Comment « réinventer » la politique africaine de la France ?

_W1B7920-okC’est un portrait sans concession de la politique française en Afrique que brossent les députés Philippe Baumel (PS) et Jean-Claude Guibal (UMP) dans leur récent rapport parlementaire sur « La stabilité et le développement de l’Afrique francophone ». Soyons lucides, réclament-ils d’abord ; extrême pauvreté, mortalité infantile, absence d’infrastructures et secteur éducatif en crise : malgré la démographie galopante, la situation de l’Afrique est bien loin du discours afro-optimiste à la mode. Et dans ce contexte difficile, la politique française a en partie échoué, se réduisant de plus en plus, à des réactions militaires de dernière minute, au cœur de la crise, quand il aurait fallu, en amont, une politique de développement beaucoup plus ambitieuse. Corsetée dans ses vieilles habitudes, la France a bien du mal à tourner la page de ses amitiés anciennes, regrettent-ils. Elle passe à côté du bouillonnement des jeunesses africaines, qui de Ouagadougou, à Bujumbura, réclament davantage de démocratie. Pour L’Afrique des Idées, le député Philippe Baumel a accepté de présenter quelques-unes des pistes qu’il appelle de ses vœux pour redéfinir la stratégie française en Afrique.

L'Afrique des Idées: “La politique africaine de la France est à réinventer”, écrivez-vous dans votre rapport. Par où commencer ce vaste chantier ?

Compte tenu des moyens dont on dispose, on ne peut pas agir sur tous les secteurs, il faut définir des priorités. La France, au sein du concert des nations, pourrait particulièrement cibler les problématiques de santé et d’éducation. C’est déjà en partie le cas, mais ces objectifs ne sont pas complètement tenus et ils ratent parfois complètement leur cible. Sur les questions de santé, on met les moyens les plus importants sur la lutte contre le sida. Mais quand vous regardez de près les statistiques délivrées par l’OMS, vous vous apercevez que les Africains ne meurent pas en priorité du sida. Ils meurent d’abord d’autres maladies, comme le paludisme, ou à cause de la mortalité infantile sans lien avec le sida. Il faut cibler ce qui touche véritablement les Africains, plutôt qu’une maladie, certes pandémique et très importante, mais qui n’est pas la première des priorités. Sur l’éducation, nous répétons depuis plusieurs années qu’on doit mettre le paquet sur l’éducation de base. Pourtant l’année dernière nous ne lui avons consacré que 439 000 euros. Sur un budget total d’aide publique au développement de plus de 8 milliards d’euros, avouez que ce n’est pas terrible…. Dès lors, comment faire progresser la pratique du français ! Il faut mieux définir les objectifs mais surtout mieux les tenir, pour ne plus rater la cible comme on le fait aujourd’hui.

Vous souhaitez aussi que la France revienne davantage à des actions bilatérales, mais a-t-elle les moyens d’agir seule ?

Le problème aujourd’hui, c’est que l’argent que met la France sur un certain nombre de programmes internationaux n’est pas identifié. Sur le terrain, les Africains ont le sentiment que la France n’est plus dans le paysage, qu’elle est invisible alors qu’elle continue à payer de nombreuses opérations, pour des objectifs souvent médiocrement tenus. On ne veut pas se retirer complètement des actions multilatérales, mais il faut agir plus directement dans certains domaines. D’autant que je n’ai pas le sentiment que les dispositifs multilatéraux soient toujours évalués de façon optimale et que les décisions prises soient toujours concertées avec l’ensemble des co-financeurs. Il faut donner du sens à notre intervention publique en matière de développement et cela passe par un retour à une forme de bilatéralisme.

La politique africaine de la France est-elle trop militarisée ?

Attention, je considère que l’intervention militaire de la France a été ces derniers mois l’honneur de la France en Afrique. Lorsqu’il y a urgence pour restaurer la sécurité de peuples menacés par l’absolutisme ou la barbarie, il est heureux que la France intervienne. Ce que je regrette, c’est qu’elle soit la seule à intervenir et surtout, qu’avec des interventions trop durables dans le temps, l’opinion africaine se retourne et considère progressivement que la présence militaire française est une forme d’armée d’occupation. La sécurité est assurée mais s’il n’y a pas de véritables programmes de restauration de l’État, de l’économie et de la société dans son ensemble, on ne s’attaque pas aux racines du mal. Il faut faire attention à la durée de nos interventions et essayer de les faire partager au niveau européen. Il faut être à plusieurs pour gérer l’aspect militaire des choses mais surtout pour le post-militaire. La France ne peut pas se contenter de réagir dans l’urgence, il faut qu’elle soit à l’initiative d’actions en profondeur, avec des politiques de développement renouvelées, qui vont nous éviter de nous retrouver dans une situation de crise. Pourquoi un certain nombre de gens se tournent vers Boko Haram ou l’extrémisme religieux, c’est parce qu’ils ne trouvent pas de place dans la société, qu’ils sont dans la misère, et que le religieux devient leur seule perspective.

Le ministre de la Défense, Jean -Yves le Drian, est-il trop influent auprès des chefs d’État africains ?

Non. C’est bien normal qu’il soit sur le théâtre des opérations quand il y a des interventions miliaires. Mais il faut restaurer une stratégie politique vis-à-vis des États africains. C’est pour cela que nous proposons la création d’un ministère du développement de plein exercice, au même niveau que le Quai d’Orsay, pour avoir un outil d’anticipation, qui définit une politique de développement contrôlée par le Parlement, avec chaque année un arbitrage politique et budgétaire. La décision politique est aujourd’hui éparpillée, entre de nombreuses agences, sur lesquelles le Parlement n’a aucun contrôle. Cela n’aurait rien à voir avec l’ancien ministère de la coopération. S’il y avait une comparaison à faire, c’est plutôt avec ce que font les Anglais depuis plusieurs décennies avec un ministère du Développement de même niveau que celui des Affaires étrangères.

La diplomatie française est-elle déconnectée des réalités de la jeunesse africaine ?

Lors de notre mission au Cameroun, nous avons rencontré des jeunes diplômés qui avaient étudié en France puis fait le choix du retour. Sincèrement, c’était accablant. Sur la trentaine de diplômés, deux seulement avaient trouvé leurs places dans le pays. Les autres étaient désespérés malgré la réussite de leurs études réalisées avec le soutien de bourses françaises. Certains nous disaient qu’ils en arrivaient à regretter d’avoir étudié en France et d’être rentrés. Cela signifie que nous devrions aussi avoir comme mission de faciliter la réinsertion de ces jeunes dans le tissu social et économique local, pour qu’ils soient utiles au développement de leurs pays. Il faut savoir s’appuyer sur eux, développer des réseaux. Il y a à peine un an que le Ministère des Affaires étrangères a décidé de constituer un réseau complet des jeunes Africains, diplômés en France, et qui repartent dans leurs pays. C’est très pertinent. Quand on recherchera des ressources humaines on saura à quelles portes frapper et comment constituer des réseaux utiles.

Faut-il faire évoluer les relations avec certains chefs d’État, partenaires traditionnels de la France. Dans votre rapport, on peut lire par exemple qu’il faut préparer l’après Biya au Cameroun…

Il ne faut pas jeter l’anathème sur les uns ou sur les autres. Pas plus au Cameroun qu’ailleurs. Le Cameroun est un faisceau de réalités, qui relèvent du poids de l’histoire, et qu’on retrouve dans d’autres pays quel que soit l’âge du président. Je pense surtout qu’il faut sortir de cette relation de président à président, trop personnalisée. C’est la meilleure façon de masquer les véritables réalités économiques et sociales. Il faut savoir entretenir des liens directs avec les acteurs de la société civile, être sensible à ce qu’ils nous disent, à la façon dont ils vivent.

La France doit-elle davantage se faire entendre sur les droits de l’homme, vous citez plusieurs arrestations récentes en RDC notamment… ?

En Afrique comme ailleurs, je crois que le message sur les droits de l’homme est tout à fait identifié comme étant a priori un message de la diplomatie française. Si on ne le tient pas fermement, on est très vite taxé de complaisance. Je regarde un certain nombre de manifestations qui se sont tenues ces derniers mois, ces dernières semaines ou même tout récemment au Burundi, quand un président qui veut continuer à se présenter après deux mandats, n’hésite pas à tirer sur la population. Je pense que la France doit réaffirmer un certain nombre de principes. François Hollande l’a fait avec justesse à Kinshasa ou à Dakar. C’est heureux et fort que la France porte ce message mais il faut le faire au quotidien, à chaque fois que l’actualité l’exige, c’est comme ça qu’on imprimera davantage les principes et valeurs qui sont les nôtres.

Votre rapport étudie la relation avec les pays africains francophones. Cette distinction francophone/anglophone n’est-elle pas un peu datée, à l’heure où les entreprises traversent les frontières ?

Je ne suis pas sûr que les entreprises les plus significatives traversent si facilement les frontières. On s’est surtout concentré sur les pays francophones car on considérait qu’il y avait un lien plus fort depuis longtemps et une culture partagée dont on voulait mesurer les effets dans les réalités sociales et économiques. Je peux convenir que pour partie, ces clivages-là sont un peu dépassés.

Quel regard portez-vous sur le projet d’électrification de l’Afrique porté par Jean-Louis Borloo ?

C’est bien. Cela rassemble des moyens. C’est un objectif qu’il faut savoir tenir parce que cela peut concerner une large partie de la population africaine. Mais il faut le faire en coordination avec la population. Si cela reste une superstructure qui plane au-dessus des États africains, j’ai un doute sur l’efficience de la démarche. Mais je ne veux pas jeter le bébé avec l’eau du bain, on verra d’ici quelques années à partir des crédits rassemblés aujourd’hui. L’électricité c’est déterminant pour l’Afrique, dans les décennies à venir, il faut qu’un cap en termes d’infrastructures soit passé. Ces enjeux ne pourront pas être résolus par la seule action de Jean-Louis Borloo. Cela nécessite des dizaines de milliards d’euros et une mobilisation planétaire, au niveau des Nations Unies. 

Entretien réalisé par Adrien de Calan