Si parfois il usa de la répression et restreint les libertés publiques, Meles Zenawi était un leader brillant et déterminé, et il se passera sûrement de longues années avant que l’Ethiopie et la Corne de l’Afrique ne voient monter au créneau un leader de sa trempe. Meles Zenawi, Premier Ministre défunt de la nation Ethiopienne, manquera beaucoup à son pays dont la croissance démographique fulgurante (85 millions aujourd’hui et probablement 120 millions en 2025) représente autant un enjeu qu’une promesse pour le futur. Meles était l’un des chefs de gouvernement les plus intelligents d’Afrique Subsaharienne. Contrairement à la plupart de ses confrères, il avait une vision claire et à long-terme du chemin que l’Ethiopie devrait suivre pour surmonter les défis de la pauvreté et du faible niveau d’éducation.
Meles savait aussi que l’Ethiopie n’était pas encore un Etat-nation, mais seulement un regroupement de peuples unis successivement par la monarchie Amharique, le despotisme des communistes Amhariques et désormais conquis par Meles lui-même et sa communauté du Tigré. A cause de la multitude de ses peuples et religions, l’Ethiopie courait toujours le risque de voir s’affirmer des mouvements séparatistes. Meles comprit très tôt qu’il avait pour mission de travailler à la centralisation de l’autorité politique, au moyen même de la répression des dissidents, cela tout en réformant le secteur éducatif et en dynamisant l’économie nationale afin d’assurer la pérennité de son projet.
Ainsi, c’est stratégiquement qu’il accueillit et fit l’éloge des investissements venant de la Chine. Il fit appel aux géants du BTP chinois pour construire des barrages géants sur la rivière Omo, faisait fi de l’opposition ferme que manifestèrent les populations locales et de la communauté internationale, inquiétés par les risques environnementaux. Conscient des manques criants au niveau de l’approvisionnement en énergie, il était aussi déterminé à interrompre le cours du Nil avec un « Grand Barrage de la Renaissance », cela malgré les troubles que cette idée suscitait en Egypte et au Soudan. Depuis son décès, il n’est pas encore su si ces prédécesseurs comptent poursuivre le projet.
L'après Mélès
Sans Meles et son dynamisme, le « Grand Barrage de la Renaissance » et nombre d’autres projets risquent d’être abandonnés à cause d’un manque de fonds ou de vision. En outre, personne sauf Meles n’aurait pu répondre avec tant d’efficacité quand les Etats-Unis et l’ONU demandèrent le support de troupes afin d’éviter le risque d’accrochages entre le Soudan et le Sud Soudan. Les troupes éthiopiennes jouent aussi un rôle essentiel dans la lutte contre les terroristes d’Al-Shabab en Somalie, notamment en 2006 et 2007, quand celles-ci intervinrent à la demande des Etats-Unis. Il faudra un homme fort après Meles, et aussi motivé que lui pour conserver la paix dans Corne de l’Afrique, sans quoi les militants d’Al-Shabab ou leurs antagonistes en Erythrée pourraient prendre confiance et relancer leurs offensives.
Sur la scène politique nationale, la disparition de Meles pourrait bien faciliter l’émergence d’une scène démocratique ouverte, longtemps restreinte par Meles, qui notamment trafiqua deux élections et réprima durement ses opposants et les non-Tigréens qui refusaient la ligne politique officielle. Mais cette possibilité pourrait être réduite à néant par les généraux Tigréens qui supportèrent Meles contre les Amhara marxistes avant 1991 si ces derniers assistent à une dissipation de leur influence. Il se pourrait aussi que les successeurs au poste de Premier Ministre s’opposent à l’expression des intérêts des Oromo, Somali ou des musulmans qui aspirant à être entendus dans l’Ethiopie post-Meles.
Un autocrate intelligent
l y a quelques années de cela, j’eus une conversation de plusieurs heures avec Meles, dans son bureau à la maison d’Etat où il me parut beaucoup plus accessible que les autres autocrates d’Afrique que j’avais interviewé auparavant. Il répondait avec aplomb aux questions hostiles que je lui posais. Il tenta par exemple de rationaliser la falsification des élections générales de 2005 ainsi que l’emprisonnement de presque tous ses opposants. Sa communication était beaucoup plus efficace que celle de ses paires autocrates.
Meles comprenait aussi que quelqu’un comme moi avait un intérêt justifié pour certaines infractions terribles qu’il avait fait à son peuple et à ceux qui croyaient dans le processus démocratique. Pourtant il ne s'irrita pas, et n’interrompit pas non plus la discussion. Il n’essaya pas non plus, – ainsi que d’autres auraient pu le faire – de rediriger la discussion sur ses succès incontestés, comme la croissance économique accélérée de l’Ethiopie. Au contraire, il tenta, avec succès d’ailleurs, de m’impressionner par son intelligence, sa capacité à diriger, son alerte permanente face aux forces menaçant la paix dans la Corne de l’Afrique et son positionnement habile entre la Chine et les Etats-Unis au service de son régime et de son pays.
Beaucoup d’eau coulera sous les ponts avant qu’il ne naisse un autre Meles.
Robert Rotberg, Président émerite de la World Peace Foundation.
Article initialement paru chez notre partenaire Think Africa Press
Traduction pour Terangaweb par Babacar Seck
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