Le mythe du péril Jaune

chine_afrique_info-afrique_com_Souvent nous entendons crier au loup lorsque l’on évoque l’arrivée massive des Chinois sur le continent africain. Voleurs de ressources, aucun transfert de technologies, racisme, xénophobie sont quelques traits de pinceaux de la toile asiatique en Afrique telle que présentée en Occident.  Au quotidien, s’il est vrai que certains de ces maux comme la question épineuse du transfert de technologie s’appuient sur des faits concrets, le reste relève souvent du pur fantasme, ou d’opérations de guerre psychologique destinées à dénigrer l’image de la Chine en Afrique et ceci non pas au profit des Africains mais d’autres partenaires. Le but de cet article est d’illustrer les incohérences de la critique occidentale envers la Chine tout en démontrant que la coopération sino-africaine pourrait être bénéfique au continent.

Les Africains devraient regarder avec ironie les occidentaux parler du pillage des ressources naturelles africaines. Dans les faits, l’Europe et l’Amérique reçoivent plus d’investissements chinois que l’Afrique au  point où la Chine a une réserve de change de 3 400 milliards de dollars, soit plus que les Etats-Unis eux mêmes, alors que l'Afrique a servi depuis les indépendances de fournisseur de matières premières pour les industries de ces continents. Si l'on considère que les africains ne parlent pas chinois et que le français et l’anglais sont les langues les plus répandues, il est évident que les entrepreneurs africains jettent leur dévolu sur les pays anglo-saxons ou la France. Ceci dit, les chinois réussissent en Afrique du fait de leur approche gagnant-gagnant. L'illusion win/win apparaît bien plus crédible avec les chinois. L’or du Congo va en Suisse sans traçabilité, le cacao ivoirien alimente les marchés belge et français avant, pendant et après les crises qu’a traversées le pays. Certains pays qui critiquent aujourd’hui la Chine font donc preuve d’une conscience sélective, qui à défaut de produire une critique pertinente, permet de révéler les dessous des guerres économiques sur le continent africain. Au Cameroun, le palais des sports a été construit par les chinois. Dans un pays où le sport et la culture étaient en crise, cet édifice à tout simplement changé le visage de la capitale et redonné un nouvel élan aux évènements pour promouvoir la culture locale et l'épanouissement de la jeunesse. La coopération sino-africaine est critiquée sur la base de plusieurs problématiques propres à presque tous les projets de coopération. Il convient donc de prendre avec beaucoup de prudence tous ces discours qui tentent de "dramatiser" l'importance de la coopération sino-africaine.

La question du racisme :  Les chinois seraient foncièrement racistes, selon leurs détracteurs. Pour comprendre cette question, il faut s’intéresser à la culture chinoise. La Chine est un pays organisé en provinces ayant chacune leurs propres réalités culturelles. Les langues y diffèrent d’une province à l’autre, au point où deux chinois parlant chacun la langue propre à leur province peuvent avoir beaucoup de difficultés à se comprendre. En outre, l’immense majorité des chinois vit encore dans des zones rurales où l'ouverture sur le reste du monde est nécessairement plus ardue. Le comportement face à l'étranger ne sera par conséquent pas le même selon le lieu de provenance du chinois. Même du point de vue ethnique, les Hang sont d'une classe sociale bien plus élevée que celle du chinois moyen. Les ouvriers et les chefs de chantiers présents en Afrique sont de deux univers différents. Les chinois qui négocient les contrats avec les Etats appartiennent essentiellement au parti au pouvoir et font partie d'une élite de "Laoban”, qui peut sembler hautaine voire raciste, et ce envers leurs compatriotes. Certes les chinois ont un comportement plus que critiquable sur le terrain envers leurs collaborateurs locaux, les insultes et les brimades sont monnaie courante. Ceci dit, le problème n'est pas propre aux chinois mais bien à la plupart des chantiers issus de la coopération et dirigés par des étrangers en Afrique. Beaucoup d'ouvriers chinois en Afrique sont en réalité des prisonniers payés au lance-pierre. La solution n'est donc pas de ne plus travailler avec les chinois, sinon il faudrait aussi cesser de travailler avec presque toute l'Union Européenne mais plutôt de réformer les conditions de travail sur les chantiers de ce type.

Le transfert de technologie : L'une des tares de la coopération entre l'Afrique et la Chine  est le manque de transfert de technologies. Les chinois ont en effet tendance à faire venir des ouvriers chinois et à conserver toute la technicité liée à l’exécution de leurs marchés. L'idée étant de créer une dépendance du pays hôte pour la maintenance du site. Le fait est que transfert de technologie ou pas, du point de vue des africains, les chinois ont une approche bien plus concrète. Des ponts et des routes, des immeubles, des hôpitaux sont rapidement construits. Les africains voient les chinois travailler sur leur terre de jour comme de nuit, dans les mêmes conditions et manger les même repas. Automatiquement des questions qui peuvent paraître centrales comme le transfert de technologie deviennent périphériques pour des raisons sociales. Les Africains passent des marchés en un mois avec les chinois, là où les pays occidentaux peuvent passer des années pour des raisons bureaucratiques. Les prêts sont accordés aux Etats africains par les banques asiatiques sur la seule base d'intérêt économique tandis que les banques occidentales ou des organisations comme la banque mondiale tentent d'imposer leur vision de la société et des droits de l'homme en échange de financement. La question du transfert de technologie pose aussi un problème avec les partenaires occidentaux. Sur les contrats gérés par des partenaires occidentaux, l'essentiel des postes à responsabilité est confié aux expatriés. Les locaux restent donc là aussi dans une position d'exécutants. Comme avec le problème du racisme où le souci  ne vient pas uniquement des partenaires mais aussi de l’incapacité des africains à négocier les termes de la collaboration.

La question des investissements : L’Europe et les USA mettent en garde l’Afrique contre les investissements chinois alors qu’eux mêmes en profitent assez bien. Près de la moitié des investissements chinois – environ 46 % en 2010 – a été réalisé en Asie. En 2012 l'Europe a récupéré 86% des investissements industriels chinois dans le monde. Les projets d’investissements tels que l'USAID censés soutenir des projets de développement se sont transformés en soft power. Le soft power peut être défini comme une forme d'influence indirecte qui permet à des Etats ou des organisations de gagner en puissance sur le terrain apparemment déserté mais pourtant hyperactif de la culture. A l'heure de la mondialisation et d'internet, la puissance ne se mesure plus seulement à la portée des missiles mais aussi à la portée de la culture et de la vision du monde. Les américains par exemple se servent du Young Leader Program pour transformer des jeunes africains, de 25 et 35 ans, à très fort potentiel en futures portes d'entrée de l'Amérique sur l'Afrique sous couvert de formation dans les plus grandes universités américaines. Lorsque Barack Obama parle des jeunes leaders africains rencontrés, il ne s'agit pas de jeunes pris sur la seule base de leur mérite. L'immense majorité sinon tous faisaient partie du Young Leader Program. Autrement dit ce sont des jeunes africains fortement américanisés du point de vue culturel, qui ne gardent somme toute de l'Afrique que leur passeport. La contre-attaque Chinoise ne s'est pas faite attendre avec les instituts Confucius. Aujourd'hui au Cameroun et ailleurs en Afrique, on trouve des jeunes africains qui chantent l'hymne chinois en cours. Pour s'assurer une place de choix en Afrique dans les prochaines décennies, la Chine a misé comme les autres partenaires de l'Afrique, sur  la conquête des esprits. Ainsi CCTV diffuse en français des informations en continu sur la Chine. La chaîne a su trouver un écho favorable en Afrique et présente la Chine sous son meilleur jour. Les concurrents de la Chine ont eux aussi des armes culturelles en Afrique, notamment le Japon avec NHK world et l'Allemagne avec l'Institut Goethe. Enfin selon le cabinet d’avocats d'affaires internationales Linkslaters le Japon investit trois fois plus que la Chine en Afrique. Le rapport précise que « sur les 4,2 milliards de dollars que les pays asiatiques ont investis durant l'année écoulée dans la réhabilitation des routes, l'adduction d'eau, le déploiement de réseaux d'assainissement et la construction d'oléoducs et de gazoducs, les  investisseurs japonais ont apporté 3,5 milliards de dollars ».

Somme toute, la Chine n'est en Afrique qu'un partenaire comme tant d'autres avec une approche, des objectifs et des pratiques différents, qui ont permis à plusieurs pays du continent de se doter d'infrastructures assez rapidement, contrairement à ce qui a longtemps été observé avec les partenaires classiques. Loin de nous constituer en défenseur de certains comportements parfois inacceptables des entrepreneurs chinois en Afrique, il faut préciser ces comportements sont souvent soulignés dansle but de conforter la position de partenaires depuis longtemps installés sur le continent et qui s'inquiètent face à l'importance de la Chine dans l'environnement économique africain. De part son embellie économique et les opportunités qu'elle offre, l'Afrique est aujourd'hui au coeur de toutes les convoitises et devient donc le terrain de guerres économiques. Dans ce contexte et dans le contexte actuel marqué par une forte volonté des peuples africains à se développer, il est impératif que les pays africains développent une réelle capacité en matière de négociations afin de tirer meilleur parti de leurs partenariats.

William Ndja Elong

L’internet des objets : quel intérêt pour l’Afrique ?

 

jirayaLes noix de coco sont assez édifiantes de par leur forme. En effet une fois les couches supérieures retirées avec plus ou moins de difficultés, l’on peut enfin profiter du fruit du combat. Internet, c’est un peu la même chose, une fois que l’on a réussi à l’apprivoiser, il peut nous livrer toutes ses merveilles. L’une d’entre elle, est ce qui est aujourd'hui dénommé "l’internet des objets". L’internet des objets c’est l’ensemble des services autour de matériels physiques connectés au web. Pourquoi l’Afrique devrait elle s’intéresser à l’internet des objets à l’heure où l’approvisionnement en eau et en électricité restent encore pour le moins problématique. Selon l’entreprise Cisco, l’Afrique a 500 milliards de bonnes raisons de se pencher sur la question dans les 10 prochaines années. De nombreuses possiblités sont aujourd'hui offertes par l'internet des objets, dont certaines d'entre elles pourront permettre au continet d'accélérer son développement socio-économique. Il serait, par exemple, inadéquat d’affronter les braconniers avec des montres connectées telles que la smartwatch mais avec des dispositifs de localisation connectés implémentés sur les  espèces rares, il serait plus aisé de lutter contre le braconnage à grande échelle. Avec des drones les foyers de braconniers seraient repérés avant même qu’ils s’en rendent compte. Selon le dernier rapport publié par DHL et Cisco concernant les tendances sur l'Internet des Objets (IdO), le marché global est estimé à  1,9 milliards de dollars en terme d’opportunités. Le rapport estime que 50 milliards d’appareils seront connectés à Internet d’ici 2020 contre 15 milliards aujourd’hui. L’ensemble pour une valeur de 8 000 milliards de dollars. Un marché, sur lequel les pays africains pourraient se positionner en tant qu'acteurs. 

L’Afrique est aujourd’hui au cœur des conflits d’intérêts qu’ils soient d’ordre économique, géopolitique et même technologique. L’internet des objets en tant que tendance naissante pourrait devenir une niche parmi tant d’autre comme l’agriculture ou les énergies renouvelables sur laquelle l’Afrique s’appuiera dans le but de gagner en puissance sur la balance des échanges internationaux. En Afrique subsaharienne, le marché est relativement vierge, et les coûts de production d’un même produit ou service sont souvent 10 fois inférieurs à ceux pratiqués dans les pays OCDE. Les entrepreneurs africains devraient se pencher sur la question et créer aux quatre coins du continent des projets dans ce sens. Les applications concevables dans le cadre de l’internet des objets sont littéralement infinies. En effet, il suffit d’un zeste de créativité pour imaginer des solutions inédites.

En Afrique, seul  MTN (Afrique du Sud) dispose d'une plateforme dédiée à l’internet des objets. L’ébullition autour de l’internet des objets est telle que des groupes américains comme Microsoft et Google ont décidé de créer des programmes de  développeurs entièrement consacrés à ce mouvement. Avec des micro-processeurs connectés il est désormais possible de surveiller le rythme cardiaque de patients afin de détecter des problèmes d’hypertension. En Angleterre, les drones sont utilisés comme soutien médical pour couvrir de larges distances en peu de temps et fournir les premiers soins à des blessés. Dans le contexte africain où il y a parfois 2 médecins pour 10 000 habitants selon l’OMS contre 32 pour 10 000 en Europe, cette solution pourrait constituer une opportunité à explorer. En Espagne, des agences de voyage utilisent  les drones pour produire des images inédites de Barcelone et ainsi promouvoir le tourisme local. Au Gabon, l’internet des objets a fait ses preuves lors de la construction d’infrastructures et a permis d'effectuer une cartographie. En effet, la compagnie Perenco a utilisé des drones au Gabon pour cartographier les zones pétrolières. Les drones sont  utilisés partout ailleurs pour faire des mesures topographiques et évaluer les risques lors de la construction d’infrastructures. Peu d’entreprises africaines sont sur ce segment, ce qui crée une dépendance auprès de prestataires de services étrangers et par conséquent un problème de souveraineté étatique. McKinsey estime que les applications de l’internet des objets auront un impact sur l’économie mondiale de l’ordre de 3,9 à 11 mil milliards par an dès 2025. A son apogée, cette influence représenterait 11% de l’économie planétaire. L'Afrique se doit de tirer partie de ce nouveau marché, au lieu de se positionner comme consomateur ; la technologie n'étant plus une contrainte, surtout dans le domaine du numérique. 

L’internet des objets constitue, cependant, une menace sérieuse en terme de cyber sécurité. En effet la plupart des dispositifs connectés sont conçus pour être facilement déployés et accessibles par des usagers qui sont certes technophiles mais peu informés sur les risques en jeu. Des serrures connectées à des applications mobiles sont déjà déployées pour simplifier l’accès au domicile. Cependant,  aucune précision n’est donnée sur les risques encourus si un hacker mal intentionné s’attaque au système et pénètre dans une résidence privée. Les constructeurs de matériel connectés légers ont pour objectif de faire du chiffre avec des économies d’échelle. Dans cette lancée, ils réduisent au maximum les coûts de recherche et développement. Pour extrapoler une fois que la connexion a pu être établie entre le dispositif « A » et « Internet », le matériel est mis sur le marché. Les mêmes mots de passe et noms d’utilisateurs sont répliqués à la chaine, par conséquent à un moment ils finissent par être connus des hackers. La question de la sécurité et des failles devient accessoire là où elle devrait être prioritaire.

Les caméras connectées sont si peu sécurisées dans le monde qu’il existe un moteur de recherche qui permet de trouver en un clignement des yeux des millions de caméras connectées dans des organisations autant privées que publiques. Des sites internet partagent déjà en temps réel des images qui viennent de caméras de domiciles privés en toute impunité. Les drones même s’ils peuvent réduire les coûts de la cartographie peuvent aussi être utilisés à mauvais escient par des personnes mal intentionnées pour préparer des opérations dangereuses ou même survoler des espaces aériens sensibles sans autorisations préalables. Cette faille offre aussi une opportunité pour les entrepreneurs du secteur des TIC, qui pourraient se focaliser sur le développement de procédés de sécurisation. Aussi,  il devient impératif pour les pays africains d’envisager une législation en matière d’internet des objets pour protéger leur population des excès que peut introduire ce phénomène, ceci même si l’Afrique n’est pas encore un grand consommateur. L’Afrique ne doit pas devenir une éponge à tendances technologiques. Le Big Data et l’internet des objets sont certes des avancées notables qui peuvent contribuer au développement du continent  mais l’un comme l’autre, sans mesures de cybersécurité, ne feront qu’exposer à des menaces grandissantes à la fois les données et les vies des usagers. L’innovation doit s’adapter au contexte dans lequel elle souhaite s’épanouir. L’Afrique est une terre rougie par le climat et le sang des enfants surexploitées dans les mines de Coltan au Congo au nom de progrès technologiques dans des pays étrangers, l’internet des objets pourrait changer la donne et rendre l’Afrique aux africains.

Somme toute l’internet des objets apparait comme un piste parmi tant d’autres pour combler le fossé technologique mais aussi économique entre l’Afrique et les pays dits développés. Au fil des années les pays africains commencent à adopter les technologies  et les mouvements novateurs déployées au quatre coins du monde en temps réel. On parle de FabLab au Togo, de DIY ( Do it yourself) au Sénégal, de Big Data au Kenya et désormais de l’Internet des objets en Afrique du Sud. Ceci dit ces  tendances doivent être contextualisés et prendre en compte les réalités locales propres à chaque pays d’Afrique. L’enjeu de l’Internet des objets en Afrique comme partout ailleurs n’est  donc plus celui de son utilité mais de la sécurité des données qu’il exploite. Le flux constant d’innovations venant du continent  africain annonce un avenir optimiste pour les TIC. D’ici peu, peut-être verront nous le ciel d’Afrique couvert de drones « Made in Africa ».

William Elong