Le Maroc n'a pas fait l'exception de ce printemps arabe, mais il s'est clairement distingué des autres pays. Si les monarchies ont été largement épargnées par les révolutions et les instabilités, elles ont tout de même été touchées par le vent de reformes. Ce printemps arabe a été l'occasion de repenser les systèmes politiques, cerner les pouvoirs monarchiques, et redéfinir les relations entre peuples et gouvernants. Ce processus de définition, de conditionnement, et de renouvellement s'est particulièrement bien déroulé au Maroc. Il s'est non seulement fait dans un dialogue globalement pacifique, mais il a aboutit à des réformes plus avancées que les autres monarchies.
La constitutionnalisation de la monarchie marocaine est une avancée en soi. Mais il faudra que les partis politiques s'inscrivent également dans ce processus de questionnement, de réformes, et de renouvellement àfin d'être à la hauteur des défis qu'impose la constitution et des opportunités qu'elle offre.
La Réforme sera vidée de son sens s'il n'y a pas de Révolution au sein des partis
La nouvelle Constitution du Maroc (approuvée par 98.5% des votants au referendum national tenu le 1er juillet) n'en fait pas un modèle de monarchie parlementaire tel qu'on le voit en Europe où "le roi règne mais ne gouverne pas". Le roi a gardé son poids dans tous les pouvoirs, mais ses prérogatives ont été constitutionnalisées, définies, et donc limitées. Le renforcement du rôle du Parlement et des prérogatives du chef de gouvernement consacre un espace essentiel à la volonté populaire. Je considère globalement que cette sixième constitution est une avancée pour la simple raison qu'il y a un potentiel et que cela dépend à la fois des partis politiques et des citoyens: jusqu'à quel degré pourront-ils assurer une autonomie de la vie politique?
Comme de nombreux sympathisants du mouvement du 20 février, je suis sceptique. Mais je reste plutôt optimiste. Si certains craignent que la monarchie monopolise le système politique et les pouvoirs, je pense qu'elle peut se contenir au rôle d'arbitrage, sous certaines conditions. Le jeu d’équilibre peut être maintenu si la classe politique relève le défi. Et cela inclut la nécessité d'avoir une véritable opposition, un contre-pouvoir, et des citoyens engagés dans la vie politique pour pouvoir jouer pleinement des cartes en leur faveur. Si les partis se renouvellent, gagnent en indépendance en audace et en vision, ils auront plus de chance d'autonomiser la vie politique. S'ils se contentent d’être des exécutants, vieillissants, sans proposition ni innovation, ils continueront alors à porter le titre de « gouvernants » de la façon insatisfaisante avec laquelle ils le font. Dans ce cas, les réformes n'auront rien résolu. Elles détruiront au contraire tout espoir démocratique, toute confiance en la politique et ses hommes.
Impulsion populaire: Changement de paradigme
La nouvelle constitution a un potentiel. C'est, selon moi, de la base et donc du peuple que doit venir l'impulsion pour activer ces réformes et leur donner leur sens démocratique. Cette impulsion populaire devra effectuer une première rupture avec l'attentisme. Il faudra passer du statut de passif à actif, transformer le front d'opposition en force de proposition et d'action. Si le mouvement du 20 février continuait à perdre du souffle, je souhaiterais que les choses ne redeviennent plus jamais ce qu'elles étaient, que le citoyen prenne conscience de ses devoirs mais aussi de ses droits et de son pouvoir, et comme ce mouvement l'a fait à l’échelle national, je souhaite que tous nos citoyens aient le courage de dénoncer la corruption, les détournements de fonds, et le clientélisme au niveau local.
Ce travail de contestation est nécessaire, mais encore faut-il ne pas aliéner et abstraire le citoyen du système. Le citoyen devra non seulement reconnaître son pouvoir à mettre fin à de telles défaillances, mais devra aussi s'identifier en tant que cause à la survivance de ces pratiques archaïques. Si les élections ont porté au pouvoir local ou national des personnes corrompues, il faut rendre compte de la responsabilité des électeurs qui les ont élus. C'est tout le processus -avec tous ses acteurs- qu'il faut interroger, et non pas se réduire à ses effets. Il y a deux attitudes qui tuent tout espoir démocratique et qui font perdre aux Marocains confiance dans le jeu démocratique. La corruption en est l'effet ressortant, le clientélisme et l'abstention en sont les causes mortelles. Si une grande partie des Marocains continue à croire qu' ils ne sont pas prêts pour la démocratie, c'est parce qu'ils ne font pas confiance à ceux qui sont censés les représenter, ceux qu'ils considèrent -souvent à juste titre- comme des incompétents corrompus et portés par l’intérêt personnel et l'insouciance pour la chose publique. Ce qu'ils oublient pourtant, c'est que ces « incompétents » ce sont eux qui les ont- directement ou indirectement -élu soit en votant pour eux soit en s'abstenant et favorisant leur passage aux conseils locaux ou au Parlement.
C'est donc un problème de l'ordre de la conscience politique et de la responsabilité. Je n'exclus pas que certains s'abstiennent consciemment au processus électoral par perte de confiance ou non adhésion au système. Mais cette abstention consciente nous coûte très cher. C'est pour cela que j'ai parlé de conscience politique mais aussi de responsabilité, l'abstention ayant des répercussions graves il faudrait aussi que ceux qui s’abstiennent consciemment prennent conscience des effets de la dite abstention. Prendre ses responsabilités de citoyens revient non seulement à porter de l’intérêt à la gestion de nos affaires publiques, mais à y avoir un poids. Et cela commence par s'inscrire aux listes électorales, voter aux élections, rompre avec des pratiques inefficaces et nuisibles -notamment vendre ses voix le jour du vote-, s'engager et se réapproprier des partis politiques qui ont perdu leur crédibilité et leur rôle existentiel. Ce sont les conditions sinéquanones qui pourront nous assurer que nos parlementaires sont compétents progressistes et audacieux, que le premier ministre a l'envergure politique requise, qu'une véritable opposition s'affirme.. et que la page de contestation ne tourne pas.
Le « Makhzen » c'est nous…
Nous devons donc rompre avec l'attentisme, changer de paradigme, et faire du citoyen le sujet actif du changement . Tout l'effort, tout le changement ne doit pas venir que du régime, ce que certains appellent « le Makhzen » parce que le Makhzen c'est nous, nous qui le faisons, nous qui l'asseyons. Nous assumons une part de responsabilité dans ce qui nous arrive, et si nous voulons nous démocratiser c'est a nous de le faire. Je le répète, je ne soustrais pas le citoyen du système. Ce ne sont ni le "régime" ni des "illuminés" qui feront ce travail pour les citoyens, ils devront eux mêmes aller à son encontre en jouant des variables dont ils disposent, à savoir un Parlement.
Lamia Bazir
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