Sénégal : le défi de la représentativité

Assemblee-NA l’assemblée nationale, le parti au pouvoir (l'APR du Président Macky Sall) et l'opposition (le PDS de l'ex-président Wade) ne se font pas de cadeaux. Dernier épisode en date, la motion de censure portée par les députés libéraux à l'encontre de l'actuel Premier ministre Abdoul Mbaye, accusé d'avoir blanchi de l'argent sale provenant de l'ex-Président tchadien, Hissène Habré.

Cette motion qui n'avait aucune chance d'aboutir vu la majorité écrasante des députés de Benno Bokk Yaakar à l’assemblée nationale, n'est néanmoins pas surprenante dans un pays dont la tradition politique parlementaire nous a habitué à d’épiques moments d’échanges houleux. Les évènements de 1962, ayant opposé Senghor à Mamadou Dia ont connu leur temps forts dans une assemblée nationale dirigée par Lamine Gueye, un fidèle de Senghor.

Ce qui est en revanche surprenant – en tout cas pour une démocratie « mature» comme aiment à le rappeler les hommes politiques sénégalais – c'est que l'assemblée nationale sénégalaise ne soit qu'une chambre de résonance du pouvoir exécutif. C'est en tout cas le sentiment qui rejaillit lorsqu'on considère l'histoire récente des dernières législatures. En effet, c'est une chambre largement acquise à la cause du pouvoir socialiste de l'époque qui avait voté la modification de la constitution en 1999 permettant à Abdou Diouf de faire sauter le verrou de la limitation des mandats et de se présenter pour briguer une nouvelle fois le suffrage des Sénégalais en 2000. Avec le résultat que l’on connaît…
C'est également une assemblée nationale totalement aux ordres d'Abdoulaye Wade qui a failli voter le 23 Juin 2011, le très controversé projet de loi portant création de la Vice-présidence et abaissement de la majorité élective de 50 à 25 % des suffrages exprimés. Et c'est aujourd'hui une assemblée nationale aux couleurs de Benno Bokk Yakaar qui adule « son » premier ministre et hue l’infime minorité de députés de l'opposition qui ont déposé la motion de censure.

Cette dévotion systématique de l'assemblée nationale en faveur du pouvoir en place traduit, si besoin en était, le caractère ultra-présidentialiste du régime politique sénégalais et renvoie surtout à un mode de désignation peu représentatif des députés. En effet, le couplage à quelques mois d'intervalle des élections présidentielle et législative dans cet ordre, « force la main » au peuple : celui ci ne serait en effet pas logique avec lui-même en n'octroyant pas au président qu'il vient d'élire une majorité à l'assemblée nationale. Ceci afin que le nouveau locataire du palais de l’avenue Senghor puisse mettre en œuvre le programme pour lequel il a été élu.

Cependant, cette élection législative de confirmation ne fait pas que donner une majorité au pouvoir en place, elle lui assure systématiquement d’une majorité écrasante qui donne souvent au parlement sénégalais les allures d’une assemblée soviétique. Ainsi l'enchantement législatif a fait en sorte que le nombre de députés du parti socialiste, formation historique qui a gouverné le Sénégal pendant 40 ans (1960-2000) à seulement…10 en 2001 au lendemain de la défaite d'Abdou Diouf ! Idem pour le PDS qui a connu une chute vertigineuse après 12 ans d’exercice du pouvoir. De 131 en 2011, les libéraux ne se retrouvent qu'avec 12 malheureux députés en 2012, année de la défaite présidentielle d’Abdoulaye Wade. Or ce qui est curieux avec ces ascenseurs numériques, c'est que aucun des deux présidents sortants n'a été ridicule lors de la présidentielle : Diouf affichait 41 % au 1er tour en 2000 et Wade 35 % en 2012. Cet écart entre les scores présidentiels honorables des sortants et le nombre relativement faible de députés obtenus par leurs partis s'explique surtout par le mode de suffrage législatif qui obéit à un scrutin mixte, mêlant la proportionnelle au niveau national et le scrutin majoritaire au niveau départemental. Or, la part donnée aux listes nationales représente environ la moitié des sièges.

Ainsi, nul besoin d'obtenir un pourcentage de voix équivalent à celui de vos sièges, il suffit d'être le parti au pouvoir et votre triomphe est assuré. Lors des législatives de 2001, avec seulement 49% des voix, la coalition Sopi avait remporté 89 des 120 sièges en jeu, soit 74 % du total. Le PS, nouvel opposant, terminait deuxième avec 17,4 % des suffrages exprimés n'obtenait que 10 sièges, tous à partir de la liste nationale proportionnelle.
Ce mode de scrutin permet donc de récupérer quasiment tous les sièges, de caser sa clientèle politique et d'avoir une assemblée nationale qui se comportera comme une chambre d’enregistrement des volontés de l’exécutif au lieu de prendre en charge les préoccupations des populations qui elles n'habitent dans aucune liste mais bien dans des circonscriptions réelles. Ainsi, si la représentante nationale des vendeuses de poissons du Sénégal vous a soutenu lors de la Présidentielle mais qu'elle ne dispose pas d'une circonscription où elle est bien ancrée, alors placez la sur la liste nationale à une place relativement proche: elle a environ 99 % de chances d'être élue. Pour le coup, même sans circonscription, elle représente bien une partie du peuple, en l’occurrence les poissonnières, et sa voix stridente habituée à chanter les louanges de son mérou vous servira peut-être à défendre votre nouveau projet de loi sur les licences de pêche…

Derrière cette image cocasse, se cache le problème de la représentativité des populations dans nos institutions. En effet, les populations africaines souffrent beaucoup du problème de la représentativité : nos institutions fonctionnant à partir de modèles pensés il y'a plus de 50 ans, à environ 5000 kilomètres de notre actuelle assemblée nationale. Réintroduire davantage de proportionnelle en donnant de l'importance à la circonscription, permettrait non seulement d'éviter les « chutes législatives » vertigineuses que nous observons lorsqu'il se produit une alternance politique, mais cela aurait également pour avantage de « re-territorialiser » la politique en donnant au député une légitimité populaire. Ainsi, pour se maintenir au parlement, les députés n'auraient plus besoin de se muer en laudateurs du président ou de prouver leur fidélité au parti en votant des lois scélérates contraires à la volonté des mandats que sont les électeurs, mais trouveraient plutôt leur bonheur à recueillir, transférer et concrétiser les doléances des populations qui les ont élus. Il est urgent de changer la loi électorale ; ce qui du ressort des…députés. Alors, mesdames et messieurs les représentants du peuple, c'est pour quand le changement ?

Fary Ndao

Un article détaillé sur le mode de scrutin à lire ici : http://aceproject.org/ace-fr/topics/es/esy/esy_sn

 

Macky Sall et le renouveau sénégalais

Au moment de fêter le 52ème anniversaire de son accession à l’indépendance, le Sénégal s’est doté d’un nouveau Président de la République, le premier à être né après l’indépendance de 1960. Au-delà de cette anecdote, Macky Sall incarne, sans le personnaliser, une tendance profonde qui s’est développée depuis trois ans : le renouveau sénégalais. Ce renouveau s’articule autour de trois axes fondamentaux : une nouvelle société civile, laïque, jeune et éclectique, une alternance générationnelle et un nouveau sens à l’action gouvernementale.

Le premier aspect de ce renouveau sénégalais est la naissance d’une vraie société civile qui présente trois caractéristiques majeures. La première est qu’elle est laïque. Dans son ouvrage intitulé Le marabout et le Prince (1981), Christian Coulon expliquait que le Sénégal possédait une société civile essentiellement « à base religieuse ». Les chefs religieux musulmans, d’abord à l’époque de la colonisation et ensuite après l’indépendance, ont joué, à la frontière de la sphère politique, le rôle qu’on peut assigner à une société civile. Ce rôle a encore pu être joué jusqu’à la fin de la décennie 2000. Cependant, au cours des dernières années, on a de plus en plus assisté à une marginalisation de cette société civile « à base religieuse ». Quant à l’élection du Président Macky Sall, elle a sonné le glas de la décadence des chefs religieux donneurs de consignes de vote. A cette société civile « à base religieuse », s’est donc substituée une société civile qu’on pourrait se définir comme laïque et dont on peut se réjouir qu’elle soit davantage en phase avec la Constitution du pays d’une part et d’autre part avec un éveil des consciences digne d’une société éclairée.

En plus d’être laïque, la nouvelle société civile sénégalaise présente la caractéristique d’être jeune. A cet égard, il convient de rendre à César ce qui lui revient. L’opposition traditionnelle sénégalaise a pendant longtemps échoué à constituer un contrepoint à Abdoulaye Wade. C’est d’abord la jeunesse, amenée par le mouvement Y en a marre, qui a impulsé le M23 et qui a constitué la véritable opposition à l’ancien Président de la République. L’élection de Macky Sall doit beaucoup à cette jeune société civile.

Toutefois, cette deuxième caractéristique ne doit pas amener à occulter le caractère désormais éclectique de la société civile sénégalaise. On y retrouve certes une jeunesse fortement engagée mais aussi d’autres structures. Ainsi, les Assises Nationales ne sont pas à négliger d’autant plus que les conclusions qui en sont issues compléteront le programme présidentiel de Macky Sall, notamment sur le renforcement de la démocratie, le raffermissement des institutions et l’indépendance de la justice. Le phénomène Youssou Ndour non plus n’est pas à négliger : l’engagement du chanteur et homme d’affaires sénégalais pour le départ d’Abdoulaye Wade a été sans relâche et tout au moins salutaire dans l’internationalisation du débat.

Outre cette nouvelle société civile, laïque, jeune et éclectique, le renouveau sénégalais transparait également dans l’alternance générationnelle incarnée par le Président Macky Sall. Sur le continent le plus jeune de la planète, la moyenne d’âge des dirigeants est le plus élevé au monde. Face à un tel paradoxe, le Sénégal vient d’envoyer à la retraite un octogénaire pour confier les rênes du pays à un homme davantage en phase avec la jeunesse de la population. Le renouveau sénégalais, c’est aussi l’avènement d’une équipe dirigeante dont la projection vers l’avenir est crédibilisée par une appartenance à la génération du plus grand nombre. Si la démocratie est le pouvoir du peuple et si les représentants du peuple doivent être à son image, l’alternance générationnelle, tout comme le renouveau la société civile d’ailleurs, contribue substantiellement à consolider la démocratie sénégalaise.

Mais à quoi servirait une démocratie dans une misère économique ? Le renouveau aurait en effet été vain s’il n’était pas sous-tendu par un nouveau sens à l’action gouvernementale. Celle-ci est désormais résolument tournée vers un double objectif : dans l’immédiat, l’amélioration des conditions de vie des populations les plus modestes, et à moyen et long termes, la mise en œuvre des conditions de l’émergence économique.

A cet égard, le nouveau Président de la république a posé des actes concrets. Le premier est la nomination d’un Premier Ministre de très haut niveau, Abdoul Mbaye, banquier d'affaires diplômé d'HEC, ancien PDG de plusieurs banques sénégalaises et orfèvre de l'installation du Groupe marocain AttijariWafa Bank au Sénégal. Ce technocrate reconnu et respecté, doté d'une fine intelligence et d'une intégrité jamais remise en cause, saura animer l'équipe gouvernementale et lui insuffler une culture de résultat issue du secteur privé. Là où le dernier gouvernement d'Abdoulaye Wade comptait 40 personnes dont…13 ministres d'Etat, celui qui sera animé par Abdoul Mbaye ne comptera pas plus de 25 ministres. Macky Sall a fermement averti ses collaborateurs lors de son discours du 3 avril que l'exervice du pouvoir sera "un sacerdoce sans ambiguité, (car) il est question de servir et non de se servir". Et ce sacerdoce se focalisera d'abord sur l'amélioration des conditions de vie des sénégalais.

Sur ce point, le Président, directement dans ses discours et à travers ses conseillers économiques, a annoncé la baisse dans les prochaines semaines des prix de trois denrées de première nécessité, à savoir le sucre, le riz et l’huile, de quoi rendre plus agréable et plus accessible le diébou djeune (riz au poisson, plat traditionnel du pays) des sénégalais. De plus, son gouvernement devrait aussi mettre en place assez rapidement une couverture maladie universelle (CMU).

Enfin, le programme présidentiel de Macky Sall a été conçu comme un chemin vers le véritable développement. Tout ne sera pas réalisable dans les prochaines années mais le Sénégal peut au moins avoir la certitude d’être désormais sur la bonne voie, avec un leadership de qualité.

Dans ce Sénégal nouveau, la politique n’est plus déconnectée de la réalité, elle n’est plus seulement une représentation ; elle est devenue le réel. C’est aussi cela qui donne sens aux premiers mots du Président de la République, au soir de son élection : « Ce soir une ère nouvelle commence pour le Sénégal. Ensemble nous allons rapidement nous atteler au travail de redressement attendu par chacun et attendu de chacun ».

Bonne fête de l'indépendance! Bonne route sur le chemin de la réfondation démocratique et de l'émergence économique!

                                                                                                                                                              Nicolas Simel