Les théories du Nouveau Management Public, nées aux Etats-Unis au tournant des années 1970 et 1980, reprochent principalement à la bureaucratie traditionnelle “wébérienne” – écrite et soucieuse de juridisme – d’être trop sclérosée et de mener à une lenteur et une rigidité des décisions. Ces théories intègrent donc dans l’action publique des techniques de gestion empruntées au secteur privé. Elles ont été particulièrement prônées par Norbert Elias et Michel Crozet.
Les Etats modernes, notamment d’Europe occidentale, qui fonctionnaient sur la base de l’idéaltype wébérien ont subi des modifications profondes de leur système de gouvernance, pour le rendre plus fluide, plus léger, et donc plus efficace. Les administrations publiques africaines ne sont pas en reste. Certaines d’entre elles ont beaucoup révisé leur mode de gestion des services publics et des affaires publiques avec le NMP, tel est le cas du Mozambique.
Le Mozambique, au sortir de la longue guerre civile qui le déchira entre 1976 et 1992, embrassa les méthodes du Nouveau Management Public. A travers le cas de ce pays, il est possible d’avoir une idée assez claire des résultats de l’application de ces nouvelles méthodes de management en Afrique subsaharienne.
Il s’agissait pour les autorités mozambicaines d’installer un mode de gestion plus souple à travers des ajustements dits structurels. La formation des agents et administrateurs publics a été revue, de même que la progression de leurs carrières, et les procédures administratives ont été aplanies. La nouvelle administration publique devait donc être plus rapide et plus efficace que par le passé.
Si le pays reste pauvre, avec près de la moitié de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté, l’économie mozambicaine croît et attire les investisseurs étrangers. En 1985, le Mozambique ne recevait, virtuellement, aucun investissement direct étranger. Aujourd’hui les flux nets d’IDE au Mozambique s’élèvent à près de 800 millions de dollars. De façon générale, plus de 11 milliards de dollars ont été investis dans une trentaine de “grands projets” durant la seule année 2011. Et si le pays est encore considéré comme étant “globalement non-libre” selon l’index de liberté économique de l’Heritage Fondation, le Mozambique se situe néanmoins dans le premier tiers des pays Africains. Ce relatif succès économique peut-il être attribué aux réformes de l’administration publique, mise en place au cours de la dernière décennie?
L’administration publique mozambicaine avant les grandes réformes
Le Mozambique, malgré ses ressources naturelles, est l’un des pays les plus pauvres au monde. Plus de la moitié de la population y vit encore sous le seuil de pauvreté. Sorti d’une violente guerre civile en 1992, il connaît depuis lors une stabilité politique qui lui a valu, en moins d’une décennie, une augmentation des investissements étrangers et de l’aide publique internationale. Les dirigeants politiques ont mis en place une réforme générale de l’administration publique à partir des années 1990, qui vise à atteindre de plus grands niveaux de développement et de croissance économiques, à travers les techniques du Nouveau Management Public.
L’expulsion forcée des administrateurs portugais, à la fin de la colonisation en 1975, a causé un grand retard dans la formation des fonctionnaires mozambicains. Contrairement à beaucoup de pays africains qui sont sortis de la colonisation avec un minimum de structures administratives, le Mozambique s’est débarrassé de l’ancien occupant sans se doter au préalable d’un Etat solide. Cet exode portugais n’a pas été précédé de transfert des connaissances et des méthodes en matière de gestion publique aux agents de l’Etat. Ceci a mené à des situations autant ubuesques que cocasses dans la plupart des services administratifs du pays, qui a eu bien du mal à s’en remettre. Les postes à responsabilité ont été donnés à des individus qui n’en possédaient pas les compétences. De plus, à l’indépendance, le parti au pouvoir (FRELIMO) a concentré entre ses mains tous les pouvoirs du pays : exécutif, législatif, et judiciaire.
L’idéologie du Front pour la Libération du Mozambique voulait en effet que le départ des colons se concrétisât par une mainmise totale sur toutes les sphères décisionnelles. Ainsi, le Président de la République, chef du FRELIMO, était en même temps chef du pouvoir législatif. De même, une vaste opération de nationalisation de grandes entreprises et de banques fut menée.
Après la création de deux écoles d’administration, le Centre de formation des cadres (1977), puis l’Ecole Publique d’Etat et de Droit (1989), le gouvernement du Mozambique mit en place un Système de Formation en Administration Publique (SIFAP) en 1994. Ce programme avait pour but d’améliorer les capacités opérationnelles des gestionnaires en leur délivrant des savoirs plus adaptés à l’heure :
● développer les connaissances, les capacités, les compétences et l’attitude scientifiques, techniques et professionnelles de l’ensemble des agents de l’État ;
● d’offrir une formation continue à tous les administrateurs et gestionnaires publics dans le domaine des techniques managériales afin de moderniser la fonction publique et d’améliorer sa rentabilité et sa productivité ;
● de préparer le personnel technique aux fonctions de direction et de gestion ;
● de développer les connaissances scientifiques, techniques et professionnelles, essentiellement les programmes, les méthodes et les techniques managériales avec ses soutiens institutionnels et informationnels. (1)
L’Ecole publique d’Etat et de Droit fut transformée en Institut Moyen d’Administration Publique en 1996, pour assurer une formation de niveau moyen au personnel destiné à des tâches expéditrices de l’Etat. L’IMAP fut par la suite dénommé Institut de Formation en Administration Publique et Autarcique (IFAPA), qui fut multiplié dans les différentes parties du pays, pour être plus proche des territoires.
Ceci n’a cependant pas empêché une nette prégnance de la corruption et du népotisme dans l’Etat. Le gouvernement a donc procédé à la privatisation d’un certain nombre de structures publiques vers la fin des années 1990. Ce programme de réorganisation administrative, à la différence de la plupart des mesures similaires en Afrique, a été mise en place sans toucher aux effectifs des services de l’Etat, pour éviter tout mouvement de mécontentement populaire. Néanmoins, le fléau de la corruption continuait à sévir, en plus des lenteurs et rigidités persistantes, jusqu’au début du XXe siècle.
Mouhamadou Moustapha Mbengue
[1] Awortwi, Nicholas : « Doter les administrateurs et gestionnaires publics de nouvelles compétences à l'époque des réformes du secteur public : le cas du Mozambique » , Revue Internationale des Sciences Administratives, 2010/4 Vol. 76, p. 767.
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