Politique nigériane : petits arrangements entre camarades

IBB, OBJ and GMBLe 14 février prochain, le Nigéria première puissance du Continent organise une élection présidentielle importante pour l’avenir incertain d’un pays englué notamment dans la violence avec Boko Haram. Ce scrutin – certainement le plus ouvert de l’histoire du pays – pourrait déboucher sur une grande vague de violence. Terangaweb.com consacre un dossier à cette présidentielle nigérianne dont le premier article, signé par Tity Agbahey, s’intéresse aux relations ambigües au sein de la classe politique du pays.

 

Le 14 février, les électeurs nigérians se rendront aux urnes pour choisir leur (nouveau) Président. Dans ce pays de près de 178 millions d’habitants, première économie du continent africain, ce rendez-vous est surtout un moment angoissant puisqu’il s’accompagnera presqu’inévitablement de violences. Pourtant, cette année, le jeu électoral en vaut la chandelle parce qu’il pourrait aboutir à la première alternance depuis 1999, date du retour au régime civil, date aussi, depuis laquelle le People’s Democratic Party (PDP) est au pouvoir. Son candidat Goodluck Ebele Jonathan est opposé à Muhammadu Buhari, candidat du All Progressives Congress (APC), une jeune coalition de partis d’opposition qui a vu le jour en juillet 2013. Si Buhari remporte ces élections, le Nigeria sera dirigé par un parti autre que le PDP, une petite révolution. Vraiment, toute petite. Car, en réalité, au Nigeria, il n’y a pas de hasard. La politique est un arrangement entre amis. Les sorts de plus de 100 millions d’âmes sont entre les mains d’une infime minorité de gens, toujours les mêmes.

De façon ironique, alors que les détracteurs du Président Jonathan l’ont affublé du titre peu enviable de « pire président que le Nigeria ait connu », son élection en 2011 avait suscité beaucoup d’espoir dans ce pays où la classe politique se renouvelle très peu. Jonathan s’était présenté il y a 4 ans comme l’homme du peuple, sans attaches dans les hautes sphères, originaire d’une minorité ethnique sous-représentée en politique. Dans un pays immensément riche avec une population pourtant majoritairement pauvre, l’on s’est identifié à cet homme qui raconte sans détour son enfance modeste pendant laquelle il se rendait à l’école « sans chaussures et sans sac ». Il n’est pas militaire et n’a jamais dirigé le pays à ce titre. Casier vierge.

Son ascension politique même, ressemble à un accident : en 2005, alors vice-gouverneur, il est nommé Gouverneur de son Etat natal de Bayelsa après que Diepreye Alamieyeseigha, le Gouverneur en place, ait fait l’objet d’une procédure de destitution. Deux ans plus tard il rejoint Abuja en qualité de vice-président d’Umaru Yar’Adua ; lorsque celui-ci décède en 2010, Jonathan se retrouve à la tête de cet immense pays. Sans attaches, dit-il. Ni parmi les tout puissants hauts gradés, ni dans la classe politique. Sa mission était presque vouée à l’échec dès le départ. Car la politique au Nigeria a longtemps été l’affaire des militaires (qui ne sont jamais bien loin, aujourd’hui encore) avant de devenir celle des civils. Certains civils. Toujours les mêmes. Au Nigeria on n’aime pas le hasard. Pourquoi laisser le choix aux citoyens lorsqu’on peut s’arranger entre amis ?

En 2006, voyant venir la fin prochaine de son second mandat, le Président Obasanjo tenta de modifier la Constitution pour pouvoir se présenter une troisième fois à des élections. Un projet que le Sénat nigérian rejeta sans ambages, ne laissant pas d’autre choix à Obasanjo que de se retirer en 2007, à la fin de son second mandat pour vivre pleinement sa vie de vieux sage qui ne se prive pas pour dire, à qui ne veut pas l’entendre, ce qu’il pense des acteurs politiques de son pays. Mais il y a tellement d’autres façons de gouverner! En vertu de cette règle tacite du zoning par laquelle le pouvoir doit alterner entre ressortissant du Nord et ressortissant du Sud, la succession d’Obasanjo, un Yoruba (ethnie du Sud), devait revenir à un personnage du Nord.

Le Président sortant soutient –impose, en réalité- la candidature d’Umaru Yar’Adua, gouverneur de Katsina et frère de Shehu Musa Yar’Adua, vice-président de…Olusegun Obasanjo lorsque celui-ci a dirigé le pays sous le régime militaire de 1976 à 1979. La politique nigériane ressemble à un mauvais film : les personnages sont toujours les mêmes, ils changent juste de position et de titre. Ainsi donc, Obasanjo a été président de 1976 à 1979 sous régime militaire avant de l’être à nouveau de 1999 à 2007, sous régime civil. A la fin de son mandat, il a été remplacé par Umaru Yar’Adua, le frère de celui qui fut son vice-président de 1976 à 1979. Il faut suivre, avec les politiques nigérians.

Les sympathisants de Goodluck Jonathan soutiennent que c’est justement cette absence d’accointances avec le gratin politico-militaire qui a nui au natif de Bayelsa, car certains hommes politiques mal intentionnés auraient nourri Boko Haram jusqu’à en faire le monstre qu’il est aujourd’hui afin de s’en servir pour décrédibiliser Jonathan. Qu’à une époque de son existence, Boko Haram ait été soutenu par des gouverneurs du Nord, cela est assez probable mais dans tous les cas il y a longtemps que le monstre a échappé à tout le monde. Il terrorise aussi bien au Nord qu’au Sud et sans distinction de religion ou d’ethnie. Le Nigeria perd des portions entières de son immense territoire au gré de la progression du groupe terroriste. La situation est alarmante et humainement dramatique.

En 2011, on a cru que Jonathan serait un facteur de changement, lui qui n’était pas (encore) rompu à la corruption, à l’indécence et au ridicule. Mais le rêve américain n’est pas nigérian. En 2015, meurtri, touché dans sa fierté, terrorisé et désespéré, le Nigeria est tenté de fermer la parenthèse (pas) enchantée. L’alternance politique, la vraie, peut attendre. Pour le moment, on a besoin d’un sauveur. Et comme souvent on n’est pas allé le chercher bien loin. Muhammadu Buhari séduit ceux qui espèrent une réponse radicale aux nombreux maux du Nigeria. Dans le soap opéra qui se joue à la tête de ce pays depuis 1960, Buhari a déjà tenu quelques rôles : Général, Ministre du Pétrole et des ressources naturelles sous la Présidence d’Obasanjo (celle de 1976 à 1979) et, surtout, Président lui-même de 1983 à 1985. Depuis, il n’a cessé de tenter un retour en politique. Trois fois candidat malheureux (2003, 2007, 2011), il se présente pour la quatrième fois et pourrait bien réussir cette fois-ci. Le Nigeria a besoin de sang neuf, disent ses partisans.

Le sang neuf a 72 ans. Mais peu importe, c’est l’expérience qui compte. Une expérience acquise en même temps que de vieilles connaissances: Babangida, Yar’Adua et l’indétrônable Obasanjo. Nigeria dey oh !

 

 

Tity Agbahey