La nouvelle constitution du Zimbabwe : par les politiciens et pour les politciens?

MugabeLe 15 Septembre 2008, le président Robert Mugabe a été contraint à une union politique avec son principal adversaire politique :  Morgan Tsvangirai du Mouvement pour le changement démocratique (MDC-T). Cette démarche a abouti à l'Accord Politique Global (GPA) et à la fondation de l'actuel gouvernement de coalition de la ZANU-PF, le MDC-T et le MDC-M, faction au sein du MDC. Ce mariage politique compliqué a été négocié par la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC) et faisait suite aux sanglantes élections présidentielles de 2008 desquelles Tsvangirai – après avoir remporté le premier tour – avait été contraint de se retirer, du fait des violences perpétrées contre ses partisans.

En plus de rétablir la situation économique du pays, le gouvernement de coalition avait été chargé de rédiger une nouvelle constitution. Et si l’Accord politique global a permis de stabiliser une économie à la ruine, on ne peut pas en dire autant de son efficacité en ce qui concerne la rédaction de la nouvelle constitution. Le processus a traîné en longueur pendant plus de quatre ans et a été caractérisé par des querelles, un financement insuffisant et la faiblesse des mécanismes d’information et de sensibilisation de la population.

L'ingérence politique 

Le processus a également été caractérisé par des ingérences politiques.

Le « Constitution du Zimbabwe Select Committee » (COPAC)  devait en principe assurer la rédaction de la constitution. Mais en réalité, tout se joua parmi les responsables politiques. Fait révélateur, ce sont les chefs des trois principaux partis politiques – Mugabe, Tsvangirai et Ncube – et non le comité,  qui ont annoncé l'achèvement du projet de constitution en janvier dernier.

Le premier assaut porté contre le COPAC par les politiciens fut donné très tôt, lorsque les responsables des trois partis de la coalition établirent, en dehors du COPAC, au moins deux autres comités chargé de résoudre les points litigieux liés à la rédaction de la nouvelle constitution. Non seulement la direction de la réforme constitutionnelle par le COPAC était remise en question, mais plus encore : ces comités ainsi formés n'avaient pas l'expertise nécessaire pour l’accomplissement de leur travail de médiation, mais ses membres ne daignaient même pas participer aux réunions de travail. Résultat de cet échec : les responsables politiques, avec à leur tête Robert Mugabe, décidèrent de reprendre en charge la résolution de leurs différends. , échouant à accomplir les tâches pour, et même ne pas se présenter aux sessions programmées. En conséquence, les dirigeants politiques, ostensiblement dirigée par le président Mugabe, ont pris sur eux pour résoudre les désaccords. 

En outre, lorsqu’un premier projet de constitution fut publié en Juillet 2012, elle et son processus de modification furent très rapidement politisés. Si les deux factions du MDC l’approuvèrent rapidement, le président Mugabe, dans le style typique du ZANU-PF, remis le processus à zéro en introduisant plusieurs amendements qu’il savait d’avance inacceptables pour l’opposition : notamment en ce qui concerne les dispositions sur la décentralisation, le scrutin présidentielle, la création d'une cour constitutionnelle, l’autorisation de procureurs soustraits à l’autorité du ministère, le  droit foncier, le mariage pour les homosexuels, et le financement étranger des partis politiques. Pour corser l’addition, la ZANU-PF a aussi insisté pour toute une classe de nouvelles clauses soient introduites dans la constitution comme la restauration des pouvoirs présidentiels et l'introduction d’un « black empowerment ».  Tsvangirai a refusé le projet proposé ZANU-PF qui à ses yeux n'était pas "un amendement au projet mais un nouveau document, complètement réécrit". En fin de compte cependant, la plupart des trente amendements de la ZANU-PF – ont été acceptés.  La nouvelle constitution a été adoptée par le parlement, et les principaux partis politiques ont encouragés les Zimbabwéens à voter «oui» lors du prochain référendum du 16 Mars. Ce qu’ils ont fait, à une écrasante majorité.

« Se débarrasser de la créature à trois têtes »

Il est dès lors peu surprenant de constater que cette nouvelle constitution a été accueillie froidement par bien des acteurs de la société civile ; d’abord du fait de sa rédaction conduite presque sous la supervision des acteurs politiques, bafoua l’autorité de la commission indépendante et se fit sans l’implication ni la consultation des acteurs de la société civile. Ensuite parce que les dispositions qu’elle contient accordent encore un pouvoir extrêmement fort au président de la république qui peut encore déployer des troupes dans le pays sans l'approbation préalable du Parlement. Cela signifie que les évènements tels que l'Opération Murambatsvina, où les soldats avaient été déployés dans et autour de Harare en 2005 pour cibler les électeurs de l'opposition, pourraient être répétés.

Au milieu de toute cette fureur, il est facile d'oublier que le Zimbabwe a déjà une constitution – elle-même modifié à plusieurs reprises. La Constitution actuelle, encore en vigueur en attendant l’implémentation de la nouvelle constitution, contient par exemples des dispositions pour un président exécutif, deux vice-présidents, un Premier ministre, deux vice-premiers ministres, et un sénat de type américain – aucune de ces dispositions n’étaient contenues dans la constitution adoptée à l’indépendance du pays. Pour cette raison, s’il y a une chose que les Zimbabwéens devraient avoir appris depuis 1980, c’est qu’une constitution est toujours à la merci de ceux qui détiennent le pouvoir. 

Dans un communiqué disant, par exemple, le président Mugabe a rassuré les chefs traditionnels dans la province de Masvingo (sud-est) du fait que son parti allait apporter des modifications au texte constitutionnel, peu après les élections qu'il était confiant de remporter: « Nous avons convenu de cette nouvelle constitution, mais n’avons obtenu tout ce que nous voulions. C'était un compromis", a déclaré M. Mugabe. "Après les élections, nous allons modifier la constitution pour l'adapter à certains de vos points de vue. Actuellement, nous devons nous débarrasser de cette créature à trois têtes."

 

Article de Simukai Tinhu, publié initialement chez nos partenaires Think Africa Press. Traduction d'AJTL