Que peut espérer l’Afrique de la présidence Macron?

 Le 07 mai 2017, la France a élu un nouveau président, en la personne d’Emmanuel MACRON.

Le nouveau président coche toutes les cases de l’atypisme en politique[1].  Il y a environ une année qu’il a créé son mouvement politique. Personne ou presque au sein de la classe politique, ne lui donnait une chance de réussir son pari, celui de remporter les élections présidentielles. Quelques mois après, il est non seulement le 8ème président de la Ve République mais a également obtenu la majorité absolue aux dernières élections législatives. Actant au passage la définitive désintégration du Parti socialiste, le président Macron a également fortement affaibli la droite républicaine.

Affirmer que le succès d’Emmanuel MACRON a modifié l’échiquier politique français n’est qu’un euphémisme. Ses premières sorties sur le plan international sont venues confirmer cette impression. Entre la symbolique poignée de main avec le président Trump et la réception du président russe Vladimir Poutine, le jeune président a pris ses marques et a fait taire les premières critiques visant son inexpérience pour conduire une bonne politique étrangère de la France.  Si pragmatisme et opportunisme peuvent qualifier ses premières sorties face aux géants russe et américain, sa politique africaine reste plus difficile à décrypter. La longue et sulfureuse histoire de la françafrique n’aide pas le nouveau président en ce sens. En effet, durant les dernières décennies, les politiques africaines des exécutifs français se suivent et se ressemblent.  Le président Sarkozy avait, dès son arrivée au pouvoir, affirmé sa volonté de mettre fin à ce réseau d’amis et d’intérêts privés priorisés au détriment des intérêts des populations. Il n’en a pourtant été rien. La présidence Hollande, quant à elle, a très timidement tourné le dos à certains gouvernements africains considérés comme peu enclins à la valorisation de la culture démocratique. Le nouvel homme fort de la France pourra-t-il abonder dans le même sens en incarnant un tout autre postulat des relations entre la France et l’Afrique ? Quelles conséquences pourraient avoir l’élection d’un président, non rompu aux codes des relations France Afrique sur la politique africaine de la France ?

Macron, président d’une autre époque

Emmanuel Macron est né en 1977, 32 ans après la fin de la seconde guerre mondiale. Ce détail a une importance capitale. Il met en exergue sa jeunesse. Mais au-delà de son jeune âge, il est le seul président de la Ve République à ne pas avoir véritablement vécu la guerre froide. Il avait 12 ans lors de la chute du mur du Berlin.  Il ne porte donc pas l’héritage des nébuleuses relations liées à la « françafrique » qui ont brillamment porté leur fruit lors de la période de la guerre froide. Comme le résumait très excellemment Lionel Zinsou lors d’une interview sur les chaines de France 24, « il n’est pas pris dans des héritages liés à d’autres relations entre la France et l’Afrique. Il a dépassé les clivages gauche et droite, la gauche pour la décolonisation, la droite qui assume l’héritage colonial ». L’ancien premier ministre du Bénin poursuivit en affirmant qu’Emmanuel Macron a pris des risques politiques en France en qualifiant la colonisation de « crime contre l’humanité. ».

Loin d’une posture à visée électoraliste, les prises de position du président Macron vis-à-vis de la colonisation peuvent être interprétées comme la résultante de son époque. Il s’agit là d’une chance inouïe pour l’Afrique et sa société civile, en quête d’interlocuteurs qui ne les analyseraient ni sous le prisme du néocolonialisme ni sous celui de menaces aux intérêts français en Afrique. Cette lecture des relations franco-africaine a été dominante durant ces trente dernières années. Elle pourra peut-être changer avec la présente mandature.

La jeunesse du président Macron, une chance pour la jeunesse africaine ?

L’Afrique est un continent jeune.  D’après les chiffres de l’Unesco, 70% de la population a moins de 30 ans[2]. Paradoxalement, c’est le continent sur lequel les jeunes sont les moins représentés aux postes de responsabilité.  Ceci s’explique en partie par la longévité au pouvoir de certains chefs d’Etat qui ne créent pas forcément les conditions idoines pouvant permettre à la jeunesse de faire ses preuves.

Ces règnes ont souvent été possible grâce à la bénédiction de gouvernements occidentaux, notamment français. La jeunesse du nouveau président français pourrait radicalement rompre avec cet état de fait. Elle pourrait en conséquence constituer une chance pour une jeunesse africaine qui cherche à prendre en main son destin.

Le président Macron croit en l’avenir de l’Afrique et en à la « créativité » de sa jeunesse. Lors d’une interview au journal Le monde, il a déclaré vouloir être à côté « des ONG, de la diaspora africaine et des entreprises »[3]. En un mot, le président Macron promet de soutenir les sociétés civiles africaines et forcément au détriment des pouvoirs politiques souvent décriés par les populations. L’aide au développement qu’il souhaite doubler devrait donc principalement bénéficier à ces sociétés civiles qui mènent le combat de la bonne gouvernance et de la vulgarisation des bonnes pratiques démocratiques sur le continent.

Les certitudes de sa politique

Pour son premier voyage sur le continent africain, Emmanuel Macron s’est rendu au Mali, pour saluer les troupes françaises de l’opération « Barkhane ». Par ce déplacement, il a donné un signe de ce que constituera l’un des piliers de sa politique africaine. La lutte contre le terrorisme en Afrique de l’ouest sera certainement l’une de ses priorités.

Les intérêts français dans la zone sahélo-sahélienne sont nombreux. L’énergie nucléaire est la principale source d’électricité utilisée en France avec l’uranium en provenance du Niger constituant, à elle seule, un tiers de la production énergétique du pays[4]. C’est dire à quelle point la sécurisation de cette zone peut avoir des conséquences directes sur le quotidien des populations françaises.

Toute la question qui se pose à ce propos est relative à la stratégie politique et militaire qu’adoptera le nouvel exécutif. Si un départ des troupes françaises n’est pas à l’ordre du jour, un renforcement de la présence française n’est pas non plus évoquée. Le nouvel homme fort français espère convaincre l’Allemagne à participer d’une manière plus pérenne à l’effort de guerre dans le Sahel. Le président compte également mettre l’accent sur la formation et l’équipement des troupes africaines.  Alors que l’armée malienne et ses alliés de l’Union Africaine et de la CEDAO[5] peinent à sécuriser le nord du pays, le soutien de la France à la région est plus que jamais nécessaire.

Il faudrait, somme toute, rester prudent quant aux déclarations d’intention du président élu et aux différentes analyses qui peuvent être faites sur la base de son parcours politique. Lorsque les promesses électorales rencontrent la réalité du pouvoir, l’expérience a montré que les déceptions ont assez souvent triomphé.

                                                                                                                                                                 Giani GNASSOUNOU

 


[1] Avant son élection à la magistrature suprême, il n’avait jamais exercé de mandat électoral. Son mouvement politique est devenu le premier parti politique avec seulement une année d’existence. A côté, le parti socialiste a dû attendre 12 années après sa création pour voir son candidat accéder au poste de président de la république.

[2] http://www.unesco.org/new/fr/unesco/events/prizes-and-celebrations/celebrations/international-days/world-radio-day-2013/statistics-on-youth/

[3] http://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/04/12/emmanuel-macron-son-programme-afrique-je-veux-mobiliser-plus-de-financements-pour-les-pme-locales_5110340_3212.html

[4] http://www.atlantico.fr/decryptage/combien-couterait-vraiment-prise-stocks-uranium-niger-groupes-islamistes-florent-detroy-614999.html

[5] Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest.

 

 

 

Comment « réinventer » la politique africaine de la France ?

_W1B7920-okC’est un portrait sans concession de la politique française en Afrique que brossent les députés Philippe Baumel (PS) et Jean-Claude Guibal (UMP) dans leur récent rapport parlementaire sur « La stabilité et le développement de l’Afrique francophone ». Soyons lucides, réclament-ils d’abord ; extrême pauvreté, mortalité infantile, absence d’infrastructures et secteur éducatif en crise : malgré la démographie galopante, la situation de l’Afrique est bien loin du discours afro-optimiste à la mode. Et dans ce contexte difficile, la politique française a en partie échoué, se réduisant de plus en plus, à des réactions militaires de dernière minute, au cœur de la crise, quand il aurait fallu, en amont, une politique de développement beaucoup plus ambitieuse. Corsetée dans ses vieilles habitudes, la France a bien du mal à tourner la page de ses amitiés anciennes, regrettent-ils. Elle passe à côté du bouillonnement des jeunesses africaines, qui de Ouagadougou, à Bujumbura, réclament davantage de démocratie. Pour L’Afrique des Idées, le député Philippe Baumel a accepté de présenter quelques-unes des pistes qu’il appelle de ses vœux pour redéfinir la stratégie française en Afrique.

L'Afrique des Idées: “La politique africaine de la France est à réinventer”, écrivez-vous dans votre rapport. Par où commencer ce vaste chantier ?

Compte tenu des moyens dont on dispose, on ne peut pas agir sur tous les secteurs, il faut définir des priorités. La France, au sein du concert des nations, pourrait particulièrement cibler les problématiques de santé et d’éducation. C’est déjà en partie le cas, mais ces objectifs ne sont pas complètement tenus et ils ratent parfois complètement leur cible. Sur les questions de santé, on met les moyens les plus importants sur la lutte contre le sida. Mais quand vous regardez de près les statistiques délivrées par l’OMS, vous vous apercevez que les Africains ne meurent pas en priorité du sida. Ils meurent d’abord d’autres maladies, comme le paludisme, ou à cause de la mortalité infantile sans lien avec le sida. Il faut cibler ce qui touche véritablement les Africains, plutôt qu’une maladie, certes pandémique et très importante, mais qui n’est pas la première des priorités. Sur l’éducation, nous répétons depuis plusieurs années qu’on doit mettre le paquet sur l’éducation de base. Pourtant l’année dernière nous ne lui avons consacré que 439 000 euros. Sur un budget total d’aide publique au développement de plus de 8 milliards d’euros, avouez que ce n’est pas terrible…. Dès lors, comment faire progresser la pratique du français ! Il faut mieux définir les objectifs mais surtout mieux les tenir, pour ne plus rater la cible comme on le fait aujourd’hui.

Vous souhaitez aussi que la France revienne davantage à des actions bilatérales, mais a-t-elle les moyens d’agir seule ?

Le problème aujourd’hui, c’est que l’argent que met la France sur un certain nombre de programmes internationaux n’est pas identifié. Sur le terrain, les Africains ont le sentiment que la France n’est plus dans le paysage, qu’elle est invisible alors qu’elle continue à payer de nombreuses opérations, pour des objectifs souvent médiocrement tenus. On ne veut pas se retirer complètement des actions multilatérales, mais il faut agir plus directement dans certains domaines. D’autant que je n’ai pas le sentiment que les dispositifs multilatéraux soient toujours évalués de façon optimale et que les décisions prises soient toujours concertées avec l’ensemble des co-financeurs. Il faut donner du sens à notre intervention publique en matière de développement et cela passe par un retour à une forme de bilatéralisme.

La politique africaine de la France est-elle trop militarisée ?

Attention, je considère que l’intervention militaire de la France a été ces derniers mois l’honneur de la France en Afrique. Lorsqu’il y a urgence pour restaurer la sécurité de peuples menacés par l’absolutisme ou la barbarie, il est heureux que la France intervienne. Ce que je regrette, c’est qu’elle soit la seule à intervenir et surtout, qu’avec des interventions trop durables dans le temps, l’opinion africaine se retourne et considère progressivement que la présence militaire française est une forme d’armée d’occupation. La sécurité est assurée mais s’il n’y a pas de véritables programmes de restauration de l’État, de l’économie et de la société dans son ensemble, on ne s’attaque pas aux racines du mal. Il faut faire attention à la durée de nos interventions et essayer de les faire partager au niveau européen. Il faut être à plusieurs pour gérer l’aspect militaire des choses mais surtout pour le post-militaire. La France ne peut pas se contenter de réagir dans l’urgence, il faut qu’elle soit à l’initiative d’actions en profondeur, avec des politiques de développement renouvelées, qui vont nous éviter de nous retrouver dans une situation de crise. Pourquoi un certain nombre de gens se tournent vers Boko Haram ou l’extrémisme religieux, c’est parce qu’ils ne trouvent pas de place dans la société, qu’ils sont dans la misère, et que le religieux devient leur seule perspective.

Le ministre de la Défense, Jean -Yves le Drian, est-il trop influent auprès des chefs d’État africains ?

Non. C’est bien normal qu’il soit sur le théâtre des opérations quand il y a des interventions miliaires. Mais il faut restaurer une stratégie politique vis-à-vis des États africains. C’est pour cela que nous proposons la création d’un ministère du développement de plein exercice, au même niveau que le Quai d’Orsay, pour avoir un outil d’anticipation, qui définit une politique de développement contrôlée par le Parlement, avec chaque année un arbitrage politique et budgétaire. La décision politique est aujourd’hui éparpillée, entre de nombreuses agences, sur lesquelles le Parlement n’a aucun contrôle. Cela n’aurait rien à voir avec l’ancien ministère de la coopération. S’il y avait une comparaison à faire, c’est plutôt avec ce que font les Anglais depuis plusieurs décennies avec un ministère du Développement de même niveau que celui des Affaires étrangères.

La diplomatie française est-elle déconnectée des réalités de la jeunesse africaine ?

Lors de notre mission au Cameroun, nous avons rencontré des jeunes diplômés qui avaient étudié en France puis fait le choix du retour. Sincèrement, c’était accablant. Sur la trentaine de diplômés, deux seulement avaient trouvé leurs places dans le pays. Les autres étaient désespérés malgré la réussite de leurs études réalisées avec le soutien de bourses françaises. Certains nous disaient qu’ils en arrivaient à regretter d’avoir étudié en France et d’être rentrés. Cela signifie que nous devrions aussi avoir comme mission de faciliter la réinsertion de ces jeunes dans le tissu social et économique local, pour qu’ils soient utiles au développement de leurs pays. Il faut savoir s’appuyer sur eux, développer des réseaux. Il y a à peine un an que le Ministère des Affaires étrangères a décidé de constituer un réseau complet des jeunes Africains, diplômés en France, et qui repartent dans leurs pays. C’est très pertinent. Quand on recherchera des ressources humaines on saura à quelles portes frapper et comment constituer des réseaux utiles.

Faut-il faire évoluer les relations avec certains chefs d’État, partenaires traditionnels de la France. Dans votre rapport, on peut lire par exemple qu’il faut préparer l’après Biya au Cameroun…

Il ne faut pas jeter l’anathème sur les uns ou sur les autres. Pas plus au Cameroun qu’ailleurs. Le Cameroun est un faisceau de réalités, qui relèvent du poids de l’histoire, et qu’on retrouve dans d’autres pays quel que soit l’âge du président. Je pense surtout qu’il faut sortir de cette relation de président à président, trop personnalisée. C’est la meilleure façon de masquer les véritables réalités économiques et sociales. Il faut savoir entretenir des liens directs avec les acteurs de la société civile, être sensible à ce qu’ils nous disent, à la façon dont ils vivent.

La France doit-elle davantage se faire entendre sur les droits de l’homme, vous citez plusieurs arrestations récentes en RDC notamment… ?

En Afrique comme ailleurs, je crois que le message sur les droits de l’homme est tout à fait identifié comme étant a priori un message de la diplomatie française. Si on ne le tient pas fermement, on est très vite taxé de complaisance. Je regarde un certain nombre de manifestations qui se sont tenues ces derniers mois, ces dernières semaines ou même tout récemment au Burundi, quand un président qui veut continuer à se présenter après deux mandats, n’hésite pas à tirer sur la population. Je pense que la France doit réaffirmer un certain nombre de principes. François Hollande l’a fait avec justesse à Kinshasa ou à Dakar. C’est heureux et fort que la France porte ce message mais il faut le faire au quotidien, à chaque fois que l’actualité l’exige, c’est comme ça qu’on imprimera davantage les principes et valeurs qui sont les nôtres.

Votre rapport étudie la relation avec les pays africains francophones. Cette distinction francophone/anglophone n’est-elle pas un peu datée, à l’heure où les entreprises traversent les frontières ?

Je ne suis pas sûr que les entreprises les plus significatives traversent si facilement les frontières. On s’est surtout concentré sur les pays francophones car on considérait qu’il y avait un lien plus fort depuis longtemps et une culture partagée dont on voulait mesurer les effets dans les réalités sociales et économiques. Je peux convenir que pour partie, ces clivages-là sont un peu dépassés.

Quel regard portez-vous sur le projet d’électrification de l’Afrique porté par Jean-Louis Borloo ?

C’est bien. Cela rassemble des moyens. C’est un objectif qu’il faut savoir tenir parce que cela peut concerner une large partie de la population africaine. Mais il faut le faire en coordination avec la population. Si cela reste une superstructure qui plane au-dessus des États africains, j’ai un doute sur l’efficience de la démarche. Mais je ne veux pas jeter le bébé avec l’eau du bain, on verra d’ici quelques années à partir des crédits rassemblés aujourd’hui. L’électricité c’est déterminant pour l’Afrique, dans les décennies à venir, il faut qu’un cap en termes d’infrastructures soit passé. Ces enjeux ne pourront pas être résolus par la seule action de Jean-Louis Borloo. Cela nécessite des dizaines de milliards d’euros et une mobilisation planétaire, au niveau des Nations Unies. 

Entretien réalisé par Adrien de Calan