Présidentielles du 29 Juillet : « Le Mali a besoin d’un président fort qui saura rétablir l’autorité de l’État ».

Dans quelques jours, le peuple Malien est appelé à choisir celle ou celui qui conduira sa destinée durant les cinq prochaines années. Quels sont les enjeux  du scrutin du 29 Juillet 2018 ? Hamidou DOUMBIA, porte-parole du parti YELEMA  et de son président Moussa Mara, a accepté de répondre aux questions de l’Afrique Des Idées à cet effet.

 

Bonjour Mr  DOUMBIA.

Bonjour Mr GNASSOUNOU, bonjour aux membres du Think tank l’Afrique Des Idées.

En toute objectivité quel bilan dressez-vous du quinquennat écoulé?

Le bilan du président  Ibrahim Boubacar Keita dit IBK n’est pas élogieux , les maliens sont déçus .

Quels ont été les grands échecs de ce quinquennat?

L’élection du président IBK avait suscité beaucoup d’espoirs dans notre pays car il était perçu comme l’homme de la situation pour l’écrasante majorité de la population ; d’où son score de 77 % au second tour des élections présidentielles . Il avait principalement séduit nos compatriotes par son slogan :  » Pour l’honneur du Mali et le bonheur des maliens « . Cinq années après cette élection , il  est légitime de se  demander s’il a pu restaurer cet honneur et s’il a pu assurer le bonheur des maliens . Pour ma part, je répondrai par la négative pour  deux raisons.  Tout d’abord le président IBK a échoué en ne parvenant pas à sécuriser notre pays ; en effet la crise sécuritaire au lieu de s’atténuer ,s’est aggravée avec l’insécurité au centre et dans les grandes villes. L’honneur pour  les maliens était de retrouver l’intégrité de leur territoire , le président IBK n’a pas pu le faire ; l’honneur pour nous était de  retrouver un État fort , IBK n’a pas pu le faire .

Ensuite, sur le plan économique, , il s’agissait d’accroitre les revenus de nos compatriotes. Aujourd’hui les prix des denrées alimentaires n’ont jamais été aussi élevés. Pire, 4 millions de maliens sont menacés de faim . Juste pour vous dire  à quel point l’échec du président  sortant est évident .

L’un des gros échecs de ce quinquennat  fut  l’abandon du processus référendaire  de modification constitutionnelle. Le prochain président doit-il remettre sur la table le projet de révision constitutionnelle du président Keita ?

Effectivement le projet de révision constitutionnelle a été un échec . je crois toutefois, que son échec est surtout du à certaines dispositions qui n’étaient pas du genre à rassurer les maliens. Notamment l’accroissement des pouvoirs du président  de la république qui est perçu par nos compatriotes comme un recul de  la démocratie . Cependant, force est de reconnaitre que la situation actuelle de notre pays exige une révision constitutionnelle . La constitution que nous avons aujourd’hui  est veille de 27 ans. Par conséquent, certaines modifications doivent y être apportées . Aussi, faut-il  appliquer  l’accord de paix issu du processus d’Alger. Pour cela, il nous faut faire une révision constitutionnelle . C’est pour cette raison que notre candidat (Cheikh Modibo Diarra) propose une révision de la constitution dès le début de son mandat , puis s’en suivra un chronogramme d’application de l’accord qui sera appliqué véritablement  en 18 mois. Je vous rappelle que le président IBK avait 24 mois pour l’appliquer , et qu’en trois ans , cet accord n’est pas appliqué  à 20% , un autre échec du président IBK.

Le président de votre parti veut faire de la politique autrement. Se rallier à Cheikh Modibo Diarra, est-ce faire de la politique autrement ou simplement s’agit-il d’un aveu d’incapacité à gagner les prochaines échéances électorales ?

Cette décision émane du peuple malien . Vous savez ,le président de notre parti de 2013 à aujourd’hui est l’homme politique qui a le plus sillonné le Mali profond en visitant plus de 200 communes de notre pays et 40 cercles. Lors de toutes ces rencontres , il lui a été demandé de mettre tout en œuvre pour que les hommes qui incarnent l’alternance systémique se mettent ensemble . Faire la politique autrement, c’est de mettre le Mali au-dessus de ses intérêts personnels , c’est ce que le président de notre parti a fait et nous en sommes fiers . Le Docteur Cheick Modibo DIARRA partage les mêmes valeurs que nous et en nous mettant ensemble , nous augmentons les chances de victoire des partisans de l’alternance systémique . Notre choix est un choix de raison et de patriotisme car si le Mali tombe dans les mains de ceux qui sont à la base des problèmes de nos compatriotes , c’est la survie de notre pays qui serait en jeu. Donc pour éviter cela , aucun sacrifice n’est de trop.

 24 candidats au premier tour des élections ; il y en avait 27 lors des dernières élections présidentielles.  Y-a-t-il trop de candidatures ?

Je trouve sincèrement que l’on pouvait avoir moins de candidats que ça . Beaucoup de candidats ne sont pas connus des maliens pour n’avoir pas été actifs ces dernières années et un beau jour , ils se lèvent pour briguer la magistrature suprême. La confiance des maliens se mérite. Ils doivent comprendre que l’élection du président de la république n’est pas une élection de chef de quartier ou de village. Nous faisons partie au niveau de  YELEMA de ceux qui prônent  une alternance systémique dans notre pays. C’est pourquoi, lors de notre congrès de novembre 2017 , il a été instruit à notre Comité Exécutif Central de se battre pour une candidature unique des forces du changement même si cette candidature n’était pas issue de nos rangs . Je pense donc que l’on doit travailler à réduire les candidatures pour que les électeurs nous prennent au sérieux .

Quels doivent être  à votre avis la personnalité et le caractère du prochain président de la République ?

Le prochain président de la République doit être un rassembleur , il doit être un homme dont l’intégrité ne souffre d’aucun doute . Il doit être un homme qui a fait ses preuves , qui s’est construit avant de rentrer dans la politique . Nous avons besoin d’un président fort qui saura rétablir l’autorité de l’État .

Les Maliens ont semble-t-il perdu confiance en la politique ? Pensez-vous que ce  constat est véridique ?Que doit faire le prochain président au cours de ses  six premiers mois pour redonner confiance aux populations ?

Les maliens ont perdu confiance aux politiques et c’est tout à fait normal . Ceux qui ont été les principaux acteurs de la scène politique depuis l’avènement de la démocratie en 1991 n’ont pas été de bons exemples pour la plupart. La corruption , le clientélisme , la gabegie sont des pratiques courantes dans notre pays et c’est au niveau des élites que ça se passe le plus souvent . Ces pratiques ont concouru de manière progressive à faire qu’aujourd’hui les maliens ne croient plus aux hommes politiques . Je vous donne juste une anecdote : Au Mali quand on ment beaucoup , on te dit tu mens comme un politicien . Donc pour dire l’ampleur de cette rupture de confiance .

Le prochain président de la république doit rapidement prendre des mesures de refondations de notre État . Il doit vite montrer l’exemple en prenant les mesures fortes contre la corruption qui gangrène notre société . C’est pourquoi nous prévoyons dès l’élection de notre candidat que les 100 premiers responsables de l’État puissent publier leurs patrimoines  dans un journal officiel et dans tous les médias. Nous allons publier les revenus de tous les responsables pour que les maliens puissent voir si leur train de vie est conforme à leurs revenus. La possibilité sera donnée à nos compatriotes de se plaindre si d’aventure ils constatent une inadéquation entre les revenus et les trains de vie . Pour restaurer la confiance et l’espoir nous devons prendre des mesures fortes qui peuvent rassurer nos compatriotes . Aujourd’hui le gouvernement compte une trentaine  de membres. Nous allons réduire le nombre de membres du  gouvernement à seulement vingt membres pour faire des économies. Les maliens veulent un président qui peut les rassembler , qui peut recouvrer l’intégrité de leur territoire .Les premières actions du prochain président doivent  donc aller dans ce sens .

Parlons de Ras Bath, une personnalité phare de la société civile depuis les  soulèvements  contre la révision constitutionnelle  et qui occupe un espace  de plus en plus  important dans la sphère  politique. Assistons-nous à l’émergence d’une société civile puissante au Mali ou s’agit-il simplement d’un populisme d’un autre genre ?

Effectivement la révision constitutionnelle nous a montré que la société civile veille sur les politiques. Le chroniqueur Ras Bath s’est fait un nom car il est celui que les pauvres considèrent comme leur voix et celui qui les défend face aux dérives des hommes politiques . Il est bon comme chroniqueur .

S’est-il fourvoyé en soutenant Soumaila  Cissé, un des caciques de la classe politique ?

 Ce qui est sûr , il disait dans un passé récent que le cadavre d’IBK valait mieux que Soumaïla CISSE donc les observateurs étaient étonnés de le voir soutenir celui-ci . C’est ce qui fait aujourd’hui qu’il y’a beaucoup de ses auditeurs qui ont été déçus . Il a fait un choix , qu’il assume et le peuple  en jugera .

Pour finir, faisons un peu de  politique fiction : Nous sommes le 29 juillet 2023.Le pays reprend du poil de la bête sur le plan économique, l’insécurité a reculé mais la question du nord Mali n’a toujours pas de solution pérenne.  Considéreriez-vous que le  président sortant aura raté son quinquennat ?

(Rires )…. Raté ce serait trop dire , le problème du nord ne peut pas se régler définitivement en seulement cinq ans . C’est un problème profond qu’il convient de résoudre progressivement sans faire dans la démagogie . Un problème qui existe il y’a plus de 30 ans ne peut être résolu définitivement en cinq années d’exercice de pouvoir. Ce qui est sûr à la fin  du quinquennat , il n’y aurait plus de groupes armées sur notre territoire hormis la nouvelle armée reconstituée du Mali . Ce qui est sûr , le niveau de vie du malien sera élevé à un niveau jamais égalé ses dernières années . Les maliens connaitront le vrai bonheur et nous allons restaurer l’espoir car nous sommes les vrais restaurateurs de l’espoir .

Monsieur, Doumbia, Merci d’avoir répondu aux questions de l’Afrique Des Idées.

 

Interview réalisé par Giani GNASSOUNOU pour l’Afrique Des Idées.

 

Présidentielle 2018 au Cameroun : la der des ders pour BIYA ?

 

 

Depuis 1982, le Cameroun a connu 6 élections présidentielles, 7 Premiers ministres mais toujours le même visage au sommet de l’État. Au classement mondial des Présidents détenteurs de la plus longue longévité à cette fonction, Paul BIYA culmine à la deuxième place, juste derrière son homologue Equato-Guinéen Teodoro OBIANG (Président depuis le 3 août 1979).

L’élection présidentielle prévue en octobre 2018, s’annonce donc à la fois sans surprise et n’en ai pourtant pas moins cruciale puisqu’elle intervient dans un contexte de vive tension sécuritaire et aussi, parce qu’il s’agit peut-être de la dernière de l’ère BIYA.

Une période de vives tensions sécuritaires

Depuis son indépendance en 1960, le Cameroun n’a connu que deux Présidents. Paul Biya, président en exercice depuis 1982 et Ahmadou AHIDJO qui a dirigé le pays pendant plus de 24 ans. 4 Camerounais sur 5 n’ont jamais connu d’autre Président que l’actuel locataire du Palais de l’Unité.[1] Rien de surprenant lorsque l’on sait qu’en 1982, le pays comptait un peu plus de 9 millions d’habitants et qu’on en dénombre à présent environ 25 millions.

Cet immobilisme politique  à la tête de l’État, se trouve aujourd’hui bousculé par de vives tensions liées à deux enjeux majeurs. Il s’agit  d’une part, de la menace terroriste représentée par Boko Haram dans le Nord et  d’autre part, des troubles dans les régions anglophones à l’Ouest du pays[2].

Selon l’ONU, les affrontements entre les séparatistes, souhaitant, une autonomie poussée des régions anglophones (voire même une Independence totale) et le pouvoir central de Yaoundé auraient fait plusieurs dizaines de milliers de déplacés depuis fin 2016[3].

Attaques, attentats, manifestations et répression se sont accrues fin 2017, si bien que la situation devient de plus en plus préoccupante pour le pouvoir et menace à présent d’ébranler la stabilité du régime.

A quelques mois des échéances présidentielles, ces tensions auraient pu constituer un obstacle majeur  pour le Chef de l’État sortant, si  bien sûr, ce scrutin n’était pas dénué de toutes surprises depuis bien longtemps.

Simple formalité pour Paul BIYA, l’élection présidentielle n’en demeure pas moins un rendez-vous important de la vie politique camerounaise. Celle-ci encore  plus que les précédentes, dans la mesure où les 85 ans du Chef de l’État laissent fatalement entrevoir des perspectives d’alternance.

A quelques mois seulement de l’échéance, nombreux sont les candidats qui se sont déjà annoncés ou sont même en campagne intensive. Néanmoins, au-delà de la multiplication habituelle des candidatures et des tractations politiques entre partis et leaders de l’opposition, c’est le silence assourdissant du camp présidentiel concernant les prochaines  échéances électorales  qui interpelle.Paul BIYA demeure en effet insondable et mutique sur le sujet et n’a ,à aucun moment évoqué sa candidature.

Une candidature qui se fait donc attendre mais qui n’en demeure pas moins cousu de fil blanc. Manifestations et interventions dans les médias, les réseaux et soutiens de Paul BIYA sont déjà à pied d’œuvre pour demander au Président de bien vouloir se représenter et semblent surtout amorcer l’annonce qui se fait désirer.

Autre signe annonciateur, Paul BIYA réorganise ses troupes. Sous prétexte d’apporter des gages vis-à-vis des revendications anglophones, le remaniement réalisé en mars 2018 laisse clairement penser à une réorganisation de ses équipes à l’approche de l’élection, donnant donc un peu plus de crédit à l’hypothèse d’une nouvelle candidature.

Dernière élection avant « l’après BIYA » ?

Rien ne laisse penser que le Président sortant pourrait renoncer à se présenter aux prochaines élections présidentielles. Cette hypothèse assez improbable, constituerait un séisme dans la vie politique camerounaise si elle venait à se réaliser. Une telle  perspective, aussi infime soit-elle, alimente naturellement les débats au sein de la classe  politique.

En outre, le seul fait qu’il puisse s’agir d’une éventualité attise déjà les appétits et les ambitions, car plus que de savoir si Paul BIYA se représentera ou non, ce qui se joue en fond c’est surtout la préparation de l’après BIYA. Si une majorité des populations et de la classe politique semblent résignés à voir BIYA quitté le  pouvoir  de son vivant, certains ont véritablement compris que le « Vieux »  est au crépuscule de son  long règne à la tête du Cameroun. Les prochaines élections présidentielles pourraient ainsi constituer  pour certains acteurs politiques, la dernière chance de marquer des points et de gagner en visibilité auprès des populations  avant la fin de l’ère BIYA.

Plutôt que de viser la fonction suprême, les candidats déclarés semblent être réduit à espérer exister au premier tour, profiter de la campagne pour capitaliser en notoriété et ainsi poser des jalons pour les échéances à  venir.

Dans ce contexte, une candidature unique de l’opposition avait évidemment peu de chance de voir le jour, la liste  de candidature s’allongeant  de semaine en semaine.

 Agitation au sein de l’opposition, impatience au sein du RDPC[4],

Cette élection sera marquée pour le principal parti d’opposition, le SDF (Social Democratic Front) par la décision de son leader, l’anglophone John FRU NDI, âgé de 76 ans, de ne pas se porter candidat pour passer le flambeau à Joshua OSIH, Vice-président du parti et nouveau visage de la politique.

Parmi les principaux prétendants déclarés, Akéré MUNA et son mouvement NOW ! cumule plusieurs atouts. L’ancien bâtonnier, natif du Nord-Ouest, fils d’un ancien Premier ministre, ami du Président ghanéen, dispose d’un réseau appréciable en particulier au sein de la diaspora.

Candidat pour la première fois à 65 ans, il devra certainement renforcer son implantation locale et faire face à son frère, puisque Bernard MUNA, candidat malheureux à la Présidentielle de 2011, a décidé de se représenter en 2018.

En 2011, la commission électorale avait retenu une vingtaine de candidatures sur plus d’une cinquantaine de déposées. En 2018, leur nombre devrait être tout aussi conséquent.

Parmi les candidatures les plus singulières ou les plus remarquées, figure notamment celle de l’humoriste Dieudonné M’BALA M’BALA qui s’était déclaré début 2017 mais sans toutefois réévoquer cette hypothèse depuis.

A quelques mois de l’échéance, la seule femme déclarée, Sandrine KANMOGNE, une inconnue de 49 ans, titulaire d’un BTS en informatique, risque surtout d’être une candidature de témoignage.

L’ex-candidate Edith KAH WALLA (arrivée 6ème en 2011 avec 0,7%), a quant à elle, renoncé à se représenter, estimant que « ça fait 30 ans que nous participons aux élections et rien ne change » et en demandant « la mise sur pied d’une commission électorale indépendante, un système biométrique efficace et une élection à deux tours.»

Enfin, effet MACRON oblige, plusieurs trentenaires ambitieux, comme Cabral LIBII (Mouvement 11 millions de citoyens et Parti Univers) et Serge Espoir MATOMBA (Peuple uni pour la rénovation sociale, Purs) se sont portés candidats et espèrent créer la surprise.

Plusieurs anciens candidats devraient également repartir en 2018, comme Olivier BILE et Garga HAMAN ADJI, candidats en 2011 ou encore Maigari BELLO BOUBA (Union Nationale pour la Démocratie et le Progrès, UNDP), candidat en 1992, arrivé 3ème avec 19,2 %.

 Johann LUCAS

[1] Analyse réalisée sur la base des données des pyramides des âges réalisées par l’université de Sherbrooke : http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMPagePyramide?codePays=CMR

[2] Pour en savoir plus sur la crise anglophone : https://www.bbc.com/afrique/region-44563294

[3] https://news.un.org/fr/story/2018/03/1008922

[4] Rassemblement démocratique du peuple camerounais, parti  politique du président Biya.