Comment financer les infrastructures de transport en Afrique de l’Ouest ?

Les marchés publics et les concessions ont été pendant les dernières décennies les deux principaux modes de financement des infrastructures de transport en Afrique de l’Ouest. Ils ont cependant montré de sérieuses limites dans leur capacité à faire face au déficit d’infrastructures de transport. Pour relever les défis de financement, on assiste aujourd’hui à l’émergence d’un autre mode de financement : le partenariat public privé à travers lequel l’Etat confie à un opérateur privé une mission globale de financement, de construction et d’exploitation des infrastructures.

La crise du financement public des infrastructures de transport 

En Afrique de l’ouest, l’argent public – aussi bien celui des Etats que celui de l’aide publique au développement – constitue la principale source de financement des infrastructures de transport. Ce mode de financement a cependant connu une crise importante à partir du milieu des années 1980. Celle-ci est liée à la faiblesse des ressources publiques et aux politiques d’ajustement structurel menées dans la plupart des pays africains sous l’égide du Fonds Monétaire International. Face à la baisse de leurs recettes budgétaires à partir des années 1980, plusieurs Etats ont été amenés à réduire considérablement leurs dépenses d’entretien des infrastructures de transport et à arrêter tout investissement dans des infrastructures nouvelles. Cela a d’autant plus été le cas que l’aide du FMI était subordonnée à la mise en œuvre de politiques de réduction drastique des dépenses publiques[1]. Cette faiblesse des ressources publiques dédiées à l’entretien des infrastructures de transport a particulièrement affecté les routes d’Afrique de l’ouest.

railLes limites du seul financement public au cours des dernières décennies ont été aussi très perceptibles dans le domaine des chemins de fer. En effet, les deux principales lignes d’Afrique de l’ouest, reliant Dakar à Bamako et Abidjan à Ouagadougou, ont relevé pendant plusieurs décennies de la gestion et du financement public. Ce n’est qu’à partir de 1995 pour la première et de 2003 pour la seconde que ces lignes de chemins de fer ont fait l’objet de concessions octroyées respectivement à Sitarail et à Transrail (Groupe Bolloré). Le recours à ces concessions à partir du milieu des années 1990 sonne le glas de l’échec du financement et de la gestion publique des infrastructures de transport par l’Etat. Les performances opérationnelles des sociétés publiques étaient médiocres et leur gestion du service ne permettait pas de générer des ressources financières suffisantes à l’entretien et à la réhabilitation des voies ferrées et du matériel roulant.

L'Afrique de l'Ouest se trouve ainsi dans une situation qui exige des investissements considérables pour rattraper le retard accusé en matière d’infrastructures de transport, alors même que les dépenses publiques doivent être maitrisées. Le Sénégal offre une illustration intéressante de cette équation compliquée. Dans le cadre de la Stratégie Nationale de Développement Economique et Social (SNDES) adopté par le Gouvernement en novembre 2012, la part des dépenses destinées au financement des infrastructures reste considérable. Ce programme de développement à l’horizon 2017 s’articule autour de trois axes pour un montant global de dépenses de l’ordre de 5 138 milliards de FCFA, soit 1,7 milliards d’euros. Rapportées aux 7,8 milliards d’euros d’investissements prévus à l’horizon 2017, les infrastructures de transport représentent 22% des investissements prévus par le Sénégal au cours des cinq prochaines années[2]. Si des investissements aussi considérables venaient à n’être financés que par la dépense publique, le Sénégal, comme la plupart des pays africains, serait amené à accroitre de façon très significative et sans doute non soutenable son endettement public. Il reste donc plus que jamais nécessaire d’associer largement le secteur privé au financement des infrastructures de transport.

L’échec du mouvement vers « le tout concession » 

Les années 1990 on vu se développer le recours à des concessions en matière d’infrastructures et de services de transport. Dans le sillage du FMI, la Banque Mondiale a également encouragé un fort mouvement vers « le tout concession ». Cette doxa de la Banque Mondiale correspondait également à un fort appétit des opérateurs internationaux pour des montages de type concession dans les pays en voie de développement d’Amérique latine et d’Afrique. A travers les nouvelles concessions, la plupart des pays d’Afrique de l’ouest ont alors décidé de confier au secteur privé la gestion et le financement des infrastructures de transport. Cela a été particulièrement le cas en matière de transport ferré et de transport portuaire avec des résultats assez différents, et donc globalement mitigés.

port abidjanEn matière de transport portuaire, cette implication du secteur privé a permis d’améliorer substantiellement les performances opérationnelles des deux principaux ports d’Afrique de l’Ouest, Abidjan et Dakar. Elle a aussi permis d’assurer le financement de nouvelles infrastructures portuaires par le privé. Cette réussite s’explique par l’existence de structures macroéconomiques et de marchés captifs d’autant plus que les économies de nombreux pays africains reposent sur une extraversion qui implique une part très importante des importations et, par ricochet, un développement du trafic à conteneurs. Dakar, Abidjan, Cotonou, Lomé par exemple constituent des poumons par lesquels transite toute l’activité économique de ces pays. 

Toutefois, ces facteurs structurels de succès cessent d’être opérants lorsqu’il s’agit d’autres domaines de transport. Il en va ainsi des chemins de fer pour lesquels le recours aux concessions dans les années 1990 n’a pas permis d’assurer le financement des infrastructures par le secteur privé. Certes les concessions ont permis une productivité accrue du personnel et des actifs, des gains de parts de marché pour les services de fret, une diminution globale des subventions publiques et une meilleure viabilité financière. Cependant, comme le souligne Pierre Pozzo Di Borgo[3], les concessions « n’ont pas apporté le niveau d’investissement privé initialement envisagé ni les améliorations qualitatives attendues des services aux voyageurs. De plus, l’espoir de voir les concessions financièrement viables à long terme sans le financement des pouvoirs publics ne s’est pas concrétisé. »

L’exploitation des chemins de fer en Afrique de l’Ouest n’a pas jusque là généré suffisamment de recettes pour permettre au secteur privé d’investir convenablement dans l’entretien et la réhabilitation des infrastructures. De façon générale, le recours aux concessions comme mode de financement des infrastructures de transport a largement montré ses limites. Comme le souligne Olivier Ratheaux [4], si elles ont permis « une inversion des flux financiers entre l’État et l’exploitant [dans la mesure où] les redevances et les impôts et taxes versés l’emportent désormais sur les subventions, [si elles sont permis], une amélioration de la gestion, un accroissement de la professionnalisation, [les Etats ne peuvent en attendre] un apport de capitaux privés qui restera limité par les risques et une rentabilité moyenne ». Dès lors, il est nécessaire d’envisager d’autres modes de financement des infrastructures de transport qui permettent de rattraper les nombreuses années de sous-investissement tout en respectant un certain nombre d’équilibres économiques : le partenariat public privé en est désormais un.

Nicolas Simel

A suivre, du même auteur sur Terangaweb – l'Afrique des idées : "Infrastructures de transport en Afrique : l'option des Partenariats-Publics-Privés ?"


[1] Stiglitz Joseph, La grande désillusion, Paris, Fayard, 2002, 324 pages

[2] Le premier axe de ce programme, dénommé « Croissance, Productivité et création de richesses » représente à lui seul 60% des investissements totaux prévus sur les cinq prochaines années, soit 4,8 milliards d’euros. De ces 4,8 milliards d’euros, 1,7 milliard devrait être consacré aux infrastructures et services de transport. Source : Ministère de l’Economie et des Finances, Intervention du Ministre à Sciences Po Paris, 1er mars 2013

[3]Di Borgo Pierre Pozzo, « Un partage équilibré des rôles entre public et privé, secret d’une concession réussie », Secteur Privé & Développement, Proparco, mars 2011, N°9

[4] Ratheaux Olivier, « Un bilan contrasté de la participation privée dans les chemins de fer africains », Secteur Privé & Développement, Proparco, mars 2011, N°9