L’étonnante vague de sympathie que le Colonel Khadafi a réussi à créer en sa faveur, au cours des deux dernières décennies de son règne rend, pour certains, impossible d’évoquer sa fin sans immédiatement se raccrocher à leur sempiternel prêt-à-penser : l’anti-impérialisme. Qu’on ne s’y méprenne pas : ce n’est pas un anti-impérialiste que le CNT libyen a exécuté (nous reviendrons sur ce point) hier, c’est avant tout un dictateur fou, brutal et sanguinaire à la Amin Dada. Et ses excentricités ne doivent pas voiler la nature violente de son régime.
Derrière les insanités contenues dans son « Livre Vert »[1], les titres grandiloquents (« roi des rois et chefs traditionnels d’Afrique »), les amazones, la tente bédouine, ses travers de pétomane, derrière tout ça, il y avait un homme impitoyable avec ses adversaires et d’une brutalité inimaginable.
Comment croquer une personnalité aussi… multiple. Dans le même homme, il y avait :
le Khadafi des attentats de Lockerbie et le Khadafi qui soutint Mandela (un des petits-fils Mandela se prénomme… Khadafi) ; Khadafi, l’anticolonialiste, le nationaliste qui ferma les bases anglaises et françaises en Libye et Khadafi l’oppresseur des Libyens qui ordonna l’exécution de 1270 prisonniers politiques en 1996 ; Khadafi le héraut de l’unité africaine et Khadafi le financier, le formateur des rébellions sierra-léonaises et libériennes ;
Khadafi l’Africain qui apportait 15% du budget de l’UA, payait les parts des pays les plus pauvres et Khadafi l’ami de Dada et de Mugabe, Khadafi qui giflait son ministre des Affaires étrangères en pleine réunion de l’Union ; Khadafi précurseur de Chavez et de ses mallettes de pétrodollars et Khadafi des 30% de chômeurs ; Khadafi le « théoricien social » et le Khadafi de la corruption, de la fin des libertés publiques, de la suppression de la représentation nationale ;
Khadafi le « Guide » et Khadafi des femmes, Khadafi le violeur, Khadafi le tortionnaire des infirmières bulgares ; Khadafi le Père aimant et Khadafi le Patriarche cruel qui promettait de « nettoyer » les rebelles « ville par ville, rue par rue, cour par cour, jusqu’au dernier » ; Khadafi l’intraitable et Khadafi le fou. La tragi-comédie aura duré quarante-deux ans.
Les conditions de son décès sont ce qu’elles sont. Les sources divergent et se contredisent, mais un fait est établi : Khadafi a voulu se rendre, il a d’abord été blessé, dans le cafouillage qui a suivi, il semblerait qu’on ait pensé le conduire à l’hôpital puis que les rebelles se soient ravisés (ou aient affronté – c’est improbable – une attaque des dernières forces Khadafistes), l’aient descendu du pick-up et exécuté d’une nouvelle rafale avant de livrer un instant sa dépouille aux vandales, au milieu d’ « Allah Akbar » assourdissants. Tout cela dans une vision d’horreur : un homme en sang, agité presque dément et hurlant des phrases incompréhensibles qu’on tire d’une voiture puis qu’on abat et dont on martyrise la dépouille. Chacun se fera son opinion – certains considèreront qu'on ne bat pas un moribond et qu'on n'exécute pas un chef d'Etat…
Le CNT rétropédale aujourd’hui et annonce un enterrement discret, à l’abri des regards. C’est une sortie sordide. Et bouffonne. Elle arrange tout le monde (sauf les victimes) : les adversaires d’antan, les camarades de l’anti-impérialisme, les anciens griots du Khadafisme servant aujourd’hui le CNT et même les partisans de la dé-pariahisation.
La Guerre en Libye est « terminée » selon Alain Juppé, le ministre Français des Affaires Étrangères (déclaration assez irréelle sur Twitter sans consultation de l’OTAN). Les premières villes « soulevées » réclament aujourd’hui leur part, après le « parti des fusillés » en France, la Libye nous offre celui des « soulevés ». Une longue période grise s’annonce pour la Libye qui devra se reconstruire. Une plus lourde période de réflexion s’ouvre pour l’Union Africaine qui perd son Parrain et s’est ridiculisée tout au long du printemps Arabe. Une Union Africaine qui ne s’est toujours pas prononcée sur la mort du colonel…
Joël Té-Léssia
[1] Un de mes professeurs de relations internationales, en Colombie, nous conseillait très sérieusement de lire ce « livre » qui contenait des idées révolutionnaires. Je ne le nommerai pas ici, mais la liste est longue des cocus du khadafisme.
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C'est bien, vous êtes tout à fait là où l'on vous attend. Petit bourgeois compradores.
Je ne sais si je suis à la place où l'on m'attend, je suis au moins à l'endroit où me mènent mes convictions et une analyse que je crois objective. Après, les attaques anonymes et ad personam… (j’ai impression de ne pas avoir les contradicteurs que je mérite!)
Je trouve scandaleux qu'un tel texte soit publié. Je regrette vraiment qu'une photo aussi horrible soit affichée et qu'on se glorifie de la mort d'une personne humaine; quoique fût les accusations portées à son encontre.
La seule chose qui vaille dans tous les cas, c'est la justice et non la barbarie.
Je me demande encore ce qu'il y a de scandaleux dans le texte. Quant à la photo, elle est apparue sur les sites de médias très respectables.
Que la mort du colonel Khadafi ébranle quelques uns, ça va de soi. D'ailleurs, j'insiste assez dans la dernière partie de l'article sur la brutalité et l'ignominie dans lesquelles il a été mis fin à sa vie. De la même façon, je montre toute l'ambiguïté du personnage.
Ce que je me refuserai toujours à faire, c'est tomber dans l'hagiographie d'un tyran, juste parce qu'il a été brutalement exécuté. les images sont dures, mais moins dures que le règne de Khadafi.
Les informations contenues dans le texte sont sourcées. les crimes de Khadafi connus. Ces "bonnes actions" aussi. J'ai fait un compte-rendu équilibré de ses 42 ans de pouvoir.
"Khad(d)afi a voulu se rendre" -> faux, son convoi a été attaqué par l'otan (et peut etre meme livré à ses bourreaux après).
Sinon cet article est sans intérêt (je peux moi aussi te lister les exactions de l'otan et de ces pantins de rebelles) et occulte les vrais enjeux de cette révolution qui n'en est pas une.
On peut épiloguer tant qu'on veut, les rares sources montre que Khadafi s'est bel et bien rendu au CNT (http://www.bbc.co.uk/news/world-africa-15419106) aucune preuve n'existe à l'heure actuelle montrant que les fameuses frappes de l'Otan on bel et bien atteint Khadafi et non pas un autre dignitaire du régime. Et ce point est tellement anecdotique que je ne vois pas très bien ce qu'il vient faire ici : l'Otan a bombardé les bases de Khadafi pendant des mois, que son convoi l'ait été aussi en bout de compte, n'aurait rien de surprenant.
Terangaweb est ouvert aux contributions extérieures. Nous sommes bien évidemment disposés à étudier tout texte sourcé et argumenté sur votre vision du conflit en Libye.
fort est de remarquer que tous ceux qui soutiennent l entreprise de l otan en libye font preuve d une grande naiveté vu les milliers de versions sur sa mort tous ces medias respectables comme ils le disent sont a l image dun cheveux sur la soupe
Merci pour cet article, sur un sujet forcement polemique…
L'analyse presentee me semble en tous les cas juste et circonstanciee. Pour reprendre les termes de Joel, " tomber dans l'hagiographie d'un tyran, juste parce qu'il a été brutalement exécuté" serait une erreur. Pire encore (et c'est moi qui rajoute ce point et l'assume), une faute.
Pour le reste, on s'accordera tous a regretter la triste fin de Kadhafi. Ce dernier acte scabreux etait franchement inutile.
Tout cela est sans doute vrai… mais cet homme était soutenu par une bonne partie de son peuple et nous n'avons jamais eut l'opportunité d'entendre leur opinion… ou était la liberté de la presse qui vous est tellement chère dans ce conflit? j'ai entendu des occidentaux me dire il veut tuer son peuple – j'ai entendu des occidentaux dire il doit partir – mais j'aurais voulut entendre des lybiens et pas ceux que sarkozy obama et cameron voulaient bien nous laisser entendre! Cet homme était chez lui! Pourquoi n'allons nous pas en chine…? Ou encore en Corée… la liste n'est pas exhaustive? Nos dirigeants se sont mal comportés et votre grandiloquence n'y changera rien. c'était juste un homme à abattre et ce qui menaçait ou pas son peuple ils s'en foutait royalement! Et je crois que l'Afrique en générale sait que l'occident ne se mèle jamais par compassion : Afrique du sud – rwanda… ils étaient ou?
Khadafi n'était pas un enfant de choeur mais il mériterait tout de même que s'il devait être accusé de quelque chose, ce soit pour des faits avérés.Je veux m'arrêter ici sur l'attentat de Lockerbie que beaucoup de gens lui attribuent sans savoir de quoi il s'agit exactement.Comme si répéter à plusieurs un mensonge finirait ou suffirait à le rendre véridique…
Il est aujourd'hui admis que celui qui a été accusé au nom de la Libye l'a été sur la base de faux témoignages(ceux qui ont menti ayant touché une grosse enveloppe)!
En conséquence de quoi, la justice écossaise a reconnu que cet individu(mort depuis) avait le droit à un nouveau procès.
Par ailleurs, en 2005 un ancien haut responsable de la police écossaise ayant participé à l'enquête pointe du doigt une implication de la CIA…
Sources(pour n'en citer que deux) : http://www.lefigaro.fr/international/20071012.FIG000000229_lockerbie_la_piste_libyenne_perd_de_sa_credibilite.html
http://fr.wikipedia.org/wiki/Attentat_de_Lockerbie