Ci-gît la République au Burkina Faso

mogho nabaAprès deux semaines de confusion, la vie va reprendre son cours quasi normale au Burkina Faso. Michel Kafando et son gouvernement de la transition ont été remis en selle. Le RSP a été mis au pas et démantelé.

La sortie de crise est une excellente nouvelle pour le pays et la sous-région compte tenu de l’escalade de ces derniers jours. Le Burkina,  pauvre et pris dans un étau de feu, entre le Mali, le Niger et le Nigéria, n’avait guère besoin d’une guerre civile, qui aurait été une brèche miraculeuse pour le terrorisme islamiste.

Après sa « révolution » de l’année dernière, le peuple burkinabé tient à sa démocratie et l’a fait comprendre face aux putschistes du RSP.

Mais la véritable clef de résolution de cette crise est le Mogho Naba qui a scellé, le 22 septembre, dans sa cour, l’accord entre militaires épargnant ainsi au pays une terrible catastrophe.  On n’ose imaginer le bilan d’un affrontement entre les unités de l’armée burkinabè et le RSP dans Ouagadougou.

Le face à face entre le RSP et une partie de l’armée aurait pu mal tourner si, dans leur fougue, les jeunes chefs de corps avaient attaqué les positions des hommes de Gilbert Diendere.

Le Mogho Naba est le chef traditionnel des Mossis, l’ethnie majoritaire dans le pays. Il incarne une autorité morale sans conteste. Il a, à plusieurs reprises, joué les bons offices lors de crises politiques. Et cette fois, on peut valablement souligner qu’il a sauvé le Burkina d’un bain de sang.

C’est à se poser la question de savoir s’il ne serait pas crucial d’instaurer une monarchie constitutionnelle au Burkina, avec, comme chef d’Etat, le Mogho Naba ? 

Car à l’aune de la résolution de cette crise, que reste t-il de la république dans le pays ? Elle est dévoyée en même temps que le pays était sauvé. Et le Burkina gardera longtemps les séquelles de cet échec de la promesse républicaine, au profit d’autres mirages.

L’article 37 de Compaoré a d’abord infligé une première blessure à la république. Le coup d’Etat de Gilbert Diendere a pris le relais. Et cette résolution de la crise sous les auspices du roi des Mossis constitue encore un dévoiement de l’idée républicaine. Un mal nécessaire vient de se produire dans ce pays qui ne peut faire l’économie d’un véritable travail de ses élites politiques et intellectuelles sur la place de la république et surtout ce qu’il en reste à la suite de cette énième crise.

Mais au-delà du Burkina, sur l’ensemble du continent, une réflexion de fond doit être menée  sur la structuration politique que l’on souhaite donner à nos nations. Appliquer totalement le legs républicain de la colonisation ? Instaurer des modèles « bâtards » qui prennent en compte les spécificités locales ? Il faut choisir. Assez de schizophrénie !

Dans plusieurs pays d’Afrique, le système étatique hérité de la colonisation côtoie d’autres niveaux de pouvoir traditionnels qui agrègent de solides relais et une forte puissance. L’exemple des confréries au Sénégal est emblématique de cette juxtaposition des pouvoirs dans nos pays. 

Le débat est d’autant plus intéressant au Burkina Faso qu’une partie du pays vit sur une forme d’idéalisation du passé. Un passé radical, romantique, galvanisant mais hélas pas très actualisé à l’aune des nouveaux paradigmes d’un monde dont les lignes ont bougé depuis l’épopée sankariste des années 1980. J’ai déjà appelé au « meurtre » de Sankara, ce père tutélaire qu’il faut nécessairement soumettre à un devoir d’inventaire.

En France par exemple, autant la gauche avec Mitterrand que la droite avec De Gaulle, on a eu beaucoup de mal à perpétrer ce meurtre du père et à s’affranchir d’inutiles querelles de légitimité ou d’héritage. Les revendications ubuesques sur qui était plus gaulliste que son autre camarade de parti ont pendant longtemps épousé les convulsions du plus grand parti de la droite française.

Au Burkina Faso, longtemps les épigones de Sankara se sont violemment disputés le monopole de l’héritage du « Che » africain. Et continuent de le faire. Un vrai sujet eu égard à la situation du pays ? Rester constamment blotti dans ce passé romantique – quoique touchant – et être incapable de présenter un véritable projet alternatif ? Ce n’est guère la posture idéale face aux énormes défis qui se dressent en face du Burkina Faso.

Hamidou Anne

Coups d’État et démocratie sont-ils toujours incompatibles en Afrique ?

JPG_Burkina Coup 230915Dans « Les coups d’État militaires en Afrique noire », Jean-Pierre Pabanel définit le coup d’État comme étant « une pratique consciente et volontaire de l’armée ou d’une partie de l’armée pour s’emparer des institutions étatiques et occuper le pouvoir d’État ». Contrairement à un conflit armé et à une révolution qui impliquent tous un grand nombre d’acteurs, un coup d’État est l’œuvre d’un nombre réduit d’acteurs qui décident de s’accaparer du pouvoir étatique par la force.

Pourtant, au niveau de l’opinion publique africaine, les indignations et condamnations envers le coup d’État opéré le 17 septembre 2015 au Burkina Faso par le Régiment de sécurité présidentielle (RSP) semblent fortement contraster avec le sentiment de regret qui s’était emparé de la même opinion lorsque la tentative du général Nyombare, visant à renverser le régime de Pierre Nkurunziza, a été déjouée en mai dernier au Burundi.

Un contraste qui pourrait nous donner l’impression que les Africains préfèreraient un certain type de coups d’État à un autre. Si cette hypothèse est vraie, la question qui se pose serait de savoir si coups d’État et démocratie sont toujours incompatibles en Afrique.

Depuis le premier coup d’État perpétré par Nasser en 1952 en Egypte, le berceau de l’humanité a enregistré plus de 80 coups d’État. Dernier en date : celui du RSP du Burkina dont le chef  est l’ancien chef d'état-major particulier de l’ex-président Blaise Comparé, le général Gilbert Diendéré. L’histoire  de l’Afrique postcoloniale est certes tristement jalonnée d’une pléthore de coups d’États, mais elle n’en a pas le monopole. En la matière, les dossiers occidentaux et asiatiques sont loin d’être vierges.

Faut-il ou non systématiquement condamner les coups d’État ?

Si nous nous fions au principe de base de tout régime démocratique qui stipule que le choix, le maintien ainsi que le renouvellement des dirigeants au pouvoir ne sont légaux que s’ils passent par les urnes, la réponse serait clairement oui. En démocratie, il faut toujours condamner le recours de la force comme moyen de prise du pouvoir.

Toutefois, à posteriori, nous pouvons aussi soutenir l’idée qu’il vaille mieux attendre de connaitre l’issue (potentiellement positive ou négative) des coups d’États pour les apprécier au lieu de systématiquement les condamner quand ils se produisent. Les exemples contrastés du Ghana et de la Gambie sont là pour montrer que certaines prises du pouvoir par la force s'avèrent, à long terme, plus salvatrices que d’autres. Car, tout compte fait, il existe une différence fondamentale entre faire un coup d'État pour jeter les balises d'un régime démocratique (regardez l’héritage que le putschiste Jerry Rawlings a laissé au Ghana) et faire un autre pour instaurer un régime autoritaire (observez la mauvaise gouvernance du putschiste Yahya Jammeh en Gambie). Mieux vaut Rawlings que Jammeh. En outre, si vous demandez, aujourd’hui, aux Maliens ce qu’ils pensent du coup d’État d’Amadou Toumani Touré en 1991 contre le régime dictatorial de Moussa Traoré et que vous interrogez les Guinéens sur le putsch opéré par Dadis Camara en 2008, au lendemain du décès du président guinéen Lansana Conté, vous n’aurez certainement pas les mêmes réponses. Les premières seront plus positives que les secondes.

Certes, mais il convient aussi de signaler que de telles comparaisons binaires ne sont pas parfaites. L’une de leurs limites principales repose sur le fait qu’elles ne soient seulement possibles qu’à postériori. Car, en amont, personne ne pouvait prédire avec exactitude l’issue des putschs effectués au Ghana et en Gambie. Tout comme personne ne pouvait aussi imaginer que le putschiste Dadis Camara, après été écarté du pouvoir, songerait à reprendre le pouvoir par les urnes ou encore qu’Amadou Toumani Touré serait, lui aussi, chassé du pouvoir par un  coup d’État. L’histoire étant donc incertaine et imprévisible, systématiquement condamner tout coup d’État peut être symptomatique d’un « coup d’état mental ». C’est seulement en l’espace de quelques années, au minimum de quelques mois, après qu’il soit survenu, qu’un coup d’État peut être objectivement examiné. Sans cet examen, le jugement de son bien-fondé reste hypothétique.

Au fond, si depuis les indépendances africaines, les coups d’États se suivent en Afrique, force est de noter qu’ils ne se ressemblent guère. Le chercheur ivoirien Kouassi Yao ne disait pas autre chose lorsque, dans sa conférence publique portant sur « les coups d’État en Afrique : bilan et enseignements à tirer », il faisait la distinction entre trois sortes de coups d’État : les coups d’État pro-démocratiques, antidémocratiques et les coups d’État à caractère subversif. « Les premiers ont pour objectif de créer les conditions de l’essor de la démocratie, les deuxièmes ne favorisent pas l’épanouissement de la démocratie, les troisièmes étant le fait de pays voisins, de multinationales ou de grandes puissances ».

Alors, coups d’État et démocratie sont-ils toujours incompatibles ? Pas forcément ! Cette réponse impliquerait-il que nous faisons l’apologie des coups d’État en Afrique ? Absolument pas. En revanche, nous voulions susciter une réflexion critique sur le rapport entre coups d’États et démocratie en Afrique. C’est maintenant chose faite.

PS : Qu’est-ce qui des coups d’États institutionnels ou des coups d’États constitutionnels sont plus dangereux pour la démocratie en Afrique ? Autrement dit, qui des présidents à vie (qui se font éternellement réélire à coups de mascarades électorales et de tripatouillages constitutionnels) ou des putschistes auront davantage fait mal aux Africains ?

Ousmane Diallo