La nouvelle est passée inaperçue. Les Chefs d’Etat africains réunis lors la dernière conférence annuelle de l’Union Africaine accédaient à la demande de la République haïtienne d’intégrer l’Union Africaine. Une adhésion qui peut surprendre… à la fois évidente et inédite. Passage en revue des dangers et opportunités de ce rapprochement.
1804, naissance de la République d’Haïti après le soulèvement des esclaves de Saint-Domingue qui vainquent les troupes napoléoniennes. Haïti devient la première république indépendante de population majoritairement noire. Un peu plus de 200 ans plus tard, en juin 2012 plus précisément, Haïti rejoindra l’Union Africaine. Une première pour l’organisation panafricaine, en faveur d’un pays de sa « diaspora ».
Historiquement, les liens entre le continent africain et Haïti sont évidents. Séparés par la tristement célèbre traite négrière, ces peuples à l’histoire commune ont l’occasion de se retrouver. Ensuite, Haïti ayant accédé à l’indépendance en 1804, près de 150 ans avant le premier printemps africain des années 60, n’a pas ménagé ses efforts pour accompagner les futurs États africains dans leur quête d’indépendance, notamment par son appui au Rassemblement Démocratique Africain.
Mais plus que l’Histoire, ce qui unit aujourd’hui Haïti et les pays africains, ce sont bien le Présent et évidemment le Futur. Cet argument va sans doute donner du grain à moudre aux éternels afro-pessimistes. Car, de fait, malgré ses 150 ans d’ « avance » sur ses petits frères, Haïti est restée économiquement et socialement très proche d’eux. Le pays se traîne au milieu des pays d’Afrique Noire dans les classements de développement humain. Il présente la même jeunesse de population (40% de la population a moins de 14 ans). Le faible taux de croissance déjà peu reluisant a été fortement grevé par la catastrophe naturelle de 2010, conduisant à un chômage de masse.
Une lumière cependant au tableau qui ne manquera pas de susciter des réactions passionnées : Haïti est résolument ancrée sur le chemin de la démocratie. Au point que les récentes élections de mai 2011 ont porté au pouvoir Michel MARTELLY, plus connu pour ses chansons à succès et son rôle dans le carnaval annuel que pour ses prises de position visionnaires pour le bout d’Île… Ce dernier a remporté haut la main des élections jugées transparentes, en revendiquant être le candidat du peuple face à Mirlande Manigat, constitutionaliste de formation, et candidate de facto « des riches et cultivés ». Sans préjuger de la faculté du président élu à sortir Haïti de sa torpeur, on peut tout de même penser que celui-ci doit son élection plus à sa popularité qu’à son programme politique.
Doit-on dès lors critiquer la démocratie haïtienne qui a porté à sa tête un chanteur plutôt qu’une intellectuelle ? Je dirais que non ! Car on ne peut pas souhaiter la démocratie pour les pays africains dirigés par des dictateurs comme l’a été Haïti et critiquer ensuite le choix des haïtiens de confier leur destin à quelqu’un d’insuffisamment intellectuel à nos yeux. Sans doute que le traumatisme dû à la catastrophe naturelle a eu raison d’une classe politique soi-disant intellectuelle et éloignée des attentes des peuples. Difficile de prévoir pareil dénouement en Afrique quand on examine les récents cas Youssou N’Dour au Sénégal et Georges Weah au Liberia…
Sur le plan économique, l’histoire économique récente dominée par la crise de la dette européenne nous a rappelé la nécessité de réaliser des unions politico-économiques cohérentes. Le souvenir de la moribonde Grèce se goinfrant sur les marchés aux mêmes taux que la dynamique Allemagne, et entraînant aujourd’hui la zone Europe dans une zone de turbulences dont personne ne peut encore prévoir la fin, est tout frais. Dans cette optique, l’adhésion d’Haïti à l’Union Africaine est parfaitement cohérente. Même si ce n’est pas forcément flatteur pour Haïti, la réunion et la concertation de toutes les nations les moins avancées est souhaitable pour faire face à l’Union Européenne, aux Etats-Unis, et aux très dynamiques BRICS.
Pour autant, la stratégie de l’Union Africaine reste vague. L’intégration économique reste hétérogène entre les différentes zones monétaires. Comment l’intégration de la République haïtienne s’intègre-t-elle dans la vision des dirigeants africains ? Difficile à dire tellement les dirigeants africains ont souvent brillé par leur manque d’ambition commune. La vraie question à se poser d’ailleurs est : pourquoi Haïti a-t-elle voulu rentrer dans l’Union Africaine ? Peut-être parce que si les pieds des haïtiens étaient en Amérique, leur cœur n’a jamais réellement quitté le continent noir.
Ted Boulou
Crédits photo: socio13.wordpress.com
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Merci Ted pour cette analyse. Est-ce que tu pourrais préciser pour la néophyte que je suis quelles seront les conséquences économiques concrètes résultant de l'entrée d'Haïti dans l'UA? Est-ce qu'à ton avis cette adhésion fait sens vis-à-vis de la composition de la balance commerciale d'Haïti?
Franchement, je reste sceptique sur sur une réelle motivation économique de cette adhésion. Déjà que l'Union Africaine toute seule n'a pas de stratégie économique…
Dans la pratique, le principal partenaire commercial d'Haïti est les USA avec lesquels il fait plus de 85% de ses échanges. La balance commerciale dest fortement déficitaire et la stabilité économique dépend en grande partie des aides extérieures..
Je pense qu'on ne peut rien attendre économique de cette alliance au moins à court terme. C'est plus une alliance politique, une sorte d'Union de pays aux caractéristiques semblables pour défendre des intérêts communs dans le concert des nations.
La nouvelle était effectivement passée inaperçue… Merci Ted.
J'ai une petite interrogation: est-ce qu'on sait ce qu'en pensent les Haitiens eux-mêmes ? Société civile et personnalités influentes du pays.. Tu l'as dit toi-même "Déjà que l'Union Africaine toute seule n'a pas de stratégie économique…"
Ce serait intéressant de voir comment ce rapprochement est vu de l'intérieur: est-ce que les Haitiens attendent vraiment une action concrète de la part de du continent et de l'organisation où y voient-ils juste une démarche symbolique qui n'aura que très peu d'impact sur leurs réalités d'après catastrophe ?
Une pointe d'information dans ce vide médiatique ?
Merci pour cet article même si j'en avais déjà eu vent. Je crois que ca date du mois dernier.
Et comme c'est très bien expliqué, je pense que les intérêts politico-économiques sont et restes vagues dans une dimension de long terme. De plus, la position géographique d'Haiti laisse à se poser des question… Et si ce n'est sa perpétuelle instabilité qui en fait un "cas de pays africains au final…"
Toutefois,je pense que cette proposition est d'autant plus soutenue qu'Haiti demeurre très marginalisée dans la zone pacifique comparée à ces voisins et du fait que beaucoup d'Haitiens aient des origines béninoises ce qui en fait une "union extra continentale".
@ Claudia : il serait effectivement très intéressant de connaître le ressenti des populations locales sur ce mouvement politique.
Je crois, comme tu le suggère d'ailleurs, que les préoccupations quotidiennes des peuples africains et haïtiens sont très loin de ces sphères politiques. Si encore l'Union Africaine était une locomotive économique, on aurait pu faire le parallèle avec la Roumanie et l'Union Européenne. Mais on en est loin.
A creuser…
@leomick :
Merci ton avis…
La question est à mon sens d'abord symbolique… Si cette adhésion se justifie par des arguments de couleur ("on a les mêmes ancêtres") alors il y a un problème. Si cette adhésion vise à regrouper des Etats inaudibles sur la scène mondiale, alors d'accord.
Certaines mauvaises langues diront que la plupart des pays inaudibles…ont les mêmes ancêtres…
Justement, c'est dans cet optique de réflexion que j'essayais de creuser.
A ce que j'en lis: L'adhésion à l'UA est soit d'origine identitaire( pays du continent et îles annexes), soit pour les investissements type NEPAD. Ainsi que, tel qu'il a été soulevé au sommet des Gouvernements de l'Union à Accra un enjeu d'associer davantage les diasporas en un "Etat" si je me permets.
C'est donc à travers ces divers angles que j'essaye d'analyser la perspective d'entrer d'Haiti?
Commentaire
J'aimerais savoir quelles sont les avantages et les inconvénients pour Haïti de devenir membre de l'Union Africaine?