Dans « Les coups d’État militaires en Afrique noire », Jean-Pierre Pabanel définit le coup d’État comme étant « une pratique consciente et volontaire de l’armée ou d’une partie de l’armée pour s’emparer des institutions étatiques et occuper le pouvoir d’État ». Contrairement à un conflit armé et à une révolution qui impliquent tous un grand nombre d’acteurs, un coup d’État est l’œuvre d’un nombre réduit d’acteurs qui décident de s’accaparer du pouvoir étatique par la force.
Pourtant, au niveau de l’opinion publique africaine, les indignations et condamnations envers le coup d’État opéré le 17 septembre 2015 au Burkina Faso par le Régiment de sécurité présidentielle (RSP) semblent fortement contraster avec le sentiment de regret qui s’était emparé de la même opinion lorsque la tentative du général Nyombare, visant à renverser le régime de Pierre Nkurunziza, a été déjouée en mai dernier au Burundi.
Un contraste qui pourrait nous donner l’impression que les Africains préfèreraient un certain type de coups d’État à un autre. Si cette hypothèse est vraie, la question qui se pose serait de savoir si coups d’État et démocratie sont toujours incompatibles en Afrique.
Depuis le premier coup d’État perpétré par Nasser en 1952 en Egypte, le berceau de l’humanité a enregistré plus de 80 coups d’État. Dernier en date : celui du RSP du Burkina dont le chef est l’ancien chef d'état-major particulier de l’ex-président Blaise Comparé, le général Gilbert Diendéré. L’histoire de l’Afrique postcoloniale est certes tristement jalonnée d’une pléthore de coups d’États, mais elle n’en a pas le monopole. En la matière, les dossiers occidentaux et asiatiques sont loin d’être vierges.
Faut-il ou non systématiquement condamner les coups d’État ?
Si nous nous fions au principe de base de tout régime démocratique qui stipule que le choix, le maintien ainsi que le renouvellement des dirigeants au pouvoir ne sont légaux que s’ils passent par les urnes, la réponse serait clairement oui. En démocratie, il faut toujours condamner le recours de la force comme moyen de prise du pouvoir.
Toutefois, à posteriori, nous pouvons aussi soutenir l’idée qu’il vaille mieux attendre de connaitre l’issue (potentiellement positive ou négative) des coups d’États pour les apprécier au lieu de systématiquement les condamner quand ils se produisent. Les exemples contrastés du Ghana et de la Gambie sont là pour montrer que certaines prises du pouvoir par la force s'avèrent, à long terme, plus salvatrices que d’autres. Car, tout compte fait, il existe une différence fondamentale entre faire un coup d'État pour jeter les balises d'un régime démocratique (regardez l’héritage que le putschiste Jerry Rawlings a laissé au Ghana) et faire un autre pour instaurer un régime autoritaire (observez la mauvaise gouvernance du putschiste Yahya Jammeh en Gambie). Mieux vaut Rawlings que Jammeh. En outre, si vous demandez, aujourd’hui, aux Maliens ce qu’ils pensent du coup d’État d’Amadou Toumani Touré en 1991 contre le régime dictatorial de Moussa Traoré et que vous interrogez les Guinéens sur le putsch opéré par Dadis Camara en 2008, au lendemain du décès du président guinéen Lansana Conté, vous n’aurez certainement pas les mêmes réponses. Les premières seront plus positives que les secondes.
Certes, mais il convient aussi de signaler que de telles comparaisons binaires ne sont pas parfaites. L’une de leurs limites principales repose sur le fait qu’elles ne soient seulement possibles qu’à postériori. Car, en amont, personne ne pouvait prédire avec exactitude l’issue des putschs effectués au Ghana et en Gambie. Tout comme personne ne pouvait aussi imaginer que le putschiste Dadis Camara, après été écarté du pouvoir, songerait à reprendre le pouvoir par les urnes ou encore qu’Amadou Toumani Touré serait, lui aussi, chassé du pouvoir par un coup d’État. L’histoire étant donc incertaine et imprévisible, systématiquement condamner tout coup d’État peut être symptomatique d’un « coup d’état mental ». C’est seulement en l’espace de quelques années, au minimum de quelques mois, après qu’il soit survenu, qu’un coup d’État peut être objectivement examiné. Sans cet examen, le jugement de son bien-fondé reste hypothétique.
Au fond, si depuis les indépendances africaines, les coups d’États se suivent en Afrique, force est de noter qu’ils ne se ressemblent guère. Le chercheur ivoirien Kouassi Yao ne disait pas autre chose lorsque, dans sa conférence publique portant sur « les coups d’État en Afrique : bilan et enseignements à tirer », il faisait la distinction entre trois sortes de coups d’État : les coups d’État pro-démocratiques, antidémocratiques et les coups d’État à caractère subversif. « Les premiers ont pour objectif de créer les conditions de l’essor de la démocratie, les deuxièmes ne favorisent pas l’épanouissement de la démocratie, les troisièmes étant le fait de pays voisins, de multinationales ou de grandes puissances ».
Alors, coups d’État et démocratie sont-ils toujours incompatibles ? Pas forcément ! Cette réponse impliquerait-il que nous faisons l’apologie des coups d’État en Afrique ? Absolument pas. En revanche, nous voulions susciter une réflexion critique sur le rapport entre coups d’États et démocratie en Afrique. C’est maintenant chose faite.
PS : Qu’est-ce qui des coups d’États institutionnels ou des coups d’États constitutionnels sont plus dangereux pour la démocratie en Afrique ? Autrement dit, qui des présidents à vie (qui se font éternellement réélire à coups de mascarades électorales et de tripatouillages constitutionnels) ou des putschistes auront davantage fait mal aux Africains ?
Ousmane Diallo