La question de la terre en Afrique du Sud

« Quand les missionnaires sont arrivés en Afrique du Sud, ils avaient la Bible et nous avions la terre. Ils ont dit : « Allons prier ». Nous avons fermé les yeux et quand nous les avons ouverts, nous avions la Bible et ils avaient la terre ». Desmond Tutu

La terre est un sujet controversé et très important en Afrique du Sud. La controverse vient d’une loi sur les terres autochtones de 1913. Cette loi a empêché une grande majorité des autochtones du pays de posséder leurs propres terres tout en accordant plus d’avantages aux Afrikaners (colons blancs). En conséquence, seulement 7% des terres cultivables ont été gardées pour la population noire qui représente 70% de la population globale à l’époque[i]. Cette question est très importante car le taux de chômage en Afrique du Sud est très élevé, surtout dans les zones rurales. De ce fait, la restructuration des terres pourrait potentiellement faire évoluer la situation sociale et économique.

A la fin de l’apartheid, un nouveau gouvernement a été élu dans l’espoir d’un changement pour la majorité des Sud-Africains. Ainsi, y a-t-il eu un changement significatif dans la distribution des terres depuis cette époque en Afrique du Sud ?

L’initiative du Gouvernement

En 1994, à la fin de l’apartheid, les blancs, qui représentaient moins de 10% de la populations, possédaient presque 90% des terres du pays[ii. Le nouveau gouvernement élu avait promis de redistribuer un tiers des terres à la population noire. Pour ce faire, le gouvernement a mis en place deux actions fondamentales: la redistribution et la restitution des terres.

D’abord, le gouvernement s’est attelé à la redistribution des terres. Il s’agissait d’acheter les terres des propriétaires bénéficiant de la loi sur les terres autochtones et de les restituer aux populations évincées. Cette action était aussi connue sous le nom de la méthode «willing buyer, willing seller » (vente de gré à gré).  Le gouvernement pouvait obtenir la terre une fois qu’elle avait été vendue par les propriétaires et mise sur le marché. Les propriétaires n’étaient, en aucun cas, obligés de vendre leur terre.

La restitution est aussi une action importante du gouvernement sud-africain. Cette action complète la distribution des terres. En effet, cette pratique consiste à donner à la population lésée par la loi une somme d’argent plutôt que la terre elle-même. Cette offre a du succès parmi les habitants pauvres des zones urbaines qui n’ont pas envie de retourner dans les zones rurales. Cependant, comme toutes les politiques, des limitations se sont mises en place.

Des actions limitées

Le gouvernement avait promis de redistribuer un tiers des terres. Cependant, vingt ans après, moins de 10% des terres ont été restitués[ii. Comment expliquer cet échec ?

Au début, la redistribution des terres ne suffisait pas. L’éducation pendant l’apartheid s’est révélée insuffisante. Les nouveaux propriétaires manquaient des connaissances et compétences nécessaires pour gérer la terre acquise. En plus de cela, la gestion d’une ferme implique des coûts élevés. Les nouveaux propriétaires qui souffrent de difficultés financières n’ont pas les moyens suffisants pour réaliser leur travail. Il faut régler ces problèmes afin de garantir le progrès en Afrique du Sud.

Evolution et perspectives

Il est très important pour le gouvernement sud-africain de soutenir les nouveaux fermiers, en leur accordant des subventions (soutien financier) afin de faciliter la vente des produits agricoles et d’augmenter la productivité par l’acquisition de nouveaux équipements et machines. A plus grande échelle, le gouvernement sud-africain pourrait proposer des projets plus ambitieux en encourageant l'éducation et finançant les projets pour réduire le fossé crée pendant l’apartheid. L’Afrique du Sud pourrait suivre l’exemple de ses voisins qui souffrent du même problème.

D’un côté, le Zimbabwe a mis en place des mesures radicales pour s’approprier des terres et les redistribuer arbitrairement. Cette méthode de redistribution a plusieurs conséquences. D’emblée, il faut savoir que même si l’Afrique du Sud et le Zimbabwe partagent le même problème, ils ne le gèrent pas de la même manière. Le parti ANC (Congrès National Africain) de Mandela a lutté contre les inégalités raciales. La question de la redistribution des terres est considérée comme un sujet de haine et de récupération potentielle pour les Sud-Africains autochtones. Elle n’est pas traitée comment un objectif des plus urgents dans l’agenda ministériel. Par exemple, en examinant le budget de la réforme agraire (représentant 1% du budget du pays en 2013)[ii, on peut constater que ce sujet est délicat. La confiscation des terres (sans compensation du propriétaire) est interdite par la constitution nationale. Dans le cas bien qu’improbable d’une réforme constitutionnelle, de telles confiscations de terres pourraient nuire à la stabilité nationale et impliquer de conséquences néfastes à long-terme.

D’un autre côté, la Namibie a une approche un peu plus subtile. Dans ce pays, les terres sont acquises individuellement par l’argent propre de chaque acheteur ou par un prêt facilité par le gouvernement namibien. Cette méthode a été beaucoup plus efficace car depuis l’indépendance du pays en 1990, un quart des terres a été redistribué. L’Afrique du Sud pourrait prendre exemple sur son voisin namibien, étant donné que seulement 8% de ses terres ont été redistribuées[v].      

En somme, il est indéniable que le gouvernement sud-africain a des intentions louables à l'égard de sa réforme agraires. Cependant, ces méthodes sont assez limitées en pratique. Des solutions existent. Le marché agricole devrait être régulé et le gouvernement devrait continuer à soutenir les fermiers. Il est très improbable que les solutions plus extrêmes telles que la confiscation des terres soient proposées car elles contreviennent à la loi et sont une menace pour la « nation arc-en-ciel ». Un changement de méthode pourrait être attendu, ainsi que l’a laissé entendre le Président Jacob Zuma : « il sera bientôt interdit pour les étrangers d’acquérir des terres en Afrique du Sud ».

Traduit par Bushra Kadir  

 

 

[i] http://www.economist.com/blogs/baobab/2013/06/land-reform-south-africa

[ii] http://www.pbs.org/pov/promisedland/land_reform.php

[iii] http://www.bbc.com/news/world-africa-22967906

[iv] http://www.lalr.org.za/news/land-reform-in-post-apartheid-south-africa-2013-a-disappointing-harvest-by-ben-scousins

[v] http://www.moneyweb.co.za/moneyweb-south-africa/land-reform-namibia-27-south-africa-8


 

La nouvelle constitution du Zimbabwe : par les politiciens et pour les politciens?

MugabeLe 15 Septembre 2008, le président Robert Mugabe a été contraint à une union politique avec son principal adversaire politique :  Morgan Tsvangirai du Mouvement pour le changement démocratique (MDC-T). Cette démarche a abouti à l'Accord Politique Global (GPA) et à la fondation de l'actuel gouvernement de coalition de la ZANU-PF, le MDC-T et le MDC-M, faction au sein du MDC. Ce mariage politique compliqué a été négocié par la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC) et faisait suite aux sanglantes élections présidentielles de 2008 desquelles Tsvangirai – après avoir remporté le premier tour – avait été contraint de se retirer, du fait des violences perpétrées contre ses partisans.

En plus de rétablir la situation économique du pays, le gouvernement de coalition avait été chargé de rédiger une nouvelle constitution. Et si l’Accord politique global a permis de stabiliser une économie à la ruine, on ne peut pas en dire autant de son efficacité en ce qui concerne la rédaction de la nouvelle constitution. Le processus a traîné en longueur pendant plus de quatre ans et a été caractérisé par des querelles, un financement insuffisant et la faiblesse des mécanismes d’information et de sensibilisation de la population.

L'ingérence politique 

Le processus a également été caractérisé par des ingérences politiques.

Le « Constitution du Zimbabwe Select Committee » (COPAC)  devait en principe assurer la rédaction de la constitution. Mais en réalité, tout se joua parmi les responsables politiques. Fait révélateur, ce sont les chefs des trois principaux partis politiques – Mugabe, Tsvangirai et Ncube – et non le comité,  qui ont annoncé l'achèvement du projet de constitution en janvier dernier.

Le premier assaut porté contre le COPAC par les politiciens fut donné très tôt, lorsque les responsables des trois partis de la coalition établirent, en dehors du COPAC, au moins deux autres comités chargé de résoudre les points litigieux liés à la rédaction de la nouvelle constitution. Non seulement la direction de la réforme constitutionnelle par le COPAC était remise en question, mais plus encore : ces comités ainsi formés n'avaient pas l'expertise nécessaire pour l’accomplissement de leur travail de médiation, mais ses membres ne daignaient même pas participer aux réunions de travail. Résultat de cet échec : les responsables politiques, avec à leur tête Robert Mugabe, décidèrent de reprendre en charge la résolution de leurs différends. , échouant à accomplir les tâches pour, et même ne pas se présenter aux sessions programmées. En conséquence, les dirigeants politiques, ostensiblement dirigée par le président Mugabe, ont pris sur eux pour résoudre les désaccords. 

En outre, lorsqu’un premier projet de constitution fut publié en Juillet 2012, elle et son processus de modification furent très rapidement politisés. Si les deux factions du MDC l’approuvèrent rapidement, le président Mugabe, dans le style typique du ZANU-PF, remis le processus à zéro en introduisant plusieurs amendements qu’il savait d’avance inacceptables pour l’opposition : notamment en ce qui concerne les dispositions sur la décentralisation, le scrutin présidentielle, la création d'une cour constitutionnelle, l’autorisation de procureurs soustraits à l’autorité du ministère, le  droit foncier, le mariage pour les homosexuels, et le financement étranger des partis politiques. Pour corser l’addition, la ZANU-PF a aussi insisté pour toute une classe de nouvelles clauses soient introduites dans la constitution comme la restauration des pouvoirs présidentiels et l'introduction d’un « black empowerment ».  Tsvangirai a refusé le projet proposé ZANU-PF qui à ses yeux n'était pas "un amendement au projet mais un nouveau document, complètement réécrit". En fin de compte cependant, la plupart des trente amendements de la ZANU-PF – ont été acceptés.  La nouvelle constitution a été adoptée par le parlement, et les principaux partis politiques ont encouragés les Zimbabwéens à voter «oui» lors du prochain référendum du 16 Mars. Ce qu’ils ont fait, à une écrasante majorité.

« Se débarrasser de la créature à trois têtes »

Il est dès lors peu surprenant de constater que cette nouvelle constitution a été accueillie froidement par bien des acteurs de la société civile ; d’abord du fait de sa rédaction conduite presque sous la supervision des acteurs politiques, bafoua l’autorité de la commission indépendante et se fit sans l’implication ni la consultation des acteurs de la société civile. Ensuite parce que les dispositions qu’elle contient accordent encore un pouvoir extrêmement fort au président de la république qui peut encore déployer des troupes dans le pays sans l'approbation préalable du Parlement. Cela signifie que les évènements tels que l'Opération Murambatsvina, où les soldats avaient été déployés dans et autour de Harare en 2005 pour cibler les électeurs de l'opposition, pourraient être répétés.

Au milieu de toute cette fureur, il est facile d'oublier que le Zimbabwe a déjà une constitution – elle-même modifié à plusieurs reprises. La Constitution actuelle, encore en vigueur en attendant l’implémentation de la nouvelle constitution, contient par exemples des dispositions pour un président exécutif, deux vice-présidents, un Premier ministre, deux vice-premiers ministres, et un sénat de type américain – aucune de ces dispositions n’étaient contenues dans la constitution adoptée à l’indépendance du pays. Pour cette raison, s’il y a une chose que les Zimbabwéens devraient avoir appris depuis 1980, c’est qu’une constitution est toujours à la merci de ceux qui détiennent le pouvoir. 

Dans un communiqué disant, par exemple, le président Mugabe a rassuré les chefs traditionnels dans la province de Masvingo (sud-est) du fait que son parti allait apporter des modifications au texte constitutionnel, peu après les élections qu'il était confiant de remporter: « Nous avons convenu de cette nouvelle constitution, mais n’avons obtenu tout ce que nous voulions. C'était un compromis", a déclaré M. Mugabe. "Après les élections, nous allons modifier la constitution pour l'adapter à certains de vos points de vue. Actuellement, nous devons nous débarrasser de cette créature à trois têtes."

 

Article de Simukai Tinhu, publié initialement chez nos partenaires Think Africa Press. Traduction d'AJTL

Le Grand Zimbabwe

Les actuels Zimbabwe et Mozambique sont des foyers de peuplement humain très anciens et actifs, les habitants ayant adopté l’agriculture dès 8000 ans avant J.-C. Au VI° siècle de notre ère, les populations Gokomere s’illustrent par une intense activité d’extraction et de travail de l’or, par leur qualité artisanale dont viennent témoigner des vestiges d’objets en céramique, des bijoux et des sculptures. L’élevage de bovins et l’agriculture y étaient très développés. Il s’agissait d’une population guerrière, qui s’est illustrée dans la construction de forts en pierre, mais également d’une société commerciale connectée à une forme ancienne de mondialisation, puisqu’y ont été retrouvées des poteries chinoises et des objets en provenance d’Inde.

Un long processus de centralisation du pouvoir et de rigidification des strates sociales, basée sur la division du travail (artisans, mineurs, paysans-éleveurs, noblesse guerrière, commerçants) a conduit à une forme de féodalisme avancé, incarné dans un Etat puissant, à l’origine de l’avènement du Grand Zimbabwe, nom qui désigne aussi bien le royaume que l’édifice monumental qui abritait la Cour royale des Shonas. Ce site, achevé au XIII° siècle et qui existe toujours de nos jours, est une ville de pierres étendue sur 7 km² qui abritait jusqu’à 5000 personnes intra-muros. Le Grand Zimbabwe étendait son contrôle sur l’actuel Zimbabwe, l’Est du Botswana et le Sud-Est du Mozambique et y battait sa propre monnaie. Si cette civilisation n’a pas développé son propre alphabet, elle était coutumière de l’arabe, devenu langue d’échange pour les commerçants des côtes est-africaines.

L’océan indien a été le vecteur de nombreuses relations d’échanges de populations, de connaissances et de technologies entre l’Afrique, le monde arabo-musulman, le sous-continent indien et même la Chine. La présence de commerçants arabes et indiens sur les côtes mais également à l’intérieur des terres australes est ancienne. La plupart des villes importantes de ces régions étaient multiculturelles. Le swahili est le fruit de ce métissage entre des langues bantous et l’arabe, et s’est rapidement imposé comme la langue véhiculaire

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[1]par excellence de l’Est africain. Premier partenaire commercial de cette région, la côte ouest de l'Inde exportait principalement des textiles en direction de l’Afrique, et en recevait des objets artisanaux en fer et en or, de l’ivoire, et des carapaces de tortues. L’océan indien était également le théâtre d’un commerce d’esclaves en provenance d’Afrique, principalement des populations pastorales ou de chasseurs-cueilleurs capturées par les populations africaines mieux organisées politiquement et militairement.

C’est également par l’océan indien que les Portugais sont arrivés sur les côtes du Zimbabwe à la fin du XV° siècle, rentrant en contact avec le royaume Shona des Torwa et le royaume du roi Monomotapa, successeurs du Grand Zimbabwe qui s’était délité au cours du XV° siècle.

 

Emmanuel Leroueil

 


[1] : Il s’agit en fait plutôt d’un groupe de langues qui partagent une structure commune forte, leur permettant de communiquer entre elles. Le Kiswahili en est désormais une version standardisée, langue nationale de la Tanzanie, du Kenya et de l’Ouganda.

Zimbabwe : voyage au bout de la nuit

Les superstitieux y verront sans doute une confirmation de leur mauvais présage. Dernier pays dans l'ordre alphabétique, le Zimbabwe occupe également la dernière place du classement des Nations Unies sur le développement humain. Une triste position de lanterne rouge qui témoigne de l'état de déliquescence engendré par la crise aiguë que connaît le pays depuis une décennie maintenant. Opposition baillonée et violation récurrente des droits de l'homme, mise au ban de la communauté internationale, corruption endémique et clientélisme, hyperinflation et économie en lambeaux, délabrement inquiétant des structures sanitaires et éducatives, taux de prévalence élevé du VIH et espérance de vie en chute libre, émigration accélérée des forces vives de la nation…

Dans la vaste galerie des trophées chers aux afro-pessimistes, le Zimbabwe est assurément une pièce de choix. Celle que les esprits chagrins du continent noir montrent afin de conforter leur propos, balayer définitivement toute objection, comme pour dire d'un air entendu : "Vous voyez, c'est bien ce que je vous disais…" Un condensé poussé jusqu'à la caricature de toutes les tares frappant encore l'Afrique, où même les meilleures volontés s'échinent à trouver des motifs d'espérance.

Il semble y avoir dans le destin contemporain du Zimbabwe une fatalité dont la logique défie le bon sens. Voilà une nation qui est à bien des égards favorisée : des ressources minières importantes, des terres fertiles en abondance, un réseau décent d'infrastructures laissé par l'ancien colonisateur britannique, et surtout une population jeune et proportionnellement mieux éduquée que dans bon nombre d'autres pays africains. Une combinaison a priori gagnante et qui permettait de justifier un optimisme de bon aloi lorsque le pays accéda définitivement à l'indépendance en 1980. Trois décennies plus tard, l'espoir raisonnable de lendemains meilleurs s'est mué en défiance absolue. Tragique présent fait d'accablements, et sans perspective immédiate d'horizon plus dégagé.

Un pays en faillite

Précaire, difficile, préoccupante, catastrophique… Les qualificatifs pour juger la situation actuelle du Zimbabwe donnent le ton. La violation des droits élémentaires de la personne restent pratique courante et malheur à qui ose protester. Le tout puissant parti ZANU-PF continue toujours d'exercer son impitoyable magistère et contrôle sévèrement médias, armée, police, services secrets et justice. Il lui faut bien cela pour faire le vide autour de lui et régner sur un pays en banqueroute, où 95 % de la population active est au chômage (terreau propice au secteur informel et aux combines en tous genres qui sont nécessaires à la survie de tout un chacun). Autrefois grenier de toute l'Afrique Australe, le Zimbabwe est désormais dans la situation ubuesque de vivre sous perfusion de l'aide alimentaire mondiale (près de la moitié de ses 12 millions d'habitants avait ainsi besoin d'une assistance nutritionnelle en 2008). L'expropriation massive des fermiers blancs alliée à un clientélisme dévastateur (consistant principalement à redistribuer les terres ainsi libérées aux anciens compagnons de lutte de la guerre d'indépendance) auront à cet égard été particulièrement néfastes.

Conséquence de la dégradation continue des infrastructures, les coupures d'électricité sont légion et les systèmes éducatifs et sanitaires partent à vau l'eau. S'agissant de ce dernier, les conditions sont désastreuses : fermeture de structures hospitalières pour défaut de paiement des fonctionnaires, choléra endémique, prévalence élevé du VIH (près d'un cinquième de la population adulte est infecté, un des plus forts taux de la planète) et chute continue de l’espérance de vie (tombée de 60 ans à 45 ans entre 1990 et 2009).

Cette conjonction de difficultés ne pouvait qu'aboutir à une catastrophe économique. Le PIB actuel est ainsi inférieur à ce qu'il était en 1980, au moment de l'indépendance. 30 ans pour rien. Quant à l'inflation, les zimbabwéens se souviendront pendant longtemps des dernières années de la décennie 2001-2010. Au pic de la crise économique à la fin de 2008, alors que le monde entier faisait face au spectre de la pire dépression depuis 1929, le pays s'asphyxiait à lutter en vain contre une hyperflation qui ravageait le pouvoir d'achat de ses résidents, déjà dérisoire.. Un taux annualisé de 231 millions % et 1 $ américain correspondant à un peu plus de… 11 milliards de $ du Zimbabwe. Dans l'histoire contemporaine, il faut remonter à l'Allemagne vaincue de la république de Weimar des années 20 pour pouvoir disposer d'un exemple comparativement équivalent.

Un problème nommé Robert Mugabé

Alors, à qui la faute ? On ne saurait réduire l'explication de la trajectoire (malheureuse) de toute une nation à un seul élément. Pourtant, s'il était donné de fixer un visage à la fatalité qui touche si durement le Zimbabwe, celle-ci prendrait les traits d'un vieillard cacochyme et ombrageux. Vindicatif, tout en étant doué de lucidité et de rouerie. Et quand cette fatalité personnifiée se trouve tenir le gouvernail du navire depuis plus de 30 ans, les conséquences ne peuvent qu'être à la mesure du pouvoir exercé sur les destinées de la nation : énormes. Hier héros de la guerre d'indépendance et chef d'Etat portant sur les fonds baptismaux la jeune nation zimbabwéenne, Robert Mugabe n'est plus aujourd'hui qu'une figure lugubre de président s'accrochant désespérément à un pouvoir qui l'a enivré jusqu'à la dernière extrémité. Résumant fort justement le cas Mugabe, un article paru sur le site d'information Rue 89 le qualifiait de "libérateur devenu oppresseur". On ne saurait mieux dire.

L'homme est complexe. De Mugabe le chef de guérilla en Rhodésie du Sud (ancien nom du Zimbabwe avant l'indépendance), on retiendra le courage, la combativité et la détermination. Courage d'affronter un adversaire aux forces très souvent supérieures. Combativité lorsque le révolutionnaire "Comrade Bob" dirigeait en personne les opérations coups de poing de la ZANLA (branche militaire et clandestine de la ZANU), au péril souvent de sa propre vie. Enfin, détermination à ne jamais abandonner la lutte, et ce en dépit de toutes les afflictions qu'il eut à connaître (10 ans de prison entre 1964 et 1974, perte de nombre de ses proches…) jusqu'à la victoire finale des accords de Lancaster House qui aboutirent à la véritable indépendance du pays en 1980 (par opposition à celle décrétée unilatéralement par la minorité blanche en 1965 et fondée sur un régime raciste similaire à l'apartheid du voisin sud-africain). C'est le Mugabe héros, celui chanté et célébré par toute une nation en liesse il y a trente ans. Mais un homme doit toujours être pris d'un bloc, afin d'être pesé et jugé à l'aune de ses forces et faiblesses, sa part de grandeur et de compromissions.

A cet exercice délicat, l'actuel président zimbabwéen a échoué, d'ores et déjà condamné unanimement par ses contemporains. Quant à la Postérité, elle se chargera probablement de remettre en perspective ce singulier parcours, mais on a peine à croire que son jugement sera différent. Personne ne pouvait prédire en 1980 ce qu'il adviendrait au cours des décennies suivantes. L'observateur attentif de l'Histoire a néanmoins pour lui cette faculté de regarder la séquence des évènements a posteriori et d'en tirer ainsi une logique susceptible de clarifier le cheminement ultérieur suivi. Tout ce raisonnement pour répondre à cette lancinante double question : comment en est-on arrivé là ? Et à qui en incombe la responsabilité ?
La mainmise écrasante du parti ZANU-PF aujourd'hui fait oublier qu'il ne fut pas le seul récipiendaire de la légitimité acquise dans le sang et les larmes, pour la lutte indépendantiste. Au vrai, il fut précédé par un autre grand parti historique, le ZAPU, et trouva à se distinguer en jouant sur la corde ethnique (les Shonas majoritaires de Mugabe face aux Ndébélés dont était issu l'autre grand leader, Josuha Nkomo). Première erreur funeste de divisionnisme, et qui atteindra son paroxysme au début des années 80 par la violente répression dont furent victimes les Ndébélés(10.000 morts). En tant que membre fondateur et dirigeant du ZANU, puis plus tard chef du gouvernement, la responsabilité de Mugabe est incontestable.

L'arrivée aux affaires de ce dernier à partir des années 80, correspond à un violent retournement de conjoncture économique, le prix des matières premières exportées par le Zimbabwe chutant fortement (et partant les recettes générées au profit de l'Etat et des opérateurs économiques). Une contingence extérieure aux effets négatifs, qui ne relève donc pas de la responsabilité du pouvoir zimbabwéen. En revanche, les réponses apportées à cette nouvelle donne le furent et force est de constater qu'elles s'avérèrent désastreuses (mesures protectionnistes contre-productives, établissement de la loi martiale pour mater toute agitation sociale, stigmatisation raciale de la minorité blanche et expropriation de ses terres, clientélisme forcené pour s'assurer la base des supporters du ZANU, souvent composée d'anciens guérilleros démobilisés et sans ressources).

A partir des années 2000, face à l'effondrement économique, à la contestation sociale grandissante et aux protestations internationales, Mugabe a alors sciemment décidé de jouer l'épreuve de force. Quitte à voir tout l'édifice s'effondrer. Au mépris de son propre peuple, et en foulant aux pieds des précédents idéaux révolutionnaires. Un nouveau Néron pyromane contemplant Rome en train de brûler.

Un fragile espoir à confirmer

Il ne pourra lutter indéfiniment contre le vent du changement historique. D'autant plus que celui-ci frappe déjà à la porte. Après une campagne électorale pour les présidentielles de 2008 marquée par la violence et la fraude massive, le rapport de force s'est progressivement détérioré pour Mugabe. Sous la pression grandissante de la société civile et des états voisins, un gouvernement d'union nationale avec Morgan Tsvangirai (le dirigeant du parti d'opposition MDC) a été mis en place depuis février 2009. Ce changement est assurément porteur d'espoir. Mais d'un espoir qui se veut mesuré et lucide, car ayant conscience des innombrables difficultés et contrariétés rencontrées dans l'exercice effectif du pouvoir. Rien n'est gagné et deux ans et demi après la constitution de ce gouvernement élargi, Mugabe bloque toujours l'accord concernant l'équilibre des pouvoirs.

De petites améliorations apparaissent pourtant. L'hyperinflation a finalement été stoppée par un moyen radical : L'abandon du dollar zimbabwéen au profit du dollar US. Tant pis pour la souveraineté économique nationale mais dans les présentes circonstances, c'était très certainement la meilleure décision à prendre. Les salaires des fonctionnaires sont de nouveau payés, ce qui a permis de rouvrir écoles et hôpitaux. Les denrées alimentaires qui avaient au plus fort de la crise disparues des échoppes réapparaissent et le pays revient progressivement à un semblant de normalité. Les indicateurs sociaux ont cessé de chuter et après une décennie de récession économique profonde, le pays a enregistré un taux de croissance de 5.9 % en 2010. Conséquence de la remontée du cours des matières premières et d'un environnement socio-politique plus stable.

Cette reprise demeure cependant extrêmement précaire, car à la merci d'un possible retournement. Tant conjoncturel que (surtout) politique. En la matière, les écueils à surmonter au cours du proche avenir ne manqueront pas. Le bras de fer Mugabe-Tsvangirai est plus que jamais d'actualité, celui-ci s'étant récemment cristallisé sur les prochaines présidentielles, qui devraient finalement avoir lieu en 2012. Mugabe, fidèle à lui-même, s'est déclaré candidat à sa propre succession. Il est plus que jamais dans une logique jusqu'au boutiste où tous les coups sont permis, et où la force seule prévaut. Et puis il y a enfin cette dernière inconnue qui plane, telle une épée de Damoclès : quid après la disparition du vieux dirigeant ?

Pour un homme de sa génération arrivé au soir de sa vie, et qui aura consacré une grande partie de celle-ci à lutter pour accéder au pouvoir, et le conserver ensuite coûte que coûte, la perspective du néant est probablement terrifiante. Mais pour son adversaire plus jeune qu'est Tsvangirai, nul doute que l'hypothèse ne soit à considérer avec la plus grande attention. Le leader du MDC sait pertinemment que le temps joue pour lui, et que la patience est une vertu en politique. N'en déplaise à certains de ses partisans qui estiment que le changement tant espéré ne s'est pas encore matérialisé et que chaque jour qui passe est une trahison de plus au regard des attentes immenses de tout un peuple qui, trois décennies après son indépendance officielle, attend toujours de pouvoir assumer librement son Destin.
 

 

Jacques Leroueil

 

Le Zimbabwe entre impunité et cycles de violence

L'impunité est une  constante de l'histoire contemporaine du Zimbabwe. Cette impunité est rendue possible par la section 31I de la Constitution zimbabwéenne, qui accorde un droit de grâce exclusif au président de la République. Depuis l’indépendance du pays, Robert Mugabe a utilisé à trois reprises cette prérogative pour réduire les peines ou empêcher les poursuites judiciaires contre les membres des forces de sécurité ou membres et alliés de son parti politique la ZANU-PF (Zimbabwe African National Union – Patriotic Front) :

– En 1988, dans le cadre d’un accord d’unité entre la ZANU (Zimbabwe African National Union) et la ZAPU (Zimbabwe African People’s Union), une amnistie est promulguée pour toutes les violations des droits de l’homme commises par les membres des forces de sécurité et « dissidents » entre 1982 et 1987. Les principaux bénéficiaires de cette mesure se sont révélées être les membres de la « Cinquième brigade » – dirigée alors par Perense Shiri, cousin de Robert Mugabe, commandant en chef de l’armée de l’air et membre du Joint Operations Command (centre militaire supervisant la sécurité du pays) – responsable de graves violations durant la Gukurandi (répression sanglante de dissidents ayant causée près de 20.000 morts).

– En 2000 : nouvelle amnistie accordée pour tous les crimes politiques (y compris torture et kidnappings) commis par les supporters du ZANU-PF, milices de jeunes et membres des forces de sécurité – sauf dans les cas de viols, meurtres et fraudes.

– En juin 2008, un nouveau décret amnistie toutes les personnes arrêtées entre le 29 mars (jours des élections générales) et le 16 juin (juste avant le second tour des présidentielles) pour homicides, actes de torture et enlèvements – sauf dans les cas de meurtres[1], viols et fraudes – alors que, selon Human Rights Watch, 200 personnes ont été tuées et 5000 autres battues ou torturées.

Très peu des officiers de l’armée et de la Police, des alliés et membres du ZANU-PF, des miliciens et des vétérans de la guerre d’indépendance ayant commis ces crimes et violations des droits de l’homme n’ont eu à faire face à la justice. Tel est le climat d’impunité au Zimbabwe que le dernier rapport de Human Rights Watch, intitulé « Perpetual fear » (peur permanente), révèle.

L’impunité est double au Zimbabwe

Impunité de facto parce que l’Etat échoue par manque de moyen et/ou de volonté politique à poursuivre et condamner les auteurs de violations des droits de l’homme ; impunité de jure, vu que la loi et les règlements encadrant l’immunité et l’amnistie prolongent et renforcent l’impact de l’impunité de fait en limitant ou en rendant impossible de poursuivre les autres de ces actes. Cette double impunité permet aux auteurs de violations des droits de l’homme de commettre de nouveaux crimes et même d’intimider et menacer leur victime. Tel est le danger principal mis en évidence dans ce rapport.

L’imminence de nouvelles élections et d’un référendum constituant l’an prochain font craindre une résurgence des violences de la part des anciens bourreaux mais aussi des victimes qui peuvent décider de se rendre justice elles-mêmes pour éviter de l’être à nouveau. HRW documente de nombreux cas où la police refuse d’enregistrer les plaintes des victimes de violences politiques de 2008 – sans sanctions ni poursuites. Et le catalogue d’injustices ou de refus de justice recensés dans ce rapport publié le 08 mars dernier est proprement épouvantant, d’autant que dans certains cas, des membres du gouvernement de coalition mis en place en 2009 sont personnellement impliqués.

 

 

Le MDC-T du premier ministre de la coalition, Morgan Tsvangirai a envoyé dès octobre 2008 une lettre contenant les noms de 183 victimes et les les lieux de leur assassinat au Procureur Général de la République (Attorney General) Johannes Tomana, lui demandant d’ordonner, comme l’y autorise la Constitution, au Commissaire Général de la police de mener enquête. Un an et demi plus tard, cette lettre reste sans réponse.

Ce même Procureur Général est accusé, de même que sept membres du gouvernement de coalition par Mapfumo Ganutsa, militant pour les droits de l’homme, d’avoir assisté à sa torture durant sa détention arbitraire par des agents des forces de sécurité. Une plainte a été déposée en aout 2010. La procédure est toujours en cours.

Entre octobre et novembre 2008, Jestina Mukoko, militante pour les droits de l’homme internationalement reconnue et 14 autres militants sont arrêtés, détenus en secret avant d’être « confiés » à la police, accusés d’actes de banditisme et d’association en vue de commettre des actes de sabotages et d’insurrection. Ces militants seront torturés et subiront des simulacres d’exécutions. L’arrêt de la Cour suprême rejetant, en septembre 2009, les charges de terrorisme contre les accusés et jugeant que les libertés constitutionnelles de Jestina Mukoko ont été violées n’a toujours par été rendu public.

Un autre jugement de la Cour Suprême reconnaît que 43 activistes pour les droits de l’homme dont Chris Dhamini, Chef de la sécurité du MDC ont bel et bien été torturés à plusieurs reprises. Des officiers supérieurs de la police (dont deux identifiés nommément par les victimes) ayant planifié et supervisé les arrestations tout comme des membres de forces de sécurité ayant exécuté ces exactions, aucun n’a été suspendu. Aucune enquête n’a été ouverte.

L’accord politique global (Global Political Agreement) signé le 15 Septembre 2008 et ayant conduit au partage du pouvoir entre Robert Mugabe et Morgan Tsvangirai, reste pourtant silencieux sur la justice : il ne contient aucun échéancier, aucune mention d’une reforme fondamentale du système judiciaire qui restaurerait l’état de droit. Le MDC-T manque de pouvoir réel et ne semble pas prêt à risquer la survie du gouvernement actuel. Selon son leader, Morgan Tsvangirai, lors d’une conférence en septembre 2010 à Johannesburg, il ne sera pas question de poursuivre Robert Mugabe ni ses alliés lorsqu’ils auront quitté le pouvoir, un programme de justice punitif serait… contreproductif.

Il n’est pas assuré que le vœu du MDC que les prochaines élections et la nouvelle constitution mettent un terme au pouvoir de Mugabe et de ses alliés soit exaucé. Il est toutefois certain qu’une réconciliation bâtie dans le dos des victimes, malgré elles, sans justice, sans sanctions, payée au prix de l’immunité pour les bourreaux d’hier n’a pas de lendemain. Un terrible proverbe haïtien le rappelle « bay kou bliye, pote mak sonje» (« Celui qui porte le coup l’oublie ; celui qui porte la cicatrice s’en souvient. »)

 

Par Joël Té Léssia et Marie DOUCEY

 

 


 

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Une spécificité du droit zimbabwéen est cette distinction entre « murder « et « homicide » qu’on peut rapprocher de celle entre cas d’homicide volontaires et involontaires dans les systèmes juridiques d'inspiration française – à la différence que les crimes des forces de sécurité dans l’exercice de leurs fonctions entrent dans la seconde catégorie et sont donc couverts par l’amnistie.