L’accord de Zone de Libre-Echange Continentale

La naissance de la zone de libre échange continentale (ZLEC), dont l’accord a été signé en grande pompe le 21 mars au sommet de l’Union Africaine (UA) à Kigali, s’inscrit dans une trajectoire linéaire. Dans les années suivant les indépendances, le panafricanisme avait le vent en poupe, favorisant une velléité d’initiatives intergouvernementales de coopération économique multisectorielle et d’initiatives bilatérales ou multinationales mono-sectorielles. Le traité d’Abuja, en 1994, en prévoyant la Communauté Économique Africaine (CEA) d’ici 2027, pose les jalons de l’intégration continentale avec une monnaie commune, une mobilité des facteurs de production et la libre circulation des biens et des services. Le traité ouvre aussi la voie à la mise en place de Communautés Economiques Régionales (CER). Depuis lors, quatorze CER ont été créées[1], avec des états d’avancement assez hétérogènes. En 2012, est adoptée au sommet d’Addis Abeba une feuille de route pour l’intégration continentale dans laquelle la ZLEC prend pleinement place : une zone économique tripartite entre 26 pays en 2017 (zone de libre échange tripartite ou ZLET), un marché commun en 2023 et, à terme, une Communauté Economique Africaine.

Étape clé de ce processus, la ZLEC porte cinq objectifs majeurs : disposer d’une force de négociation renforcée auprès des partenaires extérieurs au continent, ce qui repose sur une diplomatie commune et non pas parcellaire et bilatérale, faisant le jeu des pays extérieurs ; promouvoir un commerce intrarégional en supprimant les barrières tarifaires et non tarifaires, en visant une hausse de 60% d’ici 2022[2] ; appuyer le développement régional par un effort de diversification et d’industrialisation soutenu, basé sur une complémentarité renforcée des secteurs et des infrastructures, et assis sur un marché potentiel de 1,2 milliard de personnes, pour un PIB cumulé de plus de 2 500 milliards de dollars ; supprimer les obstacles à la libre circulation des facteurs de production pour gagner en compétitivité ; s’acheminer vers une coopération et, in fine, une stabilité monétaire.

Après la signature de l’accord réunissant quarante-quatre pays en mars 2018[3], d’autres étapes sont prévues pour que la ZLEC entre pleinement en vigueur. D’une part, 50% minimum des pays membres de l’UA devront ratifier l’accord dans un délai d’un an. D’autre part, il s’agira de régler des points de la première et de la deuxième phase concernant l’investissement, la politique de la concurrence et la propriété intellectuelle.

Cependant, la signature de l’accord est loin d’être gage de sa viabilité et de son effectivité. Ces dernières peuvent être évaluées à la lumière du cadre de réflexion et d’élaboration de la ZLEC. En effet, la ZLEC se fonde sur une démarche de construction par blocs. Elle entend capitaliser sur les acquis des différentes CER existantes et les consolider afin, à terme, d’arriver à un niveau égal sinon supérieur de libéralisation et d’intégration à l’échelle continentale.

Or, en dépit de cette logique de bon sens, de nombreux écueils existent. Tout d’abord, les bases de la ZLEC, les CER, sont fragiles. S’il est bon de rappeler certaines réussites –  par exemple, dans le domaine énergétique, le Southern African Power Pool, un système hydroélectrique partagé entre douze pays d’Afrique de l’Est – beaucoup de CER présentent de nombreux défauts. Le premier est leur nombre, puisqu’il existe plus d’organisations régionales en Afrique qu’ailleurs, avec de nombreuses juxtapositions – seuls huit pays sur cinquante-quatre n’appartiennent qu’à une seule organisation. Ces difficultés risquent fort de se retrouver dans la ZLEC, avec des enjeux complexes de chevauchement et de tensions lors de négociations entre les pays. D’autre part, le grand nombre de pays au sein de la ZLEC peut être une source de conflit. L’hétérogénéité des membres – petits et grands pays, pays enclavés et pays côtiers, pays aux niveaux de développement variés, ethnies et langues représentées – implique une plus grande difficulté à trouver un consensus et des coûts politiques en matière de fourniture de biens publics plus élevés.

En outre, pour les détracteurs de l’accord, l’aspect matériel est un facteur critique. L’état des infrastructures en Afrique, avec des niveaux de développement hétérogènes mais globalement faibles, constitue un sérieux frein à la mise en œuvre de l’accord de libre-échange.  De plus, il est opportun de se demander, en faisant le bilan en demi-teinte des acquis et bénéfices de l’intégration régionale africaine, si le coût du processus n’a pas finalement absorbé ses avantages. Enfin, les vœux de transformation et de diversification économique nourris par l’accord pourraient s’avérer pieux en raison d’un manque de complémentarité économique et commerciale entre les pays membres.

Dès lors, l’enthousiasme des signataires enjoint de rappeler les facteurs clés de succès pour la ZLEC. Premièrement, la mise en œuvre doit concilier cohésion continentale et adaptation nationale. Ainsi, sur l’exemple réussi de la Communauté d’Afrique de l’Est, la ZLEC a tout intérêt à nommer une agence par pays membre chargée de coordonner l’effectivité de la ZLEC sur son territoire. Deuxièmement, afin de forcer la main sur le terrain des plus récalcitrants, car c’est bien là que tout se jouera, un système de sanctions et d’incitatifs adaptés doit être établi. La responsabilisation des acteurs, à différents échelons, est à renforcer, pour que tout un chacun comprenne, s’approprie et mette en œuvre le changement induit par un tel accord panafricain. Troisièmement, le cadre institutionnel doit être souple et simple. Si le cadre des CER sert de base, il représente aussi un enchevêtrement juridique et commercial susceptible d’embourber la ZLEC. C’est pourquoi, à terme, la mise en place d’un cadre épuré est à souhaiter. Quatrièmement, l’intégration continentale portée par la ZLEC a beaucoup à apprendre des manquements du modèle européen. Souvent dépeint comme éloignée et obscure pour les citoyens, la construction européenne souligne a contrario la nécessité de rendre accessible et compréhensible une telle structure à ceux qu’elle entend servir in fine. Enfin, tout comme le marché commun est un aspect parmi d’autres mais dont la pertinence est indissociable d’autres politiques économiques, la ZLEC doit aller de concert avec la mise en place de politiques ambitieuses et pragmatiques, sur la base du plan BIAT (Boosting Intra African Trade) de l’UA.

Outre l’effectivité, l’inclusivité et la pérennité sont deux enjeux critiques pour la ZLEC ; l’ultime ambition de l’Union Africaine pour la ZLEC étant son accomplissement en CEA. De nombreux analystes mettent en garde contre les risques qu’un tel accord fait peser sur les pays les plus faibles et les populations fragiles. En effet, la loi du plus fort étant hélas bien souvent la meilleure, les intérêts des pays les plus puissants risquent de prévaloir, au détriment de pays moins richement dotés. Ainsi, le coût de l’intégration à une union douanière au sein d’une organisation à géométrie variable sera élevé pour des petits pays. C’est pourquoi des mesures d’accompagnement sont primordiales pour accompagner et assurer la mise en œuvre de l’accord. Pour les économies les moins diversifiées, l’argument de l’industrialisation et des bénéfices du libre-échange n’apparait guère convaincant. Faire compétir sur un même marché le Maroc, dont 75% de ses exportations est composé de plus de 80 lignes de produits, contre le Tchad, pour qui le seul pétrole totalise plus de ce même taux (82,36%)[4], se révèle être un match bien inégal.

En outre, la ZLEC ne sera pas sans répercussion sur le commerce informel africain, segment primordial des économies du continent. Des mesures d’accompagnement sont donc bienvenues, pour ne pas bouleverser brutalement ces systèmes et/ou risquer l’échec de la ZLEC si les mesures sont contournées. De même, les règles induites par la mise en place d’un marché économique commun, telles que les règles d’origine et phytosanitaires ne vont pas sans péril et sans coût pour les petits exploitants agricoles, qui représentent pourtant plus de 60% des emplois en Afrique subsaharienne[5]. La mise aux normes implique donc des aides et des formations pour s’adapter et se conformer à ce nouveau cadre.

En conclusion, s’il est bon de sourire devant les photos de poignées de mains satisfaites de nos présidents, il est tout autant souhaitable de ne pas se réjouir trop vite, le plus dur restant à faire. 

[1] L’Afrique compte 14 CERs. Mais seuls huit ont été officiellement reconnus par l’Union africaine : la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ; la Communauté de Développement de l’Afrique du Sud-est (SADC) ; la Communauté Economique de l’Afrique Centrale (CEEAC) ; l’Union du Maghreb Arabe (UMA) ; la Communauté de l’Afrique de l’Est (CAE) ; le Marché Commun de l’Afrique du Sud-est (COMESA) ; la Communauté Economique des Etats Sahélo-Sahariens (CENSAD) et l’Autorité Intergouvernementale pour le Développement (IGAD).

[2] Le commerce intrarégional étant aujourd’hui de 16%.

[3] Parmi les non-signataires, on compte notamment le Nigéria, le Bénin, l’Érythrée, le Burundi, la Namibie et la Sierra Leone.

[4] Atlas.cid.harvard.edu

[5] Rapport de l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (Agra) – Septembre 2017

FinTechs in Africa: Multifaceted Tools to Promote Financial Inclusion

Mina lives in Sahuyé, 70 km away from Abidjan. Since 2008, she has used a mobile money account which she uses to send money to her aunt in Ouagadougou and to save a few bucks each month. Along with 100 million other people, Mina is now able to have access to basic financial services, which she did not have before. To what extent do FinTechs allow financial inclusion on the continent? Do they indeed offer financial services to all, from the Cape to Algier, from Dinga in Central African Republic and to Gondere in Ethiopia?. FinTechs are not a unique and global solution for Africa – it would be reductive to say that they are. They nevertheless offer a relevant response to daily challenges, as well as innovations that change profoundly the global financial ecosystem.

The singular breakthrough of FinTechs in Africa

Africa positions itself as new territory for financial services. Africa is one of, if not the only continent to have leaped directly to dematerialized financial services, without having to go neither through permanent agencies nor through large-scale landlines. This particularity can be explained through unpropitious access to the classic financial offer. Formal services are provided by agencies concentrated in urban areas, while the rural areas represent 2/3 of the African population and with high interest rates and commissions (around 10.07% in the ECOWAS region for example), one can then easily explain why people resort to inexpensive financial technologies.

This has then promoted a wider financial inclusion by granting access to basic financial services to a larger number of people and to marginalized communities. While the percentage of unbanked populations is 66% in Africa, with noticeable differences between countries, A resort to FinTechs is bringing about major change with 12% of Africans being able to access to financial services via FinTechs.However, it is clear that mobile money is only a solution among many others that are available to solve the problem. There are also money transfers, banking services, investment and wealth management operations, etc. This diversity is reflected in the diversity of African markets themselves, of their maturity and their needs. If some options, especially mobile money, are indeed fruitful in one country they may not make sense in another where a more or less sophisticated option would be more useful. Furthermore, some countries' profiles facilitate the deployment of one solution, where elsewhere the same solution would only respond partially or even not at all to increasing access to financial services. M'Pesa's success in Kenya, based on a demand-driven solution, has not been duplicated in Tanzania or Nigeria. These failures are linked to the diversity of ecosystems, highlighting the importance of adopting a plural approach to financial inclusion.

 

Challenges to FinTechs face and Solutions

Mobile Money today is the most developed and successful platform for financial inclusion in Africa. It positions itself as a gateway for a variety of services for its users. However, many issues must be solved to truly provide inclusive access, that is, financial service accessible to all, including those at the « bottom of the pyramid » Financial inclusion of people at the bottom of the pyramid remains indeed challenging, with or without FinTechs. This population, who live below the poverty line, carry out small operations, not above 2$ a day. Yet the agent-based model in the mobile banking system, whose revenue is 100% dependent on transactions, needs a certain total amount to become profitable. Considering 1$-operations conducted by an agent who spends monthly between 150 and 200$ and takes a percentage per transaction, the agent should register an amount of 20.000$ to get to the break-even point, which amounts to 2 transactions per minute, 8 hours a day, 7/7… Moreover, bragging about mobile penetration figures in Africa should not obliterate some realities. Mobile user rates in some African countries do not exceed 30% – on 100 people, only 30 in Burundi and 6 in Eritrea use a mobile phone. Digital data are also coming short. According to the telecoms company Tigo, only 20% of its clients / customers throughout the continent use data. Even if innovative financial services are multiplying, access to basic services is not yet guaranteed on the continent.

Other challenges remain to be overcome in order to  increase FinTechs ‘ coverage and ensure equal access to all, such as interoperability, which hinders domestic and international money transfers and efforts regarding financial education and awareness. While Rwanda can be cited as an example in terms of financial education, other countries like Nigeria do not promote FinTechs culture. For example, the Rwandan government has supported the implementation of digital platforms for basic services (Irembo) : payment for electricity bills, administrative procedures, etc. On the contrary, the economy in Nigeria is mostly based on liquidity with street agents, called Esusu or Ajo, operating day-to-day informally.

 

FinTechs potential provide a visionary ambition for Africa

If these limits / boundaries must be solved, the development of FinTechs paved the way for major progress towards financial inclusion. Financial inclusion is not limited to payments nonetheless. This « frugal innovation » deploys a wide range of financial services made accessible to most. Among the proposed services, there are of course the classic banking services, offering the possibility to those excluded from the banking system to take out a loan (as with Aire or Kreditech), insurance and micro insurance, investment, payment and online transfer services. Startups like Afrimarket, Azim or Mergims facilitate money or goods transfers safely at reduced rates. WeCashup and Dopay offer the possibility to pay online and/or get paid electronically, without any risk of corruption or security breach.

Moreover, these services not only increase financial inclusion, but also increase social inclusion with products facilitating access to basic services in health and education. For example, the Senegalese FinTech Bouquet Santé relies on the diaspora to solve some deficiencies in the national health system.These initiatives are supported by a range of elements facilitating the deployment  of digital solutions. First, the simplicity of the technology most frequently used, the USSD, as well as the dynamism of this sector which constantly offers innovations improving this technology and new applications. Second, the low cost of mobile phones, which promotes an easy and increasing penetration. Third, the ability to set up an extended distribution network, even in rural areas, throughout an agent-based system for mobile money. Finally, the increasing trend for players to seize this opportunity and to develop partnerships (between operators, banks, cooperatives, microfinance institutions) and facilitate the growth of their services with an effort in training and raising awareness.

So far, FinTechs have achieved a lot in increasing access to financial services. Today, the coverage of mobile money services in Africa exceeds 80%. In Kenya, access to banking services has increased by 58% since 2007, the year when the national unicorn M'Pesa was launched. It is undeniable that access to basic services has been reinforced on the continent with 15.4% of the total value of transactions in 2014 regarding bill payments and trade transactions.The growing access and participation in the financial system is not an end in itself, but a means to an end. They offer major direct and indirect advantages. At the heart of the system, they allow to reduce costs for trans-border funds transfers and for financial services by 80-90%, allowing companies to offer their services to low-income customers while securing their profitability. For users, they decrease the insecurity that goes with cash and provide the possibility to smooth their consumption, to manage risks linked to financial shocks by saving money, and step by step / little by little, to invest in education and health. For companies, facilitating access to credit by creating credit history allows them to grow and create jobs.

Last but not least, the growing interoperability and openness promoted by African regional integration offer exciting perspectives. Beyond mobile money, the bitcoin and block chains are a work in progress in Africa; some dare say that they could bear a revolution, the Impala Revolution. The block chain, which allows for the establishment of credit history, to check and/or create a basic financial identity may even be the next innovative leverage for financial inclusion and a tool for Africa to pioneer FinTechs at global level. To conclude, the possibility of providing larger access to financial services implies proposing tailored solutions covering the full range of needs on the continent, even adopting a local perspective because what is true in the capital city is not true anymore in a village. As a result, it is key not to believe in a single model capable of solving Africa's challenges as a single and homogenous entity. Finally, the key issue is to maintain the entrepreneurial vitality that can be observed for now in the FinTech sector.

Translated by:

Manon Richert

Les fintech en Afrique : des outils à géométrie variable favorisant l’inclusion financière

Mina habite à Sahuyé, à 70kms d’Abidjan. Depuis 2008, elle a un compte mobile money qui lui sert à envoyer de l’argent à sa tante à Ouagadougou et à se constituer une petite cagnotte chaque mois. Avec près de 100 millions d’autres personnes[1], Mina a désormais ainsi accès à des services financiers de base dont elle était auparavant exclue. Quel est le degré d’inclusion offert par les fintech sur le continent ? Permettent-ils effectivement d’offrir des services financiers à tous, du Cap à Alger en passant par Dinga en République Centrafricaine ou Gondere en Ethiopie ?

Si les fintech ne représentent pas une solution unique et globale pour l’Afrique – il serait réducteur de le croire – ils apportent néanmoins des réponses pertinentes à des défis quotidiens ainsi que des innovations qui bouleversent l’écosystème financier mondial.

La percée singulière des fintech en Afrique 

L’Afrique se positionne comme une terre nouvelle pour les services financiers. L’Afrique est l’un, sinon le seul continent à avoir adopté directement des services financiers virtuels, sans passer ni par la case départ des agences en dur ni par la téléphonie fixe à grande échelle[2].

Cette singularité s’explique par un accès peu propice à l’offre financière classique. Les services formels sont fournis par des agences concentrées en zone urbaine[3] – tandis que la population rurale représente 2/3 de la population africaine – et pratiquant des taux d’intérêt et de commissions élevées – autour de 10,07% en moyenne dans la zone UEMOA par exemple[4]. Le recours à des moyens peu onéreux de technologie financière se comprend alors facilement.

Ce recours a ainsi favorisé une plus grande inclusion financière en faisant accéder un grand nombre de personnes à des personnes exclues des services financiers de base. Alors que le nombre de personnes non bancarisées est de 66% en Afrique[5] – avec toutefois des différences notables entre les pays – le recours aux fintech change la donne avec 12% d’Africains ayant accès à des services financiers via des fintechs[6].

Toutefois, il est clair que le mobile money est une solution parmi d’autres proposées pour résoudre le problème. On trouve ainsi le paiement par mobile (mobile money), le transfert d’argent, les services bancaires et les opérations d’investissement et de gestion de fortune, etc. Cette diversité est à comprendre au regard de celle des marchés africains, de leur maturité et de leurs besoins. Si certaines options – en particulier le mobile money – sont effectivement fructueuses ici, elles ne font guère de sens là, où une option plus ou moins sophistiquée sera plus indiquée.

En outre, le profil de certains pays facilite le déploiement d’une solution, où ailleurs elle ne répondrait que partiellement ou pas du tout à réduire le manque d’accès aux services financiers. Ainsi, le succès de M’Pesa au Kenya, basé sur la proposition d’une solution créée par une demande du marché, n’a pas abouti en Tanzanie et au Nigeria. Ces échecs sont liés à la diversité des écosystèmes, soulignant la nécessité d’adopter une approche plurielle pour penser l’inclusion financière.

Les défis à surmonter pour faire des fintechs de réelles solutions d’inclusion financière

Le mobile money représente aujourd’hui la plate-forme la plus développée et aboutie en matière d’inclusion financière en Afrique, en se positionnant comme une porte d’entrée à une variété de services pour ses usagers. Cependant, de nombreuses problématiques doivent être résolues pour offrir véritablement un accès inclusif, c’est-à-dire des services financiers accessibles en tous, y compris aux personnes « en bas de la pyramide ».

En effet, fintech ou pas, le défi d’inclusion financière des personnes dites « au bas de la pyramide » reste aigu. Cette population, qui vit en-dessous du seuil de pauvreté, effectue des opérations qui ne dépassent pas les 2 dollars par jour. Or, le modèle de l’agent dans le système de mobile banking, dont le revenu est assuré à 100% par les transactions, requiert un certain montant total pour être rentable. Avec l’hypothèse d’opérations à 1 dollar, pour un agent dont le coût mensuel est compris entre 150 et 200 dollars, en prenant un pourcentage par transaction, l’agent devrait enregistrer un montant de 20 000 dollars pour arriver au point mort, ce qui fait 2 transactions par minute, 8 heures par jour, 7/7…

En outre, les chiffres fanfaronnant sur la pénétration du mobile en Afrique ne doivent pas masquer certaines réalités. Des pays africains ont des taux d’usagers mobile inférieurs à 30% – sur 100 personnes, seules 30 au Burundi et 6 en Erythrée utilisent un téléphone portable[7]. Cette carence existe aussi en matière de données numériques. Pour l’entreprise en telco Tigo, seuls 20% de ses clients à travers le continent utilisent des données. Ainsi, si des services financiers de plus en plus innovants se multiplient, l’accès au service de base n’est pas encore assuré sur tout le continent.

D’autres défis restent à surmonter pour accroitre la couverture des fintechs et leur accessibilité à tous tels que l’interopérabilité, qui entrave le transfert d’argent domestique et international, et les efforts en matière de sensibilisation et d’éducation financière. Alors que le Rwanda peut être cité comme un exemple en matière de pédagogie financière, d’autres pays comme le Nigeria ne promeuvent pas une culture des technologies financières. Ainsi, le Gouvernement rwandais a soutenu la mise en place de plates-formes numériques pour les services de base (Irembo) : paiement des factures d’électricité, procédures administratives, etc. A l’inverse, l’économie nigériane est principalement basée sur la liquidité avec des agents de rue – appelés esusu ou ajo – opérant informellement des opérations courantes. 

Le potentiel des fintech offre une ambition visionnaire pour l’Afrique

Si ces limites doivent être résolues, des avancées majeures en matière d’inclusion financière ont été permises par le développement des fintechs en Afrique. Cependant, l’inclusion financière ne se limite pas aux paiements. Cette « innovation frugale » déploie toute une gamme de services financiers rendus accessibles au plus grand nombre.

Parmi les services proposés, on trouve bien sûr des services bancaires classiques, offrant la possibilité aux personnes exclues du système bancaire de contracter des prêts (comme avec Aire ou Kreditech), des services d’assurance et micro assurance, d’investissement, de paiement et de transferts en ligne. Des startups comme Afrimarket, Azim ou Mergims facilitent le transfert d’argent et de biens à des taux réduits et en toute sécurité ; WeCashup et Dopay offrent la possibilité de payer en ligne et/ou de recevoir son salaire de manière électronique, sans risque de corruption et d’insécurité.

En outre, ces services accroissent non seulement l’inclusion financière mais également sociale avec des produits facilitant l’accès à des services de base dans la santé et l’éducation. Par exemple, la fintech sénégalaise Bouquet Santé s’appuie sur la diaspora pour résoudre certains manques du système de santé national. 

Ces initiatives sont portées par un ensemble d’éléments facilitant le déploiement de solutions numériques. Premièrement, la simplicité de la technologie la plus couramment utilisée, l’USSD, ainsi que le dynamisme de ce secteur qui propose constamment des innovations améliorant cette technologie et des applications nouvelles. Deuxièmement, le bas coût des mobiles, qui favorise une pénétration facile et croissante. Troisièmement, la capacité à mettre en place un réseau de distribution étendu, même en zone rurale, avec un système d’agents pour le mobile money. Enfin, la tendance croissante des acteurs à saisir cette opportunité et à développer des partenariats (entre les opérateurs, les banques, les coopératives, les institutions de micro finance) et faciliter l’extension de leurs services avec un effort en formation et sensibilisation.

Jusqu’à présent, les résultats enregistrés par les fintech pour accroitre l’accès aux services financiers sont nombreux. Aujourd’hui, plus de 80% du continent est couvert par des services d’argent mobile[8]. Au Kenya, le taux de bancarisation a augmenté de 58% depuis 2007, année de lancement de la licorne nationale M’Pesa[9]. Il est indéniable que l’accès aux services de base s’est renforcé sur le continent avec 15,4% de la valeur totale des transactions de 2014 revenant aux paiements de factures et de transactions marchandes[10].

L’accès et la participation étendus au système financier ne sont pas une fin en soi mais un moyen. Ils offrent des bénéfices directs et indirects majeurs. Au sein du système, ils permettent d'abaisser le coût des virements de fonds transfrontaliers et celui de l’offre des services financiers de 80-90%, permettant ainsi à des sociétés de proposer leurs services à des clients à faible revenu tout en assurant leur rentabilité. Pour les usagers, ils diminuent l’insécurité liée au fait d’avoir de l’argent liquide sur soi et offrent la possibilité de lisser leur consommation, de gérer les risques de chocs financiers en se constituant une épargne et, petit à petit, d'investir dans l'éducation et la santé. Pour les entreprises ayant un accès facilité au crédit – en créant des historiques de crédit – de croitre et de créer des emplois.

Ces avantages ne sont les pas derniers, car les fintech sont un arbre en plein épanouissement. L’interopérabilité et l’ouverture croissantes, favorisées par l’intégration africaine, donnent des perspectives réjouissantes. Au-delà du mobile money, le bitcoin et les blockchain sont des chantiers en développement en Afrique – certains y voyant même le berceau d’une révolution : « Révolution Impala ». Le blockchain, qui permet d’établir des historiques de crédit, de conforter et/ou créer une identité financière basique, pourrait peut-être même être le prochain levier innovant d’inclusion financière, faisant de l’Afrique une pionnière au niveau mondial.

En conclusion, la possibilité d’offrir un accès le plus large possible aux services financiers implique de proposer des solutions adaptées à la variété de besoins existant sur le continent, en adoptant même une perspective locale – ce qui est vrai dans la capitale ne l’est plus au village. Il est donc crucial de ne pas croire en un modèle unique capable de résoudre les défis de l’Afrique comme une entité homogène. Enfin, l’enjeu clef est de maintenir la vitalité entrepreneuriale observée jusqu’à présent dans l’offre des fintech.

Pauline Deschryver 

 

 


[1] Banque mobile en Afrique sub-saharienne : 251 millions de clients potentiels d’ici 2019, BCG, 2015

 

[2] En 2015, 24 652 adultes sur 100 000 possèdent un compte mobile en Afrique Sub Saharienne, contre 3 485 en Asie du Sud ou 416 en Europe. (Source : Banque Mondiale et Groupe Spécial Mobile Association)

 

[3] On trouve 3,2 agences pour 100 000 habitants, Etude du cabinet Roland Berger

 

[4] Source : Banque Centre de l’Union Economique Ouest Africaine

 

[5] Données Banque mondiale 2015

 

[6] Idem

 

[7] Données Banque Mondiale

 

[8]Un Agency for Information and Communication Technology

 

[9] Source : Commission des communications au Kenya

 

[10] Données : GSM Association

 

L’Afrique, fer de lance d’une révolution financière ?

Partout dans le monde, on assiste à un bouleversement du paysage financier[1]. Les banques traditionnelles sont prises de vitesse par des acteurs nouveaux, dits barbarement fintech et/ou opérateurs de mobile banking (MNO ou MVNO)[2], optimisant l’usage des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC). En Afrique, cette tendance est croissante. Ce continent peut-il mener la voie d’une nouvelle ère financière ? 

L’Afrique, épicentre technologique des services financiers

Le phénomène de digitalisation financière est plus aigu sur le continent africain pour de nombreuses raisons. Tout d’abord, les startups étiquetées « fintech » grouillent. Ce constat est sans équivoque et ce, dans la plupart des pays africains, notamment en Afrique de l’Est et en Afrique du Sud. Certaines se sont même fait remarquées sur la scène internationale, attirant investisseurs étrangers en quête de solides retours et/ou d’impact social. Ainsi, sur l’ensemble des investissements alloués aux jeunes entreprises africaines dans les NTIC en 2015, 30% concernaient les fintech[3]. Soutenues par un écosystème favorisant le développement de ces entreprises – avec une offre croissante d’accompagnement par des incubateurs et des concours entrepreneuriaux – ces pépites jouissent d’un environnement de plus en plus favorable à leur éclosion.

L’Afrique peut se targuer d’être le continent du mobile money et banking (ou m-paiement). La majorité des services de mobile money s’opérant à l’échelle planétaire ont lieu en Afrique (52%)[4]. Leur développement est exponentiel avec, en 2015, trois fois plus d’utilisateurs de portefeuille mobile et numérique qu’aux Etats-Unis et avec un rythme de croissance trois fois supérieur[5]. Cependant, certaines précisions s’imposent. D’une part, parler de rupture technologique en Afrique revient à négliger la situation actuelle. Contrairement aux pays occidentaux où l’offre bancaire est bien ancrée auprès une clientèle large, l’Afrique – avec des nuances pour l’Afrique du Sud – ne dispose pas de banques jouissant d’une telle base clientèle (9 Africains sur 10 n’ont pas accès aux services bancaires). Dès lors, ces acteurs créent des infrastructures et des services là où l’existant est quasi nul. D’autre part, la révolution en question n’est pas brutale mais par phases. Le déferlement du mobile money appartient à une première tendance, certes non achevée mais déjà talonnée par une seconde vague d’innovation menés par les fameuses fintechs. Alors que les services de mobile money, sont, dans l’ensemble, pilotés par de grands groupes de télécommunications et basés sur le téléphone portable, les fintechs sont surtout le fait d’entrepreneurs innovants en solo et axées sur l’usage d’internet[6].

Pionnière ou retardataire ?

Cette distinction permet de mieux apprécier si l’Afrique fait figure de pionner à l’échelle internationale ou si elle ne fait que rattraper un fort retard de bancarisation, avec des moyens qui lui sont propres. La réponse n’est pas binaire : l’Afrique crée de zéro des solutions répondant à des besoins basiques, pour combler le déficit de réponse adaptée des acteurs traditionnels. Cependant, la forme prise par ces solutions introduit un paradigme nouveau que les pays développés sont en train de copier, prenant dès lors l’Afrique pour modèle. Ainsi, on assiste à un bourgeonnement d’offres bancaires à distance en France (exemples de Soon, Hello Bank pour n’en citer que certaines) ; encore embryonnaires au Nord, elles font en revanche partie intégrante du paysage au Sud. En revanche, le focus sur le Nigeria du dernier rapport du cabinet KPMG sur les services financiers en Afrique souligne que les banques traditionnelles africaines semblent connaître les mêmes problématiques que leurs consœurs occidentales en ce qui concerne le passage au numérique. La conversion de leurs clients – qui utilisent déjà les plateformes numériques mais pour d’autres usages – à des services bancaires en ligne ne va pas de soi et la facilité d’utilisation reste un défi pour nombre de banques africaines.

Pourquoi un positionnement d’avant-garde ?         

Tout problème appelle une solution. C’est cette raison simple qui explique principalement l’ébullition constatée en matière de services financiers innovants. Elle se vérifie magistralement dans la problématique cruciale du financement des PME. Délaissées des banques – qui, peu flexibles, requièrent un nombre faramineux de garanties et comprennent mal leurs capacités de crédit – respectivement trop petites et trop grandes pour la plupart des fonds d’investissement et les institutions de microfinance – avec un ticket d’entrée trop élevé/petit pour ce segment – les PME reçoivent un meilleur accueil auprès de plateformes telles que Merchant Capital ou Rainfin en Afrique du Sud qui ont une connaissance fine de leurs besoins avec une proposition de valeur adaptée et flexible.

Similairement, alors que des institutions de la place existent pour répondre à des problématiques du quotidien, l’utilisation du numérique permet à d’autres acteurs de proposer des solutions plus adaptées, en accord avec les préférences des consommateurs africains[7]. Ainsi, en matière de transferts d’argent, face aux mastodontes occidentaux, l’opérateur de mobile money QuickCash cible les populations non desservies en brousse, reliant en particulier les planteurs de cacao en Côte d’Ivoire et leur famille dans les pays frontaliers. De même, la fintech WorldRemit a su s’imposer en se montrant plus réactive et moins chère pour répondre aux requêtes majeures de la diaspora. Ces exemples soulignent que, l’agilité et l’innovation, au-delà même de la technologie, sont les clés expliquant le succès des fintechs en Afrique. Dans le même registre, l’histoire de M’Pesa confirme cette hypothèse : c’est en saisissant que la population utilisait le temps de communication comme une monnaie d’échange, que Safaricom a eu l’idée de lancer l’opérateur de mobile banking kenyan.

Une tendance en plein essor

Premièrement, le marché est encore très peu desservi et ne demande qu’à croitre. Les chiffres sont cités à tour de bras mais leur effet demeure significatif : sur près de 330 millions d’adultes, 80% manquent d’accès aux services bancaires formalisés. Deuxièmement, une intégration est en cours, à la fois de manière organisationnelle et sectorielle. D’une part, banques et opérateurs de services virtuels tendent de plus en plus à s’associer pour renforcer leur service client et accroitre leur couverture. On peut ainsi citer les unions entre la Commercial Bank of Africa (CBA) et Safaricom au Kenya, créant M-shwari, ou entre des institutions de microfinance et M-Birr en Ethiopie. Multipliant les services, l’intégration entre MTN avec une division de la Standard Bank en Afrique du Sud, entre Airtel et Equity Bank au Kenya ou entre les opérateurs télécom et la Société Tunisienne de Banque ont favorisé des offres nouvelles, telles que la consultation des comptes, le transfert d'argent d'un compte bancaire à un autre via le mobile, le paiement de factures, le prêt bancaire, etc. En Afrique de l’Ouest, cette tendance a favorisé la forte croissance enregistrée depuis 2013 dans le mobile-money[8].

D’autre part, l’innovation est dynamisée par une intégration sectorielle. Cette caractéristique positionne sans conteste l’Afrique comme pionnière. L’utilisation des technologies déployées par les fintechs ouvre la voie à l’inclusion d’autres services financiers (e-santé, e-assurance, e-éducation, etc.). Ainsi, à l’instar de M’Kopa, des fintechs se sont mises à offrir à leurs clients des services divers et variés étoffant leur modèle économique et leur part de marché. C’est dans cette perspective que peut se comprendre la dernière annonce par Jumia de se doter se son propre système de financement par mobile.

Les raisons foisonnent pour que cette tendance se maintienne à vive allure. Jusqu’à présent, contrairement à leurs analogues américains, les fintechs africaines n’ont pas ou peu tiré profit de la masse de données qu’elles drainent quotidiennement. C’est pourtant une mine d’or ! L’analyse de ces informations permettraient entre autres de mieux cibler leur clientèle, avec des offres plus adaptées, de réduire les risques, etc. Une autre opportunité vient de l’adaptation du marché du travail aux problématiques émergeant à mesure que se constitue une classe moyenne à l’aise avec les technologies numériques. De nouveaux métiers et de nouveaux modèles apparaissent. Au Rwanda, les entreprises Rwanda Online et Pivot Access se sont alignées avec la vision nationale de devenir un hub numérique en Afrique en se positionnant comme des plateformes de services intégrés facilitant la vie au quotidien de la population (visa, enregistrement d’entreprise, paiement des impôts, etc. … le tout en ligne). Enfin, et non des moindres, la bonne marche des fintechs va de pair avec la nécessité de répondre urgemment à des enjeux sociaux : leur développement favorise l’inclusion financière, l’entrepreneuriat, l’égalité financière pour les deux sexes et la réduction de la corruption.

Les freins et nuances de ce développement

Si la vague des fintechs est excitante à plus d’un titre en raison de son impact socio-économique majeur pour le continent, elle doit toutefois être nuancée. Tout d’abord, elle s’inscrit dans une mode pour les startups en NTIC. Etre un entrepreneur en Afrique est branché, être un entrepreneur fintech, ça l’est doublement. Le revers de cette clinquante médaille est l’illusion qui peut s’ensuivre. Alors que les fintechs pullulent, bon nombre d’entre elles ont une vie très courte. Le taux d’échec, comme partout, est très élevé, tandis que le discours ambiant semble faire fi des difficultés inhérentes à ce secteur. En Afrique, ces dernières s’expliquent par un manque de capacités techniques. Les diplômés rechignent souvent à rejoindre des startups face à des propositions bien plus alléchantes de grandes entreprises[i]. L’autre écueil tient à la stratégie de distribution. M’Pesa a trébuché sur cet obstacle de taille en Afrique du Sud, en copiant son modèle kenyan et en négligeant l’effet de réseau indispensable pour réussir dans ce marché.

Sur le plan macroéconomique, deux enjeux majeurs pourraient entraver l’expansion des fintechs africaines. D’une part, l’absence ou le patchwork de cadres règlementaires pose un risque à la fois pour les usagers et les acteurs financiers. Comment s’assurer de la viabilité du système ? Comment prévenir toute bulle financière dans un marché faiblement/mal régulé ? Des codes tels que le The GSMA Mobile Money Code of Conduct, the SMART Campaign et the UN Principles for Responsible Investment, ont commencé à voir le jour mais ils restent embryonnaires face à un écosystème fourmillant et peu discipliné. D’autre part, si l’Afrique peut se constituer en modèle, son offre reste limitée à l’intérieur de ses frontières. Selon le rapport de l’UNCTAD, l’exportation des services technologiques africains est marginal, représentant seulement 0,3% des exportations mondiales en technologie de pointe[9], amoindrissant toute idée de positionnement pionner.

En conclusion, le trait le plus inspirant des fintechs africaines, mais qui ne leur est pas propre, est certainement leur agilité. Moins que la technicité, c’est leur spontanéité qui fait pâlir les banques occidentales, ou les poussent à les accompagner pour mieux s’en inspirer[10].

 

 

Pauline Deschryver


[1] http://cdn.resources.getsmarter.ac/wp-content/uploads/2016/08/mit_digital_bank_manifesto_report.pdf

[2] Par Fintech, on entend des innovations techniques appliquées aux services financiers classiques et des services financiers modifiant le paradigme financier ; MNO est l’acronyme anglais pour les opérateurs de réseau mobile virtuel

[3] Disrupt Africa African Tech Startups Funding Report 2015

[4] State of the Industry Report Mobile Money, GSMA 2015

[5] Source : VC4 Africa

[6] White Paper « The powerful rise of the 2nd generation of mobile banking in Africa », FINTECH Circle Innovate & Bankin Reports

[7] Selon le dernier rapport de KPMG sur le secteur bancaire en Afrique, le service client est le premier critère d’évaluation pour une banque

[8] On peut citer les associations entre les groupes Ecobank, BNP Paribas, Société générale et BIAO qui se sont associés à travers leurs filiales d'Afrique de l'Ouest avec Orange, MTN et Airtel.

[9] UNCTAD Technology and Innovation Report

[10] A l’instar d’institutions comme Barclays, qui a mis en place une communauté promouvant les fintechs africaines, Barclays Rise.


L’entrepreneuriat en Afrique de l’Ouest … So cool ?

entrepVous avez sans doute, vous aussi, appris l’existence de tel ou tel concours de business plans, de tel incubateur ou d’espace de co-working. Autant d’anglicismes à la mode qui fourmillent sur les panneaux publicitaires et les encarts Facebook. Quelle est la portée de ces évènements ? Quelle est la réelle importance de l’entrepreneuriat sur le développement et l’économie des pays ? Cet article brosse les actions initiées pour impulser le développement de l’entrepreneuriat en Afrique de l’Ouest et les limites de leurs portées.

 

Dans la myriade des initiatives en Afrique de l’Ouest, quel est le bilan des actions favorisant l’émergence et la croissance d’un écosystème entrepreneurial solide ? Les concours entrepreneuriaux organisés par des multinationales se multiplient. De même, des acteurs dédiés s’emparent de cette tendance pour organiser des évènements le temps d’un weekend, au niveau national ou panafricain. Les réseaux pullulent, centrés autour des NTIC ou des femmes. Enfin, les espaces de co-corking sont aussi à la mode, entre inspiration de la Silicon Valley et adaptation à la sauce africaine.

 

Des résultats encore très mitigés …

Néanmoins, au milieu de cette fièvre entrepreneuriale, le bilan est en demi-teinte. Peu d’organisations sont opérationnelles et peuvent présenter des résultats durables d’accompagnement. Nombreuses sont les structures à avoir joué d’effets d’annonce sans que leurs portes n’aient été foulées par des porteurs de projets. Tout comme sont pléthores les acteurs vendant de la poudre d’entrepreneur sans savoir vraiment de quoi il retourne.

Pour ceux pouvant se targuer d’une certaine expérience, beaucoup se contentent d’un copié-collé de présentations trouvées sur internet ou glanées d’incubateurs étrangers sans vraiment prendre en compte les besoins et enjeux locaux. Enfin, et non des moindres, rares sont les concours et évènements suivis d’un accompagnement de long-terme, à même de créer un véritable renforcement des capacités et de constituer un tremplin qualitatif pour ces jeunes entreprises. Or, ce sont pourtant ces ingrédients qui sont capables de fournir un terreau fertile pour ces pousses entrepreneuriales. Rien ne sert de conter fleurette aux porteurs de projets, il faut les accompagner, les comprendre et leur offrir des outils spécifiques.

 

… qui ne doivent pas inciter à renoncer mais plutôt favoriser un meilleur suivi !

A l’inverse, on assiste à une certaine course aux concours parmi les entrepreneurs. Qui les blâmera ? Le chômage demeure majeur, avec une jeunesse qui compte pour 60% de l’ensemble des chômeurs en Afrique Subsaharienne. L’entrepreneuriat apparaît alors comme une voie de survie. L’Afrique présentant un record dans le domaine avec la plus forte proportion mondiale de potentiels jeunes créateurs d’entreprise (60%)[1]. L’engouement actuel alimente cette frénésie où, aux dires d’un entrepreneur ivoirien, « écument toujours les mêmes à courir après les prix ». Gros chèque, notoriété, réseau, les carottes sont affriolantes tandis que peu de concours proposent une formation à la clef.

Or, en Afrique plus qu’ailleurs, les jeunes entreprises ont besoin de formation technique. Elles sont les premières à le reconnaître et à  le réclamer. Alors que la Côte d'Ivoire a inscrit l’entrepreneuriat au programme scolaire, il faut plaider pour que la sensibilisation dès le plus jeune âge se concilie à la fois avec un enseignement technique et professionnel et avec une offre d’assistance technique (AT) accessibles et de qualité. Là encore, des efforts sont à poursuivre : l’éducation professionnelle est marginale, et les fournisseurs d’AT sont encore trop peu visibles, et souvent trop peu outillés pour fournir un appui efficient. De même, l’offre en financement manque la cible qui en requiert le plus. Le paysage est compartimenté entre micro-finance, banque et quelques fonds d’investissement avec des taux d’intérêt et des demandes de garanties trop élevés et des tickets inadaptés aux besoins, tandis que les PME africaines ne disposent bien souvent pas d’une éducation financière suffisante pour construire un solide dossier de financement.

On ne citera personne mais il faut cependant conclure en reconnaissant que se construit, doucement mais sûrement, une communauté entrepreneuriale engagée et expérimentée et que des entreprises championnes émergent, portées par de jeunes leaders ambitieux pour leur pays et leur continent. Les partenaires de développement l’ont compris également, en cherchant à mieux connaître ces pépites encore embryonnaires pour mieux y investir. Ainsi, la Société Financière Internationale entend participer à hauteur de 20 à 25% dans un programme d'investissement de 250 millions de dollars dans des fonds de capital-risque dédiés aux PME en Afrique.

Ainsi, la donne a changé. Rangez votre cravate, le fonctionnariat est en train de passer de mode. Au milieu de la fièvre, l’engouement est réel. Reste à ne pas perdre de vue que l’entrepreneuriat, même sans patron, est un travail à part entière.

 

Pauline Deschryver

 


[1] Global Entrepreneurship Monitor, Youth Business International (GEM/YBI) sur l’entrepreneuriat chez les jeunes, Rapport 2013

Paul Sika : Portrait d’un photo maker

511px-Paul_Sika_portraitPaul Sika est un diamant. Vous songez à arrêter votre lecture, cet article serait trop flatteur ? Détrompez-vous. L’artiste a plusieurs facettes, l’une facétieuse, l’autre spirituelle. A la fin de notre entretien, je suis rentrée songeuse. Une ambivalence qui intrigue…

D’une initiation impromptue à une quête absolue

L’ambiguïté apparaît d’emblée dans son parcours : en pleines études d’informatique à Londres, le jeune étudiant a une révélation.  Sa vocation est scellée devant la bande-annonce de Matrix 2, en devanture d’un magasin d’électroménager. Désinvolte, Paul ajoute qu’il s’agissait d’une « chaine inconsciente ». Biberonné aux mangas et aux jeux vidéo, son étincelle de l’art jaillit d’un blockbuster américain… Le déclic le pousse alors à investir dans un bel appareil photo professionnel, quoi qu’en disent les jaloux, et à mettre en boite tout et n’importe quoi. Le choix de la photo et non de la vidéo, a priori curieux, se justifie patiemment : le temps statique du médium intermédiaire de la photo offrirait un meilleur entrainement, collant à sa personnalité méticuleuse. Finalement, entrainement et bien plus avec affinités, Paul y est resté. Lui qui se revendique du « photo making », il nous offre des œuvres où la technique cinématographique semble transposée sur le papier glacé. Autodidacte, il poursuit son apprentissage par une cinéphilie boulimique, notant des détails sur un petit carnet dans les salles obscures. Il s’intéresse brièvement à la photo de mode, avant de la trouver ennuyeuse. Progressivement, son cheminement de petit Poucet se double d’une jolie vision. L’artiste apprenti construit alors sa théorie, expliquant son parcours et sa recherche. Un idéal de beauté, s’épanouissant dans l’art, les mathématiques ou le sport – chaque pot a son couvercle – serait enfoui dans chacun de nous. Il importe de se mettre en route pour découvrir ce « joyau ».  Le mot est jeté, « transcendance » ; ne vous effrayez pas, « chacun son truc », mais il s’agit de percer. Le peintre-photographe nous parle de Drogba, lui qui ne le connaissait pas jusqu’à peu. Le footballeur a trouvé son joyau, parvenant à ce niveau de beauté, et a transcendé ce qui semblait inaccessible au profane. Platon des temps modernes en quête d’un éblouissant Graal et amoureux de Bob l’éponge. Tout en contrastes. 

Le réel pris entre histoires et matière

At the Heart of Me - Paul SikaL’ambivalence demeure dans la conception de l’art pour Paul Sika. Il se décrit comme une éponge, absorbant le réel avec appétit. La matière est saisie à plein objectif, les objets bruissent et grouillent dans un éclat de couleurs assourdissant. Ces aplats s’épurent par le lien tendu par l’artiste : la photo n’est qu’un médium visuel pour « ce qui doit être beau ». Paul Sika délaisse la politique et les bavardages pour convoquer « l’imaginaire pur », il se veut conteur.  « Je raconte une histoire, une saga » : le flash des images, leur mélange, forment un puzzle qu’il est libre à chacun de recevoir. Toucher d’abord, et puis, éventuellement, signifier.  Paul orchestre un processus où la découverte prime sur la créativité, où la quête revient au galop, même pour le spectateur. Au milieu de ce questionnement éthéré, des pincées enfantines sont saupoudrées. L’artiste rêve à la mention des BD et des mangas de son enfance ; son monde est tissé par ses fils animés, qu’il identifie comme un univers de « vrais artistes », loin des galeries glacées de Londres ou Paris. Attention, l’homme est geek mais esthète. Un jeu vidéo, s’il n’est pas « joli », est renvoyé aux oubliettes. La gaieté est aussi un critère clef : Bob l’éponge rafle la mise : le personnage jaune égaye les gens, il ferait « davantage pour l’humanité » que d’absconses œuvres d’art contemporain. Toucher les gens, le fin mot de l’histoire. 

Enfance et pragmatisme : « la cool attitude »

Et puis, ou surtout, Paul est cool. Avec son air intello et un sourire rigolo, il nous invite à « kiffer la vie ». Etre connu n’a aucun sens sinon d’avoir ses œuvres vues, qu’elles appartiennent aux autres et qu’elles soient aussi « cool pour eux ». 

Cette désinvolture va de pair avec son attrait pour l’enfance. Elle se lit dans son admiration pour le monde de Mickey et Minnie : pour Paul,  Disney est un « super grand artiste », créateur d’émotions et capable de guérir les plaies enfouies. Si l’enfance est un état « où tout est cool et possible », Paul nous invite à ne pas avoir peur de son imagination, à la nourrir et à ne pas s’arrêter de chercher à retrouver ce que l’on a délaissé en grandissant. 

La tête dans la lune ? Pas tout à fait. A nos questions sur l’industrie de l’art en Afrique, l’artiste est sceptique.  Contrairement à certains de ses confrères, il ne rejette pas cette pragmatique expression. Pour Paul, l’art est à un état embryonnaire en Afrique, surtout en raison d’un manque d’accessibilité : les canaux de distribution sont à développer et les propositions sont à adapter à la réalité africaine. En particulier, la vision des galeristes serait à remodeler sur le terreau local, et à la déraciner d’une éducation ou d’une projection européenne qui sonne faux ici.  Le partage doit primer, pour que les gens puissent s’approprier l’art, qui reste malheureusement trop perçu comme n’étant « pas pour eux ». A la question méta-conceptuelle « Art en Afrique ou art africain ? », Paul nous balance un sourire malicieux et nous envoie nous référer à notre joyau… 

Les pieds sur terre, Paul les a indéniablement. Sa vision enfantine est comme contrebalancée par un pragmatisme lucide sur le marché de l’art. Il emploie des termes encore une fois souvent dénigrés par beaucoup d’autres. Paul souligne la nécessité de comprendre le métier, notamment pour pouvoir distribuer, partie majeure de son business. Il nous dit s’intéresser de près à la partie administrative de sa carrière, justifiant qu’il faut comprendre son business pour en faire partie. A ce titre, il fait partie d’un projet de formation et d’accompagnement aux jeunes entrepreneurs ivoiriens et est engagé dans les initiatives entrepreneuriales locales. Ne pas se disperser est sa hantise, il n’aime pas trop la casquette de vendeur mais endosse celle du communicant avec plaisir et volonté. Sa bipolarité nous impressionne : entre créativité et gestion, l’artiste dirige son affaire en maitre. Tellement qu’il en paraitrait surdoué, comme l’y enjoint un autre artiste et ami ivoirien, Jean-Etienne Yangzi : « L’Afrique nous demande d’être des surdoués aujourd’hui ». 

En guise de mot de la fin, Paul Sika nous glisse de foncer, « d’impacter l’humanité ». Rien que ça…

Pauline Deschryver et Stephane Madou

Nous vous invitons à découvrir le travail de Paul Sika sur son site internet.

Mobile money en brousse

A l’heure du débat terminologique « migrant versus réfugié », il n’est pas hors propos de rappeler l’ampleur de la contribution de ces personnes à l’économie internationale : les envois d’argent des migrants dans leurs pays d’origine se sont élevés à près de 414 milliards de dollars en 2014 dont 62 milliards pour l’Afrique[1], soit trois fois l’aide internationale au développement …[2] Si cette manne financière intercontinentale fait l’objet d’études et d’un suivi étroit de la communauté internationale[3], celle liée aux transferts « internes » est moins connue.

Ces derniers sont les transferts opérés au sein d’un même pays et entre pays voisins. Ces transactions sont en essor en Afrique, de pair avec le développement du Mobile money[4], avec cinq pays africains occupant le haut du palmarès mondial en nombre d’usagers de mobile money[5]. Sur ce marché, des opérateurs majeurs comme Western Union, Orange et MTN sont très présents. Toutefois, ces acteurs ont eu tendance à délaisser de leur stratégie une certaine frange et non des moindres : les populations rurales. En brousse, l’accès réduit à l’électricité & au réseau internet, les conditions de transport précaires et peu sûres expliquent, d’une part, le manque d’appétence de ces opérateurs et, d’autre part, la faible inclusion financière de ces populations. Un réel besoin existe pourtant.

En ligne avec sa belle définition d’un entrepreneur – un individu voyant des opportunités là où la plupart des mortels voient un nœud de problèmes – Patricia Zoundi épouse Yao a créé Quick Cash en Côte d'Ivoire. Fille d’une commerçante de Soubré, Patricia accepte la proposition de son oncle, illettré, de l’aider à ouvrir une franchise de Western Union à Méagui. Elle constate alors que beaucoup de ses usagers sont des ruraux, arrivant à son agence après plusieurs jours éprouvants de voyage. Après une faillite et un an de questionnement, Quick cash est lancée en 2010, avec un investissement initial de 100 000 francs CFA, soit 150 euros.  Le transfert suit le schéma classique, à la différence que les agents Quick cash sont des boutiquiers du village, responsabilisés pour assumer ce rôle. Un réseau de partenariats dans cinq pays (Côte d'Ivoire, Burkina Faso, Niger, Mali et Mauritanie) est mis en place avec des institutions financières qui reçoivent et font transiter les dépôts.

En Côte d'Ivoire, les usagers de Quick Cash se retrouvent surtout au sein de la communauté burkinabé, dont beaucoup travaillent dans les plantations de café et de cacao à l’ouest du pays. Ces habitants, surtout des hommes, utilisent Quick cash pour envoyer leur bas de laine à leur famille restée au pays, notamment dans le cadre de projets immobiliers et d’épargne.

Depuis sa création, l’entreprise a rencontré de nombreux défis. La contrainte majeure tient au besoin de préfinancement, aigu à ses débuts – par exemple, un partenaire financier au Burkina Faso, devant distribuer des versements venant de villages ivoiriens, et qui requiert une avance. Manquant de fonds pour assurer l’écart, l’entreprise a pu demander aux récipiendaires de patienter trois jours – le temps de la réception des fonds – avant de récupérer leur dû. Une deuxième difficulté a eu trait au risque de dépendance à certaines banques, notamment les banques d’Etat. Diversifier le portefeuille et multiplier les partenariats est un autre défi. De plus, certains risques demeurent : comment garantir la sécurité des agents dont le rôle, connu de tous au village, consiste aussi à déposer les transferts en liquide entre leur agence et la banque ? La solution implique d’équilibrer les paiements et les envois et ainsi de réduire, voire supprimer, les déplacements.

Enfin, entrer sur le même marché que MTN et Western Union demande d’avoir du cran et de l’imagination. Alors que ces géants commencent à investir le marché rural, Quick Cash ruse en utilisant le levier communautaire : son marketing sort des sentiers battus avec la complicité de griots et de chefs du village en guise de promoteurs. Les distributeurs au sein de villages sont des personnes respectées par les villageois. Le deuxième levier de démarcation est l’innovation : si le transfert comble des besoins, il y en a bien d’autres. Ces populations requièrent non seulement de transférer de l’argent mais aussi d’épargner. Bancariser ces personnes implique de leur proposer des services financiers intégrant les paramètres propres à leur situation, ainsi que les contraintes règlementaires en vigueur. La cible reste la même mais l’offre s’élargit pour être au plus près des besoins et accroitre l’inclusion financière des populations rurales. Ainsi, de nouvelles offres ont fleuri, telles que le transfert de « cash à compte » et celui de « cash à carte », et que se concocte un projet de paiement à une offre de kit solaire via le mobile.

L’impact sur ces populations jusqu’à alors marginalisées de l’offre financière classique est majeur.  Les données manquent pour quantifier les flux des transferts domestiques en Afrique ; pour Quick cash, depuis sa création, 400 villages ont été couverts, avec plus de cinquante emplois directs créés et plus de 200 indirects en milieu rural.

Le parcours de Quick Cash et de sa fondatrice est édifiant : tout au long de son histoire, Patricia démontré sa détermination à retrousser ses manches et ne surtout pas se laisser abattre par les multiples difficultés rencontrées. Après les débuts laborieux en entrepreneuriat, Patricia a créé Quick Cash avec force de volonté et d’audace : pas de locaux à présenter à un investisseur ? Un ami lui en prête pour le jour J et la supercherie est avouée (et pardonnée) une fois la machine bien lancée. Pas d’argent pour payer les salaires ? Qu’à cela ne tienne, le bras droit de Patricia, convaincu du potentiel du projet, travaille quasi gratuitement pendant un an. Une visite dans les locaux de l’entreprise donne le ton : la petite équipe, bardée de tee-shirts aux couleurs de la société, travaille jovialement. Les efforts et l’enthousiasme ont payé : lauréate du premier prix du patronat ivoirien en 2014 (la CGECI Business Plan Competition), la flamboyante dirigeante, mentor de jeunes entrepreneurs finalistes de la nouvelle édition, transmet aujourd’hui avec entrain sa passion pour l’entrepreneuriat et le développement de l’Afrique.

Merci à Patricia et Juda pour leur aide.

Pauline Deschryver

 

 

 


[1] Source Banque Mondiale

 

 

[2] Aide internationale au développement évaluée à 135,2 milliards de dollars par l’OCDE au 08/04/2015

 

 

[3] Forum G8 à l’Aquila ; Sommet de Cannes du G20 (novembre 2011); Groupe pilote sur les financements innovants

 

 

[4] Le cabinet BCG estime à 98 millions le nombre de comptes mobiles actifs en 2012 en Afrique – « Africa Blazes a Trail in Mobile Money: Time for Banks and Mobile Operators to Devise Strategies"

 

 

[5] Données issues du Global Financial Inclusion Database, avec, dans le top 5 : le Botswana, le Kenya, l’Ouganda, la Tanzanie et la Côte d'Ivoire.

 

 

Que savons-nous de l’agroforesterie ?

agroforesterie-kenya_lightboxEconomie verte… Sommée d’écrire sur cette notion peu familière, j’appelle à la rescousse un expert en la matière, Dominique Herman[1]. Nous décidons de parler des palmiers à huile, culture source de forts dégâts écologiques et présente en Afrique de l’ouest et centrale Ses yeux brillent, mon stylo s’agite tandis que l’agroforesterie entre en scène.

L’agroforesterie, quèsaco ? Voici la recette : au sein d’une exploitation agricole, plantez de vrais arbres, entendez des arbres d’ombrage, ne requérant aucun pesticide et attrayant toute une flore multicolore. Vous obtiendrez un joli mélange bigarré, entre fruits agricoles et arche de Noé. La monoculture cède la place à la biodiversité et le stock de carbone émis est contenu[2]. En bonus parfois, la diminution des risques de maladies, notamment autour des caféiers.  Ainsi, alors que la plantation de palmiers engendre beaucoup de déforestation, l’agroforesterie contribuerait-elle à sauver les forêts africaines ?

Minute papillon : l’agroforesterie n’est pas un super héros. Elle vise à réintégrer les arbres et la biodiversité dans un paysage dominé par la monoculture ou du moins des cultures moins boisées. Ce système agricole se décline en différentes actions et s’articule autour d’acteurs variés. Tour d’horizon. L’histoire commence avec le programme onusien REDD+ (Reducing emissions from deforestation and forest degradation) s’attaquant à la déforestation. L’initiative, lancée en 2005, vise à inciter les gouvernements de pays tropicaux en développement à financer la conservation de leurs forêts. Le processus commence par dresser un inventaire forestier à l’aide d’une carte carbone pour estimer les risques futurs de déforestation. Ensuite, il s’agit de mettre en place des mesures politiques contre la déforestation et les problèmes indirects liés à la déforestation (en particulier le travail des enfants dans les plantations de cacao). Or, les deux étapes sont floues : l’approche d’identification est multifactorielle : quel scenario choisir ? Les mesures anti déforestation sont trop indéfinies pour être suivies, entre diminution des expansions agricoles, lutte contre le déboisement, sensibilisation aux enjeux environnementaux, etc. Sans compter que ces problématiques sont le cadet des soucis des gouvernements ciblés, souvent grevés par la pauvreté et la corruption. Bref, le bilan est morose, ce qui invite d’autres acteurs à se saisir du problème. Des ONG, des associations et des bureaux d’études prennent alors en charge des projets spécifiques et sur une petite surface dite prioritaire. Ils jouent le rôle délaissé par les Etats précédemment. Leur posture d’agent extérieur et leur maitrise du sujet accroit l’impact de leur intervention. Celle-ci se décline en distribution de fours à basse consommation et de promotion de l’agroforesterie et non plus de cultures itinérantes et extensives telles que l’abattis brulis. Un marché nait de ce nouveau système financé par les crédits carbones (CC). En démontrant un écart entre un taux d’émission de CO2 avec et sans leur action, ces acteurs obtiennent un financement en CC. Aujourd’hui les deux modèles s’affrontent, se critiquant mutuellement : le modèle global et régalien avec REDD +, basé sur un fonds vert mondial est dit trop général et dispendieux par ses détracteurs. Le système de projets menés par une myriade d’acteurs, voit son financement par CC vivement critiqué suite à de nombreux scandales (les carbones cowboys) et sa nébuleuse de certifications (VCS, Plan Vivo, CCB, etc.).   

Néanmoins, certains pays tirent leur épingle du jeu en mettant en place des systèmes efficients contre la déforestation. L’astuce a été de trouver un arrangement : le paiement pour service environnemental (PSE). Ainsi, au Costa Rica, le gouvernement s’est engagé avec succès à payer les utilisateurs de zones forestières en échange du respect de certains critères de protection et la Côte d'Ivoire est sur le point d’adopter des mesures PSE pour le parc Taï dont la grande biodiversité est à préserver. Le principe est de compenser les coûts d’opportunité liés à l’implantation d’arbres à la place/avec des surfaces agricoles. S’il est encore trop tôt pour évaluer l’impact de ces mesures, les risques restent forts : certains bénéficiaires peuvent accepter les paiements tant que la perte en coût d’opportunité reste faible (quand les arbres sont encore petits) mais qu’ils les coupent lorsque ces arbres grandissent et qu’une partie des rendements est effectivement perdue ou que la peur de les perdre, en vertu d’un scepticisme très ancré dans l’agroforesterie du cacao, l’emporte. Toutefois, ces coûts peuvent également être nuls, bien au contraire : les récipiendaires gagnant alors de loin au change. Le fonds Moringa Fund a investi ce marché en réhabilitant des zones de culture avec un système agro-forestier. Dans certaines régions d’Afrique de l’Ouest, jusqu’à 75% de la récolte totale de produits ligneux et non ligneux proviennent des parcs agro-forestiers, produits sources de revenus pour les communautés locales. Cependant, si un intérêt croissant pour les PSE est porté à l’Afrique, la majorité des PSE ont jusqu’à présent été instaurés en Amérique latine, en Europe et en Asie. Les PSE requièrent non seulement des agents privés mais également des structures publiques solides et un engagement des autorités fort pour assurer leur efficacité.

Pour conclure ce panorama, focus sur l’action d’une multinationale dans la lutte contre la déforestation. Un bref retour historique s’impose : suite aux critiques sur les effets polluants et contraires aux droits de l’homme que sa production engendre, l’huile de palme a fait l’objet d’un accord en 2004, le Roundtable on Sustainable Palm Oil (RSPO). Porté par Unilever et WWF, le RSPO est un système de label applicable à l’huile de palme. Néanmoins, cette norme reste floue quant aux enjeux de la déforestation (sur le drainage des tourbières par exemple),  et de son impact sur les populations. De nombreuses ONG la critiquent et entament de vives critiques contre les multinationales qui l’utilisent. Nestlé subit les foudres de Greenpeace (Cf. campagne Kit Kat killer) en vertu de sa position de leader sur le marché. Cette confrontation fait place à un accord constructif entre la multinationale et l’ONG, facilité par le directeur de The Forest Trust (TFT), Scott Poynton. Nestlé s’engage alors à assurer la traçabilité de son approvisionnement d’huile de palme selon des critères d’approvisionnement responsables (les RSG) : l’enjeu est sauvegarder les forêts secondaires et de veiller au consentement libre et informé  au préalable des populations (CLIP). Au Liberia, l’entreprise GVL qui fait partie du groupe Indonésien Sinar Mas (du sous-groupe Golden Agri Ressources) a transformé ses pratiques suite aux campagnes de Greenpeace et la pression de Nestlé. Si GVL n’exporte pas, étant encore en phase de plantation, son huile n’est pas à ce stade intégrée dans les chaines d’approvisionnement de Nestlé. Le géant agroalimentaire veille en revanche très attentivement à ce que ses principaux fournisseurs d’huile de palme, principalement en Indonésie et Malaisie (80-90% de la production mondiale), revoient ainsi leur copie grâce à un travail d’évaluation et de traçabilité sur toute la chaine d’approvisionnement, jusqu’à la plantation. Les ONG enclenchent alors la phase finale de leur bataille : taper sur les fournisseurs de Nestlé, en premier lieu Sinar Mas, dont la marge de manœuvre est déterminée par ce dernier. Si le fournisseur refuse d’obéir aux règles de planification d’usage des terres, Nestlé menace de clore le marché. Ainsi, Nestlé et d’autres acteurs ont arrêté de se fournir auprès de Sinar Mas (Golden Agri) lors de la campagne médiatique lancée contre eux. Mélange des fins – préserver sa réputation et respecter les principes environnementaux – les moyens sont assez lourds pour modifier les comportements. L’ONG TFT, acteur hybride entre ONG et bureau d’études, très actif en Afrique (en Côte d'Ivoire et au Liberia en particulier), travaille avec plusieurs entreprises agro-industrielles de l’huile de palme (www.tft-earth.org). L’ONG a ainsi développé la méthodologie High carbon stock forests (HCS), qui distingue les zones à la végétation dégradée des forêts secondaires à préserver.  

Tandis que l’huile de palme est toujours autant plébiscitée (cosmétiques, agro alimentation et agro-carburants), les forêts rétrécissent. Néanmoins, clouer au pilori l’huile de palme est vrai et acceptable à condition que les aspects environnementaux et sociaux mentionnés plus haut ne soient pas pris en compte. D’une part, des huiles propres existent, tout un chacun peut se renseigner notamment via des comparatifs sur internet. Le travail d’organisations comme le TFT est justement d’accompagner les acteurs liés à l’huile de palme à faire preuve de transparence et à ne pas avoir honte de transformer positivement leur chaine d’approvisionnement. D’autre part, la morgue des consommateurs occidentaux pour cette huile n’empêchera pas la dynamique exponentielle de l’huile de palme (dont la production est jusqu’à dix fois supérieure à l’hectare que ses concurrentes[3]), tirée par la hausse de la population africaine et de la demande asiatique.  

Pauline Deschryver


[1] Dominique Herman est ingénieur forestier tropical de formation (AgroParisTech – Engref). Il travail pour le TFT en tant que chef de projet, en Afrique de l’ouest (Côte d’Ivoire, Libéria et surtout Nigéria).

 

[2] Pour plus d’informations, visitez le site www.agroforesterie.fr

 

[3] Pour produire autant d'huile que 1 hectare de palmiers, il faut 6 hectares de colza, 8 de tournesol ou 10 de soja

 

Cécile Fakhoury – Galeriste à Abidjan

La galerie Cécile Fakhoury est un îlot en bordure du tumultueux boulevard Latrille. Une enceinte pourvue d’un cube de béton, pavée de verdure et plantée d’étranges sculptures en bois. Un tour de l’exposition en cours et nous filons dans une pièce aérienne et épurée, à l’image de la maitresse des lieux. Cécile Fakhoury nous écoute, nous sommes un peu intimidés … Qu’est-ce que l’art contemporain ?

IMG_5850-copieL’histoire a débuté il y a bien longtemps. Fille d’un galeriste, collectionneur d’art moderne, la voie était toute tracée. Quoique. Après des études parisiennes, la française débarque à Abidjan et décide d’ouvrir une galerie, sa galerie ; nous sommes en septembre 2012. Les débuts sont difficiles, stigmates de la crise obligent. La machine est lancée, pivotant entre les deux pôles des marchés local et international. Les ventes varient mais l’aspiration reste la même : développer le marché local, tout en s’inscrivant dans l’écosystème international de l’art contemporain. La galeriste, qui bat le pavé des foires mondiales – « le nerf de la guerre » – affirme son plaisir à vendre à Abidjan. Cette satisfaction se lit dans les histoires des artistes présentés. Nombre d’entre eux ont un passé nomade, ils sont partis et revenus au pays, à l’instar de Jems Robert Koko Bi ou de François-Xavier Gbré. Les œuvres du premier sont massives, assaillantes, convoquant le sur-place. Il vit en Allemagne. Le second, qui vit et travaille en Côte d’Ivoire, somme le spectateur de lire l’événement dans le vide. Ses photographies témoignent d’une histoire du silence où l’homme, absent sur l’image, est au cœur. Des histoires invisibles pourtant criantes et inexorables.  Des artistes bel et bien présents, de « bons témoins » de leur époque.

Quand Cécile Fakhoury parle, le « nous » abonde. Les artistes présentés dans la galerie deviennent un groupe emporté par un élan, une vocation. « Le projet de ma vie », nous glisse la galeriste : titillée sur ses talents entrepreneuriaux, Cécile Fakhoury nous parle de sa volonté de placer ses artistes dans de bons musées, de construire et de sortir avec eux du pays … pour mieux y revenir. Rencontrés au fil des cercles d’initiés, d’ici et d’ailleurs, les artistes de la galerie Fakhoury ont des profils divers et jouent avec des palettes variées (photographie, sculpture, peinture, etc.). Leur « dénominateur commun » est de raconter notre vie d’aujourd’hui. Cet ancrage ultra actuel, en opposition à l’art moderne, est le suc de l’art contemporain pour la galeriste et la caractéristique de ses artistes. 

La vocation va de pair avec une démarche résolument pragmatique. La galerie devient une « structure économique », un « espace commercial » : la question n’est pas posée, sans ambages l’art est synonyme de marché pour Cécile Fakhoury. Si elle ne se retrouve pas dans le qualificatif d’entrepreneur – trop proactif pour elle – la galeriste évoque son cube en « son projet », « sa réalité quotidienne », nourri de son attrait artistique depuis l’enfance. 

Affirmant sans détour que l’aspect financier est inexorable, Cécile Fakhoury partage une vision enthousiaste sur le marché de l’art contemporain africain. 15_JRKB_nomansland_Expo_vues_GCF_6De nombreux facteurs participent à son développement, avec l’essor de multiples foires internationales (Art Dubaï, 1 :54 et Freeze London à Londres, biennales, etc.). L’attrait et la motivation pour l’art, perdus pendant les crises, reviennent petit à petit. A Abidjan, cette curiosité renouvelée participe à la multiplication des propositions et à l’ouverture de nouveaux lieux, tels que la fondation Donwahi. Avec cette dernière, voisine de la galerie Fakhoury, les liens sont vifs pour « créer un pôle » dans la ville. S’engager à développer un marché local contribue à nourrir un marché international, l’un n’allant pas sans l’autre pour la galeriste. Cette stimulation bat en brèche l’idée d’une concurrence néfaste : la rareté des acteurs sur le marché l’en prévenant. Cécile Fakhoury concède rêver de voir pousser une galerie en face de la sienne, « un marché ne se fait pas tout seul ». Sa vision d’une meilleure dynamique grâce à un tissu plus dense de galeries détonne dans le discours commun.

Quant à savoir qui sont les acheteurs, le discours se répète. A l’instar de l’art traditionnel, l’art contemporain africain reste malheureusement peu connu des autochtones. La foule et la gloire des expositions au Quai Branly ne trouvent guère d’équivalents sous nos tropiques. Les étrangers demeurent les premiers acquéreurs des œuvres produites sur le continent noir. D’où l’enthousiasme et la fierté quand des locaux se font collectionneurs. Portrait robot de ces derniers : des jeunes entre 30 et 40 ans ayant fait leurs études hors d’Afrique. Cette tendance est à entretenir, d’où les efforts de sensibilisation déployés par la galerie. Avec son équipe, la communication inclut des actions de visibilité sur les réseaux sociaux, sur le site internet et des évènements ponctuels. Les plus jeunes, au cœur de l’envie de la galeriste de faire connaître cet art, sont loin d’être oubliés. Le cube blanc se transforme de temps à autres en cour de récréation, une fois le scepticisme général des parents abidjanais surmonté…

Pauline Deschryver

Source photo Galerie Cécile Fakhoury /

Site de la galerie http://cecilefakhoury.com/

Paul Sika: Portrait of a photo maker

511px-Paul_Sika_portraitPaul Sika is a diamond… I’d say. Do you suddenly feel the urge to stop your reading? Do you think this article aims only to flatter? Not at all! The artist we are refering to is multi-talented, sometimes playful and sometimes spiritual. At the end of our interview, I was lost in thought on my way home. I was facing a dilemma…an intriguing one at that.

A journey from unexpected initiation to an absolute quest

While he was studying computer sciences in London, Paul had a revelation. This was the beginning of him doubting his career path. His calling was sealed when he saw a movie trailer of Matrix 2 through the window of an electrical appliance shop. Paul casually adds that this was the beginning of an ‘‘unconscious cycle’’. Brought up on mangas and video games, this experience was different, because his love for art came from an American blockbuster.

This triggered him to invest in a very nice camera and despite what critics said, he began to wrap-up anything and everything. His choice of photos and not videos is very interesting because the static effect of a photo as an intermediary, offers an exercise which matches his meticulous personality. So, for this reason added to his fondness for this vocation, Paul decided to continue in this line. A great defender of ‘‘photo making’’, Paul’s works reflect what happens when cinematography techniques are transposed on glossy paper.

Self-taught in dark rooms, he started his training first in cinema, but this lasted for a short time. He noted all the important details in a small notebook. Next, he moved on to fashion photography but he found this boring. Slowly, his path of Tom Thumb progressed to a bigger vision. Paul began to define his theory, gaining more insight into his path and his search. For him, ideal beauty can blossom in art, mathematics, or sport. It can be found in each one of us. The most important is to align your path in order to discover this jewel.

So Paul came up with this word, ‘‘transcendence’’. Do not be afraid, to each his own, means to break through. The painter-photographer refers to Drogba, who he is quite familiar with. Drogba had found his jewel that gave birth to beauty and which transcended something which was thought inaccessible by the layman. A modern Plato, in search of a stunning grail but also in love with SpongeBob. These are contrasting elements.

 

The real struggle between fiction and real life.

At the Heart of Me - Paul SikaFor Paul Sika, there exists a dilemma in the concept of art. He describes himself as a sponge, absorbing real life with his appetite. Real life is captured in full view. The objects rustle and bustle in the deafening splash of colors. These colors swatches purify each other through the link created by the artist. That is to say that, pictures are just a visual medium for things that are and have to be beautiful. Paul Sika abandons politics and chatter and reunites pure imagination. He sees himself as a story teller. He says, ‘‘I am telling a story, a saga’’. The flash of images, this mix, forms a puzzle that is easy for everyone to receive.

The aim is to first touch and then give off a meaning. Paul orchestrates this process which places discovery over creativity. Discovery becomes a test even for the audience. In the midst of this ethereal inquisition, we recognize a reflection of some childhood longings, as the artist would like to mention the cartoons and mangas of his childhood days. His world is woven by these animated threads, which he identifies as a world of "true artists", far from the glass-walled galleries in London and Paris. However, remember that this man is a geek but also an aesthete. If a video game is not beautiful, it is quickly forgotten. Also, humor is a very important criterion. In this domain, SpongeBob is a winner that takes it all; this young character cheers people up. For Paul, he does more for humanity than the vague contemporary art creations. Touching lives is the major aim of the story.

Childhood and Pragmatism: ‘‘The cool attitude’’

Another thing that you should know about Paul is that he is a cool person. He has this air of intelligence and a humorous smile. With all these qualities, he invites us all to ‘‘enjoy life…’’ to love it. Being famous does not mean a thing to him. His only aim is to have his works viewed by others that they may belong to others and also be perceived as cool to other people.

This feeling stems from his love for children stories. This can be seen in his love for Mickey and Minnie. Paul also thinks that Disney is a wonderful and talented artist, a creator of emotions who is capable of healing hidden wounds. If childhood is a situation where all is cool and possible, Paul encourages us never to fear our imagination but to nourish it and continue to search for whatever we left behind while we were growing up.

Do you think Paul has his head in the clouds? I do not think so. When I asked him about his view of art in Africa, the artist was skeptical. He has quite a contrasting view to his colleagues in the industry. He accepts the practical side to his ideas. For him, Art is still at its beginning stages in Africa, mostly because it is not accessible to everyone. The supply chain needs to be better developed and adapted to African reality.

More particularly, gallery owners need to remodel their businesses to fit the local industry and they should separate their vision of art from the European model, which does not work in Africa. Most people think that art is not for them, so sharing should be the major objective so that people can easily appropriate art.

On the Meta-conceptual question, ‘‘is there art in Africa or can we call it African Art?’’ Paul gives a mischievous smile and suggests that we refer to the jewel within us…

Paul has both feet firmly on the ground. His childhood dreams are still balanced by his clear pragmatism in the art industry. He uses terms often abandoned by others as he highlights the need to understand the vocation especially in distribution, which is a major part of the business. He adds that it is important to focus on the administrative part of the vocation. In all, it is important to have a thorough understanding of the business, in order to be part of it.

On this basis, he is presently involved in training for young Ivoirian entrepreneurs and in other entrepreneurial initiatives. One of his fears is not being able to multitask. He does not like to put on only one cap but enjoys that of being the eager and willing communicant. His bipolarity is impressive. His ability to be creative and to be a manager, allows him to direct his business in an expert way. His multitalented personality inspired a fellow artist and friend from Ivory Coast, Jean-Etienne Yangzi to say ‘‘in our time, Africa needs us to be multi-talented’’.

In conclusion, Paul Sika encourages us to plunge in, to continue to impact humanity. Nothing more than that…

Peut-on envisager un programme de transfert conditionnel efficace en Afrique ?

959220-1017L’idée d’adopter en Afrique le programme brésilien de Bolsa família a été suggérée dans un dernier article. Familière pour certains, cette initiative mérite d’être examinée de plus près tout en s’interrogeant sur la pertinence d’une transposition sur le continent africain.

Lancé en 2004 par le gouvernement Lula et soutenu par la Banque Mondiale, le programme Bolsa família repose sur une idée simple : sur la base d’un contrat entre l’Etat et un foyer pauvre ou extrêmement pauvre, représenté par la mère de famille, est versée mensuellement une somme destinée aux enfants, à la condition que soient fournis régulièrement des justificatifs de scolarisation et de soins. Concrètement, une base cadastrale de données fédérales permet de cartographier les foyers bénéficiaires selon leurs revenus. Le montant, qui avoisine les 20 euros par mois, est déposé sur un compte bancaire pour lequel chaque famille dispose d’une carte de crédit spéciale. Le registre fédéral permet d’enregistrer les familles travaillant dans les secteurs formel et informel. Aujourd’hui, la Bolsa família s’adresse à près de 13 millions de familles, soit 50 millions de personnes (sur une population d’environ 200 millions d’individus). Depuis 2004, en termes de résultats, ce programme, allié à d’autres initiatives sociales, a permis de sortir de la pauvreté 48 millions de Brésiliens, en diminuant d’environ 16% le taux de pauvreté dans le pays et en abaissant le coefficient de Gini de 0,59 en 2003 à 0,49 en 2012 (sur une échelle allant de 0 à 1, 1 équivalant à des inégalités maximales). Plus généralement, la Bolsa família a deux effets vertueux principaux : elle soutient l’investissement des ménages dans la santé et l’éducation de leurs enfants tout en responsabilisant les parents; elle permet de rompre le cycle intergénérationnel de la pauvreté. A plus long terme, le programme a permis de modifier structurellement les conditions socio-économiques des familles bénéficiaires. De nombreuses études soulignent en effet que le panier des foyers fait davantage place à des produits destinés aux enfants (nourriture, vêtements). Ce changement transforme progressivement l’économie locale, favorisant petit à petit une évolution économique positive. Au plan sanitaire, la mortalité infantile s’est considérablement réduite tandis que, au plan éducatif, des taux de scolarisation accrus ont permis d’offrir une main d’œuvre plus qualifiée et mieux insérée sur le marché du travail.

Si la Bolsa família est connue internationalement, c’est parce qu’elle est le plus emblématique des programmes de transferts conditionnels (PTC). En termes moins technocratiques, ce jargon renvoie à des mesures offrant des sommes d’argent à des bénéficiaires en situation de précarité, en échange d’actions concrètes et vérifiées portant sur les domaines éducatif et sanitaire. Déclinés en différentes propositions nationales, les PTC font florès, comme en Afrique du Sud (avec le Child Support Grant), en Inde et dans plusieurs pays d’Amérique du Sud (au Mexique, avec Oportunidades), ainsi qu’à New York (la ville a ainsi développé l’Opportunity NYC). Ce succès est en partie dû à la souplesse des PTC. Ces derniers appartiennent à la famille élargie des transferts sociaux qui se subdivisent en différents segments selon les cibles et les objectifs. Les modalités diffèrent entre transferts monétaires, non monétaires (en nature) et quasi monétaires (coupons, bons, etc.) ; les subsides peuvent être conditionnels (scolarisation, travail, formation, visites médicales) ou pas. En outre, le ciblage varie : les transferts peuvent être individuels, géographiques, communautaires ou catégoriels.

Malgré ce succès international, des éléments de la Bolsa família et des PTC en général sont discutables. Deux points principaux d’ordre sociologique apparaissent en premier. D’une part, la Bolsa família et d’autres PTC font de la mère de famille le bénéficiaire et gestionnaire des fonds reçus. Si cette attribution semble logique étant donné le rôle clef joué par les mères auprès des enfants, elle renforce sa responsabilisation; ce qui peut être lourd à porter en cas de difficultés. D’autre part, les PTC reposent tous sur une logique contractuelle qui place les bénéficiaires sous une sorte de tutelle. Cette responsabilisation forcée dessine en creux une critique négative des pauvres, comme si, incapables de se gérer eux-mêmes, ils devaient être pris en charge selon une logique d’encadrement et de contrôle renforcés.

Au-delà de ces aspects, la transposition des PTC en Afrique soulève d’autres questions. Pour être efficient, un PTC repose fondamentalement sur des capacités institutionnelles solides, en amont et en aval. En amont, il suppose des ressources administratives de qualité permettant d’assurer un ciblage approprié de la population cible, un suivi rigoureux de l’application de la conditionnalité et des moyens financiers suffisants pour assurer des coûts directs (l’allocation même) et indirects (les coûts de suivi). Or, si certains pays d’Afrique sont dotés de ressources suffisantes pour garantir ces critères (les pays du Golfe de Guinée notamment), beaucoup en sont dépourvus. En outre, la démographie africaine, avec un nombre d’enfants par femme supérieur à la moyenne des autres pays où ont été mis en œuvre des PTC (5 enfants par femme en moyenne et plus de 7 au Niger, 8 au Nigéria)[1], rend la problématique de coûts directs plus aigue. De plus, le faible niveau général de bancarisation (autour de 11% en moyenne avec cependant des écarts selon les régions et les pays[2]) complexifie l’accès aux transferts monétaires. Enfin, le niveau de corruption élevé en Afrique (avec toutefois encore des exceptions remarquables comme le Lesotho, le Rwanda et la Namibie)[3] rend plus épineuse la bonne gestion des fonds. En aval, les PTC doivent être capables de fournir une contrepartie acceptable selon les termes de l’échange. En effet, dans le contrat, les bénéficiaires, tenus de fréquenter assidûment des établissements éducatifs et sanitaires, doivent être en mesure d’avoir accès à des services de qualité. Sans des services publics satisfaisants, les PTC n’apportent aucune valeur à leurs bénéficiaires sur le long-terme. Or, en termes d’institutions publiques, l’Afrique reste encore mal lotie (les pays africains représentant 1 % des dépenses mondiales de santé)[4]. Sur le long terme, les défis concernent le potentiel effet de dépendance (générant un « effet de revenu ») ; toutefois, avec de très faibles montants, le transfert devient non pas un substitut mais un complément de revenu. De plus, il est important d’indexer le montant du transfert sur l’indice des prix à la consommation, comme l’a fait le Botswana, afin de conserver le pouvoir d’achat des ménages bénéficiaires (même si cela est complexe en pratique, avec des Etats au budget peu flexible).

Toutefois, ces notes pessimistes ne doivent pas écarter toute possibilité d’adoption des PTC. Certains pays africains, et pas seulement l’Afrique du Sud, ont fait leurs ces programmes, selon des modalités originales d’appropriation. Ainsi, au Burkina Faso, un programme pilote a fait preuve d’inventivité pour déjouer les défis énoncés précédemment. Point de banque mais une distribution manuelle lors de réunions collectives au sein des villages ; pas d’inspecteurs mais des maires appelés à vérifier scrupuleusement le carnet scolaire des enfants après appréciation par l’instituteur de la commune[5]. A ce jour, les OTC ont également été appliqués au Ghana (LEAP), au Kenya (CT-OVC) ou bien encore au Mozambique et au Botswana.

Innovative development financing in Africa

1852367421Many different financial instruments coexist to support the development of the continent. The main source of funding development in Africa is the public development aid which has already provided 125.6 billion USD dollars to 160 countries. Other sources that are not linked to any multilateral organisations also exist. Some are developped by the recipient countries themselves, such as public-private partnerships and recourse to debt. Other sources involve the transfer of funds by the African diaspora. According to the World Bank, these funds reached 351 billion dollars in 2011. It represents more than the double of the public development aid.

These financial flows have a mixed impact on development. The efficiency of multilateral development aid is questioned. A growing number of donors are intervening to increase the efficiency of multilateral aids, improve information and predictability and reduce the amount of multilateral funds while providing funds to more countries. Some vulnerable countries do benefit from voluntary aids called New Deals. It has been observed that since the 1980s and 1990s, private investments have taken the lead on public aids. More and more public-private partnerships have been developped by individuals and companies. Thus, more and more innovative sources of funding of development have been implemented. They are more consistant and predictable than the public development aid. These innovative systems involve public and private entities that fund local companies in a more sustainable way. For instance, Danone Communities is an investment fund that has shown great results. The aim of these new funding mecanisms is to reduce poverty and inequalities and compensate for the financial deficit, in accordance with the Millenium Development Goals. It is crucial to reach these goals in a context where the needs of the countries are increasing while budgets for public development aid are tightenning.

There are four main types of innovative funding.

1. Voluntary contributions : they are implemented by the Millenium foundation to improve health system. It also includes the funds immigrants invest in their home country.

2. Compulsory contributions : these are taxes on national and international financial transactions (taxes on air tickets and possibly on financial transactions).

3. Loan guarantees : these are pre-funding mecanisms on financial markets covered by a public guarantee.

4. Various market-based mechanisms such as auctions of carbon dioxyde emissions.

There is a controversy over taxes on financial transaction. This tax is an efficient way to raise money without weighing on financial markets. At a rate of 0.005 %, it could help raise 30 billion dollars annually. Nevertheless, this tax is very controversial because of its public opportunity.

Other innovative sources of funding include Output Based Aid programs of the World Bank and mechanisms of decentralised cooperation and carbon compensation by companies. Thus, the GERES NGO intervenes in Cambodia and Africa since 1987 to manufacture and sell solar ovens.

These innovative fundings are all the more important since public development aid is lessening. The African continent is attracting new donors such as China, Brazil, Russia. However, South-South funding follows a different set of rules. These countries invest in building infrastructures from the profits of natural ressources, develop the private sector and give priority to turnkey projects. They are more flexible and demand less in return from the countries they invest in. These new investors tend to develop the private sector and favour projects directly involving companies. These projects are on the rise but also more likely to suffer from corruption. It is difficult to gauge the actual impact of these investments for the development of the continent. These innovative sources of funding are crucial to compensate for the lessening of funds available to support development. Although the public development aid has a central place in funding the development of African countries, other innovative sources are essential to raise consistant and sustainable funds. However, the real issue here is whether these funds are really appropriate for the needs and economies of African countries.

Translated by Bushra Kadir

Faire de l’éducation un levier de développement en Afrique

diplômés-africains-300x196Le discours sur l’éducation en Afrique est bien souvent sombre, empreint de soupirs face à un constat d’échec. Pourtant, une certaine perspective s’impose : l’école pour tous n’existe que depuis les indépendances, il y a seulement 50 ans en somme. Parler de crise inexorable de l’éducation en Afrique, éplucher les rapports alarmants des organisations internationales est à relativiser dans la mesure où la mutation vers un enseignement élargi est assez récente. Postindépendances, deux défis de taille émergèrent : accueillir sur les bancs de l’école non plus seulement les élites mais la masse et africaniser l’enseignement.

Or, atteindre ces objectifs signifiaient surmonter de nombreux obstacles. Pour beaucoup de pays, à l’exception notable du Bénin et de l’Ethiopie, le livre représentait un objet peu familier. En outre, offrir une éducation de masse impliquait et implique d’en avoir les moyens, problématique de taille pour de nombreux Etats. Cette difficulté est d’autant plus cruciale lorsque la démographie n’arrange guère les choses : avec plus de 50% de sa population en âge d’étudier, l’Afrique a davantage à mettre la main au portefeuille que l’Europe, qui ne compte que 15% de têtes blondes et d’étudiants. Enfin, les crises politiques connues par la majorité des Etats africains ont frappé en premier les structures institutionnelles éducatives. Le manque ou l’absence de moyens ont créé une jeunesse déscolarisée, tombant bien souvent alors dans l’escarcelle des milices en tous genres, à même de leur fournir un semblant de statut social.

Si ces problèmes ont peu ou prou été dépassés par une amélioration économique et géopolitique globale, des difficultés demeurent, handicapant de manière plus structurelle l’essor qualitatif de l’éducation en Afrique. De nombreux pays persistent à favoriser l’éducation des élites, afin de les transformer en ambassadeurs internationaux. Ambition noble mais inégalitaire et porteuse de cruelles pertes (« fuite des cerveaux ») pour le continent. De plus, la faiblesse des rémunérations des enseignants, pointée par de nombreux rapports, ne permet pas d’assurer un enseignement de qualité avec des professeurs devant jongler entre différents emplois pour joindre les deux bouts. Ce déficit qualitatif se retrouve également dans l’inadaptation des programmes scolaires qui affecte près de 31 pays, générant ainsi un gaspillage navrant comme au Burundi où 70% de l'argent est dépensé dans une éducation insatisfaisante[1]. En outre, tandis que le primaire devrait être le récipiendaire prioritaire des investissements par son rôle socle et inclusif, ainsi que par le taux de rendement d’éducation supérieur aux autres niveaux, il est celui dont le taux de croissance est le plus faible[2]. En Afrique Subsaharienne, près d’un enfant sur quatre en âge de fréquenter l’école primaire (23%) n’a jamais été scolarisé ou a quitté l’école sans terminer le cursus primaire.

Toutefois, quelques tendances positives sont à noter dans ce discours peu encourageant. Premièrement, même si l’écart entre l’éducation des filles et celle des garçons est fort (sur 30 millions d’enfants non scolarisés, 54% sont des filles), il se réduit progressivement mais à pas très lents, entravé par de nombreux obstacles combattus notamment par l’initiative « Parce que je suis une fille »[3]. Deuxièmement, les gouvernements africains, en prenant conscience du mouvement massif du continent vers les outils numériques (que l’on songe au boom du mobile banking sur le continent), ont commencé à intégrer l’enseignement des NTIC dans les programmes scolaires comme en Côte d’Ivoire ou au Sénégal. Troisièmement, toujours selon une meilleure compréhension des besoins de leur population, des Etats africains comme le Ghana (Loi COTVET de 2006) se mettent à promouvoir des enseignements techniques et professionnalisants, à même de répondre aux nécessités du marché de l’emploi, tant formel qu’informel[4]. Enfin, parce que l’Afrique est un ensemble non indifférencié, certains pays tirent leurs épingles du lot : si le taux d'alphabétisation des adultes en Afrique est parmi les plus faibles au monde, deux pays dépassent la barre des 50%, à savoir : le Cap-Vert (83%) et le Ghana (64%)[5].

Prendre acte de la nécessité de développer une offre éducative de qualité – et non pas tant seulement en quantité, comme nous y poussent à croire les OMD de manière partielle – et adaptée aux besoins permet de concilier au mieux éducation, développement et bien-être. En effet, de nombreuses études soulignent l’étroite corrélation entre éducation d’une part et croissance et santé d’autre part. Le rapport de l’UNESCO met en avant ces relations vertueuses : l’éducation est un moteur de croissance où, dans les pays à faibles revenus, une année supplémentaire d’éducation se traduit par un gain de revenu de près de 10% en moyenne[6]. Des gains sanitaires sont aussi présents car l’éducation permet de réduire significativement la mortalité infantile. Des femmes et des mères mieux éduquées et informées font des choix plus avisés sur leurs lieux de soin, d’accouchement et sur les vaccins. L'Unesco estime ainsi que si toutes les femmes des pays les plus pauvres achevaient au moins l’enseignement primaire, le taux de mortalité infantile reculerait de 15%. Cette corrélation se retrouve aussi pour l’épidémie du VIH Sida, l’éducation jouant un rôle clef pour enrayer la propagation[7].

Cet ensemble d’éléments amène à se demander comment l’Afrique peut poursuivre sa trajectoire de croissance tout en assurant un enseignement de qualité et de masse. S’inspirer de modèles adoptés par des pays en développement est une voie, comme nous y invitent certains spécialistes. L’idée d’un chèque éducation, ou « voucher », sur le modèle indien est une piste intéressante, permettant de renforcer la responsabilisation des établissements et des parents, en finançant directement les élèves et non les écoles[8]. De même, opter pour une sorte de « Bolsa Familia » sur le modèle brésilien permettrait de subventionner les produits de première nécessité des familles défavorisées envoyant leurs enfants à l'école.

Ces propositions démontrent in fine que l’accent mis sur l’éducation va de pair avec le développement économique. C’est toute la stratégie déployée par le Consensus de Pékin et assurée en Afrique par une offre très généreuse : le forum de coopération entre la Chine et l’Afrique de Pékin en novembre 2006 a vu de grandes promesses d’aide (renforcement de la formation de spécialistes africains dans différents secteurs, une assistance pour la mise en place de cent écoles, l’augmentation des bourses aux étudiants africains voulant étudier en Chine, et une offre de formation pour les responsables éducatifs et les directeurs des institutions éducatives majeures)[9]. Toutefois, lier étroitement éducation et croissance économique est à questionner. Si l’offre de la Chine est attrayante, l’examen de l’application de son propre modèle sur son territoire invite à s’interroger sur son adéquation pour l’Afrique. Est-ce l’éducation ou le développement économique qui est mis au service de l’autre ?[10] S’il ne s’agit pas de faire ou pas le procès du modèle chinois, il convient en revanche de s’interroger sur le modèle éducatif optimal pour l’Afrique. Ce questionnement, s’il est large et complexe, invite néanmoins à appeler de ses vœux un système africain, prenant en compte les spécificités nationales et panafricaines. L’intégration pleine et fière de l’enjeu agricole dans des formations prestigieuses et démocratiques est une piste, il y a en bien d’autres.

Pauline Deschryver


[2] En outre, le nombre d’enfants exclus de l’école y a augmenté, passant de 29 millions en 2008 à 31 millions en 2010.

 

[5] Etude « From closed books to open doors – West Africa's literacy challenge »

 

[6] Une étude par l’UNESCO menée dans 50 pays entre 1960 et 2000 a montré qu’une année supplémentaire d’éducation pouvait générer une augmentation du PNB jusqu’à 0,37% par an.

 

[7] Rapport mondial de suivi sur l’éducation 2011 ; seules 59% des mères ne disposant d’aucune éducation formelle dans 16 pays d’Afrique subsaharienne savaient que le préservatif est un moyen d’éviter la contamination.

 

[10] Dans son discours de 1978 lors de la Conférence nationale sur l’Education à Pékin, Deng Xiaoping prônait un système éducatif mis au service de l’économie.

 

Quel rôle pour les fonds souverains dans le financement du développement de l’Afrique ?

fonds-souverainsCe billet est le deuxième numéro de la série consacrée aux moyens innovants de financement du développement. Il discutera des fonds souverains.  Il s’agira d’abord d’en saisir les lignes générales, avant de mesurer leur contribution potentielle au financement du développement de l’Afrique, tant pour les fonds souverains non africains qu’africains.

Un fonds souverain est un instrument d’investissement à disposition des Etats. Selon le FMI, ils « détiennent, gèrent ou administrent des actifs pour atteindre des objectifs financiers ; ils ont recours à des placements sur des actifs étrangers et nationaux ». Aujourd’hui, le montant total géré par les fonds souverains s’élève à environ 6 000 milliards de dollars dans le monde. Un fonds souverain s’appuie sur la capacité d’un État à accumuler des devises, selon quatre types de ressources :   excédents de la balance des paiements ; opérations sur devises ; produit des privatisations ; excédents budgétaires et / ou recettes tirées des exportations de produits de base.

Créer un fonds souverain résulte d’un arbitrage sur le coût de détention de l’excédent de ressources. Selon le type d’excédents – de paiements courants ou issus de l’exportation de matières premières – le calcul diffère. Pour les premiers, l’arbitrage se situe entre le coût d’opportunité de garder les devises et l’atout qu’elles procurent pour pouvoir lisser les profils de consommation en cas de choc externe. Dans cette problématique, les fonds souverains représentent un moyen de gérer ces réserves excédentaires selon une stratégie de diversification afin d’en tirer un rendement supérieur. S’ajoute à ce choix la prise en compte d’un effet d’appréciation de la devise nationale. La Chine représente à ce titre un exemple majeur de stratégie d’accumulation de devises pour maintenir une compétitivité élevée des exportations en sous-évaluant son taux de change ; cette allocation des revenus, en termes de développement, est discutable dans la mesure où elle peut pénaliser la consommation des ménages chinois et donc leur niveau de vie. En revanche, pour les fonds issus d’excédents tirés de ressources naturelles exportées, l’enjeu est de savoir s’il vaut mieux exploiter ou garder la ressource, et en cas d’exploitation, quelle est la manière optimale d’investir les fruits de ces exportations entre consommation et investissements ? La clé de l’interrogation réside surtout dans le caractère non renouvelable de ces ressources. Ainsi, les fonds souverains permettent de faire perdurer l’avantage issu des ressources au-delà même de leur durée de vie en les investissant sur du long-terme. C’est toute la stratégie déployée par les fonds qatari[1] et norvégien[2] pour les richesses tirées du pétrole ou de l’île de Kiribati[3] pour ses mines de potasse.

Cependant, une parenthèse est requise pour introduire les fonds souverains dits de développement (FSD), qui obéissent à une logique spécifique. En effet, a priori, un fonds classique n’est pas créé selon une logique d’aide au développement. Un FSD se distingue en investissant des capitaux dans divers secteurs d’activités utiles au développement du pays et sur le long terme. Le fonds du Koweït pour le développement économique arabe ainsi que le Fonds arabe de développement économique et social en font partie. Le dernier, avec un capital d’environ 3 milliards de dollars, finance des projets de développement, fournit une assistance technique et promeut le développement du secteur privé.

Néanmoins, la distinction entre APD et contribution des fonds au développement reste floue : dans quelle mesure les investissements des fonds souverains dans les PED sont-ils des moyens innovants de financement du développement à part entière ? Ils sont distincts de l’APD classique, fonctionnent sur des partenariats entre public et privé, et sont basés sur des ressources stables et prévisibles. A l’inverse, l’APD originelle, celle du Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE peut être assimilée à un fonds souverain de développement. Avec un flux annuel supérieur à 100 milliards de dollars, le CAD s’apparente à un fonds public de 2500 milliards, avec un rendement, consacré à l’APD, de 4%.

Outre les fonds spécialisés cités précédemment,  une tendance apparaît avec de plus en plus d’acuité où des fonds souverains non africains contribuent au développement de l’Afrique. La contribution chinoise sur le continent est à ce titre remarquable : les projets d’investissements d’entreprises d’Etat chinoises dans les infrastructures et les ressources naturelles ont beaucoup augmenté, et sont catégorisés « aide au développement ». Pour la Chine, il est toutefois moins question de philanthropie que d’accompagnement avisé de ses entreprises dans un espace économique en plein essor. Cependant, les deux finalités ne sont pas incompatibles, bien au contraire, et c’est tout l’enjeu pointé par Bill Gates[4], et repris lors du Forum mondial sur l’investissement de la CNUCED[5]. Inciter les fonds souverains à financer des projets contribuant au développement dans les PED implique d’établir de nouveaux partenariats avec ces pays. Dans cette logique, les fonds souverains renforceraient leur exposition à des marchés frontières offerts en particulier en Afrique et présentant un fort potentiel de croissance grâce à des ressources naturelles mais également en termes d’essor démographique et de hausse de la consommation en produits et en services. De tels partenariats auraient pour conséquence de remettre en cause le système traditionnel d’APD en bouleversant les principes de l’aide, en favorisant celui de l’efficacité et en instaurant plus de compétitivité au sein d’une sorte de « marché de l’aide ».

Selon certains économistes[6], l’impact de ces investissements innovants serait majeur : en consacrant 10% de leur portefeuille aux PED et aux pays émergents sur les 10 ans à venir, ces fonds produiraient un flux de 1,400 milliards de dollars, soit 14 fois l’APD annuelle. Ces résultats prometteurs ne doivent pas masquer les défis inhérents à l’entrée de ces fonds sur le continent africain : premièrement, il existe de nombreuses barrières à l’entrée dans des secteurs clés pour le développement mais sensibles politiquement ou socialement (l’agriculture en particulier) ; deuxièmement, les PED présentent malheureusement bien souvent un climat économique instable et préjudiciable aux affaires ; enfin, le manque de capacités dans ces pays nuit aux nécessités de préparation et d’information pour un projet d’investissement.

Ce sont ces mêmes difficultés que rencontrent les fonds souverains africains et notamment le manque de capacités, cruciales pour bien gérer un fonds. En outre, en investissant, soit via ses réserves de change, soit via ses excédents tirés de l’exportation de matières premières, dans des projets nationaux, un fonds souverain risque de favoriser l’appréciation de la devise nationale, donc l’inflation. Pourtant l’enjeu est de taille en Afrique, dans des pays où les marchés financiers locaux sont peu développés et où l’épargne privée tend à fuir à l’étranger, puisqu’un fonds permet de canaliser l’investissement au service du développement national. La majorité des fonds africains sont basés sur les ressources tirées de l’exportation de pétrole (fonds du Nigeria, du Ghana et de l'Angola), chacun se définissant spécifiquement. Ainsi, le fonds gabonais[7] se veut être un fonds visant à lisser l’épargne intergénérationnelle, et un fonds de développement, avec des ressources utilisées dans le cadre de projets de développement structurants ayant pour but d’assurer à terme une diversification[8].

On peut noter également des fonds créés par des pays non pétroliers, tels que le fonds Agaciro du Rwanda, dont l’impact n’a pas encore pu être mesuré, ou le fonds du Sénégal[9], qui soutient notamment le développement des PME, avec une préférence nationale pour les investissements.

En conclusion, le lien entre investissements des fonds souverains et financement du développement s’appuie sur la rentabilité attendue de ce dernier. Si la stratégie intrinsèque de long-terme des fonds souverains rejoint les caractéristiques des projets d’infrastructures des PED, les défis demeurent et les besoins sont majeurs.

Pauline Deschryver


[1] Le fonds souverain Qatar Investment Authority (QIA), fondé en 2005

[2] Le fonds Government Pension Fund-Global (dit le Global), créé en 2006 (à la suite du Petroleum Fund de 1990) et considéré comme le 1er fonds mondial par montant de capitalisation

[3] Avec le fonds Kiribati Revenue Equalisation Reserve Fund, crée en 1956, et qui gère aujourd'hui 7 fois le PIB de l'archipe

[6] Santiso, J. (2008), « Sovereign Development Funds », Policy Insight 58, OECD Development Centre, janvier

[7] Le Fonds Gabonais d’Investissements Stratégiques (FGIS), créé en 2011

[8] Le fonds FGIS a ainsi pris des participations dans le groupe bancaire Oragroup et dans l’opérateur de tours de télécommunications IHS Towers

[9] Le Fonds Souverain d’Investissements Stratégiques (FONSIS) du Sénégal, créé en 2012

Les financements innovants du développement en Afrique : l’ACAD

logoUn article précédent faisait un panorama général des différents instruments de financement innovant pour le développement. Il s’agit, dans cet article qui fait partie d’une plus longue série, d’examiner de plus près l’un de ces systèmes, mis en place en 2009, l’African Carbon Asset Development Facility (ACAD). C’est un partenariat public-privé, dont le dispositif est issu du protocole de Kyoto, dans la catégorie des mécanismes de développement propre[1] (MDP). Il répond à deux objectifs complémentaires : atteindre les objectifs de réduction de carbone pour les pays industrialisés et bénéficier d’investissements et de transferts technologiques pour les pays en développement.

Son principe est clair puisque l’action de l’ACAD se décline en trois offres pour stimuler le marché des crédits carbone africain.  Premièrement, c’est un partage des coûts et des risques avec les banques partenaires sur les prêts accordés aux entrepreneurs choisis – à l’instar d’un fonds de garantie classique – pour des initiatives ayant un impact sur le développement durable. Deuxièmement, c’est une assistance technique aux porteurs de projets pour les aider à les mener à bien, à la fois sur le marché que sur la validation comme projet de MDP. Dernièrement, c’est une formation et un accompagnement sur les spécificités de la finance carbone pour les institutions financières.

Le dispositif rentre bien dans la catégorie des financements innovants puisqu’il correspond aux critères énoncés par le Groupe Pilote sur les financements innovants[2]. Il repose sur une ressource relativement stable et prévisible (les revenus tirés des entreprises accompagnées); est complémentaire de l’aide publique au développement traditionnelle et fait partie des mécanismes de garantie d’emprunt. Enfin, il met en place des partenariats nouveaux entre bailleurs internationaux (UNEP, Initiative internationale pour le climat du gouvernement allemand), institutions financières (Standard Bank) et entrepreneurs.

L’ACAD a le mérite de répondre à des besoins cruciaux en Afrique puisque le continent connait un fort déséquilibre dans la répartition des certificats de réduction d’émission avec seulement 2% environ des certificats mondiaux[3]. De plus, en s’appuyant sur des projets locaux, ce système pallie le manque d’infrastructures en Afrique, ce problème entravant avec acuité la mise en œuvre et la maintenance de mécanismes de développement propres classiques. De même, il remédie au problème d’accès au financement : les coûts de MDP sont prohibitifs et empêchent l’éclosion de nombreux projets en Afrique. Les entreprises suivies sont soutenues financièrement à leur phase de lancement[4], ainsi que pour faire face aux coûts élevés de sélection (validation, évaluation d’impact). Enfin, tandis que les MDP sont peu connus en Afrique, ce programme permet de sensibiliser la société civile aux enjeux du développement durable tout en offrant des opportunités d’emplois et de croissance.

L’ACAD offre ainsi plusieurs atouts pour le continent. D’une part, il stimule un marché des crédits carbone en améliorant la capacité des banques partenaires à identifier et actionner des opportunités de crédits carbone. D’autre part, il réduit les coûts de développement de projets et d’investissement en construisant un portefeuille de projets viables et donc à même d’être répliqués en Afrique. Ce faisant, il facilite l’intégration régionale en déverrouillant des barrières de marché par des actions de sensibilisation d’échelle (forum, réseaux d’investisseurs). Le succès est au rendez-vous avec quatorze projets accompagnés dans neuf pays à ce jour. L’ACAD a accompagné des initiatives entrepreneuriales telles que « Nafa Naana » au Burkina Faso[5], pour améliorer des poêles économes en énergie ou bien des projets de plus grande envergure, comme le soutien à la certification de la plus grande zone d’éoliennes en Afrique (au lac Turkana au Kenya).

Le projet se révèle être intéressant pour le continent à court et à long termes. Aujourd’hui, il accorde une formation solide sur l’identification des projets de MDP pour les banques mais aussi pour les personnes travaillant dans l’entreprise accompagnée. D’ici quelques années, l’ambition est de stimuler un marché dynamique des crédits carbone en Afrique, d’intégrer les compétences liées à ce tissu industriel dans le secteur financier africain et de devenir un instrument de référence. Ces aspirations vont de pair avec des priorités stratégiques accroissant l’échelle de l’ACAD. L’objectif est de collaborer avec de nouvelles institutions bancaires partenaires, de créer de nouveaux mécanismes de financement (tels qu’un régime de garantie de crédits carbone prépayés), de disposer de moyens innovants de formation et de réseautage (e-learning, annuaire de marché) et de s’allier avec d’autres initiatives comparables dans le domaine du développement durable.

Toutefois, certaines limites peuvent être esquissées, en particulier en raison de la nature très discutable du marché des crédits carbone. En effet, comme cet instrument s’intègre dans ce marché, cette appartenance implique de devoir quantifier précisément les avantages réels des projets financés du point de vue du réchauffement climatique. Or, sur ce point, les données manquent. Cette absence d’information se retrouve d’une part quant à l’additionnalité financière (liée à la vente de crédits carbone), critère requis pour qualifier un MDP selon le protocole de Kyoto, et d’autre part quant aux certifications attribuées aux projets. En outre, auréolé de bonnes intentions, le marché carbone est pourtant l’arène de nombreux « carbon cow-boys » aux aspirations plus lucratives qu’écologiques, qui spéculent sur ces crédits alors assimilés à une valeur boursière lambda[6].

Il faut également souligner une certaine contradiction sur le présupposé même de cet instrument : la très faible demande énergétique en Afrique. Si la demande est faible, il en va alors de même pour les opportunités d'investissement. Il semble alambiqué de vouloir substituer à une demande quasi nulle des certificats de réduction d'émission. Néanmoins, la conjoncture actuelle suivie par l’Afrique annonce une hausse de la demande et il est possible de rétorquer à cette critique que la demande n’est pas forcément celle entrevue par la lorgnette occidentale. Le projet burkinabé cité plus haut atteste bien du potentiel de développement et des besoins de soutien d’un projet a priori dépourvu d’opportunité d’investissement.

Enfin, concernant la mise en œuvre même du projet, un point est critiquable : il semble que l’objectif de transfert de technologie, propre aux MDP, soit incertain,  puisque les projets recourent principalement à des technologies locales. Cette considération peut être vue soit par le verre à moitié plein – exploitation et développement de ressources locales, soit à moitié vide – aucun transfert technologique.

Cependant, pour ne pas finir sur une sombre note, soulignons que ce projet fait primer les bénéfices socio-économiques induits par les projets portés sur la quantité économisée de carbone. Est ainsi privilégié le « comment » au « combien », somme toute selon une bonne vieille logique de développement et de création de richesse.

Pauline Deschryver


[1] L’article 12 du protocole de Kyoto

 

[2] http://www.leadinggroup.org/rubrique332.html

 

[3] https://cdm.unfccc.int

 

[4] Ce soutien financier s’élève jusqu’à 125 000 dollars de subvention par projet

 

[5] http://www.wehavethepower2030.org

 

[6] Aurélien Bernier, « Augustin Fragnière, 2009, La compensation carbone : illusion ou solution ? PUF, 208 p. »