Inefficaces, incompétentes, peu organisées, mal équipées, mal aimées… Les maux qui gangrènent les armées africaines sont légion depuis plusieurs décennies. Rares sont celles qui sont parvenues à bâtir une bonne réputation à travers leur comportement dans des missions de maintien de la paix et autres théâtres d’opération : le Tchad, le Ghana, le Nigéria, l’Afrique du Sud, et le Sénégal parmi peu d’autres. Mais la plupart des armées africaines souffrent d’une profonde maladie relative à leur opérationnalité et à leur efficacité. Si bien qu’elles se font surprendre naïvement par des groupes rebelles sous le regard impuissant des autorités politiques qui les gouvernent.
Au Mali, en Guinée Bissau, en Centrafrique, en République Démocratique du Congo, pour ne citer que ces pays, elles se sont révélées incapables d’assurer le rôle traditionnel qui leur est dévolu : la défense et la sécurité nationales. Pis, elles sont redoutées par les pouvoirs publics et craintes par les populations qu’elles sont censées défendre. Il faut donc absolument chercher, trouver, et guérir le mal qui empêche les armées africaines de remplir leurs missions.
Communément admises comme les grandes muettes, les armées sont confinées à un rôle de sécurisation des territoires dans le strict respect de la hiérarchie interne et des autorités politiques. Ces dernières conservent un droit de commandement indiscutable sur elles et, inversement, les militaires sont emmurés dans un devoir de réserve et de neutralité par rapport à la chose politique. Il est nécessaire de s’interroger sur la pertinence de tels principes. Le bon soldat, toujours prêt à exécuter les ordres de ses supérieurs, sans hésitation ni murmure, n’a aucun droit de cité dans la gestion des affaires publiques. A peine lui reconnaît-on parfois un droit de vote distillé au compte-goutte et il le rend bien : il reste poliment chez lui lors des consultations électorales.
Dans l’acception commune, les hommes de troupe doivent rester dans les casernes. Ils n’en sortent que pour faire face à l’ennemi extérieur qui menacerait l’intégrité nationale. Mais il est temps de sortir de ces carcans de pensée ! Pourquoi confiner le militaire à un rôle d’exécution pur et simple, alors qu’on lui demande dans le même temps d’abandonner famille et amis pour servir la Nation ? Risquer sa vie. Tomber au front. Aider les citoyens et se taire. Ne jamais broncher. Veiller nuit et jour sur les autres…
Il est impossible d’énumérer le nombre de dysfonctionnements dont souffrent la majeure partie des hommes en tenue. Malgré le semblant d’hiérarchie et de discipline qui les caractérise, ils subissent dans un silence intenable les rugosités de l’organisation administrative. Les maigres indemnités dont ils doivent bénéficier sont accordées à ceux qui connaissent les bonnes personnes dans l’administration. Les dossiers de demande d’affectation ou de prise de congé par exemple dorment pendant une éternité dans les tiroirs de ces administrations. Il ne faut surtout pas qu’ils lèvent le plus petit doigt ou qu’ils interpellent leurs chefs sur ces dysfonctionnements innombrables. Jusqu’à quand faut-il accepter cet état des choses ? Combien de temps peut-on docilement rester subordonné aux injonctions parfois irrespectueuses des chefs, subir les lenteurs administratives, et veiller scrupuleusement à la sécurité des citoyens ?
Les dysfonctionnements tuent les armées africaines. De Dakar à Abidjan, de Bissau à Bangui, de Lagos à Kinshasa. Elles souffrent d’un manque criard de ressources financières, de matériels d’équipement, d’efficacité organisationnelle. De plus, elles ne doivent jamais s’encombrer de débats publics sur leurs tares. Elles doivent se maintenir dans les rangs pour mériter la confiance des autorités politiques qui décident de leurs lignes budgétaires et de l’opportunité de leurs interventions au front. La discipline est inscrite au fronton des camps militaires. Leurs conditions de restauration, de logement, de transport et de combat laissent beaucoup à désirer.
Quant à la dichotomie entre les unités de gendarmerie et de police, elle reste incomprise et inutile. Les unes civiles, les autres militaires. Dans cet imbroglio indicible, la plupart des citoyens font mal la part des choses entre les rôles des unes et des autres. L’autre inconnue réside dans le cheminement des dossiers de plainte selon qu’il s’agisse d’un circuit militaire ou policier. La relation avec les autorités judiciaires est difficile à établir. Rien n’empêche les services du procureur de la République ou du juge d’instruction de classer ces dossiers sans suite, surtout lorsqu’une connaissance bien placée ne les accélère pas. Le reste est affaire de copinage. Et de corruption en veux-tu, en voilà !
Les militaires donnent beaucoup et reçoivent peu, lorsqu’ils ne font pas partie du petit nombre bridé par le pouvoir politique. Ils exercent l’un des métiers les plus ingrats au monde, et l’un des plus nécessaires.
Ceux qui sont préposés à la circulation urbaine parviennent rarement à la fluidifier. Ceux qui se trouvent aux frontières, même parmi les officiers, ont peu de prise sur le commandement de leurs propres unités. Il faut toujours un ordre qui vienne d’en haut. A quoi bon les responsabiliser dans ce cas ? Ceux qui se trouvent sur les théâtres d’opération manquent de moyens logistiques qu’ils pourraient mobiliser de manière immédiate face à un danger. Ils servent de chair à canon et doivent prouver en permanence leur bravoure et leur aptitude au combat. Il faut réviser en profondeur le mode de fonctionnement des armées ainsi que leur traitement salarial. Il faut leur doter de moyens financiers et logistiques conséquents. Beaucoup de services de gendarmerie et d’infanterie ne disposent pas des moyens de travail les plus basiques. Et après on s’étonne que les armées soient divisées, inefficaces, et qu’elles déguerpissent à la moindre menace ! Les autorités politiques africaines doivent s’occuper de leurs armées avant que le mal ne s’installe de manière irréversible.
Mouhamadou Moustapha Mbengue
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