Ces chefs d’Etat à qui il faut dire « dégage ! » : saison 2

Nous avions écrit cet article à la suite du Printemps arabe de 2011 qui a conduit à la chute de dictateurs d’Afrique du Nord. Nous espérions que la dynamique se prolongerait en Afrique subsaharienne. De fait, de nombreuses manifestations ont eu lieu au Malawi, en Ouganda, au Burkina Faso, au Sénégal, pour contester des chefs de l’Etat qui se maintenaient impunément au pouvoir contre l’avis de la majorité de leur population. Aux espoirs de 2011 ont succédé les craintes de 2012 : ce ne sont pas des dirigeants corrompus qui sont éjectés, mais des démocrates qui sont renversés par des séditieux, au Mali ou en Guinée Bissau. Pendant ce temps, les tyrans africains continuent de jouir de leurs privilèges indus, aux dépens de populations prises en otages. Parce qu’à Terangaweb, nous ne les oublions pas, voici notre liste actualisée des chefs d’Etat africains à qui il faut dire dégage !

Il a dégagé !

De notre liste initiale des chefs d’Etat à qui il faut dire « Dégage ! », seul Abdoulaye Wade a dégagé ! Il n’a obtenu que 34,2% des voix au second tour de l’élection présidentielle du 25 mars 2012. Le sursaut républicain qui l’a amené à reconnaître sa défaite le soir même de l’élection, acte courant sous d’autres cieux mais si rare en Afrique, ne doit rendre personne amnésique. Sa tentative de dévolution monarchique du pouvoir a placé au cœur de la République son fils Karim, ministre du ciel et de la terre (et de ce qu’il y a entre les deux plaisante-t-on à Dakar) et sa fille Sindiély. Elle a aussi entrainé une manipulation inédite des institutions parlementaires et judiciaires devenues corruptibles à merci ainsi qu’un clientélisme nourri par des détournements de fonds publics atteignant des niveaux sidérants. Les Sénégalais exigent aujourd’hui que Wade Père, Wade Fils et Wade Fille répondent de leurs actes devant la justice sénégalaise. Les sénégalais veulent aussi refonder les institutions du pays, la pratique de la politique et leur modèle économique pas suffisamment productif pour créer les richesses dont le pays a besoin. On sait désormais qu’après le passage du clan des Wade, tout est à reconstruire…

Il a été réélu

Au Cameroun, l’élection présidentielle de 2011 n’a pas eu raison de Biya l’Eternel qui dirige le pays depuis 1982 ! Après avoir modifié la constitution pour quasiment institutionnaliser la présidence à vie, il a été réélu le 21 octobre 2011, avec 77,9 % des voix en dépit d’un scrutin contesté par les autres candidats. Ce diplômé de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, au pouvoir depuis 30 ans n’a manifestement pas retenu de ses cours à la rue Saint Guillaume la notion d’alternance. Mais les Camerounais eux-mêmes, dont l’écrasante majorité n’a connu que Biya comme président, que font-ils pour impulser un nouveau tournant politique à leur pays ? Sont-ils donc à ce point satisfaits des résultats de leur pays qu'ils se désintéressent de leur représentation politique ? Ont-ils baissé les bras face à un système fossilisé et décrédibilisé ? Ont-ils définitivement renoncer à s'insurger pour leurs droits et leur avenir ? L'heure du sursaut doit sonner. Plus que jamais, il est temps que Paul Biya dégage !

Ils l'ont échappé belle !

Arrivé au pouvoir par le coup d’Etat du 15 octobre 1987 au cours duquel Thomas Sankara est assassiné, plusieurs fois réélu lors de simulacres d’élections dont le dernier date de 2010 avec une victoire au 1er tour avec…80,15% des suffrages, Blaise Compaoré l’a échappé belle en 2011. Laissant de côté une opposition mal organisée et très peu crédible (certains partis se décrivent comme des partis d’opposition dans la mouvance présidentielle !), les populations ont décidé de faire vaciller le pouvoir en place. Les jeunes ont occupé les rues du pays et les militaires ont quitté pour un temps leurs casernes. Blaise Compaoré a hélas survécu à la crise civile et militaire de 2011. Il a même les yeux déjà rivés sur les élections de 2015 auxquelles il entend se présenter en dépit des dispositions de l’article 37 de la Constitution. En attendant, depuis début avril, les militaires qui se sont amusés à prendre le pouvoir chez le voisin malien, l’ont replongé dans son costume favori, celui de médiateur dans les crises politiques africaines. Blaise Compaoré partage au moins avec eux la pratique des coups d’état et de la violence politique ; il fait partie des forces archaïques qui tirent le continent dans des profondeurs abyssales. La mobilisation de la jeunesse burkinabée ne doit pas faiblir, car elle peut servir d'exemple pour l'ensemble de l'Afrique !

« Tout changer pour que rien ne change » : c’est en substance le pari réussi du roi Mohamed VI. Face à la forte contestation de la jeunesse, le roi du Maroc a lâché du lest en termes de droits constitutionnels et de représentativité politique. Sans pour autant que la mainmise du palais royal sur les affaires économiques et politiques du pays ne soit remise en cause. Sans non plus que le clientélisme, les passe-droits et l’arbitraire des prérogatives du palais n’aient été abolis. Pour autant, il serait injuste de dire que rien ne s’est passé. Toute une génération de jeunes marocains s’est politisée avec le mouvement du 20 février. La victoire du PJD aux législatives a sonné le renouvellement des élites marocaines, sans doute plus proche culturellement et socialement du commun du peuple. Si la majorité silencieuse du pays ne s’est finalement pas levée pour exiger plus de réformes, il faut espérer que ce n’est que partie remise. Car le constat demeure : il faut que le Makhzen dégage !

Abdellaziz Bouteflika n’est que la partie émergée du système qui sclérose l’Algérie. Tout porte à croire que le président algérien n’est déjà plus aux manettes du pays, retranché dans son palais et fatigué par l’âge. Après les premières contestations du début de l’année 2011, le système militaro-nationaliste a usé de tous les leviers pour apaiser les colères : subventions des produits de première nécessité, construction de nouveaux logements, amélioration des allocations sociales, et fausses promesses d’ouverture démocratique. Les résultats des élections législatives rendus publics le 12 mai 2012, laissent à croire que l’élite historique des nationalistes du FLN et des technocrates du RND a eu largement recours à la fraude, aux dépens notamment de « l’alliance verte » des partis islamistes. L’Algérie est donc repartie pour une longue période de sommeil. A moins que les Algériens fassent preuve d’un sursaut civique et ne s’attellent à bousculer le système. Il semble que ce soit le passage obligé pour des lendemains meilleurs.

Ils continuent en toute impunité…

Isayas Afewerki va bien, contrairement aux rumeurs sur son état de santé (maladie du foie, hospitalisation au Qatar, etc.) relayées sur les réseaux sociaux durant la seconde moitié du mois d’avril par « l’opposition érythréenne et la CIA », selon Ali Abdu, ministre de l’information. Pour appuyer cette thèse, des captures d’écran montrant Afewerki, bien portant malgré ses 66 ans, ont été diffusées à la télévision publique ; avant que le président Erythréen ne daigne lui-même annoncer en public que les informations relayant sa mort étaient exagérées qu’il était bien portant, le 28 avril 2012… Cette rumeur de décès est aussi, incroyablement, l’une des rares « nouvelles » relayée sur ce pays depuis la dernière note de Terangaweb, hormis le complot éventé d’attentat lors du sommet de l’UA en Ethiopie – une autre « idée » de la clique d’Afewerki. Le régime de « transition » en place depuis 1991 n’a pas évolué : l’Erythrée reste dirigée, d’une main de fer, par Isayas Afewerki et les anciens commandants militaires de la guerre d’indépendance. Les 2/3 de la population sont sous-alimentés, la vie sociale reste fortement militarisée sous prétexte du conflit latent avec l’Ethiopie ; la police militaire assure la « sécurité » des villes, les forces de l’ordre ont le droit de tirer à balle réelle sur les candidats à l’émigration et des centaines de milliers de soldats sont parqués à la frontière avec l’Ethiopie ; la conscription reste obligatoire et peut s’étendre sur plusieurs décennies ; les médias indépendants sont fermés depuis plus de dix ans, les journalistes sont censurés et/ou torturés, les minorités religieuses persécutées. Rien de cela n’a changé en un an. Mais Isayas Afewerki va bien. La preuve ? Il est de retour à la télé !

Mswati troisième du nom, souverain constitutionnel et absolu du Swaziland s’est séparé, en novembre 2011, de sa douzième épouse, Nothando Dube, 23 ans, accusée de l’avoir trompé avec le ministre de la justice – remercié, bien évidemment, depuis lors. De 14, il est passé à 13 épouses désormais. Pour compenser cette « perte » et célébrer les 44 ans de « Sa Majesté », le Roi s’est vu offrir un avion privé, un DC-9 McDonnell Douglas, par des « admirateurs ». La tradition autorise le souverain à choisir une nouvelle épouse chaque année, sélectionnée parmi les plus belles vierges du pays invitées à danser poitrine ouverte, durant une cérémonie traditionnelle, organisée spécialement à cette fin.  Dans le même temps, l’Afrique du Sud a dû accorder un prêt de 2,5 milliards de rands au gouvernement du Swaziland, durement touché par la crise financière de 2009 (et une baisse de 60% des revenus assurés par la Communauté de développement d’Afrique australe, soit 40% du budget national.) Pourquoi l’Afrique du Sud et non le FMI ? Parce que le Swaziland est une économie relativement riche, « à revenus intermédiaires » selon la classification du FMI, donc trop riche pour recevoir l’aide réservée aux pays pauvres. Oui, un pays riche où l’on meurt encore de la tuberculose, où 15% de la population est composée d’orphelins et d’enfants vulnérables, où l’espérance de vie est inférieure à 40 ans mais où le roi prépare une loi pour censurer les réseaux sociaux, possède une fortune estimée à 100 millions de dollars, a désormais 13 épouses, dépense 500.000 dollars pour célébrer son anniversaire, et demande aux paysans d’offrir une vache pour les festivités.

Robert « le Survivant » Mugabe, à 88 ans, se lève tous les jours à 4 heures du matin pour pratiquer quelques exercices de relaxation, selon les « confessions » de son épouse Grace Mugabe. Le Président zimbabween va donc bien. Contrairement aux « rumeurs » colportées par Wikileaks, il ne souffrirait nullement d’un cancer de la prostate, il n’est allé à Singapour, en avril 2012 que pour ses vacances. Il presse ses compatriotes, de tout son cœur, de « renoncer à la violence » (comprendre à « la résistance contre la violence imposée par son parti, le ZANu-FP). Et pour ses 88 ans, ses « sympathisants » ont organisé une cérémonie qui coûta la bagatelle de 650.000 livres anglaises. Il continue de dénoncer le « complot britanique » contre l’économie zimbabwéenne, les forces du ZANU-FP continuent de combattre les « démons du colonialisme et du capitalisme ». Robert Mugabe ne prépare pas sa fin en douceur. Il prépare celle de ses compatriotes avec une increvable persévérance, depuis bientôt 15 ans. C’est peut-être ce qui fait sa « solidité ». C'est pour ça qu'il est grand temps qu'il dégage !

Omar El Béchir voyage. De plus en plus difficilement, mais il voyage quand même. Tantôt en Afrique orientale, tantôt en Irak pour un sommet de la Ligue arabe, malgré le mandat d’arrêt international délivré à son encontre, en 2009, par la Cour Pénal Internationale. L’indépendance du Sud-Soudan est à peine acquise qu’Omar El Béchir évoque les possibilités d’une guerre entre les deux pays – et expédie ses bombardiers vers les zones frontalières, malgré les contants appels à la concertation émanant du sud. Le Soudan a pris sa décision : le Darfour est un non-problème et le Sud-Soudan ne « comprend que le langage des armes », ce sont les propos d’un homme réputé « taciturne et posé »…Pour la stabilité de l'Afrique de l'Est, pour le bien-être des Soudanais de toutes origines, pour que justice soit faite, il faut qu'Omar El Béchir dégage !

Pour combien de temps encore Denis Sassou Ngessou continuera-t-il à piller les ressources du Congo en toute impunité ? A la tête du Congo depuis 1979, excepté un intermède entre 1992 et 1997, Sassou Nguesso se distingue particulièrement par une boulimie de détournements de fonds publics. Ceux-ci sont notamment issus de la manne pétrolière dont l’envolée du prix en 2010 et 2011 a permis au pays d’enregistrer des taux de croissance du PIB de 10,2% et de 8,4% respectivement. Il n’est donc pas étonnant que Sassou Ngessou fasse l’objet d’une plainte en France pour "recel et détournement de fonds publics" par les associations Transparency International et Sherpa dans le cadre des biens mal acquis.  Au-delà de ces détournements, Sassou Nguesso exacerbe les reflexes tribalistes et communautaristes qui rongent l'histoire du Congo depuis son indépendance. Ce pays au potentiel immense mérite mieux que cet homme à sa tête. Il faut que Sassou dégage !

Eduardo Dos Santos coule des jours tranquilles sur la baie de Luanda. L’homme se donne l'image d'un dirigeant porteur d’espoir pour son pays et pour l’Afrique. L’Angola a l’un des taux de croissance les plus importants du continent (10% en 2011), tirés par les prix élevés du pétrole. D’énormes investissements en infrastructures ont été réalisés : construction de trains, de villes nouvelles et de routes. L’Angola serait un pays émergent… Seulement, plus de la moitié des 18 millions d’Angolais vit sous le seuil de pauvreté, le coût de la vie est tellement élevé qu’il ne peut y avoir de classe moyenne, faute de pouvoir d’achat. Eduardo Dos Santos est l’incarnation du chef d’un Etat prédateur. Les comptes publics sont opaques, le FMI y ayant d'ailleurs relevé un trou de 4,2 milliards de dollars inexpliqués. La fille du président, Isabel Dos Santos, rachète à tour de bras des actifs portugais dans la banque et le pétrole, adossée à l’entreprise d’Etat Sonangol qui gère la manne pétrolière et redistribue les bénéfices aux caciques du régime. Rarement dans l’histoire un tel détournement de biens publics à grande échelle ne s’est opéré sur une si longue période. Après avoir fait voter une nouvelle constitution, le président Dos Santos se réserve la possibilité de rester au pouvoir pour encore deux mandats, jusqu’en 2022. Il aurait alors officiellement 77 ans. Dont 40 années à la tête du pouvoir. Les Angolais méritent un meilleur destin. Il faut qu’Eduardo Dos Santos dégage !

La famille Obiang Nguema continue de piller la Guinée Equatoriale et rien ne semble l'arrêter. L’enquête sur les biens mal acquis peut l’importuner, l’empêcher de passer ses week-end sur les Champs-Elysées pour les emplettes de mesdames, le pouvoir de Teodoro Obiang Nguéma et de ses fils semble pourtant toujours aussi solide après 32 années de prédation continue. L’homme qui a présidé récemment l’Union africaine se donne des allures de sage, d’investisseur avisé, de mécène international. Troisième producteur de pétrole en Afrique, la Guinée-Equatoriale est classé à la 178e place mondiale sur 186 pour l’espérance de vie, un score qui la rapproche de la Somalie… L’impunité doit cesser. La tolérance internationale aux méfaits de ce voleur de grand chemin doit stopper. Le peuple équato-guinéen doit se rebeller et reprendre son destin en main. Les têtes conscientes et responsables du pays doivent arrêter de participer, par leur inaction, à cette injustice monumentale. Il faut s’insurger, pour faire dégager Obiang Nguema et ses affidés !

On l'avait oublié

Lors de notre première fournée, nous avions omis Yaya Jammeh, arrivé au pouvoir en Gambie en juillet 1994 suite à un coup d’état contre Dawda Jawara qui dirigeait le pays depuis l’indépendance de 1965. Sa dernière réélection date de novembre 2011 : il y a obtenu 71,5% des suffrages. Jusque là rien d’exceptionnel sur ce continent dira-t-on. Et puis, qui donc connaît la Gambie ou s’en préoccupe ? A vrai dire pas grand monde. Pendant ce temps, Yaya Jammeh tient son pays d’une main de fer et mène la vie dure à ses deux principaux ennemis. D’abord les journalistes dont il a restreint les libertés à travers deux lois de décembre 2004 ; et quand Deyda Hydara, tête de file de la presse du pays, a voulu s’y opposer, il s’est fait assassiné. Ensuite les homosexuels à qui Yaya Jammeh a tout simplement demandé de quitter le pays. Mais Yaya Jammeh a surtout des compétences médicales insoupçonnées. A base de plantes, il a développé des remèdes contre le l’asthme, l’hypertension artérielle et le…Sida. A qui en douterait, il propose les témoignages de ses ministres guéris par ses soins. C’est cela la comédie Jammeh. Une comédie qu'il convient de faire cesser. 
 

Joel Té-Léssia, Emmanuel Leroueil, Nicolas Simel