En Côte-d’Ivoire l’histoire d’Houphouët-Boigny veut-elle se répéter ?

En un petit fracas, le Président Ouattara met en pièces la nouvelle Constitution ivoirienne et repositionne le pays vers une potentielle nouvelle période d’instabilité. Morceaux choisis : «… la nouvelle constitution m’autorise à faire deux mandats à partir de 2020… la stabilité et la paix passent avant tout, y compris avant mes principes »[1]déclare-t-il. Mais dans la réalité cette posture, outrageusement incarnée par ceux qui ne veulent pas respecter les termes fixés par les mandats constitutionnels, n’est en rien nouvelle. Mieux, elle est contre-productive et génère des tensions.

Sorti de Ivy League et après avoir arpenté les couloirs des grandes institutions financières, Ouattara a bâti une réputation de développeur efficace en Afrique et notamment en Côte-d’Ivoire où il a fait ses armes en politique auprès du Président Houphouëten tant que Premier Ministre. Lorsqu’il prenait les rênes de la Côte-d’Ivoire en 2010 après une longue et coûteuse crise, personne ne se doutait que la Côte-d’Ivoireconnaîtra un come-back économique. Le pays est redevenu la locomotive de UEMOA et affiche des performances économiques à faire pâlir. Après une croissance économique soutenue sur le quinquennat 2010-2015, les perspectives sont tout aussi bonnes. Selon la BAD[2], le pays connaîtrait 7,9 % de croissance en 2018 et 7,8 % en 2019, malgré une chute de 35% des cours du cacao[3]entre novembre 2016 et janvier 2017. Par ailleurs, le déficit est projeté pour être en baisse de 1 point (de 3.8% à 2.8% du PIB). L’endettement reste maîtrisé même si sa soutenabilité deviendra problématique lorsque les remboursements exigibles des euro-obligations s’entasseront entre 2024-2028. La Côte-d’Ivoireest un turbo économique qui surfe sur des investissements publics aussi structurants que dynamiques et un boom des investissements privés. Néanmoins les performances sociales et de redistribution de la croissance sont encore attendues. Et, Ouattara doit encore donner la preuve de sa bonne gouvernance en matière de sécurité et de stabilité politique. Les sautes d’humeur des mutins à Bouake et l’attaque terroriste de Grand-Bassam en 2016 rappellent fort bien que le pays est encore vulnérable sur ce plan. Ils ont tôt fait de faire sauter le verrou de la fragile stabilité avant même que Ouattara lui-même ne se prépare à assener au pays le coup de grâce avec l’idée d’un troisième voire quatrième mandat. Bien qu’il y ait une nouvelle Constitution, les compteurs des acteurs politiques et même de la population ne se remettent pas à zéro, bien au contraire, ces acteurs sont impatients.

Mieux, les germes de la crise ivoirienne n’ont pas pour autant disparus comme par enchantement. L’alliance entre le Rassemblement des Républicains (RDR) et le Parti Démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) n’est pas une soupape sûre contre les interminables luttes de positionnement entre le clan Ouattara et celui de son allié circonstanciel, Bédié. Gbagbo est toujours à La Haye et ses partisans n’ont certainement pas bu jusqu’à la lie les appels au dialogue, lequel dialogue n’est pas encore synonyme de réconciliation. Le passif de la crise n’a pas encore pas épongé par les ivoiriens et malgré les interventions extérieures, la réconciliation devra être ivoirienne ou ne sera pas. Même les circonstances de l’arrivée au pouvoir de Ouattara appellent à la prudence et à plus d’investissement dans le processus de liquidation du passif couvé de la crise. Les protagonistes de la crise sont encore presque tous vivants. Pire, ils sont mécontents pour certains, impatients pour d’autres, à noter qu’être pensionnaire de la Haye ne rime pas avec inactivité politique.

Pour l’ascension au pouvoir du Président Ouattara, remontons rapidement dans le temps. Sur les cendres chaudes de la crise d’« ivoirité », en 2002 lors d’un putsch, un groupe de jeunes échoue à prendre la Présidence de la République mais se replie sur la moitié Centre et Nord du pays où il organise une administration parallèle. Les processus de paix de Marcoussis et de Ouagadougou vont coup sur coup produire des résultats mitigés jusqu’aux élections qui opposeront Ouattara et Gbagbo en 2010. Les résultats, contestés par Gbagbo, donnent Ouattara gagnant et plongent le pays dans une crise post-électorale pendant laquelle les exactions reprochées à Gbagbo sont perpétrées. Le pays parvient néanmoins à retrouver le chemin d’une certaine accalmie après l’installation du Président Ouattara qui déroule un quinquennat à succès macro-économique. Entre temps, il renouvèle son mandat et fait adopter une nouvelle Constitution en 2016. Parce qu’il arrive au pouvoir tel qu’il y est arrivé et malgré la paix mosaïquement maintenue sur le territoire, même la « légalité » de se présenter à de nouvelles élections ne garantira pas une légitimité à Ouattara.

Les acteurs de l’opposition ivoirienne trouvent de quoi alimenter leur réprobation contre le Président Ouattara. Si les partisans du Président atténuent le choc, le Parti Démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) monte au créneau et à travers son Secrétaire Exécutif se fend d’un communiqué : « Ouattara ne sera pas candidat pour un troisième mandat. C’est écrit dans la Constitution qu’au plus tard, le 5 décembre 2020, le président sortant devra se soumettre à une passation des charges avec le nouveau président »[4]. Quant à Pascal Affi N’Guessan, Président d’un camp du Front Populaire Ivoirien (FPI), il s’indigne en ces termes : « comment Ouattara peut s’imaginer un troisième ou un quatrième mandat. Ce serait même une violation flagrante de la Constitution et de la volonté exprimée par les Ivoiriens. On ne peut pas dire que l’application de la loi dépend des circonstances, des situations, ou des ambitions des uns et des autres. La loi, c’est la loi. »[5]. Le camp du Président de l’Assemblée à travers la voix de Félicien Sekongo, Président du Mouvement pour la promotion des valeurs nouvelles en Côte d’Ivoire (MVCI, composé d’ex-rebelles) « invite les Ivoiriens à se concentrer sur l’essentiel, contenu uniquement dans la sauvegarde de la démocratie, l’amélioration des conditions de vie du peuple, largement endommagées et laisser monsieur Ouattara, assis seul devant la marre à s’amuser à y lancer des pavés… »[6]. Au fond l’intérêt général et la stabilité qu’évoque le Chef de l’État ivoirien sont fortement menacés et malgré toute la mesure dans ses propos, l’avis de l’ancien Président de la Cour Constitutionnelle, Francis Wodié, le révèle : « Nous en sommes encore au stade des supputations, des hypothèses. Mais le président de la République est un homme majeur, un homme responsable qui sait ou doit savoir ce qu’il doit faire, non pas seulement pour lui-même, mais d’abord pour le pays. Donc c’est à lui de voir, de juger pour n’avoir à faire que ce qui va dans le sens de l’intérêt de la Côte d’Ivoire, donc de l’intérêt général »[7].

Mais en réalité, la position de Ouattara rappelle bien celle du Président Houphouët,qui, au nom de sa Côte-d’Ivoire chérie qu’il a bâtie de sa main et de son intelligence, a voulu garder les choses en main jusqu’à ce que la mort l’en sépare en 1993. Seulement, Ouattara n’est pas Houphouët. C’est un principe de gouvernance très usité dans nos contrées : on préfère une stabilité coûteuse au respect des principes d’alternance politique. Et, dans les pays africains où les modèles politiques sont encore à l’essai, avec une tendance accrue au rétropédalage sur les avancées démocratiques, il est bien fréquent que le chef pense qu’il est indispensable, irremplaçable et que la stabilité du pays ne tient qu’à lui. Il se fait cheviller au corps une certitude que les choses tiennent parce qu’il les maintient. Dans l’absolue hypothèse que c’est le cas, il est aussi d’évidence que lorsqu’il ne les tiendra plus, qu’avec certitude les choses vont péricliter. Et tout naturellement, les exemples foisonnent pour démontrer qu’à une administration forte et longue succède une crise qui décape tout le progrès économique construit au long des années : Côte-d’Ivoire, Gabon, Lybie, Togo, etc. Face au dilemme institutions fortes ou hommes forts, nos modèles peinent à choisir les formes résilientes qui ne peuvent en rien dépendre de la finitude des hommes mais uniquement de la chaîne générationnelle qui donne aux institutions une forme d’infinitude. Peut-être qu’il n’y a même pas de dilemme et que le bon sens voudrait que l’on s’attèle à bâtir des institutions fortes quitte à les voir occasionnellement, si bonne fortune nous arrive, sous le leadership d’hommes forts. A tout le moins, quand bien même on aurait la maladresse de les confier à des hommes faibles, la force des institutions, leur fondation légale et légitime survivront au temps.

Parce que la Côte-d’Ivoire est la locomotive de l’UEMOA et joue un rôle stratégique pour toute la sous-région Ouest Africaine, les autres pays doivent s’y intéresser. Ils doivent proactivement préparer leur leadership à prévenir et notamment à éviter la contagion qui commence par les exemples complaisants. Les aventures de structuration de la CEDEAO plutôt ambitieuses sur l’intégration économique et monétaire sont des enjeux assez colossaux qui dépendent d’une Côte-d’Ivoire stable, solide, prospère et où l’histoire d’Houphouëtne se répète pas.

[1]http://www.jeuneafrique.com/565618/politique/cote-divoire-comment-le-discours-dalassane-ouattara-sur-le-3e-mandat-a-evolue/  Edition n° 2995 de Jeune Afrique

 

[2]https://www.afdb.org/fr/countries/west-africa/cote-d%E2%80%99ivoire/cote-divoire-economic-outlook/

[3]Le cacao est le principal produit d’exportation du pays

[4]http://www.jeuneafrique.com/565139/politique/cote-divoire-3e-mandat-pour-ouattara-inacceptable-et-irrealisable-selon-lopposition/

[5]http://www.jeuneafrique.com/565139/politique/cote-divoire-3e-mandat-pour-ouattara-inacceptable-et-irrealisable-selon-lopposition/

[6]http://www.jeuneafrique.com/565139/politique/cote-divoire-3e-mandat-pour-ouattara-inacceptable-et-irrealisable-selon-lopposition/

[7]http://www.jeuneafrique.com/565139/politique/cote-divoire-3e-mandat-pour-ouattara-inacceptable-et-irrealisable-selon-lopposition/

L’Afrique et son laborieux apprentissage de la démocratie

Malgré les avancées considérables consenties en matière de démocratisation, force est d’admettre certains faits têtus qui caractérisent l’espace politique en Afrique Sub-saharienne. Le processus de démocratisation s’est déroulé dans un apprentissage difficile marqué par un tribalisme politique menaçant , un détournement d’objectif alarmant , et, in fine, la non satisfaction des besoins socioéconomiques des populations .

Un tribalisme politique menaçant

Le lien ethnique constitue un paramètre déterminant dans les Etats d’Afrique Sub-saharienne. Beaucoup de partis politiques se structurent suivant des clivages tribaux, régionaux ou claniques. En effet, « on cherche à s’emparer du pouvoir, non pas en fonction d’options politiques libérales ou socialistes, mais d’un clivage purement ethnique »[1]. A cet égard, il est intéressant de relater un épisode anecdotique au Cameroun où le gouvernement « a confisqué la vie à la première expérience de faculté privée de médecine créée au sein de l’université des Montagnes à l’Ouest du pays (…) la manœuvre reposait sur la volonté d’éviter que les Bamiléké ne monopolisent la formation des médecins »[2]. Lors du génocide rwandais, il a été signalé que « toute personne de telle ou telle autre ethnie qui ne montrait pas sa détermination à défendre son ethnie était considérée par cette dernière comme traître et risquait la mort. Il y en a effectivement qui sont morts tués par des gens de leur ethnie »[3]. Au Congo-Brazzaville, la politisation du fait identitaire a causé une déconsolidation des acquis démocratiques. Ainsi, « la constitution de milices basées sur des solidarités ethno-régionales et la transformation des leaders politiques en chefs de troupes tribales ont plongé le pays dans deux guerres civiles qui l’ont dévasté et mis terme à l’expérience de démocratisation »[4]. Même dans un pays comme le Bénin, les partis politiques n’ont pas été fondés sur une base nationale : «Il s’agit de partis d’obédience ethnique dont l’apparition vient aggraver ainsi les difficultés de la construction nationale (…) Certaines régions du pays sont écartées de la scène politique au niveau élevé du pouvoir (…) Mais depuis peu, les régions minoritaires sont en train de s’organiser elles aussi pour participer aux différents jeux politiques en créant leurs propres partis politiques ». Il apparaît dès lors que certains groupes ethniques qui seraient exclus de l’espace du pouvoir pendant un certain temps sont tentés de prendre leur revanche en opérant un « rattrapage ethnique » qui galvaude la cohésion nationale et remet en question les fondements mêmes de l’Etat-Nation en Afrique Sub-saharienne.

Ce phénomène est encore plus prononcé dans un pays comme la Côte d’Ivoire où les plus grands partis politiques se basent sur des allégeances purement ethniques et/ou régionales. Ainsi, le Parti Démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) compte dans ses rangs les Baoulé et les Agni, concentrés à l’Est et au Centre du pays. Le Rassemblement des Républicains (RDR), quant à lui, demeure le foyer des Malinké, des Gur, des Senoufo et des Lobi. Le Front Populaire Ivoirien (FPI) est l’antre des peuples de l’Ouest, notamment les Bété, les Dida, les Guéré, les Gouro. Les Abbey, les Ebrié et les Attié, eux, peuples du Sud, ont rejoint ce dernier depuis 2000 après avoir été déçus par le PDCI[5].

La prépondérance du fait ethnico-tribal dans le jeu politique s’avère donc très néfaste pour la construction de la démocratie dans des Etats où les crises post-électorales prennent souvent une coloration ethnique, régionale ou tribale. Cela est le cas en RDC, en Centrafrique, au Burundi ou encore en Guinée Conakry.

Un détournement d’objectif alarmant

Cependant, l’un des fléaux qui touchent le plus durement le processus de démocratisation en Afrique Sub-saharienne est probablement le détournement d’objectif dont il fait l’objet. Le but ultime du pouvoir politique étant la satisfaction de l’intérêt général, cet objectif a été complètement jeté aux oubliettes par les dirigeants africains. Ce détournement d’objectif s’illustre par une nette déconnection des élites par rapport aux populations et à leurs besoins. En effet, « une mauvaise compréhension, donc une mauvaise pratique de la démocratie pluraliste, a tendance, dans notre continent aussi, à couper de plus en plus des populations une classe politique qui semble s’être enfermée dans le cercle clos de luttes de positionnement »[6].

Ainsi, la démocratie apparaît sur le continent comme « un contrat de dupes, un système trop inique car au lieu de fonder une Afrique libre, il proroge paradoxalement le monolithisme archaïque »[7].  Les gouvernants africains et leur administration ont achevé d’appauvrir leurs populations en se livrant à un pillage sauvage des ressources publiques dans la plus grande opacité et la corruption généralisée. De ce fait, « l’Etat africain reste par excellence le lieu d’accumulation et demeure une source de redistribution et de profits pour la classe dirigeante. Seuls les pourvoyeurs et bénéficiaires de la rente étatique ont changé avec l’alternance politique »[8].

Par ailleurs, les avancées démocratiques notées dans les années 1990 s’estompent vers la fin de la décennie, avec la prise du pouvoir par la force de Laurent Désiré Kabila au Congo-Kinshasa, une nouvelle guerre civile au Congo-Brazzaville, une période de troubles politiques en République Centrafricaine, une répression d’opposants et de journalistes au Nigéria du Général Sani Abacha, ainsi que des tensions au Niger, au Mali, en Guinée et en Mauritanie, voire de guerre civile en Sierra Léone et au Libéria.

Le détournement d’objectif s’illustre aussi par la rapide volte-face qu’ont opérée les pouvoirs en place quelque temps après la vague pluraliste des années 1990. Beaucoup de dirigeants se sont ainsi adonnés à des modifications substantielles de leur Constitution pour pouvoir se représenter. Ce fut le cas en Guinée avec Lansana Conté en 2002, en Tunisie avec ZineAbiddine Ben Ali en 2002, au Tchad avec Idriss Déby en 2005, au Togo avec Gnassingbé Eyadéma en 2003, au Cameroun avec Paul Biya en 2008, et cela a failli être le cas au Sénégal avec Abdoulaye Wade en 2011 et au Burkina Faso avec Blaise Compaoré en 2014, n’eussent été les contestations de la rue auxquelles ils se sont heurtés. Dans d’autres pays comme le Rwanda, le Burundi, le Congo Brazzaville et la RDC, les velléités de tordre le cou aux dispositions constitutionnelles limitant le nombre de mandats présidentiels sont légion[9].

Il apparaît dès lors que les acquis démocratiques ont été confisqués par l’élite au pouvoir contre les aspirations des peuples africains qui restent écartés de la gestion des ressources publiques.

La non satisfaction des besoins socioéconomiques des populations

Le moins que l’on puisse dire, c’est que même dans les cas où la démocratie a prévalu sur le continent, elle n’a pas pu apporter une réponse satisfaisante aux besoins socioéconomiques des populations. Ainsi, cinquante ans après les indépendances, l’Afrique reste l’une des régions du monde les plus pauvres et les plus en recul en matière de progrès social. Si on prend en compte le taux d’alphabétisation par exemple, 65 millions d’adultes Ouest-africains, soit 40% de la population adulte, ne savent ni lire ni écrire[10]. De même, selon un haut fonctionnaire sénégalais, « près de 29 millions d’enfants d’âge scolaire ne sont toujours pas à l’école et près de 159 millions de jeunes et d’adultes ne savent ni lire ni écrire »[11]. Malgré l’ouverture démocratique, le progrès social n’a pas été au rendez-vous. Selon certains auteurs, le lien entre démocratie et développement économique n’est pas encore établi et la corrélation serait non linéaire : « aux niveaux faibles de droits politiques, une augmentation de ceux-ci stimule la croissance économique. Cependant, une fois atteint un niveau modéré de démocratie, davantage de démocratie réduit la croissance »[12]. Ceci corrobore l’hypothèse de Lipset selon qui « la démocratie est liée au stade de développement économique. Concrètement cela signifie que plus un pays est prospère, plus grandes sont les chances qu’il pérennise la démocratie »[13]. En d’autres termes, la croissance économique favoriserait le processus démocratique mais l’inverse ne serait pas vérifié pour le moment, sinon de façon résiduelle, et donc non décisive pour l’Afrique.

A partir d’une situation non démocratique, la démocratie favoriserait donc effectivement la croissance économique ; cependant, à un seuil de démocratisation significative, plus de démocratie serait de nature à limiter la croissance économique. Si l’on en croit certaines études, la relation entre démocratie et développement est tributaire du contexte, des conditions initiales, et du contenu de la démocratie propre à chaque pays[14]. Le contexte africain, où la culture du partage prend le pas sur celle de l’échange chère à l’économie de marché, demeure, dans cette perspective, singulièrement réticent au processus de démocratisation. La démocratie n’a pas été un facteur réel de progrès économique.

Axelle Kabou interpellait l’intelligentsia africaine et le système néo-libéral en interrogeant : « Et si l’Afrique refusait le développement ? ». Plus de vingt ans après, malgré les taux de croissance record enregistrés sur le continent, sa question reste toujours d’actualité. Mais au-delà du développement, c’est la capacité des Etats africains à assurer leurs missions régaliennes, et même ne serait-ce que d’avoir un fonctionnement institutionnel régulier qui est mis en cause. Malgré l’adoption et la mise en place de constitutions pluralistes, l’organisation d’élections plus ou moins transparentes selon les pays, l’existence d’une société civile de plus en plus exigeante, force est de reconnaître que les principes démocratiques de base sont encore largement ignorés par la plupart des pouvoirs en place, sous fond d’ethnisme de la vie politique. Pis, les besoins socioéconomiques des populations ne sont pas satisfaits par une classe dirigeante dont la première préoccupation est son enrichissement personnel. Devant cette situation, il urge pour l’Afrique de trouver un modèle de gouvernance adapté à son héritage culturel et pertinent pour son épanouissement économique et social. Il est difficile de dire si ce modèle devrait ressembler ou non au système démocratique, car le débat sur l’universalité de ce dernier reste entier et ouvert. Mais il devra en tout cas tenir compte des énormes défis sécuritaires, environnementaux, éducatifs, et relatifs au capital humain, qui devraient être le cœur des préoccupations des pouvoirs publics, et, de plus en plus, se nourrir des principes de gouvernance essentiels au vivre-ensemble pour assurer un minimum de cohésion aux Nations africaines encore si fragiles et composites, où l’expérimentation d’un système politique fragmenté a longtemps prévalu.

                                                                                                                                            Mouhamadou Moustapha Mbengue

[1]EbénézerNjohMouelle& Thierry Michalon, L’Etat et les clivages ethniques en Afrique, Abidjan, CERAP, 2011.

[2] Jean Claude Shanda TONME, La Crise de l’intelligentsia africaine, Paris, L’Harmattan, 2008.

[3] Emmanuel Ndikumana, « Ministère de la réconciliation dans un contexte de conflit tribal » in  Le Tribalisme en Afrique… et si on en parlait ? Abidjan, Presses bibliques africaines, 2002.

[4] Mamadou GAZIBO, Introduction à la politique africaine, op. cit.

[5] Dieudonné Brou Koffi ; « Démocratie et tribalisme en Afrique » in Le procès de la démocratie en Afrique, sous dir. Justine Bindedou-Yoman, Paris, L’Harmattan, 2016.

[6]Sémou Pathé GUEYE, Du bon usage de la démocratie en Afrique, Dakar, NEAS, 2013.

[7] Jean-Rodrigue-Elysée EYENE MBA, Démocratie et développement en Afrique face au libéralisme : Essai sur la refondation politique, Paris, L’Harmattan, 2001.

[8] Grégoire, 1994.

[9] Olivier Bilé, La Démocratie africaine reste mal partie… Rectifions le tir !, Paris, L’Harmattan, 2016.

[10]http://www.irinnews.org/fr/report/84101/afrique-de-l-ouest-lutter-contre-les-taux-d-alphab%C3%A9tisation-les-plus-faibles-du-monde

[11]http://www.lesoleil.sn/index.php?option=com_content&view=article&id=22318:lafrique-a-le-taux-danalphabetisme-le-plus-eleve-au-monde-selon-un-officiel&catid=98:education

[12]Barro R. J. Determinants of Economic Growth : A cross-country empirical study. MIT Press, 1997, Cambridge Massachussetts

[13]Lipset S. M. Some social requisities of Democracy : Economic development and Political Legitimacy. The American Political Science Review, vol. 53, No 1 (March 1959.

[14]Huber E., Rueschemeyer D., & Stephens J. D., The Journal of Economic perspective.Vol. 7, No 3, 1993.

Révision de la constitution au Mali : Des avancées à la Pyrrhus

Ils sont nombreux ces chefs d’Etat qui ont essayé d’actualiser la loi fondamentale du Mali. D’Alpha Omar Konaré à Amadou Toumani Touré, le résultat s’est toujours soldé par un échec. Le président Ibrahim BoubaKar dit IBK va peut-être rompre avec une réalité tellement ancrée dans la pratique politique qu’elle n’était pas loin d’en devenir une tradition. Ce n’est cependant pas tant les verrous juridiques empêchant une facile modification de la constitution que la volonté collective des Maliens qui a retardé une telle révision. Les évènements de ces dernières années, notamment la guerre au nord du pays, ont constitué un élément accélérateur de la nécessité d’une modification. En effet, l’accord d’Alger signé le 20 juin 2015 par le groupe rebel AZAWAD nécessite, pour une mise en œuvre efficiente, une refonte de la loi fondamentale.[1]

Un projet de loi a en conséquence été introduite à l’Assemblée Nationale par le gouvernement et doit faire l’objet d’un vote référendaire pour entériner son adoption ou acter son rejet. Ce projet de loi fait surtout l’objet d’une vive contestation au sein de la classe politique. D’aucuns accusent le président IBK de rêver d’une présidence autoritariste où il détiendrait les pleins pouvoirs exécutifs et une influence considérable sur les autres institutions de la République. La majorité présidentielle dénonce, de son coté, une opposition prête à tout pour s’opposer et soutient que son projet de loi est une avancée pour la démocratie malienne.

Démêler le vrai du faux, la dénonciation politicienne de la critique républicaine, telles sont les tâches auxquelles le présent article va s’atteler.

De notables avancées institutionnelles

Depuis la révolution du 25 mars 1991[2], le Mali est souvent salué dans la sous-région pour la réussite de ses échéances électorales. Ce n’est qu’avec la crise sociopolitique de 2012 que la culture démocratique du Mali a été fortement ébranlée. Certaines dispositions du projet de révision constitutionnelle viennent rappeler l’attachement du pays à la démocratie.

En effet, l’article 143 alinéa 4 prévoit que la modification des dispositions relatives à la limitation ou la durée du mandat présidentiel ne pourra se faire que par voie référendaire. Il s’agit là d’une grande avancée démocratique en comparaison aux récents évènements survenus dans la sous-région. L’échec de la tentative de révision constitutionnelle via le congrès de l’ex président Burkinabé, Blaise CAMPAORE, a fort probablement servi de repère au gouvernement malien. Pour des pays africains, en quête de solidité démocratique, c’est certainement un gage supplémentaire de stabilité institutionnelle et politique que de réserver au seul arbitrage populaire la modification d’une telle norme fondamentale.  En France, par exemple, le recours au congrès par le président Chirac pour adopter les traités européens suite au rejet de la constitution européenne par voie référendaire, avait été qualifié de déni de démocratie par une partie de la classe politique et de la société civile[3].

La mise en place d’une circonscription électorale pour la diaspora

Après le Sénégal, le gouvernement malien veut également octroyer à la diaspora le droit de siéger au parlement. L’adoption de cette disposition constituera une avancée majeure en ce qui concerne la conformité de la loi fondamentale à la réalité sociale. Le poids économique de la diaspora malienne est en effet d’une importance non négligeable[4]. Mis à part   la jouissance de ses droits politiques, il était nécessaire que la représentativité de la diaspora soit matérialisée par sa présence à l’assemblée nationale. Si cette analyse est vraie pour le Mali, elle peut être dupliquée dans de nombreux autres pays africains où la diaspora est devenue un acteur économique et social important (selon des travaux de l'AfDB).

La prise en compte de la question environnementale dans la constitution

L’Afrique est frappée de plein fouet par le changement climatique alors même que le continent ne fait pas partie des gros pollueurs de la planète. Le Mali, en particulier, a vu sa production agropastorale diminuer drastiquement en raison de la forte sécheresse. En 2015, des reporters du site www.sahelien.com ont enquêté au nord du pays. Près de 75.000 enfants étaient menacés de malnutrition selon leur rapport. Le gouvernement a décidé d’inscrire la question climatique dans la norme constitutionnelle par la mise en place d’un « Conseil économique et environnemental ».

Si la prise en compte de la problématique environnementale est une innovation majeure  à saluer, certaines dispositions du projet de révision peuvent laisser sceptiques.

Un présidentialisme revendiqué

L’opposition et la société civile sont vent debout contre la révision constitutionnelle qui fera sans doute passer le Mali d’un régime semi-présidentiel à un véritable régime présidentiel voire présidentialiste.

Dans le projet de loi du gouvernement,  les prérogatives du président de la république sont considérablement accrues. A titre d’exemple, le président nommerait le président de la cour constitutionnelle alors que ce dernier est choisi par ses pairs dans la présente loi fondamentale. Les détracteurs du président IBK dénonce une machination du président sortant dans le but d’assurer sa réélection en 2018. C’est en effet le président de la cour constitutionnelle qui dispose des prérogatives de proclamation définitive des élections présidentielles. La révision met également en place un bicaméralisme inégalitaire par la création du Sénat. Le président sera chargé de nommer le tiers des membres devant siéger dans la chambre haute alors que le reste des sénateurs sera issu d’une élection au suffrage universel indirect. Là encore, les opposants dénoncent un subtil moyen du président IBK de mettre dans sa poche les responsables de la société civile, les responsables religieux et certains responsables de collectivités territoriales avec en ligne de mire les prochaines consultations électorales.

Conformément à l’actuelle constitution, le président de la république nomme le premier ministre ; mais le chef de l’Etat ne peut pas contraindre le premier ministre à quitter ses fonctions. Le premier ministre ne peut quitter son poste (excepté dans l’hypothèse d’une motion de censure à l’assemblée nationale) qu’en cas de démission. Cette démission constitue un acte positif et volontaire de sa part.

Avec la réforme, le président de la république pourra limoger le premier ministre qu’il aura choisi. D’un point de vue du fonctionnement des institutions, la réforme sur ce point, semble cohérente. Elle permet surtout de constitutionnaliser une réalité factuelle.  Le premier ministre, lorsque la majorité parlementaire est du même bord politique que le président de la république, n’est qu’un instrument entre les mains du chef de l’Etat. Cette révision est d’autant plus cohérente que le même projet prévoit que « la politique de la nation » est déterminée par le président de la république. Or dans la constitution actuelle, c’est le premier ministre qui détermine et conduit la politique de la nation. C’est pour cette raison que le gouvernement que dirige le premier ministre est responsable devant le parlement. Il n’en sera plus de même, si les Maliens décident de valider le projet de révision du gouvernement. Ce sont de véritables signes du basculement d’un régime semi parlementaire vers un régime présidentiel.

L’irresponsabilité politique du président de la république : un oubli outrancier ?

Le projet présente cependant une certaine incohérence. Si en effet, le président détermine la politique de la nation et qu’il nomme et démet de ses fonctions le premier ministre, le chef de l’Etat devient le véritable chef de l’exécutif. Dans un souci d’équilibre des pouvoirs, il devrait pouvoir rendre compte devant le parlement sur la manière dont il utilise les larges pouvoirs constitutionnels qui lui sont conférés. Il n’en est malheureusement pas le cas, puisque le premier ministre et le gouvernement, (dont les prérogatives seront désormais limitées), restent responsables devant le parlement.

Le projet de révision semble érigé le président de la république en un monarque absolu qui n’a de compte à rendre que lors des échéances électorales. Les contre-pouvoirs n’existent presque pas dans le projet de loi proposé par  le gouvernement. Si la nomination des membres de la cour constitutionnelle ainsi que de leur président relève des prérogatives du chef de l’Etat, le parlement devrait disposer du pouvoir de valider ces nominations. C’est la pratique aux USA qui représentent  l'exemple type du régime présidentiel.

Toutes ces dispositions transférant d’importants pouvoirs au président de la république expliquent l’inquiétude d’une partie de l’opposition, de la société civile et des populations.  Cependant, une refonte profonde de la loi fondamentale du Mali est somme toute nécessaire, pour permettre à ce pays sahélien d’être gouverné différemment notamment par la mise en place d’une décentralisation très poussée. Il y va de la bonne administration des régions en l’occurrence celles de la partie septentrionale du pays.

Giani GNASSOUNOU


[1] Notamment en ce qui concerne l’administration de l’Etat. L’accord prévoit un transfert d’un certain nombre de compétences du pouvoir central vers les collectivités territoriales.

 

 

[2] http://www.rfi.fr/afrique/20120326-mali

 

 

[4]  http://maliactu.net/migration-la-diaspora-malienne-contribue-a-hauteur-de-300-milliards-de-fcfa-dans-leconomie/

 

 

L’Etat de droit a-t-il régressé en 2016 ?

L’Afrique a connu une année 2016 mouvementée sur le plan politique. Entre l’organisation de plusieurs scrutins électoraux et la lutte contre le terrorisme, la solidité des institutions des pays concernés a été testée. L’état de droit a-t-il été impacté par ces différents évènements ? En fonction des situations prévalant dans chaque pays, le sort réservé aux droits humains et au respect de la constitution n’a pas été le même. Le rapport annuel de Human Right Watch (HRW) nous donne des éléments intéressants à analyser.

Le Burundi et l’enlisement de la crise.

Au Burundi, la crise politique, qui a débuté en 2015 suite au refus du président sortant Pierre Nkurunziza de ne pas briguer un nouveau mandat, s’est poursuivie en 2016. A la suite de sa réélection, des affrontements meurtriers se sont déroulés entre les partisans de l’opposition et les forces de sécurité soutenues par des regroupements de jeunes proches du pouvoir en place.

Le régime en place n’a pas hésité à instrumentaliser les voies de droit afin d’arrêter le maximum de partisans de l’opposition. Plusieurs procédures judiciaires ont été enclenchées sur la base d’éléments peu fiables. D’autres procédures ouvertes contre les forces de l’ordre ou les agents de renseignement proches du pouvoir, ont été bafouées ou biaisées afin de disculper les éventuels responsables.

Selon le rapport annuel de HRW, plus de 325000 burundais ont fui le pays vers les pays voisins depuis le début de la crise.

La situation dans ce pays de l’Afrique de l’est est de plus en plus inquiétante. Ces dernières semaines, des propos flirtant avec des intentions génocidaires, émanant d’éminentes personnalités du pouvoir ont ramené le pays à la tragique nostalgie des heures les plus sombres qu’a connues cette région en 1994.

Le Nigéria, entre justice et lutte contre le terrorisme

Le Nigéria est loué par l’ONG HRW pour sa société civile et ses médias puissants et influents, qui jouent un rôle majeur dans la responsabilisation de la fonction publique du pays face au cancer qu’est la corruption. Cependant, HRW dénonce la rédaction de certains projets de loi qui pourraient porter un frein à l’activité des organismes de la société civile ; ces dernières constituant une menace pour le gouvernement. C’est le cas par exemple du projet de loi (. Bill to Prohibit Frivolous Petitions and Other Matters Connected Therewith .) introduit au Sénat en décembre 2015  et qui vise spécifiquement les utilisateurs des réseaux sociaux et médias électroniques.

Sur le plan sécuritaire, un rapport des autorités dénonce la recrudescence des exécutions arbitraires commises par les forces de sécurité. Une commission publique instituée par le gouvernement a, par exemple, demandé que les soldats responsables du meurtre de plus de 300 membres du mouvement islamique du Nigéria dans l’Etat de Kaduna soient déférés devant la justice. La lutte contre le terrorisme islamiste incarnée par la secte Boko Haram est la principale raison de l’utilisation de plus en plus importante de moyens illégaux par les forces de sécurité. Le gouvernement pourrait-il dans ce contexte enclencher un combat judiciaire à l’encontre de ces hommes et femmes en uniforme, censés affaiblir Boko Haram ? Avoir de l’optimisme pour la poursuite objective de ces enquêtes, relèverait d’une relative naïveté.

La RDC et son président « sortant par intérim »

Le mandat constitutionnel du président Kabila est arrivé à terme le 16 décembre 2016 sans que son remplaçant ne soit connu, faute d’organisation d’élections présidentielles. Le président sortant s’est donc maintenu au pouvoir malgré l’opposition de la majeure partie de la classe politique. Des affrontements ont eu lieu entre les forces de l’ordre et de jeunes congolais demandant le départ du président Kabila. Mais pouvait-il réellement partir ?

L’opposant historique Etienne Tshisekedi avait appelé les populations à une « résistance pacifique » sans pour autant expliquer ce qu’il voulait dire en ces termes. Un accord a finalement été conclu après d’âpres négociations entre le pouvoir et l’opposition sous la supervision du clergé catholique. Les acteurs se sont mis d’accord sur un certain nombre de points clés. D’autres points, bien que faisant partie de l’accord, posent toujours problème. C’est le cas de la date des échéances électorales que l’opposition voudrait organiser au plus tôt. Au niveau de la mouvance présidentielle, on persiste à dire que des élections libres et transparentes ne peuvent être organisées avant 2018. Nous ne sommes donc pas à l’abri de nouveaux rebondissements.

Le clergé catholique a quand même le mérite d’avoir pu réunir la classe politique autour de la table avec, à la clé, une solution à l’impasse juridique et constitutionnelle causée par la non tenue des élections. Malgré ses lacunes, l’accord trouvé sous l’égide des hommes de Dieu a permis une certaine décrispation de la situation dans le pays.

La Cote d’Ivoire et le Ghana, des exemples d’avancées démocratiques

D’après le rapport de l’ONG américaine, l’impressionnant redressement économique de la Cote d’Ivoire – qui a connu plus de dix ans de conflit armé –  a favorisé « une amélioration progressive de l’état de droit et de la réalisation des droits économiques et sociaux ».

L’événement symbolique de cette avancée reste sans ambages l’adoption d’une nouvelle constitution et le passage à la 3ème République. Cette nouvelle constitution, bien que critiquée par l’ONG pour sa vocation « hyper présidentielle », a supprimé la fameuse disposition relative à la nationalité. Disposition de la discorde qui a porté les germes des dix années de conflits ayant secoué ce pays.

Cependant, ces derniers jours, des mutineries d’une partie des corps habillés ont mis sur la scène publique l’une des faiblesses institutionnelles du pays. Il s’agit de la place réservée au pouvoir militaire dans la structure institutionnelle. Cette mutinerie pose un problème plus général en Afrique qui est celui du pouvoir effectif des forces armées dans nos institutions ; sujet traité par l’Afrique Des Idées au cours de l’année écoulée.

Enfin, la dernière élection présidentielle au Ghana a abouti à une alternance. Le président sortant John Mahama a été battu par l’historique opposant au NDC[1] ( National democratic congress), le chef du New Patriotic Party( NPP), Nana Akufo Addo. Ces élections, qui se sont déroulées dans la plus grande transparence, ont démontré encore une fois la solidité institutionnelle de ce pays. Le Ghana se hisse de plus en plus dans la lignée des grandes nations africaines réussissant l’épreuve de la sempiternelle équation de l’alternance pacifique en Afrique.

                                                                                                                                   Giani GNASSOUNOU

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


[1] Le parti du président sortant John Mahama qui avait lui-même succédé à John Attah Mills après son décès.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Conflits sociopolitiques et crises électorales en Afrique subsaharienne francophone

LCrises électorales’inscription des pays africains francophones dans un processus de consolidation démocratique témoigne des importants progrès accomplis ces dernières années sur cette voie. Cependant, comme l’illustre la récurrence des crises électorales, l’expérience demeure encore fragile. En effet, l’exacerbation des conflits sociopolitiques antérieurs aux élections lors de leur déroulement, conduit parfois à des irrégularités électorales ou des fraudes électorales. L’intensification des conflits sociopolitiques lors des élections présidentielles est donc l’une des principales causes des crises électorales dans certains pays d’Afrique subsaharienne francophone. La prévention des crises électorales, et surtout l’enracinement de la démocratie électorale, doivent, par conséquent, et en dépit de ces conflits sociopolitiques, s’appuyer sur une véritable culture démocratique parfois défaillante.  Lisez l’intégralité de ce Policy Brief.

Kabila et Sassou face à leurs constitutions



 

 

JPG_KabilaSassou 030215Les présidents des deux Congo sont confrontés au même problème : leurs Constitutions respectives les empêchent de briguer un nouveau mandat. Mais ils ne sont pas tout à fait dans la même situation.

Ironie du sort, Denis Sassou Nguesso et Joseph Kabila, à qui on a régulièrement prêté des différends sont confrontés exactement au même problème en ce début d’année 2015. Et il se résume à chaque fois à un numéro: 57 (et 58) au Congo Brazzaville et 70 en RDC, les articles constitutionnels qui les empêchent de briguer un troisième mandat à la tête de leur pays. Si la loi fondamentale reste en l’état et si ils la respectent, Sassou Nguesso, tout comme Kabila auront quitté le pouvoir fin 2016.

Après le précédent burkinabè, le débat fait donc rage à Brazzaville comme à Kinshasa, les deux capitales les plus proches du monde – séparées seulement par le fleuve Congo, franchi en sept minutes de canot rapide, avant d’affronter les formalités administratives qui dureront elles beaucoup plus longtemps,  qu'importe la rive où l’on accoste.

À Brazzaville, le sujet est officiellement sur la table depuis le 31 décembre et l’appel du principal mouvement de la majorité, le Parti congolais du travail (PCT), à la rédaction d’une nouvelle Constitution, plus adaptée à la situation du pays. L’ancien texte serait dépassé estime le parti du président Sassou, car rédigé en 2002 dans une période post-conflit, après la sanglante guerre civile qu’a connu le pays.

Bien sûr cette nouvelle Constitution n’a rien à voir avec l’éventualité d’une énième candidature du président Sassou, assure le PCT… Pourtant, l’opposition et quelques rares dissidents de la majorité y voient une simple manœuvre pour justifier un « coup d’État constitutionnel », assurant le maintien au pouvoir du chef. Denis Sassou Nguesso a quant à lui sobrement jugé sain et démocratique un tel débat constitutionnel dans son message de vœux à la Nation.

À Kinshasa, le débat a pris un tour nouveau depuis les violences survenues entre le 19 et le 22 janvier dans la capitale et à Goma à l’est du pays. À l’origine de ces affrontements, dont le bilan est  estimé par les ONG à plus de quarante morts, un projet de loi électorale qui a mis le feu aux poudres. En effet, un article particulièrement controversé, y laissait craindre un report de l’élection présidentielle, ce qui n’était pas tout à fait du goût de l’opposition. Celle-ci dénonçait, là encore, une tentative du président Kabila de s’accrocher au pouvoir. Face à la contestation populaire, l’article a finalement été retiré.

Preuve qu’à Kin’, comme à Brazza, la question constitutionnelle est sensible, même si en RDC ni le parti majoritaire (le PPRD), ni le président n’ont officiellement pris position dans le débat.

Deux situations bien différentes

Les deux chefs d’État sont donc face au même défi, ils restent néanmoins dans des situations bien différentes, autant liées à la nature de leurs pays qu’à l' histoire politique de chacun d'entre eux..

Il y a d’abord un géant face à un petit poucet. La RDC avec ses 80 millions d’habitants est l'un des pays les plus grands et peuplés d’Afrique. Et plusieurs parties du territoire échappent encore au contrôle des autorités à l’est du pays et dans le nord de la province du Katanga. Maï Maï, ADF Nalu, ou anciens rebelles hutus rwandais FDLR… les difficultés avec les groupes armés sont loin d’être réglées dans les Kivus.

Par contraste, le Congo-Brazza avec ses quatre millions d’habitants, fait figure de petit pays tranquille. Et Brazzaville de village paisible qui dévisage avec inquiétude la « Gotham City » Kinshasa aux grandes tours défraichies. Le calme, la paix, après la guerre civile de 1997 qui a marqué les esprits sont d’ailleurs les arguments volontiers convoqués par le camp du président Sassou pour appeler à son maintien au pouvoir.

Sassou et Kabila, c’est aussi deux personnalités et deux situations politiques très différentes.

À 43 ans, Joseph Kabila reste un chef d’État énigmatique et discret, assez malicieux certainement pour avoir échappé, depuis 2001 et l’assassinat de son père, aux chausses trappe inhérentes à l’exercice du pouvoir en RDC. Il reste toutefois très difficile de mesurer la nature et l’étendue de son autorité quand les richesses du sous-sol de son pays et le désordre qui y règne renforcent sans cesse les convoitises et les rivalités.

Sur le plan intérieur, Kabila dispose de concurrents reconnus comme Etienne Tshisekedi, le leader de l’UDPS apprécié notamment à Kinshasa et qui revendique depuis 2011 sa victoire aux dernières élections présidentielles.  Dans la majorité même, des concurrents s’affirment et affichent leur opposition à la révision constitutionnelle. Depuis quelques semaines, le charismatique gouverneur du Katanga, Moise Katumbi, connu pour les succès de son équipe de football le Tout Puissant Mazembe, fait ainsi parler de lui en rejetant implicitement une nouvelle candidature de Kabila. Et il n’est pas le seul au sein de la majorité à prendre ses distances.

À 71 ans, Denis Sassou Nguesso est lui un animal politique  plus expérimenté. Il a déjà plus de trente ans de pratique du pouvoir derrière lui, malgré la parenthèse de la présidence Lissouba entre 1992 et 1997 avant son retour par les armes. Le président a habilement fragilisé les partis d’opposition historique comme l’UPADS, celui de l’ancien président Lissouba, ou le MCDDI, celui de feu Bernard Kolélas, autre rival des années 1990, en attirant ses adversaires dans son giron grâce ,disent ses détracteurs, à l’attraction qu’exercent les richesses pétrolières du pays. Au sein de l’opposition, on serait ainsi bien en peine de distinguer des figures fédératrices et reconnues par la population. Des opposants minoritaires existent bel et bien mais ils ont du mal à se faire entendre dans un paysage médiatique sous contrôle.

Quant à la majorité, à l’image du PCT, héritier des années socialistes au Congo, elle reste à l’unisson avec son chef, même si quelques dissonances notables apparaissent ces dernières semaines par les voix d’anciens ministres comme André Okombi Salissa ou Charles Zacharie Bowao ou même d’un membre du gouvernement actuel Guy Parfait Kolélas (fils de Bernard…), opposées au changement constitutionnel.

Homme d’expérience, par contraste avec un Kabila bien discret sur la scène diplomatique, Sassou Nguesso exerce aussi son influence à l'international depuis de nombreuses années avec la confiance de ses partenaires. Il est par exemple le médiateur dans la crise centrafricaine. 

Un même défi donc et des situations différentes pour les présidents Kabila et Sassou. Mais ces réalités dans toute leur complexité ne permettent évidemment pas d’annoncer quels seront les prochains épisodes pour l’un ou l’autre de ces chefs d’Etat congolais. Qui aurait pu prédire qu'au Burkina Faso, une révolution populaire allait contraindre Blaise Comparé à quitter le pouvoir après 27 ans à la tête du pays ?

Adrien de Calan

Burundi, Bénin, Congo, RDC, Rwanda… : pas touche à ma constitution ?

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Depuis plusieurs mois, un même débat faisait rage, dans de nombreux pays africains. Au Burundi, au Burkina Faso, au Bénin, au Congo, en République démocratique du Congo (RDC) et au Rwanda pour ne citer qu’eux, la classe politique et les citoyens se déchiraient sur une éventuelle révision de la constitution autorisant le chef de l’État à briguer un nouveau mandat, ce que la loi fondamentale, en l’état, lui interdit. 

Les termes de la controverse ont radicalement changé le 30 et le 31 octobre. Au Faso, la contestation grandissante pour sauver la constitution et son article 37 – celui qui empêchait le président Compaoré de rempiler après 27 ans de pouvoir – s’est transformée en révolution. Un tournant politique qui sonne comme un avertissement pour tous les chefs d’État  de la région.

Les arguments favorables à une révision constitutionnelle sont connus : stabilité du régime, paix et sécurité, approfondissement de politiques déjà engagées, voire adhésion de la population à la présidence en cours et à un changement de constitution qui pourrait dit-on être confirmé par référendum. Qu’en est-il des opinions inverses ? Voici les principaux arguments défendus par ceux qui s’opposent à tout “tripatouillage électoral”.

 1- Parce que tout a changé depuis la Burkina

 La révolution burkinabè annonce-t-elle des mouvements de contestation à venir dans les deux Congo, au Burundi, au Rwanda? Difficile à dire bien sûr. Le contexte a en tout cas radicalement changé depuis ces derniers jours d’octobre. Dans les pays concernés, les responsables de l’opposition ne s’y sont d’ailleurs pas trompés : “la leçon qu’il faut tirer de cela c’est que les différents chefs d’État doivent comprendre que plus rien ne sera comme auparavant. Et ceci doit être une leçon qui doit être retenue pour chez nous aussi, où nous avons choisi la lutte pacifique», a ainsi déclaré Vital Kamerhe, leader de l’Union pour la nation congolaise (UNC) en RDC.

 Certes, il y a plus de trois ans et demi déjà, avait lieu les printemps arabes. L’inquiétude était alors palpable dans certaines capitales africaines. Mais le Maghreb restait lointain, et la dégradation des conditions sécuritaires qui s’est installée depuis dans certains pays, devenait même pour certains chefs d’État un argument pour revendiquer leur indispensable rôle dans le maintien de la stabilité du continent.

 Le cas burkinabè rebat incontestablement les cartes. D’abord parce qu’il est plus proche et repose exactement sur la même équation : toucher ou non à un article de la constitution devenu le totem qui cristallise les revendications de l’opposition. Ensuite, parce que le régime de Blaise Compaoré ressemblait à s’y méprendre à certains cités plus haut.

Le parallèle le plus parlant étant sans doute celui avec le Congo-Brazzaville.  27 ans de pouvoir pour le « beau Blaise », près de 30 pour Denis Sassou Nguesso, aux commandes depuis 1979 (malgré une interruption entre 1992 et 1997). Et une stratégie commune : se rendre indispensable sur la scène internationale. Un rôle de médiateur au Mali pour Compaoré, une médiation en Centrafrique pour Sassou Nguesso, très impliqué dans la crise en cours à Bangui.

 2 – Pour permettre l’alternance

 Faut-il empêcher un président qui fait du bon travail de le poursuivre s’il est soutenu par sa population ?  Sans être absurde, l’argument reste au moins intrigant pour ceux qui, comme Compaoré ou Denis Sassou Nguesso, ont passé plusieurs dizaines d’années au pouvoir et ont eu tout le loisir de mettre en œuvre les politiques qu’ils estimaient utiles à leurs pays.

 Les cinq pays pourront aussi prendre l’exemple du Sénégal avec son alternance pacifique entre Diouf et Wade en 2000, puis l’élection de Macky Sall en 2012, qui ont montré les vertus d’un changement à la tête de l’État pour assurer un renouvellement des élites et des pratiques du pouvoir ; ou celui du du Ghana où après deux mandats, le président Kufuor a cédé la place à son successeur Atta-Mills en 2009.

3 – Pour respecter ses engagements nationaux et internationaux

Les opposants à tout changement constitutionnel invoquent aussi le respect des engagements nationaux et internationaux des gouvernants. Ainsi dans bien des pays, la constitution envisage des possibilités de révision mais exclut précisément tout changement qui concernerait la durée et le nombre de mandats. C’est l’article 185 à Brazzaville ou le 220 à Kinshasa qui précise que “ le nombre et la durée des mandats du Président de la République (…) ne peuvent faire l'objet d'aucune révision constitutionnelle.”

 Pour la Conférence épiscopale de RDC, qui ne cesse de réitérer son opposition à une révision constitutionnelle, “cet article pose les bases de la stabilité du pays et l’équilibre des pouvoirs dans les institutions. Le modifier serait faire marche en arrière sur le chemin de la construction de notre démocratie et compromettre gravement l’avenir harmonieux de la Nation”,  

Sur le plan international, les cinq États  cités ci-dessus ont également tous signé la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance de 2007 qui condamne dans son article 23(5) : “Tout amendement ou toute révision des Constitutions ou des instruments juridiques qui porte atteinte aux principes de l’alternance démocratique, "qui représenterait un “changement anticonstitutionnel de gouvernement et passible de sanctions appropriées de la part de l’Union”.

4 – Pour dépersonnaliser la loi

Rarement des constitutions auront suscité autant de passions dans les capitales du continent, laissant une drôle d’image d’une Afrique où tout débat constitutionnel apparaît inextricablement lié à celui du maintien au pouvoir du chef, comme si chose publique et chose privée étaient inévitablement mêlées. On ne débat plus de la constitution pour de réelles raisons juridiques ou sociales mais bien pour l’adapter à une situation individuelle d’un président :  la loi n’encadre pas l’exercice du pouvoir mais est aménagée en fonction de lui.

 En 1995, quand l’Assemblée nationale ivoirienne obligeait tout candidat à la magistrature suprême à fournir la preuve que ses deux parents sont effectivement nés en Côte d'Ivoire, l’objectif ultime était de transformer en loi “le concept d’”ivoirité” imaginé par le président Henri Konan Bédié afin de disqualifier son principal rival Alassane Ouattara.

Quant au Congo-Brazzaville, l’article 58 de la constitution de 2002 interdit à tout candidat de plus de 70 ans de se présenter à la présidentielle. Son adoption visait moins à rajeunir la classe politique qu’à empêcher les concurrents de Sassou Nguesso de l’époque, comme Pascal Lissouba, de se présenter. Un verrou générationnel qui se retourne aujourd’hui contre celui qui l’a fixé puisque c’est désormais Sassou lui-même qui a atteint la limite d’âge…

5 – Pour la stabilité institutionnelle

“L’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts mais d’institutions fortes”, affirmait Barack Obama en 2009 dans son discours d’Accra, précisant que l’Histoire n’est pas du côté de “ceux qui modifient les constitutions pour rester au pouvoir”.

Une constitution comme toute construction humaine n’a aucune de raison d’être immuable. Mais les règles du jeu qu’elle instaure méritent au moins d’être éprouvées dans la durée. La plupart des pays cités ont des constitutions récentes : 2006 pour la RDC, 2005 pour le Burundi, 2003 pour le Rwanda, 2002 pour le Congo.

Entretenir l’instabilité institutionnelle, c’est mettre à mal la confiance des citoyens à l’égard de leurs dirigeants. Le Congo-Brazzaville est “le plus vaste cimetière institutionnel de l’Afrique”, dénonçait en 2001 l’universitaire Félix Bankounda. Depuis son indépendance en 1960, le pays a connu treize textes fondamentaux (six constitutions et sept actes fondamentaux), dont huit sous la seule présidence de Sassou Nguesso.

6 – Pour échapper à la caricature

Si la présidence à vie n’est pas l’apanage de l’Afrique, il n’en reste pas moins comme le note le journaliste Tirthankar Shanda que “sur les 19 chefs d’État qui ont accédé au pouvoir au siècle dernier et qui s’accrochent à leur place, 14 sont Africains !”. Après le Burkina, la communauté internationale sera peut être – qui sait ? – plus exigeante. La France avait prévenu à plusieurs reprises le président Compaoré, semble insister l’Élysée depuis quelques jours.

Mais il faudra sans aucun doute des concessions. Peut-on, défendre par exemple un ambigu statut d’immunité qui garantirait une sécurité économique et judiciaire à des chefs d’Etat qui, s’ils lâchent le pouvoir, redoutent la revanche de ceux qui l’ont trop longtemps attendu ? Ou offrir une (prestigieuse) porte de sortie aux présidents en place en leur attribuant de nouvelles missions dans des institutions internationales comme le proposait François Hollande à Compaoré dans un courrier du 7 octobre l’invitant à ne pas toucher à la constitution.

Ou même, si finalement maintien au pouvoir il y a, négocier de réelles contreparties. Car la conclusion du débat dépendra bien sûr de la situation bien particulière de chacun des pays. Un responsable de l’opposition burundaise confiait ainsi il y a quelques semaines qu’il avait “toutes les raisons de croire que Pierre Nkurunziza serait toujours président après 2015”, compte tenu des équilibres politiques de son pays. Mais il réclamait en échange “une vraie négociation pour ouvrir le jeu politique alors qu’il est complètement crispé. Pour cela nous aurons besoin d’un réel appui et de toute la pression de la communauté internationale”. Ce serait le moins.

Adrien de Calan

La nouvelle constitution du Zimbabwe : par les politiciens et pour les politciens?

MugabeLe 15 Septembre 2008, le président Robert Mugabe a été contraint à une union politique avec son principal adversaire politique :  Morgan Tsvangirai du Mouvement pour le changement démocratique (MDC-T). Cette démarche a abouti à l'Accord Politique Global (GPA) et à la fondation de l'actuel gouvernement de coalition de la ZANU-PF, le MDC-T et le MDC-M, faction au sein du MDC. Ce mariage politique compliqué a été négocié par la Communauté de développement de l'Afrique australe (SADC) et faisait suite aux sanglantes élections présidentielles de 2008 desquelles Tsvangirai – après avoir remporté le premier tour – avait été contraint de se retirer, du fait des violences perpétrées contre ses partisans.

En plus de rétablir la situation économique du pays, le gouvernement de coalition avait été chargé de rédiger une nouvelle constitution. Et si l’Accord politique global a permis de stabiliser une économie à la ruine, on ne peut pas en dire autant de son efficacité en ce qui concerne la rédaction de la nouvelle constitution. Le processus a traîné en longueur pendant plus de quatre ans et a été caractérisé par des querelles, un financement insuffisant et la faiblesse des mécanismes d’information et de sensibilisation de la population.

L'ingérence politique 

Le processus a également été caractérisé par des ingérences politiques.

Le « Constitution du Zimbabwe Select Committee » (COPAC)  devait en principe assurer la rédaction de la constitution. Mais en réalité, tout se joua parmi les responsables politiques. Fait révélateur, ce sont les chefs des trois principaux partis politiques – Mugabe, Tsvangirai et Ncube – et non le comité,  qui ont annoncé l'achèvement du projet de constitution en janvier dernier.

Le premier assaut porté contre le COPAC par les politiciens fut donné très tôt, lorsque les responsables des trois partis de la coalition établirent, en dehors du COPAC, au moins deux autres comités chargé de résoudre les points litigieux liés à la rédaction de la nouvelle constitution. Non seulement la direction de la réforme constitutionnelle par le COPAC était remise en question, mais plus encore : ces comités ainsi formés n'avaient pas l'expertise nécessaire pour l’accomplissement de leur travail de médiation, mais ses membres ne daignaient même pas participer aux réunions de travail. Résultat de cet échec : les responsables politiques, avec à leur tête Robert Mugabe, décidèrent de reprendre en charge la résolution de leurs différends. , échouant à accomplir les tâches pour, et même ne pas se présenter aux sessions programmées. En conséquence, les dirigeants politiques, ostensiblement dirigée par le président Mugabe, ont pris sur eux pour résoudre les désaccords. 

En outre, lorsqu’un premier projet de constitution fut publié en Juillet 2012, elle et son processus de modification furent très rapidement politisés. Si les deux factions du MDC l’approuvèrent rapidement, le président Mugabe, dans le style typique du ZANU-PF, remis le processus à zéro en introduisant plusieurs amendements qu’il savait d’avance inacceptables pour l’opposition : notamment en ce qui concerne les dispositions sur la décentralisation, le scrutin présidentielle, la création d'une cour constitutionnelle, l’autorisation de procureurs soustraits à l’autorité du ministère, le  droit foncier, le mariage pour les homosexuels, et le financement étranger des partis politiques. Pour corser l’addition, la ZANU-PF a aussi insisté pour toute une classe de nouvelles clauses soient introduites dans la constitution comme la restauration des pouvoirs présidentiels et l'introduction d’un « black empowerment ».  Tsvangirai a refusé le projet proposé ZANU-PF qui à ses yeux n'était pas "un amendement au projet mais un nouveau document, complètement réécrit". En fin de compte cependant, la plupart des trente amendements de la ZANU-PF – ont été acceptés.  La nouvelle constitution a été adoptée par le parlement, et les principaux partis politiques ont encouragés les Zimbabwéens à voter «oui» lors du prochain référendum du 16 Mars. Ce qu’ils ont fait, à une écrasante majorité.

« Se débarrasser de la créature à trois têtes »

Il est dès lors peu surprenant de constater que cette nouvelle constitution a été accueillie froidement par bien des acteurs de la société civile ; d’abord du fait de sa rédaction conduite presque sous la supervision des acteurs politiques, bafoua l’autorité de la commission indépendante et se fit sans l’implication ni la consultation des acteurs de la société civile. Ensuite parce que les dispositions qu’elle contient accordent encore un pouvoir extrêmement fort au président de la république qui peut encore déployer des troupes dans le pays sans l'approbation préalable du Parlement. Cela signifie que les évènements tels que l'Opération Murambatsvina, où les soldats avaient été déployés dans et autour de Harare en 2005 pour cibler les électeurs de l'opposition, pourraient être répétés.

Au milieu de toute cette fureur, il est facile d'oublier que le Zimbabwe a déjà une constitution – elle-même modifié à plusieurs reprises. La Constitution actuelle, encore en vigueur en attendant l’implémentation de la nouvelle constitution, contient par exemples des dispositions pour un président exécutif, deux vice-présidents, un Premier ministre, deux vice-premiers ministres, et un sénat de type américain – aucune de ces dispositions n’étaient contenues dans la constitution adoptée à l’indépendance du pays. Pour cette raison, s’il y a une chose que les Zimbabwéens devraient avoir appris depuis 1980, c’est qu’une constitution est toujours à la merci de ceux qui détiennent le pouvoir. 

Dans un communiqué disant, par exemple, le président Mugabe a rassuré les chefs traditionnels dans la province de Masvingo (sud-est) du fait que son parti allait apporter des modifications au texte constitutionnel, peu après les élections qu'il était confiant de remporter: « Nous avons convenu de cette nouvelle constitution, mais n’avons obtenu tout ce que nous voulions. C'était un compromis", a déclaré M. Mugabe. "Après les élections, nous allons modifier la constitution pour l'adapter à certains de vos points de vue. Actuellement, nous devons nous débarrasser de cette créature à trois têtes."

 

Article de Simukai Tinhu, publié initialement chez nos partenaires Think Africa Press. Traduction d'AJTL