L’agriculture est le secteur clé des économies africaines. Selon les données de la Banque Mondiale, le secteur emploie près de 60% de la population active mais ne participe qu’à 12% de la richesse annuelle créée sur le continent. Au regard de ces médiocres performances, des mesures politiques ont été prises tant au niveau national que régional pour rendre le secteur plus performant. Dans un article récent, Patrick présentait le WAAPP conçu pour les pays de la CEDEAO et financé par la Banque Mondiale, dans cet ordre d’idées. Avec l’appui d’institutions internationales ou d’ONG qui considèrent tous que l’agriculture est la voie principale du développement de l’Afrique, de nombreux programmes de ce genre ont été conçus pour les pays africains, soit pour améliorer la productivité ou pour améliorer la production. Malgré tout ceci, les résultats fournis par le secteur demeurent insatisfaisants. Nombreux sont les pays africains qui ont recourt à l’extérieur pour disposer de denrées alimentaires. Cette situation incite à se poser des questions relatives aux facteurs qui bloquent le développement de ce secteur.
Cet article se propose d’identifier certains obstacles au développement de l’agriculture en Afrique et de proposer des éléments de solution pour permettre au secteur d’afficher ses réelles capacités.
Un potentiel énorme, qui ne demande qu’à être exploitée
L’Afrique possède d’importantes ressources naturelles : terres agricoles, minerais, pétrole, forêt, rivières, fleuves, faunes, gaz, etc. Le continent est traversé par de nombreux et imposants fleuves, qui prennent leur source dans de grands lacs. La terre n’est pas rare. Selon les données du WDI (2012), seulement 43.8% des terres arables disponibles (près de 800 millions d’ha) sont utilisées. Sur le plan topographique, le continent est constitué de larges plaines traversées par des cours d’eaux qui nourrissent les terres de minéraux végétaux ; de quelques bandes montagneuses et de quelques plateaux pas très élevés. Ainsi, les terres en Afriques sont dans leur plus grande majorité favorable à la culture de plants mais aussi à la pratique de l’élevage.
Le climat est assez clément, quoique saisonnier et très intense. Alors que les zones arides (Sahara et Kalahari) bénéficient de pluies éparses, les zones tropicales (ouest, centre, est) enregistre jusqu’à deux saisons pluvieuses. La région la plus humide du continent est une bande côtière à l'ouest du mont Cameroun avec 9 991 mm de précipitations par an. Cette pluviométrie, qui dicte le rythme de la performance de l’agriculture en Afrique, favorise le développement d’une flore assez diversifiée. Sur les zones côtières, on retrouve un marais et des mangroves avec des arbres aériens ou flottants. En s’éloignant de la côte, on retrouve plutôt des zones forestières peu propices à l’agriculture, suivi de zones de savanes dans certaines régions (nord de la Guinée ou au Soudan). En ce qui concerne les ressources en eau, la Banque Mondiale estime que seulement 2% des ressources renouvelables en eau sont utilisés, à mettre en rapport avec les 5% au niveau mondial. Par ailleurs, l’écosystème de l’Afrique constitue une base productive importante pour l’agriculture et l’élevage.
Face à ce potentiel énorme, il est difficile de penser que tous les projets et programmes financés sous fonds de partenaires bilatéraux et multilatéraux (sous forme de dons ou de prêts) ne parviennent pas à lancer ce secteur clé.
Une situation politico-administrative peu favorable …
S’il est certain que les performances du secteur agricole dépendent étroitement de la pluviométrie, l’histoire des pays africains nous montre que les remous politiques qu’ils subissent ne peuvent réellement pas favoriser le développement agricole.
A titre d’exemple, le conflit ivoirien a fortement impacté le secteur « cacao » de ce pays. Le cas rwandais est tout aussi parlant. Plus généralement, les conflits altèrent la pratique de l’agriculture, les populations étant plus instinctivement portées par leurs survies, abandonnent leurs exploitations. Dans le même ton, l’alternance politique en Afrique (qui semble donner le pas d’une certaine promotion de la bonne gouvernance) prend plutôt l’air d’une guerre politique qui ne laisse place à aucune poursuite des programmes engagés par les régimes précédents. Au lieu de définir des programmes de développement basé sur une vision commune et piloté par une institution acceptée et reconnue par toutes les parties prenantes au débat politique, ces programmes émanent plus souvent de la vision politicienne d’un parti ou d’un individu qui s’empressera une fois aux commandes, de suspendre ou de supprimer les programmes en cours et de relancer ceux qui selon sa vision seraient les meilleures, dans un contexte où la mandature au pouvoir exécutif devient de plus en plus serrée (14 ans au max). Cette discontinuité dans la gestion met à mal un secteur qui a besoin d’investissements suivis. Ce manque de suivi est aussi à noter au niveau des programmes ayant atteint leur terme.
… et des facteurs socio-culturelles, qui entravent l’émergence d’un secteur, peu performant
Les exploitations agricoles en Afrique sont structurées autour de la famille (élargie ou nucléaire selon la région). En conséquence, on ne rencontre que des domaines de très petites tailles pouvant varier entre 0.5 et 2ha avec des actifs agricoles très limités, destinés à la subsistance et qui s’appuient sur des moyens de travail rudimentaires. La main d’œuvre familiale y constitue l’apport principal. Dans ce genre d’exploitations, les investissements ne peuvent pas être valorisés, notamment ceux en capital humain. Par ailleurs les revenus sont assez bas et ne peuvent donc pas permettre une expansion des exploitations. Même si de grandes exploitations existent, elles appartiennent à des industriels de l’agro-alimentaire, dont le seul intérêt est la sauvegarde des matières premières nécessaires pour leurs activités. Selon la FAO, la petite taille des exploitations est une contrainte majeure à la production en Afrique.
Cette moindre performance du secteur est liée à beaucoup de facteurs que des programmes ont tenté de juguler, notamment ceux concernant l’amélioration de la productivité par la mécanisation de l’agriculture. Cependant, cette transformation envisagée semble trainée. On estime la productivité des terres en Afrique à 42% (CEA, 2009) avec une force de production de 58%. Des statistiques qui révèlent la sous exploitation du potentiel agricole africain.
L’insertion de la technologie dans la pratique agricole africaine est en fait limitée par le niveau faible des revenus des ménages agricoles mais aussi par l’absence d’un système de crédit favorable à l’acquisition des outils modernes de pratique d’agriculture. Ils ne pourraient ainsi ni disposer des fonds nécessaires pour acquérir les outils nécessaires, ni obtenir les crédits suffisants à investir pour l’expansion de leurs activités. Une situation rendue encore plus difficile par le manque d’éducation.
Par ailleurs, les ménages n’ont pas toujours les bonnes informations en ce qui concerne les programmes et projets destinés à améliorer la performance du secteur, à assimiler les formations et visites de terrain effectuées par les organes de tutelle. De plus ces programmes et/ou projets conduits par les services publics sous financements externes ont des objectifs précis et ne ciblent qu’une minorité des exploitations. Concernant ce dernier point, les systèmes d’appui aux agriculteurs utilisés par les services publics sont parfois inappropriés du fait d’une formation insuffisante des agents. Ceci étant, les pratiques ancestrales, non propices à une agriculture « économiquement » rentable, demeurent la technologie essentielle de l’agriculture en Afrique.
A cela s’ajoutent des considérations socio-culturelles qui inhibent les quelques actions entreprises pour faire progresser l’agriculture. En Centrafrique, par exemple, les agriculteurs les plus dynamiques sont hésitants à prendre des risques ou à innover de peur que leur « réussite » ne provoque leur chute. Dans ce même pays, les agriculteurs ayant une bonne performance sont soupçonnés par leurs pairs de recours à des pratiques occultes. De telles mentalités, qui peuvent être retrouvées dans certains groupes socio-culturels en Afrique, constituent un blocage réel au développement de l’agriculture, dans la mesure où les individus préfèreraient demeurer dans une situation acceptée par sa société que d’émerger pour en être rejetés.
Des solutions sont ils envisageables ?
Au regard des difficultés qui freinent l’essor du secteur agricole africain, il faudrait déterminer les moyens pouvant permettre d’exploiter de façon rationnelle le potentiel du continent, améliorer la performance du secteur afin qu’il puisse fournir aux ménages qu’il emploi un revenu significatif et durable.
Avant toute chose, il s’avère nécessaire d’instaurer un cadre de bonne gouvernance dans le secteur agricole, et appuyant les décisions sur les informations disponibles sur le secteur. Il faudrait, par ailleurs, repenser les systèmes de crédit aux exploitations. De nombreux pays disposent d’un « Crédit Agricole » mais ces banques, tout aussi risquophile que les banques classiques, n’offrent très souvent que des crédits de campagne (de court terme) et financent rarement des investissements structurants dans le secteur. Il faudrait les mettre à profit, en plus des instituts de micro-finance, tout en définissant des mécanismes plus souples pour permettre aux exploitants agricoles d’exploiter les opportunités du marché financier.
Au-delà de ces actions qui relèvent de l’environnement économique et qui pourraient être des réponses sur le plan politico-administratif, d’autres points nécessitent une attention particulière et des actions de proximité pour permettre aux programmes destinés à améliorer la production ou la productivité d’avoir les impacts attendus. Au regard des difficultés qui s’imposent au secteur, il faudrait s’appuyer sur des modèles de développement d’exploitations qui intègrent le mode de fonctionnement de celles-ci, tout en améliorant la qualité de l’encadrement technique et en assouplissant les exigences pour l’accès aux crédits ruraux.
Compte tenu de la difficulté d’insertion de la technologie dans le secteur agricole, il faudrait s’orienter vers une intégration de l’élevage et de la culture afin d’induire un passage progressif d’une culture manuelle à une culture attelée, qui constitue une porte d’entrée sure pour l’introduction de technique plus sophistiquée.
En outre, il faut mettre à profit la recherche en sociologie pour relever les considérations sociales et culturelles qui inhibent l’entreprenariat des paysans.
Le secteur agricole africain peine à émerger malgré les efforts consentis par les gouvernements dans ce sens avec l’appui de partenaires financiers et techniques. Cette situation trouve sa racine dans des systèmes administratifs assez complexes et des considérations socio-culturelles, qui créent des goulots d’étranglements aux actions publiques entrepris pour améliorer la performance du secteur. Dans un tel contexte, il faudrait tout en s’attachant à relever le niveau des services publics en Afrique, prendre en considération les spécificités socio-culturelles des populations cibles, le tout dans un mécanisme progressif, afin d’amener ces derniers à s’approprier les outils qui sont mis à leur disposition et d’intégrer les bonnes pratiques qu’ils jugeraient eux-mêmes favorables à leurs activités.
Foly Ananou
Sources
ftp://ftp.fao.org/docrep/fao/003/y1860f/y1860f.pdf
http://www.oecd.org/tad/agricultural-policies/36704878.pdf