La Chine en Afrique : un loup dans la bergerie ?

Le 03 septembre, le président chinois, Xi Jinping, annonçait au profit de l’Afrique une enveloppe de 60 Mds USD (15 en dons ou prêts sans intérêt ou concessionnels, 20 en crédits, 10 pour l’aide au développement et 5 pour supporter les importations chinoises en provenance d’Afrique ; le reste devrait être porté par le secteur privé) pour les trois prochaines années. Pour les occidentaux, c’est un cadeau empoisonné[1] alors que les autorités africaines voient en la Chine, ce partenaire qui va les aider à atteindre « l’émergence », tant souhaité.

La Chine est prédatrice ; ce n’est pas nouveau ! Depuis 2013, avec le lancement du projet de « nouvelles routes de la soie » (la Belt and Road Initiative – BRI), les intentions des autorités chinoises sont plutôt claires. Le pays veut s’imposer comme la première puissance économique mondiale. La BRI n’est qu’une déclinaison de cette volonté. Et l’Afrique n’est pas le seul continent au cœur de cette stratégie. Se positionnant comme l’usine du monde, la démarche chinoise apparait évidente : acheter les matières premières en Afrique (et aussi en Amérique Latine), les transformer chez elle et inonder le marché occidental. Pour atteindre cet objectif, la Chine use de toutes les armes dont elle dispose. Et en Afrique, c’est la puissance financière qui est de rigueur. Elle offre aux autorités africaines une alternative réelle par rapport aux partenaires traditionnels, dont les actions en Afrique n’ont pas permis « l’émergence » du continent, un demi-siècle après les indépendances.

Chine ou Occident, les intentions et les regards portés sur l’Afrique restent les mêmes : l’Afrique est un marché de matières premières et de consommation de produits finis ; alors chacun essaie de se tailler sa part. Les méthodes ne divergent pas non plus grandement. Tout passe par la puissance financière. Seulement, alors que l’Occident dont les moyens financiers sont limités usent de conditionnalités relatives aux conditions socio-politiques et économiques pour rationner ses aides ; la Chine se soucie peu ou pas de leur solvabilité[2] ou des conditions socio-politiques et ses actions en Afrique sont visibles. Elle apporte une réponse aux défis du continent en matière d’infrastructures[3]. Son influence s’accroît et dépasse même les aspects économiques. On va progressivement vers l’installation de bases militaires chinoises sur le continent ; une existe déjà à Djibouti. Aujourd’hui la plupart des pays africains, à l’exception du Swaziland, ont rompu leurs relations diplomatiques avec Taïwan pour s’attirer les faveurs de Pékin. Par extension, il serait difficile pour l’Occident aujourd’hui d’user de voix africaines pour faire voter des décisions contre la Chine à l’échelle internationale.  En bref, la Chine ne fait pas pire, ni mieux que les occidentaux. Elle dispose seulement d’une assise financière plus robuste, évite de s’ingérer dans les questions politiques (ce que la jeunesse africaine reproche de plus en plus aux occidentaux) et faire preuve de pragmatisme en s’assurant de rendre très « concrète » son action en Afrique, de sorte à s’imposer sur les marchés que les occidentaux leur croyaient acquis. En fait, les accusations de néocolonialisme formulées à l’encontre de la Chine par les occidentaux s’apparentent aux pleurs du renard qui voit le loup entrer dans son garde-manger.

L’acharnement médiatique vis-à-vis de la Chine quant à ses actions financières en Afrique n’a pas lieu d’être. Certes les risques liés à la dette chinoise, et à l’évolution rapide de la dette des pays africains en général, nécessite d’être discutée, pour identifier les goulots d’étranglement et proposer des solutions, au lieu de rester dans une forme de dénonciation. La Chine adopte aujourd’hui une démarche qui permet de financer et de réaliser des projets, en s’affranchissant des multiples procédures et règles souvent de rigueurs avec les partenaires traditionnels des pays africains. Cette démarche est à parfaire pour inclure davantage l’expertise locale avec une stratégie d’endettement cohérente, afin de paver la voie pour une transformation structurelle des économies africaines.

Une chose est certaine, c’est que l’Afrique appartient aux africains et à ce titre, ils feront à travers leur dirigeants les choix qui leur conviennent le mieux pour atteindre leurs objectifs. Il convient pour ce faire de tirer les leçons d’un demi-siècle de partenariat avec l’Occident pour améliorer le cadre des partenariats avec le reste du monde et d’en minimiser les risques potentiels. « Tout est bon mais tout n’est pas utile ».

Mais au-delà de tous ces discours experts sur la relation sino-africaine, une question devrait retenir toute l’attention. Que pensent réellement les africains de la présence chinoise ? Ce partenariat change-t-il pour le mieux leurs conditions de vie ?

[1] Voir ces articles de Telegraph, de BBC ou du Monde.

[2] L’évolution de la dette des pays africain reste quand même un facteur d’inquiétudes. Les analyses de viabilité de la dette (AVD) réalisées par le FMI et la Banque Mondiale, montrent que le profil de risque d’endettement des pays africains a rapidement évolué entre 2012 et 2015. Sur les 39 pays bénéficiaires de l’IPPTE, ont déjà atteint un risque élevé d’endettement (contre 5 en 2012), 18 sont classés en risque modéré (13 en 2012) et 5 sont classés en risque faible (contre 11 en 2012). Les emprunts auprès de la Chine y contribue considérablement. En 2016, les prêts chinois aux gouvernements africains atteignaient 30 Mds USD.

[3] Même si les conditions d’octroi et d’exécution des projets restent fortement discutables. Ces financements créent sur le sol africain des marchés pour les entreprises chinoises, qui empêchent le développement d’une expertise locale. Aussi en ne s’intéressant pas aux conditions socio-politiques, la Chine favorise le maintien d’un environnement socio-politique délétère. Toutefois, la démarche occidentale n’a pas résolu la question ; elle pourrait même être à l’origine de cette situation. Les récentes discussions sur les activités de Bolloré en Afrique constituent une preuve en la matière.

Trop noir pour être clean !

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La publicité ouvertement raciste d’une marque de lessive chinoise a récemment défrayé la chronique. On y voit un noir taché de peinture à qui une jeune chinoise met de la lessive dans la bouche avant de le plonger dans une machine à laver. Il en ressort « plus blanc que blanc », sous un phénotype… asiatique. 

Ce n’est pas nouveau qu’une publicité fasse ainsi preuve de racisme sans équivoque. Et ce ne sera sans doute pas non plus la dernière. Mais nous avons le devoir, voire l’obligation, de ne point nous habituer au phénomène. 

Le racisme est un mal de nos sociétés et le banaliser signifierait verser dans le renoncement, qui est vecteur de culpabilité. Au même titre que dans l’espace politique, médiatique, ou sportif, la publicité est encore, trop souvent, un véritable véhicule du racisme. Même si elle pense faire appel au rire, à l’humour ou à l’intelligence émotionnelle.. 

Cette histoire tumultueuse d’une partie de l’Europe avec la publicité raciste a fait l’objet d’un admirable article de la journaliste Séverine Kodjo-Grandvaux. Certains se rappellent des fameuses marques de javel ou de produit nettoyant qui basaient leur renommée sur leur capacité à « blanchir même un nègre. »

Personne n‘oublie non plus le fameux « Y’a bon Banania », symbole d’une ségrégation raciale et d’une atteinte à la dignité d’hommes armés et impliqués dans une guerre qui n’était pas la leur. Même le poète Senghor s’en était offusqué à travers un vers resté célèbre. Qu’à cela ne tienne. Jouant sur un imaginaire collectif vassalisé, le visage ridiculisé du tirailleur a accompagné les petits déjeuners de France et de Navarre tout au long du 20ème siècle, au mépris du simple respect dû aux mémoires des Tirailleurs sénégalais.

Il n’y pas ni plus, ni moins de racistes. 

Notre époque n’est pas ni moins, ni plus raciste que par le passé. La médiatisation rapide des phénomènes donne seulement une plus grande résonnance à  une situation qui se déroule en Chine, loin de nous. Et qui, paradoxalement, est dans le même temps témoin des temps qui changent. Puisque la Chine compte une diaspora de plus en plus active et visible en Afrique. 

Mais il y a des choses que notre époque ne pourrait, ne saurait accepter. Il y a des maux devant lesquels on ne doit s’habituer. Un racisme, même sous un manteau ludique, demeure une ignominie qu’il faut dénoncer et combattre de façon vigoureuse. 

Il faut certes laisser place dans nos vies à l’humour, à l’ironie et à la plaisanterie, parfois à la blague lourdingue, même sur des sujets polémiques. Mais sans, comme c’est le cas pour la marque Qiaobi, tomber dans le grotesque, la grossièreté et le mauvais goût. Nous devons nous fixer des limites fermes et résolues devant l’inacceptable, et dénoncer avec force les productions qui s’appuient sur les ressorts de la division et l’incitation à la haine entre les peuples. 

Le racisme anti-noir est aussi un mal asiatique.

Le racisme asiatique vis-à-vis des populations noires est souvent moins connu. Or, il est aussi prononcé que celui que l’on peut rencontrer en Europe ou dans d’autres régions du monde. 

Même si nous avons tendance à nous focaliser très souvent sur ces dernières. Le lynchage sur les réseaux sociaux subi par Ariana Miyamoto, du fait de sa couleur de peau à la suite de son élection comme miss Japon en 2015 prouve ce mal asiatique. On a nié à la jeune femme, née au Japon, son identité nippone du fait de son métissage. Mais le racisme anti-noir ou la xénophobie de façon plus générale qui sévissent en Asie, semble étrangement bénéficier d’une certaine tolérance, sous le prétexte de la méconnaissance ou de l’ignorance de l’Afrique qui séviraient dans cette partie du monde éloignée de nous. Faux. 

A l’heure de la généralisation de la télévision, des médias en général et de l’Internet quasi gratuit, aucune excuse ne tient, et rien ne justifie de dévisager sottement un individu dans la rue sous prétexte qu’on n’est pas familier de sa couleur de peau.

 

Hamidou Anne

 

 

Le mythe du péril Jaune

chine_afrique_info-afrique_com_Souvent nous entendons crier au loup lorsque l’on évoque l’arrivée massive des Chinois sur le continent africain. Voleurs de ressources, aucun transfert de technologies, racisme, xénophobie sont quelques traits de pinceaux de la toile asiatique en Afrique telle que présentée en Occident.  Au quotidien, s’il est vrai que certains de ces maux comme la question épineuse du transfert de technologie s’appuient sur des faits concrets, le reste relève souvent du pur fantasme, ou d’opérations de guerre psychologique destinées à dénigrer l’image de la Chine en Afrique et ceci non pas au profit des Africains mais d’autres partenaires. Le but de cet article est d’illustrer les incohérences de la critique occidentale envers la Chine tout en démontrant que la coopération sino-africaine pourrait être bénéfique au continent.

Les Africains devraient regarder avec ironie les occidentaux parler du pillage des ressources naturelles africaines. Dans les faits, l’Europe et l’Amérique reçoivent plus d’investissements chinois que l’Afrique au  point où la Chine a une réserve de change de 3 400 milliards de dollars, soit plus que les Etats-Unis eux mêmes, alors que l'Afrique a servi depuis les indépendances de fournisseur de matières premières pour les industries de ces continents. Si l'on considère que les africains ne parlent pas chinois et que le français et l’anglais sont les langues les plus répandues, il est évident que les entrepreneurs africains jettent leur dévolu sur les pays anglo-saxons ou la France. Ceci dit, les chinois réussissent en Afrique du fait de leur approche gagnant-gagnant. L'illusion win/win apparaît bien plus crédible avec les chinois. L’or du Congo va en Suisse sans traçabilité, le cacao ivoirien alimente les marchés belge et français avant, pendant et après les crises qu’a traversées le pays. Certains pays qui critiquent aujourd’hui la Chine font donc preuve d’une conscience sélective, qui à défaut de produire une critique pertinente, permet de révéler les dessous des guerres économiques sur le continent africain. Au Cameroun, le palais des sports a été construit par les chinois. Dans un pays où le sport et la culture étaient en crise, cet édifice à tout simplement changé le visage de la capitale et redonné un nouvel élan aux évènements pour promouvoir la culture locale et l'épanouissement de la jeunesse. La coopération sino-africaine est critiquée sur la base de plusieurs problématiques propres à presque tous les projets de coopération. Il convient donc de prendre avec beaucoup de prudence tous ces discours qui tentent de "dramatiser" l'importance de la coopération sino-africaine.

La question du racisme :  Les chinois seraient foncièrement racistes, selon leurs détracteurs. Pour comprendre cette question, il faut s’intéresser à la culture chinoise. La Chine est un pays organisé en provinces ayant chacune leurs propres réalités culturelles. Les langues y diffèrent d’une province à l’autre, au point où deux chinois parlant chacun la langue propre à leur province peuvent avoir beaucoup de difficultés à se comprendre. En outre, l’immense majorité des chinois vit encore dans des zones rurales où l'ouverture sur le reste du monde est nécessairement plus ardue. Le comportement face à l'étranger ne sera par conséquent pas le même selon le lieu de provenance du chinois. Même du point de vue ethnique, les Hang sont d'une classe sociale bien plus élevée que celle du chinois moyen. Les ouvriers et les chefs de chantiers présents en Afrique sont de deux univers différents. Les chinois qui négocient les contrats avec les Etats appartiennent essentiellement au parti au pouvoir et font partie d'une élite de "Laoban”, qui peut sembler hautaine voire raciste, et ce envers leurs compatriotes. Certes les chinois ont un comportement plus que critiquable sur le terrain envers leurs collaborateurs locaux, les insultes et les brimades sont monnaie courante. Ceci dit, le problème n'est pas propre aux chinois mais bien à la plupart des chantiers issus de la coopération et dirigés par des étrangers en Afrique. Beaucoup d'ouvriers chinois en Afrique sont en réalité des prisonniers payés au lance-pierre. La solution n'est donc pas de ne plus travailler avec les chinois, sinon il faudrait aussi cesser de travailler avec presque toute l'Union Européenne mais plutôt de réformer les conditions de travail sur les chantiers de ce type.

Le transfert de technologie : L'une des tares de la coopération entre l'Afrique et la Chine  est le manque de transfert de technologies. Les chinois ont en effet tendance à faire venir des ouvriers chinois et à conserver toute la technicité liée à l’exécution de leurs marchés. L'idée étant de créer une dépendance du pays hôte pour la maintenance du site. Le fait est que transfert de technologie ou pas, du point de vue des africains, les chinois ont une approche bien plus concrète. Des ponts et des routes, des immeubles, des hôpitaux sont rapidement construits. Les africains voient les chinois travailler sur leur terre de jour comme de nuit, dans les mêmes conditions et manger les même repas. Automatiquement des questions qui peuvent paraître centrales comme le transfert de technologie deviennent périphériques pour des raisons sociales. Les Africains passent des marchés en un mois avec les chinois, là où les pays occidentaux peuvent passer des années pour des raisons bureaucratiques. Les prêts sont accordés aux Etats africains par les banques asiatiques sur la seule base d'intérêt économique tandis que les banques occidentales ou des organisations comme la banque mondiale tentent d'imposer leur vision de la société et des droits de l'homme en échange de financement. La question du transfert de technologie pose aussi un problème avec les partenaires occidentaux. Sur les contrats gérés par des partenaires occidentaux, l'essentiel des postes à responsabilité est confié aux expatriés. Les locaux restent donc là aussi dans une position d'exécutants. Comme avec le problème du racisme où le souci  ne vient pas uniquement des partenaires mais aussi de l’incapacité des africains à négocier les termes de la collaboration.

La question des investissements : L’Europe et les USA mettent en garde l’Afrique contre les investissements chinois alors qu’eux mêmes en profitent assez bien. Près de la moitié des investissements chinois – environ 46 % en 2010 – a été réalisé en Asie. En 2012 l'Europe a récupéré 86% des investissements industriels chinois dans le monde. Les projets d’investissements tels que l'USAID censés soutenir des projets de développement se sont transformés en soft power. Le soft power peut être défini comme une forme d'influence indirecte qui permet à des Etats ou des organisations de gagner en puissance sur le terrain apparemment déserté mais pourtant hyperactif de la culture. A l'heure de la mondialisation et d'internet, la puissance ne se mesure plus seulement à la portée des missiles mais aussi à la portée de la culture et de la vision du monde. Les américains par exemple se servent du Young Leader Program pour transformer des jeunes africains, de 25 et 35 ans, à très fort potentiel en futures portes d'entrée de l'Amérique sur l'Afrique sous couvert de formation dans les plus grandes universités américaines. Lorsque Barack Obama parle des jeunes leaders africains rencontrés, il ne s'agit pas de jeunes pris sur la seule base de leur mérite. L'immense majorité sinon tous faisaient partie du Young Leader Program. Autrement dit ce sont des jeunes africains fortement américanisés du point de vue culturel, qui ne gardent somme toute de l'Afrique que leur passeport. La contre-attaque Chinoise ne s'est pas faite attendre avec les instituts Confucius. Aujourd'hui au Cameroun et ailleurs en Afrique, on trouve des jeunes africains qui chantent l'hymne chinois en cours. Pour s'assurer une place de choix en Afrique dans les prochaines décennies, la Chine a misé comme les autres partenaires de l'Afrique, sur  la conquête des esprits. Ainsi CCTV diffuse en français des informations en continu sur la Chine. La chaîne a su trouver un écho favorable en Afrique et présente la Chine sous son meilleur jour. Les concurrents de la Chine ont eux aussi des armes culturelles en Afrique, notamment le Japon avec NHK world et l'Allemagne avec l'Institut Goethe. Enfin selon le cabinet d’avocats d'affaires internationales Linkslaters le Japon investit trois fois plus que la Chine en Afrique. Le rapport précise que « sur les 4,2 milliards de dollars que les pays asiatiques ont investis durant l'année écoulée dans la réhabilitation des routes, l'adduction d'eau, le déploiement de réseaux d'assainissement et la construction d'oléoducs et de gazoducs, les  investisseurs japonais ont apporté 3,5 milliards de dollars ».

Somme toute, la Chine n'est en Afrique qu'un partenaire comme tant d'autres avec une approche, des objectifs et des pratiques différents, qui ont permis à plusieurs pays du continent de se doter d'infrastructures assez rapidement, contrairement à ce qui a longtemps été observé avec les partenaires classiques. Loin de nous constituer en défenseur de certains comportements parfois inacceptables des entrepreneurs chinois en Afrique, il faut préciser ces comportements sont souvent soulignés dansle but de conforter la position de partenaires depuis longtemps installés sur le continent et qui s'inquiètent face à l'importance de la Chine dans l'environnement économique africain. De part son embellie économique et les opportunités qu'elle offre, l'Afrique est aujourd'hui au coeur de toutes les convoitises et devient donc le terrain de guerres économiques. Dans ce contexte et dans le contexte actuel marqué par une forte volonté des peuples africains à se développer, il est impératif que les pays africains développent une réelle capacité en matière de négociations afin de tirer meilleur parti de leurs partenariats.

William Ndja Elong

La croissance africaine devrait-elle venir de l’innovation ?

Soleil sur l'AfriqueL'année 2015 sera déterminante pour l'Afrique pour deux raisons. D'une part, c'est en cette année que seront renouvelés les engagements internationaux sur la réduction de la pauvreté à travers les OMD post-2015. Comme le reflètent les objectifs de développement durable (ODD) qui remplacent les OMD, ce n'est plus les solutions pour réduire significativement la pauvreté qui manquent. Prenant exemple sur des pays comme la Chine ou l'Inde, nous savons aujourd'hui que la pauvreté peut être réduite significativement grâce à la croissance économique. Il suffit donc que les instruments de redistribution de la richesse soient effectivement mis en œuvre pour que les populations pauvres puissent graduellement sortir de leur situation de pauvreté. Ces instruments peuvent être de l'investissement dans les infrastructures économiques (routes, énergie, communication, eau et assainissement) et sociales (éducation et santé), de transferts d'argent conditionnels ou non à l'endroit des plus pauvres ou encore de politiques de protection sociale suffisamment flexibles pour ne pas décourager les investissements privés.

D'autre part, il est aujourd'hui une évidence que les pays africains s'engagent définitivement sur la voie du développement économique grâce à la consolidation d'institutions politiques démocratiques et à l'émergence d'une classe moyenne. L'engouement des grands groupes internationaux pour l'Afrique témoigne de la création de ce nouveau segment de marché dont la taille s'agrandit de même que les revenus de ses consommateurs. Il en est de même pour les soulèvements populaires, comme ce fût récemment le cas au Burkina Faso, qui même s'ils n’ont pas redistribué le pouvoir politique, ont certainement envoyé un signal ; que la gestion des affaires publiques se doit désormais d'être plus inclusive. Ces deux réalités viennent renforcer le processus de croissance économique qui devrait s'inscrire dans la durée. Cependant, pourquoi s'intéresse-t-on si tant à la croissance économique ? Pour équiper les ménages africains des commodités de la modernité ? Ou pour leur apporter de la dignité dans un monde où la portée de la voix d'une nation ne se mesure plus par la gabarie physique, encore moins par la multitude de la population, mais plutôt des richesses économiques que cette dernière est en mesure de créer ?

Pour paraphraser le professeur Augustin Cournot (1863) p.6, "la richesse doit être considérée, pour les individus et surtout pour les peuples, bien moins comme un moyen de jouissance que comme un instrument de puissance et d'action". Mettons le standard plus bas en considérant "la puissance" et "l'action" comme des dérivés de la "représentativité", c’est-à-dire de la capacité d’une nation à défendre sa position et d'être audible sur la scène internationale. C'est à l'aune de cette observation que nous avons besoin de reconsidérer les perspectives économiques de la plupart des pays africains. Quoiqu'elles suscitent de l'espoir, la tâche qui incombe aux gouvernements africains est celle de lui donner une définition, une définition de l'espoir africain.

Il sera plus aisé d'illustrer nos propos à partir des deux graphiques 1 et 2 ci-dessous. Le premier présente l'évolution du rapport des niveaux de vie mesuré par le PIB par habitant de certains pays ou régions du Monde de 1990 à 2013. Quant au second, il montre l'évolution du poids économique mesurée par la part du PIB mondial dans les mêmes pays/régions sur la même période. L'idée sous-jacente étant que la "représentativité" d'une nation se mesure quelque part entre le niveau de vie de ces citoyens relativement aux citoyens des autres nations et le poids de leur production collective par rapport aux autres nations. La distinction entre ces deux facteurs s'illustre bien avec la Corée du Sud et la Chine. En 2013, un Sud-Coréen moyen avait un niveau de vie trois plus élevé que la moyenne mondiale, comparable au niveau de vie de l'Européen moyen, alors que son pays ne représentait qu'environ 2% de la production mondiale. A cette même date, la Chine représentait déjà 16% de l'économie mondiale, comparable au poids des USA, alors que le niveau de vie d'un Chinois moyen ne dépasse pas la moitié de la moyenne mondiale.

Quant à l'Afrique[1], elle est à peine visible sur ces deux graphiques, synonyme d'un poids économique et d'un niveau de vie insignifiant. Mais il ne s'agit pas de l'observation la plus importante qui se dégage de ces deux graphiques. C'est plutôt ce qu'ils nous enseignent sur la fortune des pays/régions selon leurs stratégies de développement.

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Source: World Development Indicators Database, World Bank, et calculs de l'auteur. Les données sur le PIB sont en dollars constant de 2010 avec prise en compte de la parité du pouvoir d'achat.

Pour mieux comprendre les forces économiques à l'œuvre, reprenons les données sur la Corée du Sud et la Chine. L'essor économique du premier est principalement dû à l'innovation notamment dans l'électronique avec Samsung et dans l'automobile avec Hyundai Motor. Ainsi, le pays se trouve en bonne place sur le segment de marché mondial des équipements de télécommunications, d'électroménagers et de l'automobile. Cette position se reflète assez bien dans ses statistiques d'investissements en R&D qui représentaient en 2011 4% du PIB sud-coréen, un ratio supérieur à celui des Etats-Unis d'Amérique et de l'Europe (Graphique 3 ci-dessous).

Quant à la Chine, sa stratégie repose essentiellement sur trois piliers, le premier étant l'imitation des technologies déjà existantes, suivi de l'utilisation de sa main d'œuvre abondante et bon marché et enfin de l'innovation. Bien entendu, l'ensemble de ses stratégies ont été mises en œuvre concomitamment. D'abord, l'ouverture vers l'extérieur entamée par l'intégration aux accords de l'OMC a été faite non pas pour consommer mais pour produire des biens et services destinés à l'exportation en s'appuyant sur sa main d'œuvre abondante et plus compétitive. C'était donc une ouverture gagnante à la fois pour l'Etat chinois mais aussi pour les entreprises étrangères. Dans ce contexte, les flux de capitaux étrangers restent étroitement contrôlés par le gouvernement afin de maîtriser la naissance d'entreprises nationales capables de rivaliser sur les marchés mondiaux aux côtés des grandes entreprises européennes et américaines. L'imitation consiste à reproduire les technologies existant ailleurs à travers les contrats qui stipulent clairement le transfert de technologies. Ce fût le cas par exemple du train à grande vitesse ou de l'aéronautique. S'ajoute alors les investissements dans la recherche et le développement comme le montre les statistiques sur l'évolution de la part des dépenses de R&D dans le PIB. Elles sont passées de 1 à 2,5% du PIB chinois en 15 ans, rattrapant ainsi le même niveau que l'Europe (Graphique 3 ci-dessous).

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Source: World Development Indicators Database, World Bank, et calculs de l'auteur.

Quand on y regarde de près, la stratégie chinoise est semblable à celle employée par les Etats-Unis à l'exception de l'imitation puisque ces derniers étaient à l'avant garde de la révolution industrielle juste derrière les Britanniques. De plus, en tant que terre d'immigration, ils avaient déjà accueilli bon nombre d'éminents scientifiques Européens, dont Einstein reste l'un des plus emblématiques. En matière d'innovation, le pays a accru ses dépenses en R&D passant de 2,5 à 3% du PIB entre 2005 et 2010. Il n'est nul besoin de rappeler ici le nom des grandes entreprises américaines qui apportent chaque année de nouveaux produits et services sur les marchés du monde entier, Apple étant l'exemple emblématique le plus récent. En tant que pays d'innovation, les USA ont une demande extérieure très forte quoique leur balance commerciale reste déficitaire. Par ailleurs, le marché du travail américain regorge aussi d'une main d'œuvre abondante et compétitive, comme en témoigne les chiffres du PewResearchCenter qui estimait à 11.2 millions, soit 3,5% de la population, le nombre d'immigrés illégaux vivant aux Etats-Unis. A cela s'ajoute la flexibilité du marché du travail américain qui rend moins coûteux le travail qu'en Europe. Ainsi, l'innovation combinée à un coût du travail faible permet d'expliquer les performances économiques des USA qui ont pu limiter la baisse de leur poids économique à 16% en 2013, et maintenu le niveau de vie de leur citoyen moyen autour de 6 fois la moyenne mondiale.

Les exemples de la Chine et de la Corée racontent l'histoire de rattrapages économiques réussis pour des pays qui, il y a moins d'un demi-siècle, étaient au même niveau que l'Afrique. Ce sont aussi des exemples qui mettent en évidence les stratégies qui fonctionnent et les pièges à éviter. Par contre l'exemple de l'Union Européenne va mettre en évidence les instances dans lesquelles le rattrapage peut se transformer en stagnation: C'est le piège à éviter pour les économies africaines. Comme le montre les graphiques 1 et 2 ci-dessous, le poids économique de l'Europe n'a fait que baisser au cours des dernières décennies, passant de 26% en 1990 à 18% en 2013, soit une baisse de 8 points contrairement aux USA qui n'ont perdu que 4 points sur la même période en dépit de l'émergence d'autres pays du Monde tel que la Chine. De plus, quoique le niveau de vie moyen ait augmenté, il a progressé au même rythme, voire moins, que celui des USA. Ces constats vont de pair avec des dépenses en R&D récemment passées à 2% du PIB, soit un point de pourcentage plus faibles qu'aux USA et deux fois moins que celui de la Corée du Sud. Ils vont également de pair avec un marché du travail plus protecteur du salarié et générateur d'un emploi plus coûteux.

C'est aussi se chemin que s'apprête à emprunter certains Etats africains en signant l'accord de partenariat économique avec l'Union Européenne afin de consommer davantage plutôt que de produire, en dépensant seulement 0,6% de leur PIB en R&D,[2] en signant des contrats de construction qui autorisent les entreprises à importer même les travailleurs non qualifiés, et en ayant un coût du travail qualifié qui reste encore plus élevé que dans des pays comparables.[3] Ainsi, ni le canal de l'imitation, ni celui de l'innovation, encore moins celui de l'ouverture sur la base davantage comparatif n'est à l'œuvre en Afrique. Ce n'est certainement pas là une note d'espérance pour l'Afrique. C'est pour cela que l'espoir a besoin d'une définition en Afrique. Pour éviter qu'il ne soit juste un mirage pour l'essentiel de la population, il y a lieu de 1) identifier les secteurs dans lesquels l'Afrique gagnerait à imiter les technologies qui existent déjà, 2) innover dans les autres secteurs, que ce soit de l'éducation, de la santé, des technologies de l'information et de la communication, des transports, de l'énergie et de l'eau, voire même de l'aménagement du territoire et 3) entamer une ouverture commerciale dans le but de produire et non de consommer.

Georges Vivien Houngbonon

 


[1] L'Afrique sub-saharienne plus précisément car ce n'est que pour cette région que nous avons trouvé des données comparables. Cependant le profil reste le même lorsqu'on inclut les pays d'Afrique du Nord.

[2] Ce chiffre de 2007 est surestimé grâce à l'inclusion de l'Afrique du Sud dans les calculs.

[3] Cf. la publication de Gelb et al. (2013) sur le sujet. Il semble que cela soit dû au fait que les salaires soient plus élevés dans les plus grandes entreprises, suggérant qu'il ne s'agit pas d'un effet structurel mais tout simplement le résultat de la rareté de la main d'œuvre qualifiée pour les secteurs à fort intensité capitalistique tels que les télécommunications et les mines. On le voit dans les résultats que les coûts les plus élevés se trouvent en Angola et en Afrique du Sud et au Nigéria.

Des infrastructures « made in China » en Afrique: une contribution au développement?

arton44Le secteur ferroviaire a été l’un des premiers secteurs des investissements chinois en Afrique. Dans les années 1970, la construction de la ligne ferroviaire entre la Tanzanie et la Zambie (TANZAM) symbolisait la première étape de la contribution  de la Chine à l’aide au développement en Afrique. Dans sa politique d’urbanisation et de modernisation de ses villes, d’abord côtières et aujourd’hui intérieures, la Chine investit massivement dans les infrastructures. La volonté des gouvernements africains de favoriser le développement des infrastructures coïncidant avec la présence croissante d’entreprises chinoises va très vite promouvoir l’implication de celles-ci dans les projets de développement d’infrastructures en Afrique.

Des grands chantiers dans le domaine du transport (routier, ferroviaire et portuaire), des télécommunications et de l’hydroélectricité par exemple ont été attribués à des entreprises chinoises. Mais est-ce que les infrastructures « made in China » en Afrique, contribuent au développement ?

Comment la Chine a-t-elle réussi à simposer dans le secteur des infrastructures en Afrique ?

Le secteur de la construction occupe une place importante dans l’économie chinoise. La Chine depuis son ouverture s’est investie dans la construction d’infrastructures adéquates et modernes pour promouvoir sa croissance économique.

Afin de développer son réseau ferroviaire et assurer une mobilité rapide à sa population sur un vaste territoire, la société chinoise des chemins de fer a modernisé le réseau de transport ferroviaire en Chine. De nouvelles lignes ferroviaires ont été développées et des trains à grande vitesse ont été construits afin de réduire les longues heures de voyage entre les villes éloignées. En ce qui concerne le réseau routier, de vastes autoroutes et ponts ont été construits à travers le pays. Toutes ces réalisations ont contribué à la modernisation de la Chine. En 2008 avec l’organisation des Jeux Olympiques de Beijing, il y avait plus de chantiers en construction dans la seule ville de Pékin que dans toute l’Europe.

Ces chantiers infrastructurels de grandes envergures engagés par la Chine ont permis aux entreprises chinoises, qui ont largement contribué à leur réalisation, d’acquérir une expertise locale et de cibler aujourd’hui les marchés étrangers.

Ainsi l’avantage compétitif des entreprises chinoises à gagner les appels d’offre grâce à l’appui politique et financier des institutions chinoises d’Etat contribue à la présence galopante de la Chine dans le secteur des infrastructures en Afrique. Des prêts concessionnels et préférentiels octroyés à travers des accords entre la Chine et les différents pays africains sont consentis pour financer divers projets (ports, barrages, lignes ferroviaires, etc.).

Des financements de la banque chinoise d’exports et imports (EXIMBANK) et de la banque chinoise de développement ont également permis aux entreprises chinoises de travaux publics et de génie civil d’acquérir des projets au Gabon, en Mauritanie et plus récemment en Afrique du Sud. La crise financière de 2008 qui continue de secouer les pays développés a aussi contribué à cette forte présence des entreprises chinoises en Afrique. En effet, cette crise a réduit la capacité des institutions financières et entreprises occidentales à financer de grands projets de construction ; ce qui, d’une certaine manière, a contribué à la présence des entreprises chinoises dans le secteur de la construction d’infrastructures en Afrique. A cela s’ajoute la sous-traitance entre les grandes multinationales et les Petites et Moyennes Entreprises (PME) chinoises de construction qui elle a elle aussi facilité la présence d’entreprises privées chinoises de construction sur le continent.

Le manque d’infrastructures adéquates susceptibles de tirer la croissance en Afrique a été un frein aux investissements africains et étrangers. Pour palier ce manque, les Etats africains ont décidé de faire du développement des infrastructures une priorité. Ce besoin a été un des leitmotivs de la présence chinoise dans la construction d’infrastructures en Afrique. Ainsi, les entreprises chinoises sont présentes dans différents secteurs d’investissement: énergie, télécommunications, hydraulique; etc. 

LIDE chinois et développement dinfrastructures en Afrique 

Dans sa politique de coopération économique avec les pays en voie de développement, la Chine envisage de sécuriser des ressources tout en contribuant à la construction d’infrastructures. Par exemple, « l’Angola model », qui consiste à échanger des ressources parfois à de bas prix pour des projets de construction d’infrastructures, est une politique d’investissement de la Chine spécifique aux pays riches en ressources et parfois même là où le système politique est controversé.

L’expansion des investissements chinois à l’étranger permet à la Chine non seulement d’acquérir de nouvelles technologies, de nouveaux marchés mais aussi à ses entreprises de mettre en pratique et de tester leur expertise. Elle permet aussi à de nombreuses entreprises de construction d’accéder à un grand nombre de marchés étrangers, créer des emplois pour les ouvriers chinois et acquérir une réputation internationale dans le domaine de la construction.

Dans plusieurs pays d’Afrique – Angola, Zambie, Nigeria, RDC, Djibouti et Tanzanie – la Chine s’investit dans la construction ou la réhabilitation de routes ou voies ferrées. Le besoin accru de produire de l’électricité et de faciliter l’accès à l’eau a incité des pays  africains tels que le Ghana, le Soudan ou encore le Botswana à axer leur priorité sur la construction de barrages hydroélectriques qui intéresse les entreprises chinoises. A partir des années 2000, les entreprises chinoises ont été présentes dans la rénovation et la construction de voies ferrées en Afrique comme en Angola et au Nigeria où la rénovation de lignes ferroviaires (respectivement Benguela et Lagos-Kano) a été entreprise par la China Civil Engineering Company (CCEC). En 2009, les entreprises chinoises s’étaient investies dans 18 projets de construction au Botswana.

La Chine respecte-t-elle les normes et priorités de construction en Afrique? 

La présence galopante de la Chine dans le secteur du développement des infrastructures en Afrique suscite des questions liées aux normes et au développement durable par rapport notamment à la qualité de ses propres réseaux routiers et ferroviaires. 

Le problème immobilier qui secoue particulièrement les grandes villes chinoises s’ajoute aux défis auxquels le gouvernement chinois fait face pour éviter une crise immobilière qui pourrait toucher des millions de Chinois qui ont de bas salaires et qui voudront acquérir des logements. Cependant, de nombreux scandales liés à la corruption, à une mauvaise gestion et aux accidents (effondrements de ponts, collisions et déraillements de trains) sont apparus dans ces secteurs en Chine. Ainsi, des questions relatives à la qualité des infrastructures conduisent à réfléchir sur le savoir-faire des entreprises chinoises. 

L’ancien ministre chinois des chemins de fer a été déjà jugé coupable pour corruption et autres malversations financières qui ont mis certains projets d’Etat au ralenti. Des accidents sur les routes et les voies ferrées chinoises ont attiré l’attention des Chinois et de la communauté internationale sur l’exigence de normes et sur la qualité des projets de construction en Chine. Bien que le gouvernement chinois ait entrepris des réformes dans l’amélioration de la qualité et dans le système d’appels d’offres public de nombreux problèmes subsistent.

En effet, la courte durée de construction des chantiers chinois, les normes de construction non conventionnelles, la détérioration rapide des infrastructures après livraison et la corruption ont été déjà mentionnées à travers l’implication de la Chine dans des projets de construction à l’étranger.

La construction de barrages hydroélectriques qui doit générer de l’électricité et faciliter l’accès à l’eau dans plusieurs pays africains, tels que le Soudan, le Botswana et le Ghana a pollué des fleuves et conduit au déplacement de populations qui ont perdu leurs activités économiques.

De telles menaces encourues ont poussé certains pays à être plus exigeants en termes de contrôle des normes de qualité. En 2009, les entreprises chinoises s’étaient investies dans 18 projets de construction au Botswana. Mais récemment, le président du Botswana a déclaré que des systèmes de contrôles stricts devaient être mis en place pour évaluer de plus près l’implication des entreprises chinoises dans le secteur de la construction au Botswana. Des entreprises chinoises ont vu leurs projets suspendus afin d’évaluer si les règles et normes de construction en vigueur au Botswana sont respectées.

Un des projets de développement des infrastructures chinois en Afrique qui a récemment attiré l’attention de l’opinion publique est la construction d’une toute nouvelle ville à Luanda en Angola. Nova Cidade de Kilamba a été entièrement construite par l’entreprise chinoise d’Etat China International Trust and Investment Corporation (CITIC). Ce projet  s’est inspiré des nombreux projets immobiliers de la CITIC, en Chine, qui a développé de nouvelles cités avec tout un confort incluant système de transport, écoles, boutiques, cliniques, salles de sports, restaurants, etc.; autour aussi bien dans les grandes villes côtières que dans les provinces de l’intérieur. Mais ces villes chinoises qui restent encore inhabitées sont des « villes fantômes ». En effet compte tenu du prix élevé du loyer et de la grande majorité des Angolais vivant dans la pauvreté, la « ville fantôme » de l’Angola n’a pas attiré suffisamment de clients pour occuper ses 750 buildings de huit étages, chacun équipés de 12 écoles et de plus de 100 boutiques. Dans un pays comme l’Angola qui manque d’infrastructures de base et dont la capitale est surpeuplée, un tel investissement de luxe n’est pas une priorité! Il ne répond pas aux besoins de la grande majorité des Angolais qui ne bénéficient pas des revenus générés par les importantes ressources minières dont regorge le pays. Il est dit que l’Angola aurait échangé des ressources pour la construction de cette « ville fantôme ». Cet exemple devrait pousser les autorités africaines, particulièrement celles des pays riches en ressources naturelles, à savoir que le modèle d’échanges « ressources contre infrastructures » n’est pas à long terme durable.

Certes, les investissements chinois en Afrique constituent une opportunité et contribuent à diversifier le partenariat économique des pays africains mais ne sont pas une garantie pour le développement du continent. Une attention particulière des pays africains par rapport à l’engagement de la Chine en Afrique doit être portée sur l’exportation des problèmes d’environnement et de développement durable de la Chine en Afrique. La priorité doit être axée sur les besoins en infrastructures qui satisfont les populations dans les différents pays d’Afrique pour une relation à long-terme basée sur le développement durable entre la Chine et l’Afrique. Et pour ce faire, l’engagement des gouvernements africains à travers leurs ministères et agences compétents est nécessaire pour l’exécution des règles. La présence de la Chine dans le secteur de la construction d’infrastructures en Afrique devrait contribuer à la création d’emplois pour l’expertise locale dans les différents pays africains et au transfert de technologies et de connaissances. Bien que le manque d’infrastructures dans plusieurs secteurs pousse les gouvernements africains à favoriser des investissements étrangers de la part des bailleurs traditionnels et des économies émergentes, le modèle d’échange « ressources contre développement d’infrastructures » n’est pas durable et nécessite des critiques constructives. Le développement des infrastructures contribue au développement mais cela doit se faire sans heurts pour les populations.

Article écrit par Daouda Cissé et publié initialement sur le site du CICAD

Algérie : la bataille de l’emploi au pays des méga-contrats chinois

Durant la dernière décennie, les entreprises chinoises ont remporté en Algérie des contrats dont le montant total s’élève à 20 milliards de dollars. Dans un pays où 30% de la jeunesse est au chômage, les investissements chinois ont-il  un impact sur l’emploi local ?

On a souvent parlé de la Chinafrique sur Terangaweb : l’impact environnemental de la politique économique étrangère chinoise sur le continent,  et plus généralement l’intérêt croissant du gouvernement chinois pour les ressources exceptionnelles dont dispose l’Afrique font régulièrement l’actualité. A l’occasion des 50 ans de l’indépendance algérienne, nous avons souhaité nous pencher sur le phénomène que certains n’hésitent pas à qualifier de « chinalgérie », autrement dit la présence croissante de la Chine en Algérie et son étonnante capacité à rafler presque tous les grands contrats publics. A l’heure où le pays vit une situation économique explosive, la présence chinoise en Algérie peut-elle faire émerger de nouvelles opportunités d’emplois que les entreprises locales peinent à créer ?

A Alger, difficile d’ignorer la présence chinoise. Les ouvriers chinois se relaient pour construire à vitesse grand V des logements sociaux dont la population a besoin. Le chantier de la troisième plus grande mosquée du monde située dans le grand Alger, d’une valeur d’un milliard de dollars, a été remporté par une entreprise chinoise  et a démarré en mai dernier. Cette main-d’œuvre immigrée est pourtant mal acceptée  par une partie de la population qui ne comprend pas pourquoi le gouvernement algérien accepte et encourage la présence de milliers d’ouvriers chinois alors qu’une grande partie de la jeunesse algérienne est au chômage.

La Chine s’est d’abord intéressée à l’Algérie en raison de ses ressources naturelles exceptionnelles. Progressivement, le gouvernement chinois prenant conscience des réserves de dollars confortables dont disposait le pays, ses investissements en Algérie se sont diversifiés, avec la signature de grands contrats dans le domaine des infrastructures, puis le développement des investissements dans le secteur secondaire : électronique, automobile et textile principalement. L’Algérie a ainsi accordé aux entreprises chinoises des contrats de construction d’une valeur totale de 20 milliards de dollars, qui concernent la construction de logements sociaux, de chemins de fer et de plusieurs tronçons de l’autoroute est-ouest. Ces méga-projets, pourtant fortement consommateurs de main-d’œuvre, n’ont pas puisé dans le réservoir de demandeurs d’emploi algériens. Au contraire, les promoteurs ont décidé de recourir à de la main-d’œuvre chinoise immigrée. Regroupée dans des logements près des chantiers de construction, cette main-d’œuvre est corvéable à merci, faiblement rémunérée et surtout.. très efficace. Il n’est en effet pas rare qu’un projet soit livré bien avant la date prévue de son achèvement. Les 30 000 immigrés chinois représentent aujourd’hui la première communauté étrangère d’Algérie.

Malgré l’indéniable productivité de ces travailleurs étrangers, on peut s’interroger sur l’efficacité de la politique actuelle de l’emploi menée par le gouvernement algérien, qui maintient à l’écart toute une partie de la population, au chômage malgré des études à l’université, et souvent surqualifiée compte tenu des emplois disponibles. Malgré la volonté affichée par le gouvernement de favoriser l’emploi local grâce à une fiscalité favorable, et d’encourager le transfert de connaissances et la formation professionnelle, les entreprises chinoises n’ont pas vraiment joué le jeu. 

Une étude publiée par la Banque africaine de développement et intitulée Investissements chinois et création d’emploi en Algérie et en Egypte analyse l’impact des investissements chinois sur l’emploi local et montre que ce dernier est faible.  En effet, les énormes contrats remportés par les entreprises chinoises publics ont  rarement créé des emplois locaux, les investisseurs chinois préférant faire appel à de la main-d’œuvre chinoise immigrée. Les travailleurs algériens recrutés sont eux peu qualifiés, et les perspectives de promotion sont quasiment inexistantes. La presse algérienne se fait souvent l’écho de faits divers liés au non-versement des salaires par les entreprises chinoises aux ouvriers algériens, ce qui contribue à alimenter le ressentiment d’une partie de la population.  Quant aux Algériens les plus diplômés, ils se heurtent souvent au plafond de verre les empêchant de rejoindre les équipes de direction, uniquement composées de cadres chinois.

Face à cette situation déséquilibrée, le gouvernement algérien a modifié la législation du travail, afin de favoriser l’embauche de travailleurs algériens au sein des entreprises chinoises, en contraignant ces dernières à s’associer à des partenaires locaux. Ces mesures ont une efficacité limitée, car elles n’impactent pas le niveau de qualification auquel les demandeurs d’emploi sont recrutés. 

Les réticences chinoises à embaucher localement sont donc réelles, mais les investisseurs chinois ne peuvent être tenus responsables de la situation de l’emploi en Algérie : ce chômage est structurel, et touche davantage les travailleurs les plus qualifiés, 50 000 diplomés de l’université se retrouvant chaque année sans emploi. Les investissements chinois pourraient dorénavant être redirigés vers le secteur tertiaire, afin de favoriser l’embauche massive d’ une main-d’œuvre qualifiée locale, et d’encourager le transfert de connaissances entre investisseurs étrangers et équipes algériennes. Reste à savoir si ce type de projets sera aussi attractif que les méga-projets payés comptant en dollars par le gouvernement algérien.

Leïla Morghad

Les nouveaux partenaires de l’Afrique

 

Le continent africain a toujours été un terrain d’expression privilégiée pour le développement d’une politique étrangère, si bien que cela constitue un baromètre de la puissance d’un pays et un indicateur de classement mondial des puissances du moment. Après la domination coloniale hispano-portugaise, puis franco-britannique, et enfin une compétition américano-soviétique pendant la Guerre Froide, l’Afrique est entrée depuis une dizaine d’années dans une nouvelle ère dans laquelle les pays émergents jouent un rôle majeur.  Même si les puissances anciennement présentes ne se sont pas retirées du continent (les Etats-Unis et la France continuant, dans l’absolu, d’y promouvoir leur vision et leurs intérêts), la montée de nouveaux acteurs en Afrique constitue une donnée majeure de l’évolution géopolitique contemporaine.

Le role actif de la Chine est sans doute le plus médiatisé, tant ses relations avec les pays africains sont en plein boom. Ceci est amplifié par le fait que la croissance exceptionnellement forte de la deuxième puissance économique mondiale suscite des appréhensions chez les acteurs déjà implantés et qui voient leurs intérêts être directement concurrencés. Valérie Niquet, Directrice du Centre Asie de l’IFRI, a publié un article qui reste une référence sur la stratégie chinoise en Afrique et les enjeux politiques et économiques qui y sont liés. http://www.ifri.org/files/politique_etrangere/pe_2_2006_niquet.pdf

L’autre puissance montante en Asie, l’Inde, est également un acteur majeur sur le continent africain, même si sa présence est moins visible. Joël Ruet, chercheur CNRS au Centre d'Etudes Français sur la Chine Contemporaine présente les principaux secteurs de coopération (télécoms, transport, informatique, etc.)  et la croissance très soutenue du volume des affaires.  Il affirme ainsi que « sans que le monde ne s'en aperçoive trop, le commerce entre l'Inde et l'Afrique est passé de 7 milliards de dollars en 1997 à 51 milliards en 2007 », signe le plus visible de  la mise en place d’une « Indafrique » : http://lexpansion.lexpress.fr/afrique/l-indafrique-aussi_232025.html

Le Brésil est également devenu, sous l’impulsion du président Lula, un partenaire majeur pour les pays africains. L’aspect politique de la relation est sans doute plus fort encore que pour la Chine et l’Inde, puisque les liens historiques et culturels sont établis et que d’après l’expression même de Lula,  le Brésil a une « dette » envers une Afrique qui a contribué à son peuplement et à son développement.  Comme l’illustre bien un article de l’alliance géostratégique, le Brésil présente des atouts et a un intérêt particulier à s’engager dans un partenariat à long terme avec le continent Africain, qui s’étendrait au delà des échanges de ressources naturelles : http://alliancegeostrategique.org/2010/05/16/afrique-et-bresil/

Enfin, on peut citer un pays qui apparaît de plus en plus comme un outsider prometteur tant au niveau africain que mondial : la Turquie. Enregistrant l’un des taux de croissance les plus élevés du monde, et d’une stabilité politique intérieure sans précédent, la politique étrangère Turque a connu un bouleversement ces dernières années, notamment à travers la vision et l’action de son actuel ministre des affaires étrangères Ahmet Davutoglu. Si l’on évoque parfois son influence politique croissante au Moyen Orient (et aujourd’hui en Afrique du Nord, comme le montre son action pour la résolution de la crise Libyenne), la diplomatie Turque s’active également en Afrique  ou elle a été intégrée en 2003 en tant que membre observateur au sein de l’Union Africaine. La revue Turskish Policy a publié dans sa dernière édition un article particulièrement instructif sur ce point, accessible sur http://www.turkishpolicy.com/dosyalar/files/Mehmet%20%C3%96zkan-%20Turkey%27s%20Rising%20Role%20in%20Africa.pdf

L’émergence de nouveaux partenaires pour l’Afrique, tant au niveau politique qu’économique, est aujourd’hui une réalité, et ces relations sont appelées à se renforcer et à s’étendre au cours des prochaines années. Bénéficiant de nombreux atouts et sans doute d’une meilleure image auprès des populations, il faut néanmoins s’assurer que ce partenariat joue dans les deux sens et qu’il puisse rapidement permettre aux pays africains d’enregistrer à leur tour, des résultats comparables en termes de croissance, de puissance et de développement.

           Nacim Kaid Slimane