Quels sont les mécanismes de financement innovant du développement ?

185236742Le financement du développement en Afrique va de pair avec différents instruments aux logiques très variées. L’aide publique au développement (APD) est l’un des principaux outils du financement du développement en Afrique ; elle bénéficie aujourd’hui à plus de 160 pays pour un montant net versé de 125.6 milliards USD. D’autres mécanismes de financement cohabitent avec l’APD, en majorité indépendants des structures multilatérales d’aide au développement. Le recours à la dette et les partenariats public-privé constituent des outils développés par les pays récipiendaires eux-mêmes. Les transferts de fonds envoyés par les migrants représentent une source de financement non négligeable : selon la Banque Mondiale, ils s’élevaient à environ 351 milliards de dollars en 2011, soit plus de deux fois et demi l’aide publique au développement.  

Malgré ces flux financiers, les progrès restent mitigés. L’efficacité de l’aide est ainsi devenue un enjeu primordial alors même que les intervenants se multiplient[1], justifiant l’engagement des bailleurs internationaux pour accroitre la part de l’aide déliée, améliorer l’information et la prévisibilité, réduire le nombre de fonds multilatéraux et de canaux d’aide, réduire le nombre de pays orphelins de l’aide, etc., ainsi que des démarches volontaires (« New deal pour les pays fragiles »).  De plus, depuis les années 1980 – 1990, l’investissement privé a eu tendance à prendre le pas sur l’aide publique via l’augmentation des collaborations publiques-privées et sous d'autres formats (solidarité privée ; fonds d'aides développés par des entreprises[2]). 

Cette problématique a guidé la réflexion vers l’émergence de la notion de financements innovants[3] au sein des organes internationaux. Ces outils, contrairement à l’APD, sont assez prévisibles et réguliers. Ces mécanismes novateurs ont l’avantage de faire intervenir des acteurs divers, via des partenariats nouveaux. Ainsi, le fonds d’investissement Danone Communities, qui rassemble des partenaires publics et privés, finance des entreprises locales dotées d’un modèle économique durable avec un objectif de réduction de la pauvreté[4]. En outre, ces nouveaux financements s’inscrivent dans les enjeux de biens publics mondiaux et de rééquilibrage des inégalités. Leur but est de pallier le déficit de moyens financiers clairement posé par les Objectifs du Millénaire pour le Développement[5]. Ainsi, rechercher de nouveaux moyens est crucial avec des besoins en hausse et une contraction des budgets annuels d’APD.  

Quatre types de financements innovants apparaissent[6]:

  • les contributions volontaires : avec celles mises en place par la Fondation du Millénaire pour les financements innovants pour la Santé ainsi que les mécanismes de canalisation des transferts de migrants vers l’investissement productif ou social dans les pays d’origine ;
  • Les contributions obligatoires sont les taxes sur des activités économiques nationales ou internationales (taxe sur les billets d’avion/UNITAID[7] ; projet de taxe sur les transactions financières) ;
  • Les garanties d’emprunt sont des mécanismes de préfinancement sur les marchés financiers avec une garantie d’État. Leur utilisation est fréquente dans le secteur de la santé (par exemple pour l’organisation de campagnes de vaccination), mais également comme garanties d’achats futurs [8].
  • Les mécanismes de marché sont divers (exemple de la vente aux enchères des droits d’émission de CO2).

Ce sujet ne peut faire l’impasse sur le débat autour de la taxe sur les transactions financières, qui est un moyen efficace mais très critiqué. D’une part, c’est un outil puissant par son assise[9]. D’un taux très faible, environ 0,005%, elle suffirait à lever environ 30 milliards de dollars par an tout en restant assez faible pour ne pas perturber les marchés financiers. En outre, elle apparaît techniquement et juridiquement faisable et semble être le moyen le plus approprié pour le financement des biens publics mondiaux[10]. D’autre part, sa mise en place reste controversée en raison de l’opportunité publique qui la sous-tend.

D’autres mécanismes dignes d’intérêt sont à citer :

  • les contrats de programmes OBA (Output based aid) de la Banque mondiale : les opérateurs sont invités à inclure dans leurs programmes des objectifs sociaux spécifiques et à les subventionner, mais uniquement selon l’atteinte des objectifs fixés par le contrat.  
  • les mécanismes de « coopération décentralisée » et la compensation carbone, issue du Protocole de Kyoto.  La première vise à financer des projets via un prélèvement[11] et s’accompagne souvent d’un transfert de compétences. La compensation carbone permet qu’une entreprise troque la réduction de ses émissions en CO2 contre l’achat d’une quantité équivalente de crédits carbones à un tiers. Ainsi, l’ONG GERES est présente en Afrique et au Cambodge depuis 1997 avec un programme de fabrication et de vente de fours solaires.

Si la notion de financements innovants est pertinente ici, cette vision reste attachée à un prisme occidental de l’APD. C’est pourquoi, sur le constat de la régression de l’APD, d’autres flux apparaissent avec des modalités alternatives. De nouveaux donateurs sont apparus envers les pays africains : la Chine, le Brésil, la Russie en tête[12], en nourrissant le projet d’une banque de développement. Toutefois, ces financements dits « Sud-sud » obéissent à des règles relativement nouvelles : l’obligation d’investir les bénéfices tirés des ressources naturelles dans des infrastructures (« accords ressources contre infrastructures ») ; l’accent mis sur le développement du secteur privé dans l’investissement ; l’importance des projets « clef en main » ; un transfert de compétence facilité par des conditions similaires ; une plus grande flexibilité sur certains principes et avec moins de contreparties à respecter ; la primauté de l’aide au projet, visant directement les entreprises, sur l’aide programme, plus sujette au détournement et à la corruption. Si les échanges de cette nature se multiplient[13], reste à mesurer l’impact de ces investissements sur le développement en Afrique.

Les financements innovants et le recours à d’autres mécanismes que l’APD constituent indéniablement une partie de la solution pour combler le déficit des ressources disponibles pour le développement. Si l’APD garde un rôle central et catalyseur dans la stratégie internationale de financement du développement, les mécanismes de financement innovant permettent de lever des ressources complémentaires, plus stables et pérennes que les flux d’aide traditionnels. Néanmoins, et compte tenu de la diversité de ces mécanismes, la question qui demeure est d’identifier ceux qui seraient les plus appropriés à l’environnement et aux besoins des pays africains.

Pauline Deschryver


[1] Le 4ème forum de haut niveau sur l’efficacité de l’aide tenu à Busan (Corée du Sud) en 2011 a ainsi permis l’adoption pour la première fois d’un « partenariat global » pour l’efficacité de l’aide élargi à l’ensemble des acteurs du développement notamment les donateurs émergents et le secteur privé.

[2] Ainsi, la Fondation Bill et Melinda Gates a octroyé 3,4 milliards de dons, en 2012, en matière d'aide à la santé, soit l'équivalent de ce que dépense le Fonds Mondial de lutte contre le Sida, la Tuberculose et la Malaria.

[3] Le concept de financements innovants est né selon les étapes suivantes : l’idée a été évoquée lors de la Conférence internationale sur le financement du développement Monterrey (Mexique,18-22 mars 2002) ; un groupe pilote pour les financements innovants du développement a été créé en février 2006 ; la Conférence de Doha a repris cette problématique en 2008 ; les financements innovants figuraient notamment à l’agenda de la présidence française du G20 en 2011. Certains financements ont depuis été appliqués et connaissent une mise en œuvre fructueuse, tandis que d’autres sont encore à l’étude ou bien font l’objet d’âpres négociations

[4] http://www.danonecommunities.com

[5] Dans le cadre des OMD 2015, les estimations du  rapport du Groupe d’experts (issu de la Task Force sur les financements innovants) pour la période 2012-2017 sont de l’ordre de 324 à 336 milliards d’euros par an (http://www.leadinggroup.org/IMG/pdf_RapportFR.pdf)

[6] La catégorisation des financements innovants a été esquissée lors de la conférence de Paris en 2011

[7] Taxe employée par 13 pays et créée à l’initiative du gouvernement franco-allemand en 2006, elle représente un premier exemple de taxe de solidarité imposée par les Etats en finançant la lutte contre des maladies telles que le Sida, le paludisme ou la tuberculose via le fonds UNITAID.

[8] La Facilité Internationale de financement pour la vaccination (IFF) et GAVI participent de ce type de financement innovant : cette facilité de financement internationale encourage l’emprunt sur les marchés financiers pour doubler d’aide au développement.  Créée en 2006 à l’initiative du Royaume-Universel, elle vise à financer d’ici 2015 les programmes de vaccinations des pays les plus pauvres via le fonds GAVI (Global Alliance for Vaccine and Immunization).

[9] Les transactions financières s’élèvent aujourd’hui à environ 4 000 milliards de dollars et sont très variées – valeurs mobilières, titres de dettes, produits dérivés sur matières premières et transactions de change.

[10] Groupe pilote sur les financements innovants pour le développement, Mondialiser la solidarité : pour des contributions du secteur financier, rapport du groupe d’experts à la Taskforce sur les transactions financières internationales pour le développement, juin 2010

[11] En France, la loi « Oudin-Santini » permet les collectivités territoriales de prélever jusqu’à 1% des recettes hors taxes afin de financer des actions de solidarité dans le secteur de l’eau et de l’assainissement.  

[12] En termes d’évènements institutionnels attestant de ce nouvel engouement des BRICS pour le financement du développement des PED on peut citer le 5ème Forum des BRICS à Durban ainsi que le Forum de coopération Afrique-Chine (FOCAC)

[13] A savoir, la Chine est devenue le principal partenaire commercial de l'Afrique en 2009 (le commerce entre la Chine et l'Afrique a connu un taux de croissance moyen annuel de 33,5% entre 2000 et 2008). En outre, pendant la même période, la Chine a annulé les dettes de 35 pays africains pour un montant de 2,9 milliards de dollars (1,6 milliard d'euros)