Repenser la supervision bancaire en Afrique

185236742La récente crise financière a permis d’identifier les défaillances du système financier, appelant à des réformes de la réglementation et de la supervision bancaire[1]. Cette situation soulève naturellement des interrogations quant à comment une telle crise pouvait subvenir dans des pays censés être les plus avancés – et donc où la surveillance des risques financiers devrait être la meilleure. Entreprendre des réformes visant la supervision devient alors une priorité mais alors, au regard des défaillances mis en exergue par la crise de 2008, on peut bien légitimement s’interroger sur le champ d’application des réformes, sachant que les meilleures pratiques en la matière ont été incorporés dans les principes fondamentaux de Bâle[2] – qui est la référence en matière de contrôle bancaire et par rapport auxquels tous les pays tentent de se conformer. Plus particulièrement, dans le cadre africain, quel devrait être les orientations à donner aux réformes visant à redéfinir un nouveau cadre de supervision bancaire ?

La crise de 2008 a permis de mettre en exergue le fait que la solidité des banques ne suffit pas pour garantir la stabilité financière. Si cette dernière condition est suffisante, elle n’est pas nécessaire dans la mesure où les interconnexions entre les institutions financière sont à prendre en compte. L’industrialisation à outrance des activités bancaire et financière conjuguée à la complexité des outils d’ingénierie financière ont eu des effets néfastes sur le système financier. Ainsi la discipline de marché, à laquelle étaient soumises les banques en plus du rôle des agences de notation, n’a pu permettre de prévenir la crise ; d’où l’intérêt de réviser la supervision des activités bancaire et financière.

Les réformes qui sont envisagées au niveau international n’auront pas la même importance pour l’Afrique qui a été épargnée par la crise du simple fait que son système financier n’est pas suffisamment imbriqué dans les méandres de la finance mondiale. Cela n’appelle pas toutefois les pays africains à rester en marge des réflexions pour envisager un nouveau cadre de supervision bancaire. En effet, les réformes envisagées au niveau du Comité de Bâle auraient certainement des impacts sur l’activité bancaire dans les pays africains, même si ceux-ci n’ont pas adopté les principes fondamentaux de Bâle. Cela vient du fait que l’implication de l’Afrique dans le système financier mondial devient de plus en plus prononcée. Il faudrait donc que les acteurs chargés de la surveillance bancaire en Afrique entreprennent une évaluation de l’incidence de ces réformes. D’ailleurs, il faudrait que les pays africains réfléchissent à comment s’orienter vers l’adoption des principes de Bâle, dans la mesure où les pays africains sont dans une logique d’insertion dans l'économie mondiale. L’adoption de ces principes devient donc un préalable pour renforcer l’activité bancaire.

Si pour les pays africains, l’impératif des réformes ne répond pas à une défaillance du système bancaire mais plutôt dans une perspective des défis à venir, il faudrait toutefois que ces réformes tiennent obligatoirement compte de certains points; notamment la définition d'un cadre analytique bien structuré et la disponibilité d'un personnel compétent. En effet, la dernière crise a fini de démontrer que certains aspects fondamentaux de la surveillance bancaire ont été occultés avec l’évolution de cet exercice comme par exemple : la complexité de l’utilisation de la notion d’actifs pondérés suivant le risque ; la divergence du cadre prudentiel suivant les pays en lien avec la différence en termes de classification et de provisionnement du crédit ; le recours à des méthodologies très sophistiquées pour l’estimation de certains risques et la volonté des banques pour un cadre moins strict sur leur effet de levier en vue d’accroître leur rentabilité. Ainsi, un nouveau cadre de supervision devra s’appuyer non seulement sur la compétence des autorités en charge de cet exercice mais aussi sur une approche décentralisée au niveau des banques. Les organes de direction doivent être capables de mesurer les risques encourus par leurs établissements et d’évaluer leur adéquation vis-à-vis des fonds propres et de s’assurer que la gestion des risques se fait en fonction de leur nature et des activités de leur établissement. Les autorités en charge de la supervision, s’assureront pour leur part, que les banques mettent à leur disposition tous les documents relatifs à leur gestion et à leurs activités. Cela leur permettrait de déceler à l’avance les tensions existantes sur les fonds propres d‘une banque en fonction des caractéristiques des risques pris par cet établissement et de mener à temps les mesures correctives nécessaires pour éviter une déstabilisation du système.

Plusieurs approches existent en termes de surveillance bancaire :

  • le Bottom-up : il s’appuie sur des procédures d’audit, où toutes les institutions valident les états financiers en s’assurant de leur adéquation avec les contrôles internes. Cette approche appréhende le risque au regard des exigences du cadre réglementaire sans s’intéresser à son origine – qui peut être lié à un problème de gouvernance ou de gestion. Avec cette approche les banques sont amenées à diminuer les risques plutôt que de mieux les gérer.
  • le Top-down : elle se fonde sur une analyse financière globale en plus d’une analyse complémentaire des politiques, des systèmes et des pratiques de management. Les décisions prises aux niveaux supérieurs de la hiérarchie seront répercutées et traduites en plans d’actions suivis et maîtrisés par les dirigeants à partir d’indicateurs adéquats.
  • la supervision basée sur les risques : c’est une variante des systèmes de supervision qui améliorent le caractère préventif de la supervision bancaire. Elle s’appuie sur un cadre d’analyse pour évaluer les pratiques de gestion, de contrôle, des procédures et politiques, pour minimiser le risque et garantir une gestion saine des expositions aux risques. Cette approche accorde donc une importance particulière à la capacité des organes de direction des institutions financières à gérer les risques externes (concurrence, risques systémiques).

Cette dernière approche apparaît plus intéressante pour les acteurs en charge de la supervision bancaire dans la mesure où elle présente l’avantage de pouvoir distinguer les différents établissements financiers sur la base des profils de risques encourus. Elle permet ainsi de concentrer les ressources de la supervision sur les zones à plus gros risques et fournit un cadre flexible permettant de régler et de gérer prudemment les différents services financiers, au lieu de les interdire et de créer une entorse au développement de l’activité bancaire. Sa mise en oeuvre en Afrique nécessiterait un renforcement des compétences des acteurs en charge de la surveillance afin que ces derniers puissent être capables de distinguer et d’évaluer les différents types de risques encourus par les banques qu’ils examinent. Ces derniers devraient aussi disposer des outils leur permettant de mesurer et d’appréhender la solvabilité ou la vulnérabilité du système aux chocs macroéconomiques ou en fonction des prévisions portant sur l’activité économique (chômage, prix, croissance, ..).

Vouloir renforcer la solidité bancaire en renforçant la surveillance pourrait rajouter davantage de contraintes à la distribution de crédit, et donc sur la croissance économique, notamment en Afrique où les banques contribuent déjà assez faiblement au financement de l’économie et où des mesures sont prises pour favoriser une plus forte implication de ces dernières. Si le crédit aux PME et aux ménages constituent un moteur de croissance, il est aussi une source de création monétaire, contribuant à faire augmenter les prix et à entretenir des bulles notamment sur le marché de l’immobilier et sur les actifs boursiers. L’économie peut alors tomber dans une situation où le financier est complètement déconnecté du réel. Il s’agirait alors d’avoir un encadrement plus strict du cycle du crédit tout en favorisant le développement des systèmes de garanties, notamment en ce qui concerne les crédits destinés aux PME/PMI. Une telle approche permettrait de contrôler les risques inhérents aux PME/PMI, tout en maintenant le financement bancaire de ces entités, principales créatrices d’emplois.

Les systèmes financiers africains subissent des transformations rapides sans pour autant que les acteurs en charge de la supervision bancaire ne dérogent à leur approche en termes de supervision bancaire, bien loin des pratiques internationales. Si l’Afrique entend jouer une plus grande partition dans l'économie mondiale, il est plus que nécessaire qu’elle adapte son cadre de supervision bancaire afin de mieux gérer les risques auxquels ses institutions financières s’exposent et prévenir les risques de faillite, tout en ne pénalisant pas l’activité bancaire et son rôle dans l’économie. Pour ce faire, les pays africains pourraient s’appuyer sur un cadre où l’on accorde une place importante à l’analyse prospective du risque afin de permettre une intervention à temps pour assurer la stabilité et la pérennité du système bancaire.

Foly Ananou

Comité de Bâle, 2006. Principes fondamentaux pour un contrôle bancaire efficace

Gorton, 2008. The Subprime Panic. National Bureau of Economic Research Working Paper n° 14398

Fiecher J. et al, 2010. The Making of Good Supervision: learning to say no. IMF Staff position note n° SPN/10/18


[1] La supervision bancaire est importante dans la mesure où elle permet une évaluation des risques afin de préserver la solvabilité des banques et de garantir la stabilité financière