Elections au Burkina Faso : Que doit-on retenir ?

JPG_BurkinaElections3Le Burkina Faso a vécu dimanche 29 novembre des élections qualifiées « d’historiques » mettant un terme à la transition politique instaurée en octobre 2014 suite au départ de Blaise Compaoré (1987-2014), poussé vers la sortie par la pression populaire. Ces élections présidentielles et législatives étaient attendues par la communauté internationale, qui y voyait la promesse d’un retour à l’ordre constitutionnel et de l’avènement d’une vraie démocratie, mais aussi par les Burkinabè, déterminés à faire entendre leur voix. Mais que faut-il retenir de ces élections ?

Un scrutin mobilisateur, transparent et apaisé

Tout d’abord, il faut noter un engouement particulier pour un scrutin d’un genre nouveau. Pour la première fois depuis le début des années 1990, le nom de Blaise Compaoré n’apparaissait pas sur les bulletins – déjà un grand changement dans un pays où plus de 70% de la population a moins de 30 ans et n’avait donc jamais connu un autre Président. « Franchement, je n’avais pas voté depuis longtemps. Mais là tout le monde est mobilisé pour participer » témoigne un électeur, en montrant fièrement son doigt teinté d’encre, preuve qu’il a mis son bulletin dans l’urne.  Il n’aura pas été le seul à montrer plus d’intérêt pour ces élections que par le passé : la commission électorale avait annoncé que les listes électorales comptaient 27% d’inscrits de plus qu’en 2012 suite à la campagne exceptionnelle d’enregistrement menée entre mars et mai 2015, tandis que le taux de participation s’est élevé à 60%.

Ensuite, des avancées notoires sont à saluer aussi bien dans le déroulement de la campagne que dans l’organisation logistique du scrutin. L’interdiction de gadgets (T-shirts, pagnes, etc.) et sa couverture médiatique équitable et professionnelle ont permis d’établir un climat apaisé laissant la possibilité à tous les candidats de présenter leur programme. La non-limitation des dépenses de campagnes a toutefois favorisé les candidats et partis disposant de ressources qui pouvaient ainsi parcourir le pays et recouvrir les rues de leurs affiches, au détriment des petits partis et groupements indépendants aux moyens plus limités. La Commission électorale nationale indépendante (CENI) a également mis en œuvre de nombreux moyens pour assurer un déroulement optimal le jour du vote, un dépouillement transparent, et une proclamation rapide des résultats. Malgré quelques problèmes logistiques dimanche – certains bureaux ont ouvert en retard par manque de matériel ou de personnel notamment – ces incidents sont restés ponctuels et ont dans l’ensemble trouvé des solutions rapidement. Selon la CODEL, la structure de la société civile pour l’observation domestique des élections, 99% des bureaux de vote étaient ouvert à 7h (soit une heure après l’heure prévue).

Cette bonne organisation et les gages de transparences, le professionnalisme des médias et la retenue des candidats qui ont tous appelé leurs militants à accepter les résultats ont permis des élections « pacifiées » et l’absence de contestation par la rue de ce qui est ressorti des urnes, comme l’illustre un électeur de Zéphirin Diabré, candidat malheureux de la présidentielle : « Je ne suis pas trop déçu. Le vote a été transparent et notre chef a accepté les résultats donc ça va ». Cela a démontré, encore une fois, l’attachement des Burkinabè à la paix.

Un vote « utile » et des valeurs sûres

JPG_BurkinaElections1Les résultats des élections présidentielles montrent que les Burkinabè ont choisi de voter « utile », c’est-à-dire de voter dès le premier tour pour l’un des deux candidats favoris. Alors que de nombreux analystes prédisaient un second tour, et s’attendaient à ce qu’une poignée de candidats puissent se positionner en « faiseurs de rois », Roch Marc Christian Kaboré du Mouvement du Peuple pour le Progrès (MPP) a été élu dès le premier tour avec 53,49% des voix, tandis que Zéphirin Diabré de l’Union pour le Progrès et le Changement (UPC) a rassemblé 29,65% des suffrages. Tahirou Barry, en troisième place, est loin derrière et obtient à peine plus de 3% des voix, tandis que les onze autres candidats oscillent entre 0,26% et 2,77%.

L’élection confortable de ‘Roch’, pourtant un cacique du régime Compaoré jusqu’à son revirement en janvier 2014, pourrait surprendre à peine un an après l’insurrection populaire qui a balayé ce régime et réclamé le changement. Mais son expérience au sein du système Compaoré lui a plutôt été favorable, les électeurs voyant ainsi en lui le seul candidat ayant les capacités de gérer les affaires du pays. En quittant le Congrès pour la Démocratie et le Progrès (CDP), le parti de Blaise Compaoré, il a emmené avec lui d’autres figures de proue comme Salif Diallo et l’ancien maire de Ouagadougou Simon Compaoré, ainsi qu’un nombre important de militants. A la chute du régime, il a pu bénéficier de réseaux importants à travers le pays, en particulier en milieu rural, et nombreux sont les votants du CDP qui ont rejoint le parti s’en rapprochant le plus, de par son idéologie ou son personnel politique. 

Bien qu’élu par « un coup-KO » aux présidentielles, Roch ne dispose toutefois pas d’une majorité absolue à l’Assemblée Nationale. Les résultats provisoires présentés par la CENI donnent 55 sièges sur 127 au MPP, tandis que l’UPC en obtient 33. Le CDP ne s’en sort pas mal, se positionnant comme troisième force avec 18 députés, pouvant ainsi peser dans les débats politiques. L’UNIR-PS, le parti sankariste de Maitre Bénéwendé Sankara, a obtenu cinq sièges tandis que dix autres partis se partagent les 15 sièges restants. Roch aura donc besoin de créer des alliances pour gouverner et mettre en œuvre son programme, et d’autant plus pour élaborer une nouvelle Constitution comme il l’a promis, pour laquelle il aura besoin du soutien des deux-tiers du parlement. L’Assemblée nationale pourrait donc être le théâtre de débats politiques, permettant ainsi l’émergence d’une opposition crédible et la recherche de consensus, loin de la chambre d’enregistrement du gouvernement qu’elle représentait sous Compaoré.

Et maintenant ?

La nouvelle équipe doit prendre les rênes dans les prochaines semaines, et la tâche qui les attend n’est pas mince. Les attentes de la population sont immenses, en particulier en matière d’emploi, d’amélioration des conditions de vie, et de bonne gouvernance. Roch n’aura pas le droit à un état de grâce, et le peuple est désormais aux aguets pour surveiller les actions de ses dirigeants. Un de ses électeurs a été clair : « S’ils ne respectent pas leurs promesses, la place de la Révolution sera encore pleine ! ».

Eloïse Bertrand

Coups d’État et démocratie sont-ils toujours incompatibles en Afrique ?

JPG_Burkina Coup 230915Dans « Les coups d’État militaires en Afrique noire », Jean-Pierre Pabanel définit le coup d’État comme étant « une pratique consciente et volontaire de l’armée ou d’une partie de l’armée pour s’emparer des institutions étatiques et occuper le pouvoir d’État ». Contrairement à un conflit armé et à une révolution qui impliquent tous un grand nombre d’acteurs, un coup d’État est l’œuvre d’un nombre réduit d’acteurs qui décident de s’accaparer du pouvoir étatique par la force.

Pourtant, au niveau de l’opinion publique africaine, les indignations et condamnations envers le coup d’État opéré le 17 septembre 2015 au Burkina Faso par le Régiment de sécurité présidentielle (RSP) semblent fortement contraster avec le sentiment de regret qui s’était emparé de la même opinion lorsque la tentative du général Nyombare, visant à renverser le régime de Pierre Nkurunziza, a été déjouée en mai dernier au Burundi.

Un contraste qui pourrait nous donner l’impression que les Africains préfèreraient un certain type de coups d’État à un autre. Si cette hypothèse est vraie, la question qui se pose serait de savoir si coups d’État et démocratie sont toujours incompatibles en Afrique.

Depuis le premier coup d’État perpétré par Nasser en 1952 en Egypte, le berceau de l’humanité a enregistré plus de 80 coups d’État. Dernier en date : celui du RSP du Burkina dont le chef  est l’ancien chef d'état-major particulier de l’ex-président Blaise Comparé, le général Gilbert Diendéré. L’histoire  de l’Afrique postcoloniale est certes tristement jalonnée d’une pléthore de coups d’États, mais elle n’en a pas le monopole. En la matière, les dossiers occidentaux et asiatiques sont loin d’être vierges.

Faut-il ou non systématiquement condamner les coups d’État ?

Si nous nous fions au principe de base de tout régime démocratique qui stipule que le choix, le maintien ainsi que le renouvellement des dirigeants au pouvoir ne sont légaux que s’ils passent par les urnes, la réponse serait clairement oui. En démocratie, il faut toujours condamner le recours de la force comme moyen de prise du pouvoir.

Toutefois, à posteriori, nous pouvons aussi soutenir l’idée qu’il vaille mieux attendre de connaitre l’issue (potentiellement positive ou négative) des coups d’États pour les apprécier au lieu de systématiquement les condamner quand ils se produisent. Les exemples contrastés du Ghana et de la Gambie sont là pour montrer que certaines prises du pouvoir par la force s'avèrent, à long terme, plus salvatrices que d’autres. Car, tout compte fait, il existe une différence fondamentale entre faire un coup d'État pour jeter les balises d'un régime démocratique (regardez l’héritage que le putschiste Jerry Rawlings a laissé au Ghana) et faire un autre pour instaurer un régime autoritaire (observez la mauvaise gouvernance du putschiste Yahya Jammeh en Gambie). Mieux vaut Rawlings que Jammeh. En outre, si vous demandez, aujourd’hui, aux Maliens ce qu’ils pensent du coup d’État d’Amadou Toumani Touré en 1991 contre le régime dictatorial de Moussa Traoré et que vous interrogez les Guinéens sur le putsch opéré par Dadis Camara en 2008, au lendemain du décès du président guinéen Lansana Conté, vous n’aurez certainement pas les mêmes réponses. Les premières seront plus positives que les secondes.

Certes, mais il convient aussi de signaler que de telles comparaisons binaires ne sont pas parfaites. L’une de leurs limites principales repose sur le fait qu’elles ne soient seulement possibles qu’à postériori. Car, en amont, personne ne pouvait prédire avec exactitude l’issue des putschs effectués au Ghana et en Gambie. Tout comme personne ne pouvait aussi imaginer que le putschiste Dadis Camara, après été écarté du pouvoir, songerait à reprendre le pouvoir par les urnes ou encore qu’Amadou Toumani Touré serait, lui aussi, chassé du pouvoir par un  coup d’État. L’histoire étant donc incertaine et imprévisible, systématiquement condamner tout coup d’État peut être symptomatique d’un « coup d’état mental ». C’est seulement en l’espace de quelques années, au minimum de quelques mois, après qu’il soit survenu, qu’un coup d’État peut être objectivement examiné. Sans cet examen, le jugement de son bien-fondé reste hypothétique.

Au fond, si depuis les indépendances africaines, les coups d’États se suivent en Afrique, force est de noter qu’ils ne se ressemblent guère. Le chercheur ivoirien Kouassi Yao ne disait pas autre chose lorsque, dans sa conférence publique portant sur « les coups d’État en Afrique : bilan et enseignements à tirer », il faisait la distinction entre trois sortes de coups d’État : les coups d’État pro-démocratiques, antidémocratiques et les coups d’État à caractère subversif. « Les premiers ont pour objectif de créer les conditions de l’essor de la démocratie, les deuxièmes ne favorisent pas l’épanouissement de la démocratie, les troisièmes étant le fait de pays voisins, de multinationales ou de grandes puissances ».

Alors, coups d’État et démocratie sont-ils toujours incompatibles ? Pas forcément ! Cette réponse impliquerait-il que nous faisons l’apologie des coups d’État en Afrique ? Absolument pas. En revanche, nous voulions susciter une réflexion critique sur le rapport entre coups d’États et démocratie en Afrique. C’est maintenant chose faite.

PS : Qu’est-ce qui des coups d’États institutionnels ou des coups d’États constitutionnels sont plus dangereux pour la démocratie en Afrique ? Autrement dit, qui des présidents à vie (qui se font éternellement réélire à coups de mascarades électorales et de tripatouillages constitutionnels) ou des putschistes auront davantage fait mal aux Africains ?

Ousmane Diallo