de la ville moderne que ce film marocain me renvoie, loin des représentations classiques qu’on nous sert à longueur de film quand il s’agit du Maghreb : le souk, les Montagnes, le désert, le chameau et le folklore. Là, on a droit à un dépaysement total avec ce beau tramway en direction de Mohamed VI (et oui, la dédicace s’incruste dans le film).
 
Un sujet plus lourd
Mohamed Ahed Bensouda met en scène des belles cartes postales et affiche un patriotisme comme l’imposant drapeau marocain dans l’openspace qui va servir de cadre à l’intrigue du film.
 
J’ai parlé de harcèlement sexuel. Tout le monde a vu le face à face sulfureux entre l’entreprenante Demi Moore et Michael Douglas, il y a quelques années, sur un film affichant la même thématique. La prétention du réalisateur de Derrière les portes fermées n’est pas d’émoustiller le spectateur avec des scènes torrides. Il brosse un cadre professionnel, très aseptisé. Un open space. Le sujet est beaucoup plus lourd. Un parvenu est parachuté à la direction d'une boîte importante, en raison de ses relations avec un ponte du pouvoir marocain. Assez rapidement, il se prend d’intérêt pour une de ses employées, Samira. Une obsession dans laquelle ce bon père de famille, ce mari « aimant », n’entend pas qu’on lui résiste.
 
Un regard tendre et nuancé
 
Le réalisateur porte un regard tendre sur le combat que la jeune femme va mener dans une société marocaine en mutation. Elle est belle, elle aime ce qu’elle fait et n’entend pas céder au bon vouloir du goujat. Au risque de détruire son propre foyer. Le regard est tendre car, il est panoramique, nuancé et chargé de tolérance quand on observe cette plateforme de travail où les femmes sont en nombre, certaines voilées, d’autres pas du tout. Tendre en raison de l’impasse dans laquelle l’héroïne s’enferme. La question qui taraude le spectateur est celle de savoir : pourquoi ne quitte-t-elle pas cette entreprise ?
 
L’emploi est précieux. Surtout pour une femme. Ce qui augmente d’autant plus le pouvoir oppresseur du dirigeant. Un cul-de-sac qui révèle la nécessité de faire évoluer certaines lois sur ces questions dans le royaume chérifien. C’est l’enjeu un peu marqué du film.

 

Avec Karim Doukkali, Zineb Odeib, Ahmed Saguia, Omar Azzouzi
Réalisation de Mohamed Ahed Bensouda
En salle au cinéma Etoiles aux Lilas depuis le 6 Septembre 2013

KATANGA BUSINESS (2009) – Un film documentaire de Thierry Michel

Du business dans la rubrique culture, allons donc ! Et si on désappropriait le discours économique de la voix des seuls experts… Soyons encore plus fous, faisons en l’affaire de tous. Déplaçons donc le discours économique et adoptons une autre perspective.

Affiche_katanga_business Avec « Congo River », nous avons exploré les méandres du Congo en suivant le contre-courant du fleuve. Toujours plus haut, vers la source, tentant de surmonter le désespoir des habitants du Congo, fleuve-pays. Avec « Katanga Business », revenons sur terre et tentons d’affronter la guerre…économique qui s’y livre. Encore une guerre… Katanga Business ou la guerre des intérêts particuliers multinationaux.

Le Katanga, cette région bien nommée (katanga signifie cuivre) est une région du Congo qui détient 80% des mines du pays : cuivre, cobalt, uranium, manganèse… On croirait réciter la table de Mendeleïev, cette fameuse table d'éléments qu’on apprend en cours de chimie.

Autant de minerais qui transforment la terre en argent, sonnant et trébuchant.

Ceux qui trébuchent, les creuseurs, ces hommes venus de tout le pays pour espérer trouver quelque subsistance en creusant la terre de leurs mains nues et revendre le minerai brut souvent à prix dérisoire. Ils creusent, creusent et souvent c’est leur propre tombe qui apparaît.

C’est l’ouverture de ce film documentaire de Thierry Michel, une tombe qui se referme. Image glaçante, plus terrible encore que les maux qu’on découvre ensuite: corruption, exploitation, mépris de la vie humaine…

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Fidèle à son dispositif de montage, Thierry Michel mixe ses images aux archives en noir et blanc filmées du temps du Congo Belge à l’industrie florissante… une autre exploitation encore.

Du temps de la colonie, on pillait les ressources. Aujourd’hui, qu’en est-il ?

L’histoire de la Gécamines devient sous la caméra de Thierry Michel un petit cours d’histoire économique. Fleuron industriel du Congo Belge, nationalisée à l’indépendance, cette entreprise d’Etat est dirigée –au début du documentaire- par le canadien Paul Fortin. Nommé par le Président de la République Démocratique du Congo, c’est un patron pour le maintien de qui les salariés n’ont pas hésité à faire grève.  Ce patron illustre bien l’ancienne façon de diriger "à la papa". Mes ouailles, ayez confiance. « La politique, cela ne donne pas à manger » nous dit-il. Mais ça pourrait si on arrêtait de tirer sur les creuseurs qui manifestent pour défendre leurs droits. Oui, on tire pour assurer la sécurité des investissements…

Thierry Michel  trouve dans la région du Katanga le cœur brut et géologique des stratégies économiques mondiales. Cette région dotée de fabuleuses ressources énergétiques est convoitée par tous les pays avides de minerais pour accroître leur développement industriel. Et cela profite-t-il à la région et au pays lui-même ? Les Congolais gagnent-ils aussi ?

Pour y répondre, Thierry Michel pointe sa caméra vers le Gouverneur de la riche région et nous laisse faire notre propre idée.


KATANGA business de Thierry Michel

Moïse apparaît ainsi en Terre d’Afrique. Oui, un nom qui décide de son destin, dixit l’intéressé. Moïse Katumbi est dans le documentaire de Thierry Michel un véritable personnage. Ancien homme d’affaires ayant fait fortune et aussi président du fameux club de football TP Mazeme au Lubumbashi, il est élu gouverneur du Katanga en 2007. L’ancien homme d’affaires s’est mué en intercesseur de l’intérêt général.

Moïse gouverneur des hommes devient aussi le défenseur des creuseurs.

Moïse solution ! Scandent les creuseurs. Mais peut-il empêcher les multinationales de déloger les creuseurs ? C’est à ce titre que le personnage de Moïse Katumbi  attire la caméra et notre attention dans ce documentaire. Il est l’incarnation des contradictions à résoudre. Dans quelle mesure l’ancien homme d’affaires peut-il protéger l’intérêt général ? Comment peut-il à la fois encourager les investissements étrangers dans sa région et défendre les intérêts de ses administrés ?

On le sent sincère. Et puis, c’est sans compter sur l’aide contre-productive de certaines autorités qui s’accoquinent avec des investisseurs peu scrupuleux.

Les investisseurs indiens et chinois montent en puissance sur le continent. (Non, il n’y a pas de lien entre le manque de scrupule de la phrase précédente et ce qui suit)

« Nous attachons beaucoup d’importance à l’amitié. Nouer des liens amicaux avec l’ensemble des pays du monde est l’idée fondamentale de la politique étrangère de la Chine » nous dit l’ambassadeur chinois, Wu Zexian. Bon, il faut savoir aussi choisir ses amis…

Mais c’est vrai aussi que la Chine et la plupart des pays africains appartiennent encore au mouvement des non-alignés, feu mouvement qui se constitua comme une troisième voie pendant la guerre froide et surtout en lutte contre la colonisation.

On ne peut donc que sourire quand on découvre à la fin du documentaire que Paul Fortin de la Gécamines passe la main à l’investisseur chinois M. Min. C’est peut-être le début d’une grande amitié…

 


Post-scriptum :

Thierry Michel consacre son dernier documentaire au gouverneur du Katanga – « L’irrésistible ascension de Moïse Katumbi»-. Le film est sorti fin avril en Belgique, il est prévu en France à la rentrée, il est d’ores et déjà interdit en République Démocratique du Congo. Interdit de visa au Congo, Thierry Michel est d’ailleurs aussi menacé de mort par certains partisans (vraiment ?) de Moïse Katumbi. Faire un film n’est pas sans risques.

FESPACO : la biennale du cinéma africain en marche

fespaco 2013Le premier « Festival de Cinéma Africain de Ouagadougou » vit le jour en 1969 grâce à la volonté et à l’engagement d’amoureux du 7ème art, parmi lesquels Alimata Salembéré, François Bassolet, Claude Prieux et un certain nombre d'illustres anonymes. Rebaptisé FESPACO (Festival Panafricain du Cinéma de Ouagadougou) en 1972, le FESPACO s'est très vite hissé au rang du plus grand rendez-vous du cinéma d'Afrique francophone. Trois objectifs sous-tendent cette manifestation : 1/ Favoriser la diffusion de toutes les œuvres du cinéma africain ; 2/ Permettre les contacts et les échanges entre professionnels du cinéma et de l'audiovisuel ; 3/ Contribuer à l'essor, au développement et à la sauvegarde du cinéma africain, en tant que moyen d'expression, d'éducation et de conscientisation. En vingt-trois éditions réalisées en 44 ans, le FESPACO n’a cessé de grandir et de gravir les échelons avec au moins une innovation à chaque nouvelle édition. Il a grandi en quantité avec l’augmentation du nombre de films dans les compétitions officielles et du nombre de festivaliers ; il a grandi aussi en qualité avec l’émergence d’une génération « caméra» faisant de cet art une véritable vitrine d’exposition de tout le savoir-être et le savoir-faire africain.

Cette 23ème édition s’est inscrite dans la dynamique des précédentes bien que marquée par une crispation sécuritaire et l’hésitation de certains festivaliers, du fait du conflit voisin au Nord Mali. Tenu sous le thème de « Cinéma africain et politiques publiques en Afrique » le FESPACO à attribué 6200 accréditations et a présenté 101 films provenant de 35 pays d’Afrique et de sa diaspora dans la compétition officielle et 68 films hors compétition. Dans la catégorie « fiction-long métrage », où est décerné l’Etalon d’or de yennenga, la plus haute distinction, 20 films étaient en compétition.

cérémonie ouverture fespacoLa cérémonie d'ouverture 

Samedi 23 février 2013, dans un stade du 04 août loin de ses grands jours, le public a assisté à une cérémonie d’ouverture très sobre. La soirée avait pris pour thème « Wakatt (le temps) ». A travers une représentation chorégraphique bien enlevé, les spectateurs ont pu voyager dans le temps à la découverte du patrimoine culturelle antique et contemporain de l’Afrique. Les artistes musiciens n’étaient pas en reste. Flavour du Nigéria a le plus égaillé le public avec son « ashao». Il a pu faire bouger les premières dames Chantal Compaoré du Burkina et Sylvia Bongo du Gabon (pays invité d’honneur à cette édition) présentes dans les tribunes. Des artistes nationaux tels que Grèg et Sana Bob on également apporté leur touche à la soirée.

Le MICA (Marché International du Cinéma et de la Télévision Africains)

Le MICA est sans doute l’espace le plus stratégique et le plus intéressant pour les spécialistes du 7ème art. Il s'agit d'un espace professionnel de vente et d’achat des œuvres cinématographiques et vidéographique. Mais c'est avant tout un cadre de rencontres, de promotions et d’échanges ouvert aux aux professionnel du cinéma du monde entier. Installé à l’hôtel Azalai, ce marché a permis à des centaines de réalisateurs, de comédiens, de techniciens de la télévisions, de producteurs, de promoteurs et d’administrateurs du cinéma…de se rencontrer, de se parler, de partager leurs expériences et de faire de bonnes affaires.

Les espaces de rencontre

Initier pour la première fois à l’édition de 1973, les espaces de rencontres du FESPACO sont une véritable tribune d’expression pour les professionnels du cinéma. Organisés sous forme de colloque, ils permettent de mener des réflexions approfondies sur le thème du festival et sur d’autres thèmes parallèles. Pour cette année, c’est le Comptoir Burkinabè des Chargeurs (CBC), qui a accueilli les 26 et 27 février derniers les spécialistes du cinéma africains autours du thème central « cinéma africain et politique publique ». Quatre table-rondes ont détaillé cette thématique : « état des lieux des politiques publiques d’aide aux productions cinématographiques et audiovisuelles dans les pays africains » ; « Du constat à l’action : la contribution au niveau communautaire et des institutions » ; « Du constat à l’action : les solutions au niveau des Etats» ; « Du constat à l’action : la contribution des institutions financières/l’axe juridique ». Ces table-rondes ont été l'occasion de scruter à la loupe les maux qui minent le cinéma africain. Le constat phare qui en est ressorti est que les Etats Africains ne s’impliquent pas assez dans l’émergence et le développement du 7ème art. Pour plus de visibilité et de compétitivité sur le marché mondial, l’industrie du cinéma doit donc être renforcée en qualité et en quantité, à l’image de ce qui se fait en Afrique du sud et au Nigéria, pays qui ont un train d'avance en Afrique sur ce sujet. Comme à chaque clôture des colloques du FESPACO, des doléances ont été formulées pour qu’en ambassadeur du cinéma, chaque participant en soit le relais dans son pays.

etalondorL’Etalon d’or de Yennenga

De la première édition à la présente, les pays africains se sont succédés sur la plus haute marche du podium à la conquête de l’étalon d’or de Yennenga, la plus prestigieuse des récompenses. Crée en 1972, ce prix reste la convoitise de tous les cinéastes. Le premier trophée fut remporté par le célèbre réalisateur Nigérien Oumarou Ganda avec son film « Le Wazzou polygame ». « PEGASE » du réalisateur Marocain Mohamed MOUFTAKIR avait suscité en son temps bien des frissons et conquit le cœur du jury à la 22ème édition. Pour cette année l’Etalon en galopant a pris la direction du pays de la Téranga. Alain Gomis vient d’inscrire son nom au panthéon des plus grands cinéastes d’Afrique avec son film « Tey » (aujourd'hui) sacré Etalon d’or de Yennenga. Il empoche la coquette somme de dix millions de franc CFA plus le trophée remis des mains du président Blaise Compaoré. Pour sa première, le Sénégal rentre dans le palmarès de l’Etalon de Yennenga avec la manière puisque « La pirogue » de Moussa Touré a remporté l’Etalon de bronze. Le FESPACO 2013 aurait donc été très fructueux pour le Sénégal. Quant à l’Etalon d’argent, il a pris le chemin de l’Algérie avec le film « Yema » de Djamila Sahraoui.

Les défis à relever

La maturité du FESPACO dans le circuit des plus grands festivals de films africains est avérée. Mais des défis énormes restent à surmonter. Ainsi par exemple de la question épineuse du site siège de l'évènement, dont les travaux peinent à s’achever. Le 15 janvier dernier un incendie dévastateur a réduit en cendre la cinémathèque en construction. Des décisions concrètes et définitives doivent être prises pour que cette infrastructure soit livrée dans sa totalité avant l’édition prochaine. Il en va de la crédibilité de la manifestation. Aussi les Etats africains manquent de politique réelle de cinéma laissant les réalisateurs et tous ceux exerçants dans ce domaine face à eux même et obligés de se battre doublement pour faire valoir leurs idées. Des orientations dans ce sens sont donc très attendues par tous. C’est ce que semble comprendre les responsables culturels africains, d’où le thème de la présente édition «Cinéma africain et politiques publiques ». La Cote d’Ivoire, fortement représentée à Ouagadougou, a décrété 2013 comme année du cinéma et le Gabon invité d’honneur a annoncé une panoplie de mesures pour le cinéma Gabonais. Il faut espérer que ces initiatives aideront à répondre à la première des préoccupations des réalisateurs et des producteurs, le financement. Le FESPACO doit enfin constituer un tremplin, une couverture pour tous les acteurs du cinéma. Il est panafricain, comme son nom l’indique, mais la dénomination doit être à la hauteur des ambitions. Soutenir, former, motiver…tous les acteurs du cinéma africains doit devenir le leitmotiv central de la manifestation. Bon vent au FESPACO et vive le cinéma africain. 

Ismaël  Compaoré

Guy Mérimé Padja, itinéraire d’un enfant du cinéma et de la webTV

Guy Mérimé Padja ne fait pas son âge. On a peine à croire que derrière ce visage lisse se cache un homme de 42 ans, qui vit sa deuxième vie sur terre. La première se passe au Cameroun. Fils d'un instituteur et d'une infirmière , enfant de la petite classe moyenne postindépendance, il fait partie de la génération sacrifiée, celle des cohortes de jeunes qui à partir des années 80-90 font face au chômage de masse dans un marché du travail anémié. Dans ce contexte difficile, Guy Padja va toutefois réussir à faire jouer sa petite musique personnelle. L'adolescent était un littéraire frustré. Dans sa famille, lire était synonyme de désœuvrement. Au lycée, malgré sa secrète admiration pour l'éloquence et la culture des littéraires, Guy suivra la filière scientifique, que tout le monde s'accorde alors à reconnaître comme la filière d'excellence réservée aux bons élèves. Cela le conduira à une licence en biologie.

L'université devenue payante, il ne pourra poursuivre ses études faute de moyens. Il quitte les bancs universitaires pour le monde du travail en 1993, et devient stagiaire dans un magazine pour jeunes, où il s'occupe de la rubrique culture. Entre temps, l'université lui a offert un espace de liberté où il a pu assouvir sa passion de la lecture, qu'il ne commence réellement qu'à l'âge de 20 ans. C'est de là que lui vient sa fascination pour l'écriture, et son désir de devenir journaliste. Sa première expérience est enrichissante : la culture est certes le parent pauvre du journalisme, la rubrique confiée aux stagiaires, mais le jeune Guy Padja en profite pour s'ouvrir à de nouveaux horizons, notamment au cinéma africain. Déçu par les lourdeurs hiérarchiques de son employeur, il souhaite avec quelques amis fonder leur propre magazine culturel, quelque chose de totalement nouveau au Cameroun, un magazine dédié au cinéma. Si ces derniers sont enthousiastes à l'idée, ils se révèlent très vite sceptiques quant à la viabilité économique du projet. Guy s'y lance donc tout seul et fonde Sud Plateau.

Au bout de quatre numéros, la viabilité économique de son projet se confirme. Ce n'est pas tant la vente des numéros qui lui rapporte, que les services annexes qu'il rend grâce à cette vitrine, et notamment des services de communication auprès d'ambassades. Pour son magazine, il chronique des films qu'il n'a pas vu parce qu'ils ne lui sont pas accessibles… Ses chroniques rencontrent toutefois un certain succès, et des lecteurs s’enquièrent de pouvoir visionner ces films dont il parle si bien. Son sujet de préoccupation devient dès lors de trouver ces films africains dont le principal public est étranger, et qui de fait ne se trouvent que dans les centres culturels européens. Il se donne alors pour mission la réappropriation par les jeunes camerounais de leur patrimoine cinématographique. Il organise pour cela des vidéos-clubs à l'université, puis dans des villes et villages de province, où sont projetés des films camerounais, nigérians et d'Afrique francophone. Il bataille avec les salles de cinéma qui diffusent des films occidentaux mais refusent tous les films locaux, quand bien même certains se voient primés internationalement. Il essaye de promouvoir les nouveaux créateurs, par le biais d'un festival de court métrage à Yaoundé (Yaoundé Tout Court). Et de fil en aiguille, Guy Padja se voit happé par le monde du cinéma, passer du journalisme à la distribution puis la production.

Le parcours de l'homme s'inscrit dans une trajectoire plus large du cinéma camerounais et d'Afrique francophone. Longtemps, ce cinéma a été en grande partie financé par la France et par l'Europe. Cette aubaine financière pour les créateurs aurait également été leur malédiction, tant sur le plan économique qu'idéologique. C'est le diagnostic que pose Guy Padja « On a longtemps fait des films que ne ressemblaient pas à l'Afrique, parce que les cinéastes africains ne vendaient pas leur film aux Africains mais aux occidentaux. C'est pour cela que les Africains, pendant longtemps, ne se reconnaissaient pas dans leur cinéma, même s'ils pouvaient être contents de se voir à l'image ». Les deux dernières décennies ont toutefois vu la raréfaction des financements occidentaux. Cette situation permet paradoxalement la naissance d'un nouvel âge du cinéma d'Afrique francophone, où les cinéastes vont devoir se financer par leur public, et donc lui parler. Ces dernières années, la crise du cinéma a pris un tour nouveau avec la vague de fermeture de salles de projection. Au Cameroun, des 77 salles qui avaient pignon sur rue dans les années 70-80, il n’en subsistait plus que trois au milieu des années 2000. A Dakar, ville de plus de 3 millions d’habitants, les deux salles de cinéma que comptait la ville ont déposé le bilan et fermé.

On peut voir ces fermetures comme le symptôme de la fin de vie d’un modèle économique et culturel devenu moribond, le début d’un cycle de « destruction créatrice » pour reprendre le langage économique de Schumpeter. Dans la bouche de Guy Padja, cela donne : « ces fermetures ne sont pas forcément une mauvais chose, parce que ces salles ne faisaient que la promotion de l’idéologie dominante, et c’était le parcours du combattant pour faire la promotion de films africains. Désormais, les films africains et occidentaux sont diffusés sur les mêmes réseaux (ventes de DVD, ciné-clubs, téléchargement, etc.). Pour une fois, on peut diffuser un film africain dans les mêmes conditions qu’un film américain. Avant que je ne parte du Cameroun, les ciné-clubs diffusaient plus de films burkinabés et nigérians que de films américains. »

Dans la vie de Guy Mérimé Padja, il y a un avant et un après le départ du Cameroun en 2004. A la base, il y a l’insatisfaction du self made man impliqué dans la vie cinématographique de son pays mais qui ne s’est jamais formé sur le sujet. C’est son désir de poursuivre des études de cinéma qui le pousse à venir en France. Il laisse derrière lui son bébé Yaoundé Tout Court, qui lui a survécut, ainsi que sa réputation dans le milieu. Il repart presque de zéro pour retrouver le chemin de l’université. Ce sera Paris 8 pour un master pratique sur la « valorisation des patrimoines cinématographiques et audiovisuels », une formation qui semble inventée pour lui. Il fait son mémoire sur le « déficit de visibilité des films africains en France ». Il travaille quelques temps à la Cinémathèque Afrique, liée à l’époque au Ministère des Affaires étrangères et maintenant à l’Institut Français. Mais, simple employé, il n’y trouve pas le cadre pour s’épanouir à sa mesure. La bosse de l’entrepreneuriat le reprend et il fonde en 2008 Sud Plateau TV.

Dans la continuité de ses expériences passées, Sud Plateau TV œuvre à la réappropriation par les afro-descendants de leur culture. Pour ce faire, le média choisi est le support vidéo. « Sud Plateau TV est un chaîne culturelle sur les cultures du Sud : tous les aspects de la culture, le cinéma, le théâtre, la musique, les arts plastiques ou la littérature y sont mis à l’honneur. Nous essayons de couvrir avec nos moyens l’essentiel des activités de ces cultures à Paris et en région parisienne. Heureusement pour nous, Paris est un peu la capitale culturelle du Sud francophone », explique le fondateur du projet. Quand on l’interroge sur son choix de l’espace culturel qu’il appelle le « Sud », qui semble a priori moins cohérent que « l’Afrique », sa réponse est toute trouvée : « L’Afrique c’est la mère, mais on peut difficilement s’occuper de la mère sans s’occuper des enfants qui se sont éparpillés dans les Caraïbes ou à travers le monde avec la diaspora. L’Afrique est diverse : on l’a retrouve au Brésil, aux Antilles, en France, en Amérique. On ne peut pas dire à un Noir Brésilien que l’on ne va pas couvrir ses activités parce qu’il n’est pas né en Afrique ! »

Une fois de plus, Guy Padja s’est heurté à la difficulté du modèle économique qui sous-tend son activité culturelle. Il y a très peu de chaîne télé sur le web, totalement gratuite qui plus est, qui soit rentable en elle-même. La solution consiste à adosser cette activité à une autre, plus rentable. De fait, au-delà de la webTV, Sud Plateau TV est aussi une maison de production audiovisuelle sollicitée pour diverses activités, allant du tournage de court-métrages et de reportages, de clips vidéo, ou de pilotes d’émissions. Autant d’activités qui permettent, tant bien que mal, à l’ensemble de fonctionner. Après quatre années de mise en service, l’activité reste toutefois précaire. Guy Padja est le seul employé à temps plein, épaulé par trois intermittents du spectacle à temps partiel et par un réseau d’une trentaine de personnes sollicitées suivant les besoins. Son public est essentiellement situé en France, la lenteur du débit de connexion en Afrique rendant difficile la lecture internet des vidéos. Mais qu’importe ! L’industrie culturelle en Afrique est en pleine reconfiguration. Un monde nouveau émerge sur les cendres de l’ancien, porté par les nouvelles technologies (caméra numérique, internet, etc.). Les consommateurs africains de biens culturels sont de plus en plus nombreux. Un modèle économique durable reste toutefois à inventer. Guy Padja aura peut être son rôle à jouer dans cette histoire. Ce serait alors le début de sa troisième vie.

 

Mariétou Seck et Emmanuel Leroueil

Les migrations dans le cinéma ouest-africain

Dans un entretien exclusif du blog cinéafrique d'Anoumou Amekudji, le réalisateur sénégalais Moussa Touré (à gauche sur la photo, aux côtés d'Anoumou Amekudji) aborde la question des migrations dans le cinéma africain. Il constate que par rapport à l’importance des thèmes de l’émigration et de l’immigration dans la réalité, les films africains n’en parlent pas beaucoup. Moussa Touré évoque aussi les réalités des immigrés dans leurs pays d’accueil, sans perdre de vue les difficultés de tous genres qu’ils rencontrent une fois de retour dans leurs pays d’origine. Le cas des femmes que certains immigrés confient à leurs mères au moment de quitter l’Afrique, le préoccupe aussi. Au cours de cet entretien, le cinéaste Touré a parlé aussi de la genèse de son film La pirogue sélectionné pour le festival de Cannes, qui a pris fin le 27 mai 2012.

De manière générale, dans les films africains, quelle est la place qu’occupe l’émigration vers l’Occident ?

Moussa Touré : Je crois que les films reflètent la vie de tous les jours. Si on compare le phénomène de l’émigration dans la réalité, à sa présence dans les films africains, je pense qu’ils n’en parlent pas beaucoup. Je pense que l’émigration est très légère dans les films. La vraie réalité de l’émigration africaine vers l’Europe n’est pas assez représentée dans le cinéma africain. La majeure partie des films africains a été produite par l’Europe. Pour que votre scenario soit accepte, il faut que vous tombiez d’accord avec les producteurs européens, qui ont décidé de produire votre film. Vous savez, l’Afrique est documentaire, et les gens veulent la fictionner. Quoiqu’il en arrive, ils veulent en faire des fictions. L’Africain aime bien la réalité. Quand il va voir un film, il y recherche la réalité. Comme nous sommes des Africains, nous sommes obligés tout en réalisant des fictions, d’essayer de voir la réalité. Quand nous sommes dans la fiction, on essaie d’y mettre du réel, de la poésie, et bien d’autres choses.

La vraie réalité de l’immigration, si on veut la poser au cinéma, il faut faire des documentaires. D’ici décembre, je vais faire un film qui s’appellera La pirogue. Il m’a fallu deux ans pour convaincre les producteurs, que pour faire un film sur cet aspect de l’immigration, il faut que ce soit mi-documentaire, mi-fiction. Moi je n’ai pas envie de faire un film de fiction pour dire juste qu’il y a cinq ou quinze jeunes qui emprunte une pirogue pour aller en Espagne. En faisant ce film, ce n’est pas freiner l’immigration, mais apporter de nouveaux éclairages sur la question de l’immigration. Vous savez comment les Africains s’intègrent ? Ils s’intègrent de manière horrible, sauf les Maliens. C’est le cas des Maliens qui m’a vraiment intéressé là-bas. Ils s’intègrent d’une autre manière. Ils travaillent dur et envoient de l’argent au pays. Alors que les Sénégalais, les Togolais, et les autres, aiment bien manger, s’habiller, et en même temps ils veulent s’intégrer dans leur société d’accueil. Les deux ne marchent pas souvent ensemble. D’ici peu de temps, vous verrez un long-métrage sur l’immigration, qui s’intitulera La pirogue. Bon nombre de gens ne sont pas encore au courant de sa prochaine sortie.

Quels sont les premiers films africains sur la thématique de l’immigration, et comment ont-ils abordé la thématique ?

Le premier film dans ce domaine, est La noire de… de Sembène Ousmane. Sembène faisant partie des premiers cinéastes africains ayant vécu à l’étranger, ne pouvait qu'ouvrir une porte comme celle-là. Vous savez, l’émigration des Africains vers l’Europe ne date pas d’aujourd’hui. Elle a commencé par les gens qui nous président maintenant. Les présidents Wade et Diouf, ont tous été des immigrés en France. Ils revenaient au pays soit avec des femmes blanches, soit ils épousaient au pays des femmes qui ont également été immigrées à Paris. A l’époque de la sortie de La noire de… les films étaient quand même distribués, ce qui fait que les gens avaient pu voir le film. Mais je crois que les Européens l’ont regardé d’une manière assez paternaliste. Parce que La noire de… est un film très fort. Il y attaquait l’Europe d’une manière ou d’une autre. Mais les Européens l’ont vu d’une autre manière.

En Afrique, les gens à ce moment n’étaient pas très intéressés par l’immigration. Seuls des intellectuels s’intéressaient à cette thématique. Aujourd’hui, ce sont plutôt les analphabètes qui émigrent le plus. Les réalités ont changé. Ce qu’on peut dire, c’est que les intellectuels qui ont émigré, ont fait des films sur eux-mêmes. Parce que l’histoire de La noire de… c’est celle de Sembène docker. Ces intellectuels ou immigrés étaient à la recherche d’eux-mêmes, et le cinéma leur est tombé dessus. La plupart de ceux qui font partie de la génération de Sembène ne sont pas allés en Europe dans le but de faire du cinéma. Ils sont partis pour immigrer, et sont finalement devenus cinéastes. Quand on regarde bien, la plupart de ces cinéastes sont mariés ou ont été mariés avec des blanches. Voilà comment est né le cinéaste africain. Le cinéma africain a débuté par l’immigration il y a plus de cinquante ans… Et aujourd’hui, on voit une autre génération de cinéastes africains, qui a émigré en Europe. C’est la génération des personnes comme Abderrahmane Sissako.

Parlant de cette nouvelle génération de cinéastes africains, quelle est la particularité du traitement du thème de l’immigration chez elle ?

Ils ont immigré avec des cigares. Leurs prédécesseurs étaient un peu rudes. Eux ils sont arrivés, ils ont regardé, ils ont été plus malins. Ils se sont attachés à des gens. Ils se sont rendu compte qu’ils pouvaient se poser la question, afin de faire avancer leur carrière. Leur cas est une nouvelle sorte d’immigration, avec un bagage cinématographique, avec un bagage d’intelligence, et puis de la subtilité. Donc ce sont des immigrés subtils. Et dans leur film, cette subtilité est présente, parce qu’il ne faut pas trop frustrer l’autre. Si on veut vraiment parler de l’immigration, c’est frustrant. En France, quand on y est, il ne faut pas frustrer. Il faut rentrer dans la subtilité. Comme on le dit à propos des films français, “il y a beaucoup de subtilités”. Mais dès lors que tu es direct, on va dire que tu es raciste…

Sur le plan cinématographique, le problème que les cinéastes africains ont par rapport à l’immigration, est que dès qu’ils habitent dans un quartier, on les prend pour des immigrés. Un cinéaste est après tout un cinéaste. Leurs collègues français sont bien considérés, alors qu’eux ils sont toujours classés dans la catégorie des immigrés. Cela se remarque quelque part dans leurs films. Moi qui suis ici au Sénégal, je suis plus reconnu qu’eux. Qui va me prendre dans ma maison pour un immigré? Jamais ! Et cela se reflète même dans nos dires. Et nos dires, ce sont nos films. La nouvelle génération de cinéastes africains, qui est dispersée en France, est en train de retourner en Afrique, parce qu’ils ne se sentent pas très bien en Occident, et ils n’osent pas exprimer exactement ce qu’ils veulent dire. Par conséquent, en général ils parlent du retour dans leurs films. C'est le cas de Mama Keïta dans L’Absence par exemple.

A part L’Absence de Mama Keïta qui aborde la question du retour, y-a-t-il d’autres exemples que vous pourriez nous donner ?

Je peux citer des cinéastes comme Abderrahmane Sissako, Jean-Marie Teno, qui parlent du retour dans leurs films Octobre, et Clando. Même le film Teza de l’Ethiopien Hailé Gerima, dans lequel il fait aussi l’historique de son pays. C’est bien beau d’être quelque part et de parler de son pays d’origine. C’est un aspect intéressant de l’immigration. Etre en Afrique, et faire un film dans lequel on prend des positions politiques, n’est pas la même chose que de le faire depuis New York. Voilà la nouvelle génération !

De manière générale, pour le Sénégalais moyen dans la société où vous vivez, qu’est-ce qui symbolise à ses yeux la réussite de l’immigré aujourd’hui ?

De nos jours, ce qui symbolise la réussite c’est d’avoir une belle voiture, une belle villa et puis avoir deux femmes. L’autre symbole de la réussite de l’immigré est de porter des choses qui brillent. Il n’y a pas autre chose. Je fais un film sur la folie. Je suis en train de le monter. Le film, je l’ai tourné à l’hôpital Fann spécialisé dans le traitement des troubles mentaux, à Dakar. Le tournage m’a pris cinq ans. Tous les mercredis, j’étais sous l’arbre à palabres avec les malades. Dans ce film, tous les jours que Dieu fait il y a une femme dont le mari est immigré, qui devient folle et est emmenée à l’hôpital pour les soins. Ces femmes viennent souvent de la banlieue, tandis que les maris sont originaires la plupart du temps de Touba. Les femmes dont je parle dans le film logent souvent dans une grande maison avec les belles-mères, qui deviennent finalement les maris. Ces épouses d’immigrés sont donc traumatisées par les attitudes des belles-mères. Ce qui reflète la réussite d’un bon immigré, c’est d’avoir une femme traumatisée. Le retour que vous évoquez sera fait de retours catastrophiques. Catastrophiques ! Catastrophiques ! Que font les immigrés en Occident ? Ils font du commerce. Qui achète maintenant ? J’étais à Barcelone récemment. Dans les magasins il y a deux personnes. Dans les restaurants il n’y a personne. Les immigrés vendent des choses à la sauvette. Personne n’achète plus rien. Tout le monde le sait. Préparons-nous à des retours catastrophiques de ces immigrés, car il n’y a plus d’argent.

Selon vous, malgré les problèmes que vous évoquez, les immigrés vont rentrer ou vont rester en Occident ?

Je pense qu’ils vont préférer mourir là-bas, que de rentrer au pays. Nous qui sommes ici, nous n’allons pas accepter de prendre en charge des immigrés. Nous avons déjà d’autres personnes sur place ici qu’il faut prendre en charge. Ils vont se débrouiller. Je ne pense qu’ils aient le courage de rentrer. Ils ont fait du mal à plein de femmes ici. Ils sont venus arracher des femmes à la vie tranquille qu’elles menaient au pays. Nous leur en voulons pour tout cela.

 

Propos recueillis par Anoumou Amekudji, l'intégralité de l'interview est disponible sur son blog, cinéafrique.org

Cinéastes africains : l’heure de la collaboration a sonné!

Le 9 septembre dernier, dans une de ses dépêches, l’Agence de presse sénégalaise (APS) nous informait de la tenue mi septembre à La Havane, d’une rencontre des cinéastes d’Afrique, de la Caraïbe, et de leurs diasporas. L’article de l’APS précise que l’objectif de la rencontre est de “matérialiser des mécanismes fonctionnels de coopération qui enrichissent les cinématographies des deux régions.” De cette rencontre, est attendue la naissance de réseaux qui pourront contribuer à “développer des plateformes subrégionales dans la même ligne et en coordination avec les réseaux se trouvant en Amérique latine et aux Caraïbes.”

C’est effectivement l’heure des réseaux, et de la mise en commun des potentialités de chaque région du monde. La Caraïbe et l’Afrique ont une histoire commune qu’on n’a pas encore totalement déchiffrée. Elle mérite d’être enseignée aux jeunes générations qui prendront la relève pour la gestion de nos pays, dans les dix ou vingt ans à venir. Se rencontrer à La Havane à Cuba, est certainement le début d’une série de productions cinématographiques qui éclaireront davantage les Africains et les Caribéens sur leur passé, mais également leur présent, et leur avenir commun. Les cinéastes devraient saisir cette occasion pour montrer au monde la richesse de nos cultures, de notre histoire, et les avancées quotidiennes dans nos pays. Point besoin d’attendre que ce soient les cinéastes d’autres continents qui le fassent à notre place.

En dehors de cette synergie qui commence à naître entre les cinéastes africains, et ceux des Caraïbes, les cinéastes africains devraient démarrer aussi la réflexion à l’interne, pour aboutir à la longue à des coproductions. Par exemple, des réalisateurs Burkinabé peuvent se mettre ensemble avec leurs collègues du Bénin, du Mali, du Gabon, du Togo, ou du Sénégal, pour faire des films sur des thèmes pouvant intéresser leurs différents publics. De telles initiatives réduiraient non seulement les coûts de production, mais donneraient également plus de visibilité à nos différentes cinématographies, et augmenteraient la qualité des films.

Cela leur permettrait aussi une circulation plus facile à travers le monde, et certainement une meilleure réception par le public. A défaut de faire des films ensemble, la coproduction peut prendre d’autres formes. Comme l’a fait Sembène Ousmane avec son dernier film Moolaadé, la post-production peut se faire dans des pays disposant d’une technologie de pointe, comme le Maroc ou l’Afrique du Sud. Des acteurs venant de plusieurs pays d’Afrique, peuvent jouer dans un même film. Des exemples de ce genre existent, mais l’heure est venue de renforcer cette vision des choses.

Le président sénégalais, Abdoulaye Wade, a annoncé lors de la troisième édition du Festival mondial des arts nègres (Fesman), en décembre dernier, qu’il allait créer à Dakar, un grand centre de production et de postproduction des films. La mise en place d’une telle structure, ne pourrait que faciliter la collaboration tant souhaitée entre les cinéastes africains. Il revient à ces derniers de se rencontrer le plus souvent pour asseoir les bases de cette collaboration nécessaire à la bonne marche et à la viabilité du cinéma africain, mais la responsabilité des autorités est également importante. Il faudra qu’elles interviennent en aval, pour accompagner cet élan de solidarité. Accompagner cela, voudrait dire accorder les moyens nécessaires à la production cinématographique dans nos pays respectifs.

Cela voudrait également dire que les autorités doivent veiller à ce qu’il y ait des infrastructures nécessaires, les textes juridiques adéquats, pour que la collaboration naissante entre les cinéastes africains, soit pérenne. Le cinéma est capable de renforcer les liens entre les citoyens, il est à même de changer positivement l’image d’un pays, il est également source d’emplois pour les jeunes qui s’intéressent de plus en plus aux métiers de l’audiovisuel. Le cinéma aux Etats-Unis et en France, pour ne citer que ces deux exemples, a montré qu’il peut contribuer au développement d’un pays.

La rencontre des cinéastes africains et caribéens à La Havane, est le signe annonciateur d’une prise de conscience, dont le résultat sera à n’en pas douter utile au continent africain. Les cinéastes africains veulent faire de bons films, individuellement ou avec la collaboration de leurs collègues. Malheureusement, les moyens manquent le plus souvent, alors que nos pays ont beaucoup d’argent. Les dirigeants africains doivent savoir qu’en soutenant la production et la coproduction en Afrique, ils résolvent une partie du chômage, et participent à la valorisation de nos cultures, à un moment où la diversité est célébrée à travers le monde.

Anoumou Amekudji

Article initiallement paru dans Cinéafrique

Viva Riva !

« Viva Riva ! » est le film que j’attendais depuis longtemps. J’en avais marre des films africains – je parle ici de l’Afrique subsaharienne francophone – qui racontent des histoires de villages, des comédies parfois marrantes mais sans plus, des drames sur la période coloniale ou pré-coloniale, parfois poignants, mais pas le genre de films qu’on veut voir un vendredi soir pour passer un bon moment. « Viva Riva » est tout ce que ces films ne sont pas. Un film qui vous fait passer un super moment en vous scotchant sur votre fauteuil. Un thriller moderne qui dépeint les réalités d’aujourd’hui, qui dépeint la misère quotidienne tout en vous donnant du rêve. Une peinture moderne de Kinshasa et de la jeunesse urbaine qui y vit, de manière énergique et trépidante, mais sans repères, perdue dans une course nihiliste vers l’argent facile et les satisfactions matérielles et sexuelle immédiates.

L’histoire est celle de Riva, jeune congolais qui revient à Kinshasa d’un exil de dix ans en Angola. Il ramène dans ses bagages une cargaison d’essence qu’il a volée à son ancien boss, un mafieux angolais, qui est à sa poursuite. Le contexte général est celui d’une économie de pénurie – les voitures ne roulent plus parce que les stations n’ont plus d’essence, les coupures de courant s’enchaînent parce qu’il n’y a plus de fuel – où le contrôle de l’essence devient un élément stratégique de pouvoir et d’argent. Autant dire que Riva joue désormais dans la cour des grands, lui l’ancien petit gangster flambeur. L’histoire se complique lorsqu’il tombe amoureux de Nora, danseuse rencontrée un soir, accessoirement la maîtresse d’un parrain de la mafia locale, dont il n’aura de cesse de conquérir le cœur et le corps.

 

Le film est cru – la jolie fille qui pisse dans un buisson – les scènes adultes nombreuses et osées, la violence récurrente, sans que cela nuise au déroulement de l’histoire, bien au contraire. Une multitude de personnages secondaires viennent apporter de la densité à ce film, résolument moderne dans la manière d’être filmé et scénarisé. Il y a l’enfant des rues, sans qui le tableau de Kinshasa serait incomplet, serviteur intéressé, serviable mais plus fidèle et loyal à Riva que bien d’autres de ses supposés amis. Il y a la « commandante », une officier des douanes lesbienne plus ou moins corruptible, mais qui n’est pas méchante en tant que telle, juste une débrouillarde prise en otage par les difficultés de la vie. Il y a le père curé qui traficote un peu de tout, tout en jouant de la carte de la moralité quand cela l’arrange. Et au centre de l’histoire, Riva, flambeur, sympa, bon vivant, inconscient, imprudent, sans autre but dans la vie que gagner de l’argent, sans intérêt pour l’histoire, la culture, juste le présent et le plaisir.

En écho à Gangoueus qui se demandait si la musique contemporaine – et par extension la culture – congolaise était masochiste, « Viva Riva ! » semble plutôt indiquer qu’elle est nihiliste : elle ne croit en rien d’autre que le plaisir personnel immédiat, que l’argent incarne, avec ses différents attributs: belles filles, beaux vêtements, belles caisses. Ce film reflète bien cette course effrénée de la vie sans destination connue. Pas de morale – si ce n’est celle que distille le personnage de Nora, elle-même poule de luxe, qui dit à Riva que « l’argent est un poison qui finit par te brûler » – juste une peinture de la comédie humaine qui se joue en Afrique, où faute de repères idéologiques, éthiques ou religieux solides, nos contemporains vivent au jour le jour en quête de légitimes satisfactions immédiates. L’histoire met d’ailleurs bien en lumière les failles de ceux qui se réclament d’une morale (les parents de Riva, le prêtre, Nora, la femme de J.M) qui guiderait leur vie, alors qu’ils sont réduits à l’impuissance ou aux compromissions.

« Viva Riva » est un film important. J’espère qu’il ouvre les vannes d’une nouvelle génération de films d’Afrique francophone. Des films qui vous donnent juste envie de payer votre place de cinéma et de passer un bon moment.

 

Emmanuel Leroueil

NOLLYWOOD : La réussite made in Nigeria

En juin 2007 sortait un film documentaire réalisé par Franco Sacchi et Roberto Caputo intitulé This is Nollywood. Ce documentaire, récompensé au Raindance Film Festival de Londres la même année, retrace la naissance et le développement de l’industrie du cinéma au Nigéria. On y apprend comment une industrie générant plus de 250 millions de dollars l’année a pu voir le jour sur le continent le plus pauvre de la planète. On y apprend également comment Nollywood est devenue en l’espace de quelques années seulement la troisième puissance cinématographique au monde en nombre de films après Bollywood en Inde (Iere) et Hollywood aux Etats-Unis (IIe).

A travers cet « exemple-symbole »je tâcherai de vous présenter une Afrique que l’on ne montre pas souvent : une Afrique qui marche, qui crée des emplois et offre de nouvelles perspectives. Cela étant dit, il faudra, de la même manière, se pencher sur les contraintes sociales et économiques agissant comme des freins à l’exploitation de toutes les capacités existantes pour le développement de cette industrie fleurissante.

La fin des années 80 est une période trouble à Lagos où la violence et l’insécurité qui l’accompagne  se trouvent partout dans les rues. Une fois la nuit tombée il devient dangereux de se hasarder hors de son domicile. Dans ce contexte et de manière extrêmement rapide, la majeure partie des lieux de vie sociale sont désertés : bars, restaurants, jusqu’aux lieux de cultes. Il en est de même pour les rares salles de cinéma que compte alors la ville. S’organise alors un système d’import massif de films vidéo venus d’Inde et des Etats-Unis. Face à cette concurrence prestigieuse, la production cinématographique locale s’effondre.

Au début de l’année 1990, un scénariste Okey Ogunjiofor, tente de trouver un réalisateur pour son histoire intitulée Living In Bondage, qui, comme son nom l’indique,  traite avant tout du rapport de l’homme au pouvoir et de la volonté des dirigeants de conserver leurs populations dans l’obscurantisme. Si le réalisateur est finalement trouvé en la personne de Chris Obi Rapu, reste encore à le produire. Ken Nnebue, déjà connu dans le milieu, décide de produire le film mais une nouvelle stratégie s’initie en ce qui concerne la commercialisation. La production décide en effet que le film ne sortira pas sur grand écran craignant que la faible fréquentation des salles  ne lui permette pas de rentrer dans ses frais. Le film est alors copié sur VHS uniquement et livré aux kiosques. Au début de l’année 1992 sort la cassette Living In Bondage. Le succès est immense. Nollywood est née.

Aujourd’hui l’industrie du film de Lagos est la troisième puissance cinématographique mondiale en terme de nombre de sorties derrière les deux géants Bollywood et Hollywood. Avec un budget global de 250 millions de dollars par an Nollywood produit plus de 1800 films par an et livre dans les kiosques plus de 30 films par semaines ! Cette production intensive comble une forte demande estimée à plus de 100 millions de consommateurs et permet dans le même temps de créer plusieurs milliers d’emplois. Quels sont donc les facteurs aillant permis un tel essor ?

On peut dégager trois éléments permettant d’entendre la réussite de Nollywood. Tout d’abord, il y a des entrepreneurs locaux qui investissent massivement dans la production des films. On retrouve aujourd’hui à Lagos, environ 300 producteurs prêts à investir chaque jour dans de nouveaux projets cinématographiques. Il y a ensuite l’acquisition des nouvelles technologies. Les caméras digitales ont laissé place aux caméras HD et les supports ne sont plus VHS mais quasiment intégralement DVD. Enfin, l’utilisation optimale des ressources s’avère être également un facteur de réussite. La durée moyenne d’un tournage est de 12 jours pendant que le budget moyen qui est alloué à un long métrage est de 15 000 dollars. La post- production est rapide et peu coûteuse pour des retombées financières immédiates. Un bon film vendra en moyenne 50 000 copies tandis qu’un véritable succès se vendra à plus du double. Le lieu physique symbolisant le mieux cette réussite est sans aucun doute l’Idumtao Market. Ce quartier de Lagos entièrement transformé en centre géant du 7e art nigérian, où les stars aiment flâner afin de tester leur popularité, abrite plusieurs dizaines de magasins tous consacrés à la vente de DVD et de produits dérivés.

Malgré cette réussite il faut noter que Nollywood se trouve encore loin derrière ses deux ainées et qu’il existe certains facteurs freinant son développement.

La réussite de Nollywood reste toute relative. Bien qu’il serait mal venu de tenter de la mettre sur un pied d’égalité avec ses concurrentes il est intéressant de noter par la comparaison chiffrée l’écart, pour ne pas dire le gouffre, qui subsiste entre l’industrie du cinéma nigérian et ses deux principales rivales. Si, comme il a déjà été dit plus tôt, le cinéma nigérian génère 250 millions de dollars par an, le cinéma indien lui en génère 1,3 milliards et l’Américain… 51 milliards toutes productions confondues (films, séries etc.). Le film le plus cher de Nollywood a nécessité un budget de 89 000 dollars tandis que son pendant américain Avatar a mobilisé un budget de 460 millions de dollars. Enfin, l’exposition internationale n’est pas encore assurée puisqu’il n’existe pas, à ce jour, de cérémonie de récompenses semblable aux Filmfare Awards (Bollywood) ou aux mondialement connus Oscars (Hollywood).

Au-delà de ce retard, des facteurs endogènes viennent perturber le développement du cinéma au Nigéria.

Tout d’abord, le piratage, massivement répandu dans la capitale, met à mal la vente des DVD malgré les contrôles répétés des distributeurs. Si le piratage existe partout ailleurs, il fait des dégâts tout particulièrement à Nollywood où les recettes ne proviennent quasi-exclusivement que de la vente de DVD puisque les sorties en salles représentent un pourcentage infime des films. Il existe également un problème d’infrastructures puisque dans le quartier de Surelere, quartier qui abrite les bureaux de production, les salles de montage, il n’existe pas de studio de tournage où il serait possible d’installer des décors virtuels. Tous les tournages se font donc sous décors naturels ce qui entraîne une nouvelle complication : le racket. Bien souvent les réalisateurs doivent payer les chefs de bandes des différents quartiers de la ville, pour obtenir le droit de tourner sur leurs « territoires » ce qui peut parfois grever lourdement le budget du film. Enfin, le manque de professionnalisme de certains acteurs peut entraîner du retard dans les commandes. S’il existe de nombreux films, les mêmes acteurs se retrouvent sur beaucoup d’affiches. Ils acceptent souvent plusieurs tournages à la fois ce qui entraîne un absentéisme répété, donc du retard, donc une perte d’argent.

 

 

Si Nollywood est économiquement intéressant à étudier, son intérêt social n’est pas à négliger. Pourquoi ce cinéma nigérian est-il si populaire ? Ce sont les sujets qui y sont abordés qui le rendent attractif. On y parle de la prostitution, du sida, de la guerre, de la religion. Des thèmes auxquels la population est confrontée tous les jours. Cette attractivité s’opère aussi par la variation dans la manière d’aborder ces thèmes : tantôt par le drame, tantôt par la comédie, tantôt par la romance. La popularité des films de Lagos est telle qu’elle se diffuse petit à petit en dehors des frontières du pays pour toucher en premier lieu les pays anglophones d’Afrique comme le Ghana, le Libéria ou encore la Zambie. Cette passion commence également à toucher la diaspora noire des Etats-Unis et d’Europe où les jeunes notamment s’intéressent aux différentes productions.

Dix-huit ans après sa création Nollywood a convaincu le Nigéria et se lance, avec ses armes, à la conquête du monde. L’industrie du cinéma nigérian est devenue si populaire quelle est aujourd’hui un instrument stratégique crucial pour certaines institutions. La maison de production évangéliste Mount Zien Faith Ministries produit exclusivement des films dont le thème est la religion et dont les scénarii mettent en avant les évangélistes face aux autres obédiences religieuses. En réponse, quelques maisons de production musulmanes, avec de puissants mécènes, se sont créées à Lagos ces dernières années.

Giovanni C. DJOSSOU

Sources : Nollywood : le phénomène vidéo par Pierre Barrot Nollywood par Hugo Pieter www.thisisnollywood.com