Faire de la concurrence une priorité en Afrique : les limites

priceLes prix des biens et services vendus aux consommateurs africains sont-ils concurrentiels ? Autrement dit, reflètent-ils le coût de production ou bien sont-ils exagérés ? Aujourd’hui, la plupart des Etats Africains disposent d’une direction sous tutelle du ministère du commerce en charge du contrôle des prix sur les marchés. Cependant, leur moyen d’action est très limité par rapport à l’ampleur des potentielles pratiques anticoncurrentielles et la norme dans les pays développés. Dans un précédent article, nous expliquions pourquoi et comment il fallait mettre en place des autorités indépendante en charge de la concurrence. Dans cet article nous abordons les limites de la concurrence.

Pour reprendre l’adage populaire, « l’excès nuit en toute chose ». L’article précédent a décrit en quoi peu de concurrence pouvait être néfaste pour la société. De la même façon, trop de concurrence « peut » également nuire à la société. Il s’agit là d’un débat qui oppose d’une part les partisans d’une concurrence parfaite à ceux qui défendent l’utilité du monopole.[1] Au-delà des considérations académiques, la question fondamentale qui est posée est de savoir entre l’entrepreneur et le consommateur, celui qui est à même d’utiliser le plus efficacement possible le gain généré par les échanges au service de la société. Autrement dit, quelle est l’utilité des profits engrangés par l’entrepreneur pour la société ? Un monopoleur qui fait d’énorme profit ne va-t-il pas l’utiliser pour créer davantage de monopoles dans l’économie ? Et si le gain était entièrement capté par le consommateur, ne va-t-il pas l’utiliser pour faire de nouveaux achats et par la même occasion augmenter l’activité économique, inciter de nouveaux entrepreneurs à entreprendre, voire générer de nouveaux emplois ? Si l’un ou l’autre des scénarios n’est pas satisfaisant, alors où placer le curseur ?[2]

La réflexion sur cette question est bien semblable à la curiosité de savoir qui est le géniteur entre la poule et l’œuf. Par exemple, les implications d’une concurrence parfaite, donnant tout le surplus généré au consommateur paraissent séduisantes. Cependant, quand on y pense bien, elle soulève quelques contradictions. En l’absence de rente, qui apportera l’innovation nécessaire à chaque nouvel entrepreneur pour produire les biens et services que le consommateur désire acheter ? Imaginons une économie exclusivement faite de moyens de communications électroniques. Si le prix d’utilisation de la 2G était fixé à son coût de production, il n’y aurait aucune rente pour un inventeur qui s’engagerait dans une recherche incertaine d’une technologie supérieure. Dans ce cas, l’économie resterait de façon permanente dans son état initial : il n’y a pas d’innovation et tout le monde reste sur l’ancienne technologie (2G).

Dès lors, le financement des investissements dans les nouvelles technologies requiert que la rente issue de la production ne soit pas nulle. Cela exclut donc l’efficacité d’une concurrence parfaite entre les producteurs, sauf dans des secteurs où les opportunités d’innovation et d’investissement dans les nouvelles technologies sont faibles. Il s’en suit donc de façon générale, qu’il existe une solution intermédiaire de partage du surplus des échanges entre producteurs et consommateurs. Cette conclusion a d’ailleurs été confirmé par les travaux de l’économiste Phillipe Aghion et ses coauteurs. La détermination exacte de cette règle de partage est une question empirique en cours d’examen.

Aujourd’hui, cette limite de la concurrence parfaite n’est pas encore entièrement reconnue et appliquée dans les institutions en charge de la politique de la concurrence. Cette reconnaissance est pourtant nécessaire pour garantir l’innovation et la croissance économique. Puisque selon les travaux des mêmes économistes cités précédemment, c’est seulement l’innovation perpétuelle soutenue par l’investissement dans les nouvelles technologies qui garantit la croissance économique à long terme.

Toutefois, une question reste posée : la rente dédiée à l’innovation va-t-elle générer de la croissance inclusive ? Autrement dit, l’augmentation de la valeur ajoutée engendrée par la concurrence et l’innovation est-elle créatrice d’emplois à la fois pour les personnes qualifiées et moins qualifiées ? Cette question trouve sa légitimité dans l’observation factuelle des conséquences du progrès technique au sein de nos sociétés. Ce progrès est souvent associé à une baisse de la demande pour les emplois moins qualifiés laissant de côté une partie importante de la population active. Ces interrogations sont encore plus inquiétantes dans les régions en développement comme l’Afrique où plus de 80% de la population active ne dispose pas d’un diplôme de l’enseignement supérieur.[3]

A cette question, Dutz et ses coauteurs répondent par l’affirmative. En effet, à partir des données sur l’emploi et l’innovation dans les entreprises manufacturières, les auteurs montrent que la croissance de l’emploi est plus forte dans les entreprises les plus innovantes, en particulier celles qui ont la plus grande part de travailleurs moins qualifiés. L’ampleur de l’effet de l’innovation sur l’emploi est plus grande lorsque l’environnement des affaires (concurrence) favorise l’accès à l’information, au financement, les exportations et l’entrée des plus petites entreprises. Par conséquent, l’innovation engendrée par une politique de la concurrence « intelligente » est source d’emplois pour l’économie.

Au regard de ce qui précède, il en résulte que la promotion de la concurrence est source de bien-être pour l’ensemble de la société. Cependant, il est nécessaire de trouver le juste milieu entre concurrence parfaite et monopole afin de garantir l’innovation, source de croissance inclusive et durable. Cette série d’articles est un appel à la mise en place et au renforcement du droit de la concurrence et de la régulation sectorielle en Afrique. Dans un contexte de forte croissance, il est plus qu’urgent de s’assurer que tous les entrepreneurs y prennent part, que les consommateurs y trouvent leur compte et que l’Etat soit davantage le garant de cet aspect vertueux de la croissance en faisant de la promotion de la concurrence une priorité.

Georges Vivien Houngbonon


[1] Pour des références théoriques, Arrow, 1962 et Schumpeter, 1942 sont très indiqués.

 

[2] Voir l’article de A. Lerner, 1934 qui présente une excellente discussion sur le sujet.

 

[3] Estimation de l’auteur à partir des données du African Developement Indicators (World Bank)

 

Faire de la concurrence une priorité en Afrique : Les conséquences d’une faible concurrence

priceLes prix des biens et services vendus aux consommateurs africains sont-ils concurrentiels ? Autrement dit, reflètent-ils le coût de production ou bien sont-ils exagérés ? Aujourd’hui, la plupart des Etats Africains disposent d’une direction sous tutelle du ministère du commerce en charge du contrôle des prix sur les marchés. Cependant, leur moyen d’action est très limité par rapport à l’ampleur des potentielles pratiques anticoncurrentielles et la norme dans les pays développés. Dans un précédent article, nous expliquions pourquoi et comment il fallait mettre en place des autorités indépendance en charge de la concurrence. Dans cet article nous abordons les conséquences d’une faible concurrence.

Il ne suffit pas de voter une loi pour instaurer la concurrence ; mais il faut y allouer les ressources financières et humaines nécessaires aux investigations des pratiques anticoncurrentielles. Autrement, il en résulte une faible concurrence dont les conséquences directes se manifestent sur le pouvoir d’achat des consommateurs, sur la qualité des biens et services, sur l’innovation voire le fonctionnement des institutions démocratiques.

D’abord, commençons par examiner ce qu’on entend par « concurrence faible ». Le cas le plus trivial concerne le monopole qui fixe son prix de manière à extraire tout le surplus généré par la transaction. Dans les autres cas où plusieurs entreprises sont présentes sur un même marché, elles ont intérêts à s’entendre pour fixer le prix du monopole et à se partager les profits colossaux générés. Lorsque la coordination n’est pas possible, une ou plusieurs entreprises ayant suffisamment de pouvoir de marché (une part importante des clients, une liquidité financière abondante) peut s’engager dans des pratiques déloyales visant à exclure les autres  pour instaurer plus tard des prix de monopole. Elles peuvent aussi envisager des fusions et acquisitions pour ne devenir qu’une seule entité potentiellement capable de fixer le prix du monopole. Ainsi, la concurrence est faible tant que la structure du marché tend vers une situation de monopole. Cette éventualité est permise par l’absence d’une veille active de la part des autorités publiques sur d’éventuelles pratiques anticoncurrentielles.

Dans le cas des pays Africains, très peu d’informations existent sur l’ampleur de ces pratiques, dans la mesure où la plupart ne dispose pas d’un droit de la concurrence. Cependant, Evenett et al. (2006) ont compilé les cas de pratiques anticoncurrentielles révélés dans les médias en Afrique sub-saharienne de 1995 à 2004. On y a apprend que les secteurs de l’agro-alimentaire et de la brasserie entre autres sont les plus concernés par les pratiques anticoncurrentielles. Ces pratiques sont très courantes dans des pays comme l’Afrique du Sud, le Kenya, la Côte d’Ivoire, le Sénégal et le Cameroun par ordre d’importance. Comme l’on bien précisé les auteurs, ces chiffres sont à prendre en absolus car, il est possible que les cas de pratiques anticoncurrentielles soient plus détectés et médiatisés dans des pays où la pratique du droit de la concurrence est plus effective. Ainsi, des pays comme le Nigéria qui n’apparaissent pas en tête de peloton peuvent bien receler des pratiques anticoncurrentielles plus importantes que les autres.

L’une des conséquences immédiates de ces pratiques consiste à limiter le pouvoir d’achat des consommateurs : pour le même revenu, vous payez plus cher. Il s’en suit donc que l’effectivité du droit de la concurrence n’est pas un luxe pour des pays pauvres. Au contraire, elle est instrumentale dans la réduction de la pauvreté via le pouvoir d’achat supplémentaire qu’elle donne aux plus pauvres. On peut cependant objecter qu’il est possible de contrôler le prix des biens de premières nécessités comme cela se fait pour le riz, l’huile et le sucre au Sénégal. Même si cet argument est recevable, il omet la distorsion que cette régulation du prix induit sur les coûts de production. En général, elle n’incite pas les producteurs à baisser les coûts de production, ce qui conduit à une situation d’inefficacité économique car on aurait pu produire les mêmes biens à des coûts plus faibles et les revendre à des prix plus bas que ceux qui ont été fixés par l’Etat.[1]

Cette situation introduit une autre conséquence de la faiblesse de la concurrence qui est l’absence d’innovation. Ce sont les innovations dans l’organisation de la production et dans les intrants qui permettent de réduire les coûts de production et à terme les prix. Lorsqu’elles ne sont pas encouragées faute d’un niveau de concurrence « suffisante », la qualité des produits en pâtit ; avec pour corollaire la dégradation de l’état de santé des populations. C’est souvent le cas des filières de la viande dont la production (et non la distribution) est contrôlée en aval par si peu de producteurs.

Une autre conséquence moins soulevée dans la littérature et qui pourtant semble être aussi grave que les deux premiers est le risque de collusion entre les monopoles et les partis politiques. Que vaudrait une démocratie dont les institutions sont contrôlées par des patrons à la tête de monopoles ? Aujourd’hui, nous savons que la vague de libéralisation des sociétés d’Etat a été à l’origine d’un transfert du patrimoine des anciennes sociétés d’Etat vers des particuliers. A l’exception du secteur des télécommunications, ce transfert se traduit finalement en un monopole privé. Les exemples sont légions : les ex-sociétés nationales de production agricole, de l’eau et  de l’énergie, les sociétés de produits pétroliers, voire même les banques continuent d’être gérées par des monopoles privées sans une régulation effective. Dès lors, la promotion de la concurrence est également un moyen de garantir le bon fonctionnement des institutions démocratiques telles que le parlement et la justice et de s’assurer que la démocratie soit un bien pour tous.

Il s’en suit alors que la promotion de la concurrence est au cœur du développement de toutes les nations ayant opté pour le libéralisme économique. L’excuse financière n’est plus valable, il est grand temps de mettre en place ou de renforcer l’application du droit de la concurrence en Afrique !

Georges Vivien Houngbonon


[1] Voir les travaux de Martimort sur le sujet des incitations.

 

Faire de la concurrence une priorité en Afrique : Les obstacles

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Les prix des biens et services vendus aux consommateurs africains sont-ils concurrentiels ? Autrement dit, reflètent-ils le coût de production ou bien sont-ils exagérés ? Aujourd’hui, la plupart des Etats Africains disposent d’une direction sous tutelle du ministère du commerce en charge du contrôle des prix sur les marchés. Cependant, leur moyen d’action est très limité par rapport à l’ampleur des potentielles pratiques anticoncurrentielles et la norme dans les pays développés. Dans un précédent article, nous mettions expliquions pourquoi et comment il fallait mettre en place des autorités indépendance en charge de la concurrence. Dans cet article nous abordons les obstacles à leur mise en place après avoir fait un état des lieux.

La promotion de la concurrence passe par le vote d’une loi, qui instaure le droit de la concurrence ou d’un code de régulation sectorielle. Le droit de la concurrence s’applique à toutes les activités économiques une fois qu’un comportement anticoncurrentiel est suspecté. Par contre, le code de régulation sectorielle s’applique à un secteur particulier présentant des barrières à l’entrée. Typiquement, c’est le cas du secteur des télécommunications où l’entrée d’un opérateur nécessite soit l’accès à un réseau fixe où l’achat d’une licence donnant accès à une bande de fréquences hertziennes.

Dans les deux cas, la promotion de la concurrence se traduit par la mise en place d’une autorité administrative indépendante dotée des moyens financiers, législatifs et humains pour conduire les analyses et investigations nécessaires à la sauvegarde de la concurrence sur les marchés.[1] Ici, la notion d’indépendance de l’autorité vis-à-vis du gouvernement est centrale, dans la mesure où il peut y avoir des conflits d’intérêts entre les entreprises mises en cause et l’Etat. C’est souvent le cas dans la régulation sectorielle lorsque le régulateur est en charge d’un monopole d’Etat (la production de l’énergie par exemple). Du moins indépendant au plus indépendant, on distingue généralement trois cas selon que les investigations et analyses soient conduites par : i) une direction du ministère du commerce ; ii) une commission sous la tutelle d’un ministre (typiquement celui en charge du commerce) ou iii) une autorité indépendante dont les décisions sont validées exclusivement par les tribunaux.

Lorsqu’on fait un tour de l’Afrique, on n’y rencontre pas seulement ces trois cas ; mais aussi des pays qui ne disposent même pas d’un droit de la concurrence. La Côte-d’Ivoire, le Burkina-Faso et le Sénégal font partie des premiers pays Africains à avoir mis en place un droit de la concurrence ; même s’il n’est pas clair si ces lois ont été effectives depuis leur vote. Dans le même temps, le plus grand marché africain, en l’occurrence le Nigéria, n’en dispose pas encore même si les débats parlementaires sont en cours en vue de sa prochaine adoption. Beaucoup de pays africains sont encore à la traîne. Certains sont couverts par la règlementation des institutions régionales telle que la COMESA. C’est le cas de pays comme le Soudan, la Lybie ou Madagascar.

Les raisons qui expliquent cette grande hétérogénéité dépendent certainement de la situation de chaque pays. De façon générale, on peut évoquer la faible industrialisation avec comme corollaire la dominance et la persistance du secteur informel, de même que la présence de plusieurs monopoles d’Etat – en particulier dans les secteurs de l’énergie et des transports -, comme les premiers obstacles à la promotion de la concurrence en Afrique. Pour ces raisons, il y a peu de demande pour l’intervention de l’Etat à travers les autorités de la concurrence et de la régulation sectorielle. Cette faible demande s’explique aussi par la méconnaissance des consommateurs et des PME des inconvénients qui découlent des pratiques anticoncurrentielles ; comme le souligne si bien le Dr. Coulibaly dans son article sur l’effectivité de la concurrence dans l’UEMOA.

Cependant, la faible industrialisation ou la présence des monopoles ne suffissent pas pour expliquer l’Etat du droit de la concurrence en Afrique, surtout lorsqu’on considère le cas du Nigéria. En s’appuyant sur les théories d’économie politique de fourniture des services publics, on parvient à comprendre pourquoi certains pays ne mettent pas en place un droit de la concurrence en dépit d’une activité économique formelle en forte croissance.[2] La fourniture de services publics comme la régulation de la concurrence sur les marchés dépend du poids des intérêts contradictoires qui se présentent au politicien. Ce dernier devra choisir de satisfaire les intérêts d’un groupe particulier en fonction de son pouvoir de lobbying. Ainsi, lorsqu’on se retrouve dans un pays où les PME sont de tailles très petites, où les consommateurs ne comprennent pas le rôle d’une autorité de la concurrence dans la sauvegarde de leur pouvoir d’achat et de la qualité des biens et services, alors les secteurs monopolistiques qui n’ont pas intérêt à subir plus de concurrence vont militer en faveur d’un retard dans l’adoption du droit de la concurrence ou du code de la régulation sectorielle. Dans certains cas, c’est l’Etat qui s’inquiète des conséquences de la concurrence sur ses recettes fiscales à la suite d’une libéralisation ou de la mise en place d’un monopole privé régulé.

Enfin, il faut reconnaître aussi le caractère onéreux que revêt la mise en place d’une autorité de la concurrence ou de la régulation. Son fonctionnement effectif nécessite d’importants moyens financiers, ainsi que des ressources humaines fortement qualifiées. En général, ce sont des docteurs en droit et en économie qui sont recrutés dans ces agences et la charge le travail requiert d’avoir un grand nombre de personnels ayant ce profil. A titre d’exemple, l’autorité de la concurrence américaine (FTC) dispose d’environ 500 juristes de la concurrence et de 70 docteurs en économie. Comme le montre l’article de Tchapga (2013), les autorités de la concurrence africaines disposent de très peu de moyens financiers par rapport à leurs besoins.

L’une des critiques formulées à l’encontre du droit de la concurrence est que son application coûte chère sans des résultats concrets. Très souvent les investigations d’un cas d’abus de position dominante peuvent prendre plusieurs mois voire des années. Cependant, il arrive qu’on s’aperçoive après ces mois d’investigations que les suspicions initiales n’étaient pas fondées. Dans les cas où elles sont fondées, il arrive aussi très souvent que les décisions d’amendes soient invalidées par le tribunal ou cassées par la cour de cassation. Dès lors, le gain à mettre en place des autorités de la concurrence n’est pas toujours positif a priori ; mais c’est sans compter les conséquences d’une faible promotion de la concurrence.

Georges Vivien Houngbonon


[1] Voir par exemple les travaux de Esther Duflo qui suggèrent que les leaders politiques ont tendance à fournir des services publics biaisés en faveur des groupes auxquels ils doivent leur maintient au pouvoir.

 

 

 

 

 

 

 

 

[2] Dans le droit français, une autorité administrative indépendante (AAI) est une entité qui agit au nom de l’Etat sans être sous le contrôle du gouvernement. Cependant, le cadre législatif de l’AAI est définit par le parlement alors que ses décisions sont contrôlées par le pouvoir judiciaire.

 

 

 

 

Faire de la concurrence une priorité en Afrique : Pourquoi et comment ?

priceLes prix des biens et services vendus aux consommateurs africains sont-ils concurrentiels ? Autrement dit, reflètent-ils le coût de production ou bien sont-ils exagérés ? Aujourd’hui, la plupart des Etats Africains disposent d’une direction sous tutelle du ministère du commerce en charge du contrôle des prix sur les marchés. Cependant, leur moyen d’action est très limité par rapport à l’ampleur des potentielles pratiques anticoncurrentielles et la norme dans les pays développés. Dans un précédent article, nous mettions en exergue comment la mise en place des autorités de la concurrence peut favoriser l’intégration régionale. Pour être plus spécifique, cet article introduit une série d’articles sur la concurrence en Afrique.

De façon générale, la promotion de la concurrence vise à garantir que le bénéfice net des échanges économiques soit maximal pour la société. Cette garantie se manifeste à travers le vote d’une loi qui institue le droit de la concurrence. Cette série d’articles vise à examiner, non pas la dimension juridique de la concurrence, mais plutôt les enjeux économiques dont elle revêt. Nous commençons donc par nous interroger sur les raisons et les conditions dans lesquelles le bénéfice des échanges économiques peut être restreint.

Les transactions économiques existent sur le marché parce que les producteurs peuvent apporter les biens et services à un coût moins cher que ce que le consommateur est prêt à payer (disposition à payer). En payant moins que sa disposition à payer, le consommateur gagne donc toujours lorsqu’il achète un produit. Mais ce gain peut être plus ou moins faible en fonction de la concurrence. Il est à son maximum lorsque le prix est fixé au coût unitaire de production. Selon la théorie économique, l’intérêt d’avoir un prix de transaction très proche du coût unitaire de production vient du fait que la différence profite, en général, plus à l’économie lorsque c’est vous qui la détenez plutôt que le producteur.

Cette différence est plus importante dans le cas d’un monopole ; c’est-à-dire lorsqu’il n’y a qu’une seule entreprise qui vend le bien que vous désirez, et qu’il n’existe pas d’autres substituts. Imaginons par exemple qu’une seule entreprise détenait la propriété d’une source d’eau naturelle dont les vertus sont reconnues par tous.[1] Pour obtenir un profit maximal, il fixera le prix du litre d’eau égal à votre disposition à payer.[2] Par contre, si la source d’eau était multiple, chaque producteur fixerait son prix au coût de production. Autrement, celui qui fixe un prix au dessus du coût de production se fera évincer du marché car tous les consommateurs préfèrent acheter là où le prix est le plus bas : c’est l’effet de la concurrence. La différence de prix entre ses deux états du marché est à l’avantage du monopoleur dans le premier cas (rente). Par contre, elle profite au consommateur dans le second cas (surplus).

Tout le débat normatif sur l’importance de la concurrence dans une économie libérale repose sur le fait qu’on veuille savoir si le surplus allant au consommateur engendre plus de transactions économiques, et donc plus de croissance économique, que la rente du producteur ; ou inversement. Pour le moment, l’acceptation générale est que le surplus du consommateur a une valeur économique supérieure à la rente. Cela vient du fait que le surplus confère un pouvoir d’achat plus élevé au consommateur ; ce qui engendre plus d’échanges dans l’économie. Au contraire, la rente conduirait à reproduire de la rente et donc limiter l’ampleur des transactions économiques. Par conséquent, un consensus général s’est dégagé en faveur de la concurrence : Plus de concurrence engendre plus de surplus pour le consommateur, ce qui à son tour augmente les transactions économiques et entretien le surplus du consommateur. Il s’agit donc d’un cercle vertueux que produit la concurrence ; l’idéal étant d’avoir sur le marché des prix alignés sur les coûts de production.

Pour autant, le marché laissé à lui-même ne produit pas cet idéal. Par analogie au trafic routier, lorsqu’il n’y a pas de régulation (feux de circulation, agents de police) il y a beaucoup plus d’accidents ; malgré que chaque conducteur (ici les entreprises) conduise dans son intérêt. Les intérêts personnels (e.g. rentrer tôt à la maison) ne conduisent pas toujours à l’intérêt général (ne pas avoir d’accidents) sans aucune supervision. De la même façon, sur le marché, chaque entreprise désire se placer dans la situation du monopole. Cela peut donc les conduire à adopter des pratiques anticoncurrentielles telles que la collusion (entente sur les prix), le cartel (entente sur les quantités), les abus de position dominante (exclusion de concurrents) et les fusions anticoncurrentielles (stratégie d’augmentation des prix).

Pour cette raison, l’Etat a besoin d’intervenir pour s’assurer que sur chaque marché, des pratiques anticoncurrentielles ne soient pas avérées. Dans les pays industrialisés, cette intervention se fait par le biais d’une autorité indépendante «  autorité de la concurrence » pour éviter tous biais politique dans les investigations. Cette autorité est investie, selon les pays, d’un pouvoir d’investigation qui lui permet de conduire des analyses économiques rigoureuses permettant de déterminer l’existence d’une pratique anticoncurrentielle. Dans le cas échéant, il revient à la justice de condamner en dernier lieu les entreprises impliquées dans ces faits. En général, ces interventions se font sur les soupçons de collusions, de cartels ou avant la fusion entre deux ou plusieurs entreprises.

Les cas d’abus de position dominante sont plus probables dans les industries qui présentent des barrières à l’entrée. Il peut s’agir de barrières économiques comme les coûts d’investissement très élevés nécessaires à l’entrée sur le marché de la production, du stockage et du transport de l’énergie électrique et de l’eau. Les secteurs du transport ferroviaire et aérien, de même que les télécommunications font aussi partie de cette catégorie. Il peut être aussi question de barrières réglementaires comme l’attribution de licences d’exploitation dans les secteurs des mines, des télécommunications mobiles, de la banque, de la pharmacie et des transports urbains.

Dans ces industries, il est préférable que l’intervention de l’Etat se fasse ex ante compte tenu des lourdes conséquences que font peser les abus de positions dominantes sur l’économie. Typiquement, le temps d’analyse et de recours à la justice ne permet pas à un concurrent victime d’abus de position dominante de survivre sur le marché. Ainsi, le droit de la concurrence qui régit l’intervention d’une autorité de la concurrence ne permet pas de résoudre les problèmes de pratiques anticoncurrentielles posés dans ces industries. Par conséquent, la mise en place d’un régulateur, là aussi indépendant, est nécessaire. Cela est déjà le cas dans le secteur des télécommunications dans la plupart des pays Africains.

Cependant, le constat aujourd’hui est qu’il y a très peu d’autorités de la concurrence dans les pays africains. L’adoption d’un droit de la concurrence est en cours de discussion dans certains pays, mais tarde à être effective.[3] De même, très peu de régulateurs existent dans les secteurs présentant des barrières à l’entrée. Dans un prochain article nous aborderons les obstacles à la promotion de la concurrence en Afrique. Un autre présentera les conséquences d’une faible concurrence et un dernier évoquera la possibilité d’une limite à la concurrence.

Georges Vivien HOUNGBONON

 


[1] Pour emprunter l’exemple à A. Cournot 1838.

 

 

 

[2] C’est pour cela que l’Etat contrôle, dans la plupart des pays, la production et la distribution de l’eau, compte tenu de sa fonction vitale.

 

 

 

[3] Voir le blog suivant sur le droit de la concurrence en Afrique.