Le retour en grâce de Cuba dans le concert des nations s’opère progressivement, avec les offensives diplomatiques des grandes puissances telles que les Etats-Unis ou encore la France mais aussi l’Union Européenne. Cet activisme politique pour la destination Cuba pose plusieurs interrogations sur la nouvelle donne diplomatique de Barack Obama, ses homologues occidentaux, et sur les possibilités économiques et stratégiques de coopération avec l’île tropicale.
A cet effet, quelle est la place de l’Afrique, qui, historiquement, a toujours entretenu des relations avec Cuba dont le positionnement anticolonialiste et anti-impérialiste, avait les faveurs des pouvoirs et des élites du continent noir ? Au-delà de l’idéologie, tous les signaux pour une coopération réelle de développement économique sont au vert pour que Cuba et l’Afrique réinventent la coopération des nations émergentes.
L’Afrique et Cuba, un pacte au nom de la solidarité tiers-mondiste
Les mêmes causes produisant parfois les mêmes effets, l’Afrique noire des années 1960 essentiellement, en lutte pour l’obtention de ses indépendances, avait su trouver en Cuba aux prises avec les Etats-Unis un allié de poids. Fidel Castro a toujours soutenu les révolutionnaires africains tels qu’Amilcar Cabral, Patrice Lumumba, Agostinho Neto ou encore le héros de la lutte anti-apartheid Nelson Mandela. La collaboration ne relevait pas du romantisme révolutionnaire mais elle a été concrètement soutenue par l’envoi de forces militaires cubaines en soutien aux combattants de la liberté.
Ces guérilleros cubains appelés encore les Internationalistes* ont véritablement combattu aux côtés de leurs frères d’armes africains. Cuba, une odyssée africaine, un excellent documentaire de Jihan El Tahri rappelle la « belle histoire » des indépendantistes unis pour pousser hors des frontières le colon dominateur. Il n’est pas inutile de rappeler que l’ombre de Che Guevara a également plané sur les révolutions africaines, et particulièrement celle du Congo de Laurent Kabila qui s’est toujours « vanté » d’avoir combattu aux côtés de la légende latino-américaine.
Ainsi, le mythique Che, avec plus ou moins de succès, aurait arpenté dans les années 1960 en plus des deux Congo, la Tanzanie, l’Égypte, le Mali, le Ghana, la bouillante Guinée de Sékou Touré, portant le message de la libération des opprimés contre les colonialistes.
L’embuscade de la France… avant l’entrée en scène des États-Unis
Le récent voyage de François Hollande en mai, à la faveur de sa tournée caribéenne, et sa rencontre avec le « Lider Máximo » Fidel Castro sont des indicateurs probants d’un rapprochement avec l’un des plus vieux pays qui professe avec un enthousiasme suranné son idéologie socialiste, mais qui de fait est ouvert au marché depuis plusieurs décennies.
À cet effet, la realpolitik de la diplomatie française se veut limpide sur le sujet : Cuba est également attractive économiquement. Stratégiquement, la France est une puissance régionale dans les Caraïbes mais aussi elle ne souhaite pas laisser aux Américains le leadership du rebond commercial et économique que représenterait à court terme Cuba dégagé de ses contraintes internationales. En tout cas, officiellement…
Dans ce jeu de poker géopolitique et économique, l’Afrique a tout intérêt à densifier ses relations avec Cuba. Elle a l’avantage de l’histoire et la facilité de tisser des liens culturels, commerciaux et économiques.
Cuba et son allié africain, un partenariat émergent pour le développement
Cuba dispose de l’un des meilleurs systèmes de santé au monde. Pendant la crise épidémique d’Ebola, des médecins cubains se sont rendus, avec du matériel de haute portée technologique, dans les foyers de propagation d’Ebola en Afrique noire. A titre de comparaison, Cuba a fait dépêcher de toute urgence près de 500 médecins et personnel médical pendant que la Chine, les Etats-Unis ou la France en envoyaient un peu plus de la moitié.
Il est impérieux de promouvoir des accords de coopération bilatérale entre pays africains et Cuba ou dans le cadre d’un dispositif multilatéral porté par l’Union Africaine, de favoriser la formation des médecins africains et le transfert de compétences pointues en matière médicale avec l’île.
D’autres domaines sont également utiles à apprécier; comme l’éducation. A ce niveau également, le système éducatif cubain, le meilleur d’Amérique Latine et des Caraïbes, est l’un des plus compétents voire compétitifs. Selon une étude la Banque mondiale, un investissement hors-pair est mis sur la priorité éducative et la formation des professeurs. Ainsi, « aucun corps enseignant de la région – latino-américaine et caribéenne- ne peut être considéré comme étant de haute qualité en comparaison avec les paramètres mondiaux, à la notable exception de Cuba ». Ainsi, un continent globalement carent sur la question de l’éducation a tout à gagner en s’inspirant de modèles de réussite que pourrait offrir un programme de partage d’expériences avec Cuba.
Il faut clairement que l’Afrique se positionne, de façon spécifique par pays, ou par le biais de l’institution continentale, pour la promotion d’une coopération sud-sud dans les domaines de la santé, de l’éducation, de la culture, du tourisme, du commerce.
Dans ce monde extrêmement clivé entre le Nord et le Sud, les pays développés et les nations en voie de développement, il est plus que nécessaire de défendre l’idéal d’une coopération avec Cuba ou d’autres pays du Sud ou considérés comme tels, au nom du réalisme politique et de l’émergence de nouveaux modes d’actions.
Régis HOUNKPE,
Analyste géopolitique, Directeur associé d’Interglobe Conseils
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Très bon sujet !
Sur bien des points "la plus grande des Antilles", est en effet en avance sur l'Afrique noire. Une comparaison rapide Cuba Vs Ghana, pays souvent cité comme modèle et sur lequel se fondent beaucoup d'espoirs, pour illustrer cette avance :
Population Millions hab.
PIB (Milliards USD)
PIB / hab en PPA
Alphabétisation
Budget éducation % du PIB
Espérance de vie des femmes
IDH
Cuba
11 Millions
61
18800
99,83%
13%
81 ans
0,78
Ghana
25 Millions
41
3700
71,50%
8%
62 ans
0,55
Au-delà de ces résultats remarquables pour Cuba, je pense que les grandes forces de Cuba résident dans :
– Une idéologie forte, entre patriotisme et internationalisme
En dépit de moyens limités, Cuba agit et se pense au-delà de la rentabilité économique. Cuba ne vit pas que pour elle même (bien que sous embargo). Aider les autres fait partie de la fierté et de l'ADN du peuple cubain (pensez à José Marti , "Nuestra America")
– le développement d'une industrie locale et la maitrise technologique
Ce dernier point est essentiel, car sans maitrise technologique, la prospérité n'est qu'un leurre….
Cuba a déjà tracé la voie ….
Cordialement
Suite à un soucis d'affichage
Population
11 millions Cuba
25 millions Ghana
PIB / hab en PPA
18800 dollars / hab Cuba
3700 dollars / hab Ghana
Alphabétisation
99,83 % Cuba
71,5
Budget éducation
13% du PIB Cuba
8% du PIB Ghana
Budget santé
11% du PIB Cuba
5% du PIB Ghana
Indicateur de développement humain
0,78 cuba
0,55 ghana
Marcus, d'accord avec vos comparatifs qui donnent à prouver que Cuba a su résister l'embargo et les avatars de sa révolution et a pu faire émerger un modèle socio-économique, certes discutable par certains pour l'inégalitarisme et la redistribution imperfectible des dividendes de la croissance , mais qui peut constituer une référence pour les pays africains. Les priorités de santé et d'éducation sont la preuve d'options viables pour le développement d'un pays. Et là-dessus, le partage d'expériences, dans le cadre d'une coopération sud-sud, est fortement utile.
Sur l'idéologie politique à Cuba, je pense que ce référentiel joue globalement dans la construction du patriotisme et de l'ambition internationaliste de l'Ile.
Tout n'est pas transposable, la critique politique du cas d'école cubain ne résisterait pas aux exigences démocratiques tel qu'il est communément envisageable. Mais je suis convaincu de l'émergence de nouveaux modèles d'action, d'une autre culture politique. Une révolution d'idées mais surtout d'actions.