Sous la cendre et les répits apparents, le potentiel révolutionnaire est là qui pourrait éclater bientôt. Comme en Égypte et en Tunisie, les manifestations et protestations que connaissent beaucoup de pays d’Afrique subsaharienne pourraient déboucher sur un renversement inespéré et relativement rapide des régimes en place. L’Afrique noire s’apprêterait, elle aussi, à « leur » dire « dégage !» comme l’y invitait TerangaWeb.
Telle est la position défendue par Ty McCormick, diplômé de l’université d’Oxford et chercheur associé à Foreign Policy Magazine, dans un récent article publié sur le site de la revue. L’exemple de la jeunesse arabe, l’inflation, la hausse du prix du carburant, un accroissement encore plus aigu des inégalités dû au partage inique des fruits de la croissance économique et la brutalité, comme l’archaïsme des réactions des pouvoirs en place, sont les germes d’un « été subsaharien » dans la continuité du printemps arabe.
McCormick appuie sa thèse sur la multiplication et la vigueur nouvelle des manifestations de l’opposition sur tout le sous-continent. 111 manifestations ont éclaté en Afrique du Sud depuis 2010. Au Malawi, les dérives autoritaires de Mutharika et la répression brutale des protestations ont conduit les États-Unis (via le Millenium Challenge Corporation) et l’Angleterre à suspendre leur aide bilatérale – les 18 morts enregistrés depuis le 20 juillet n’ont pas réduit l’ardeur des dizaines de milliers de manifestants. En Guinée-Bissau, le président Malam Bacai Sanha a été contraint de négocier une trêve, le 26 juillet dernier, avec une opposition qui mobilisa jusqu’à 10.000 manifestants au cours des dernières semaines. Enfin, l’exceptionnelle mobilisation des Sénégalais a eu raison de la réforme constitutionnelle voulue par Abdoulaye Wade.
La frénésie et la brutalité renouvelées, avec lesquelles certains gouvernants africains (au Burkina Faso, au Zimbabwe, en Éthiopie, en Guinée équatoriale, au Gabon, au Cameroun ou à Djibouti), depuis fin janvier 2011, répriment dans l’œuf la moindre contestation, seraient, pour McCormick, autant d’indicateurs de l’imminence d’un « été subsaharien ».
Cet argument a pourtant des faiblesses. Parmi lesquelles, le peu de cas fait de l’antériorité d’un autre été subsaharien, plus long, plus progressif et peut-être plus utile et efficace que le « printemps Arabe ». En ramenant les récentes protestations et « révoltes » qui ont éclaté en Afrique subsahariennes à leur juste mesure, et surtout en les associant à une analyse de plus long terme, Calestous Juma, professeur à l’Université Harvard, conclut, dans un billet publié sur le même site, que la meilleure chose à espérer du printemps arabe est qu’il ne fasse pas d’émules en Afrique subsaharienne.
Juma insiste – assez lourdement – sur une vérité très importante : la situation socio-économique et politique de l’Afrique subsaharienne comparée à la réalité du sous-continent à la fin des années 70, pour n’être pas idéale, n’en reste pas moins un considérable succès. Il l’attribue aux réformes libérales (économiques et politiques) adoptées depuis les années 1980-90. Et pour lui, l’essoufflement relativement rapide des protestations post-printemps arabe, dans le sous-continent, au-delà de la répression policière, est d’abord le signe d’une réticence profonde des populations locales à troquer un progrès politique et social observable, stable et durable contre une nouvelle vague de soulèvements « populaires » incertains et facteurs d’instabilité.
En un mot, l’été subsaharien a déjà eu lieu : les bouleversements que connaît le monde arabe ne sont qu’un effet de rattrapage. En Janvier 2011, un pays membre de la Ligue Arabe sur deux avait à sa tête quelqu’un ayant occupé de très hautes fonctions dans les forces de sécurité (Oumar Guelleh, Hosni Moubarak, Mouammar Kadhafi, Abdullal Saleh, Khalifa ben Zayed Al Nahyane, Ben Ali, Béchir el Assad, Hamad bin Khalifa al-Thani, Omar el-Bechir, Mohamed Ould Abdel Aziz et Michel Sleiman.) Ce n’est plus le cas en Afrique subsaharienne. Et c’est la marque des profondes évolutions survenues dans cette région depuis 1980.
Le fait est qu’ici s’opposent deux visions du progrès économique, politique et sociale : radicalisme et réformisme. Et cette opposition est vieille. Elle précède la révolution russe de 1917 !
Il est difficile, aujourd’hui de prédire avec certitude, l’impact définitif que les révolutions Arabes de 2011 auront en Afrique. Pourtant, il convient de remarquer qu’après l’euphorie des premiers mois, le souffle semble être retombé. Kadhafi est toujours au pouvoir. En Syrie, au Bahreïn ou au Yémen, la répression continue, plus forte que jamais. Le bouleversement constitutionnel prévu au Maroc n’a pas eu lieu. L’armée dirige l’Égypte et les élections prévues en Tunisie ont encore été repoussées. Dans le même temps, le Sud-Soudan est né, 19 élections nationales sont programmées en 2011 et 28 autres sont prévues pour 2012 ! Plus significatif encore : on assiste aux derniers soubresauts d’une vieille tradition : celle des coups d’états militaires d’Afrique subsaharienne. La tortue semble l’emporter sur le lièvre.
Joël Té-Léssia
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Je trouve les arguments de Calestous Juma vraiment nuls. C'est la position typique des conservateurs libéraux. Au nom de la croissance économique, on tolère les régimes autoritaires, corrompus ou en manque de légitimité, tant qu'ils font tourner le business. C'est pourquoi Pinochet était respecté des médias libéraux, de même que Ben Ali et Moubarack avant leur chute.
C'est une vision extrêmement restrictive de ce qu'est la politique, et de ce qu'est la croissance économique comme indicateur du bien-être de la population. Juma confond la hausse de la croissance ces dernières années avec ce qu'il appelle " un progrès politique et social observable, stable et durable". Beaucoup trop de gens sont au chômage, beaucoup trop de gens vivent dans une pauvreté dont ils ne voient pas le bout, trop de gouvernements ne sont pas représentatifs des préoccupations de leur population.
Je ne sais pas s'il y aura un "été subsaharien", mais je suis sûr que ce serait une bonne chose qu'il y en ait un. Ce ne serait pas une menace, un retour en arrière, mais plutôt un accélérateur de changements nécessaires.