La femme africaine face aux défis de l’éducation et du développement

Par Christian Dior MOULOUNGUI, philosophe, enseignant de philosophie et doctorant à l’Université Omar Bongo (Libreville/Gabon) cdmouloungui@gmail.com

Résumé

Cet article étudie l’idée selon laquelle la femme africaine subsaharienne doit sortir de son état de minorité. Asservie, stigmatisée et affaiblie par le poids de l’histoire, l’esclavagisme et le colonialisme, elle doit s’affranchir des ornières de cet état tutélaire. Il est commode qu’elle prenne l’initiative de se cultiver, de se former et de s’instruire. Dans ce contexte, la société ne doit plus la résumer, comme pour tout parent et conjoint, à la simple femme africaine centrée sur les logiques du foyer, et réfractaire à l’idée de rencontrer l’homme providentiel, voire s’enraciner aux relations clientélaires. Comme le note Simone de Beauvoir, « Les parents élèvent leur fille en vue du mariage plutôt qu’ils ne favorisent son développement personnel » ([1]). Il s’agit maintenant qu’elle revête l’armure de la femme africaine éduquée, dynamique et susceptible de comprendre la nécessité de répondre aux attentes du continent, et de faire face aux défis mondiaux. De cette façon, elle pourra effectivement saisir les ressorts d’appropriation d’être actrice dans le processus de développement en Afrique. On comprend mieux, à l’aune des dynamiques éducatives, que la prise de conscience de la femme africaine subsaharienne, en tant que femme éduquée, formée et compétente, doit être plus que jamais une urgence pour l’Afrique subsaharienne.    

Mots-clés : Femme africaine, Afrique, Raison, Éducation, Instruction, Formation, Développement. 

Abstract

This article studies the idea that sub-Saharan African women must emerge from their state of minority. Enslaved, stigmatized and weakened by the weight of history, slavery and colonialism, she must use reason to free herself from the ruts of this tutelary state. It is convenient for her to take the initiative to cultivate, train and educate herself. In this context, she must no longer be reduced, as for any parent and spouse, to the simple African woman centered on the logic of the home, and resistant to the idea of ​​meeting the providential man, or even putting down roots in client relationships. . As Simone de Beauvoir notes, “Parents raise their daughter with a view to marriage rather than promoting her personal development.” It is now a matter of putting on the armor of the educated, dynamic African woman capable of understanding the need to meet the continent’s expectations and face global challenges. In this way, she will be able to effectively grasp the sources of appropriation of being an actor in the development process in Africa. We understand better, in the light of educational dynamics, that the awareness of sub-Saharan African women, as educated, trained and competent women, must be more than ever an emergency for sub-Saharan Africa.

Keywords: African woman, Africa, Reason, Education Instruction, Training, Development.

Introduction

            « L’Afrique n’a pas d’histoire ; une sorte de légende vaste et obscure l’enveloppe. […] C’est ce qui est absolu dans l’horreur. Le flamboiement tropical en effet, c’est l’Afrique » ([2]). Cette assertion de Victor Hugo prononcée, dans Discours sur l’Afrique, le 18 mai 1879, au cours d’une fête de la commémoration de l’abolition de l’esclavage aux côtes de Victor Schœlcher[3], met en évidence la marginalisation et la stigmatisation de l’Afrique par les Occidentaux. Pour eux, l’Afrique est un continent que l’Europe doit occuper et civiliser. D’après Emmanuel Debono et Stéphane Nivet, « Ce discours montre un homme acquis à la pensée raciale qui domine alors et qui, à aucun moment, ne se montre capable d’en critiquer la portée et les conséquences politiques » ([4]).

        Face à ces propos négatifs traduisant les logiques culturelles du racisme et la discrimination à l’égard des Africains, les femmes noires ne sont pas exemptées. Selon l’imaginaire attaché à l’Afrique et ses habitants ([5]), les femmes africaines du Sud du Sahara ne sont pas assez entrées dans l’histoire. Pourquoi ? Parce qu’elles sont, depuis le XVIe siècle jusqu’à nos jours, souvent enduites par de multiples stéréotypes et préjugés venant de l’Occident. Autrement dit, les croyances de l’imaginaire occidental réduisent les femmes noires à la couleur de leur peau et de leurs cheveux, à l’objet sexuel et leur attribuent le caractère animal. Selon Yann Le Bihan, dans L’ambivalence du regard colonial porté sur les femmes d’Afrique noire

Du XVIe siècle jusqu’à nos jours, les stéréotypes, croyances et images occidentales attachées à la « femme noire », sont caractérisés par leur remarquable permanence. Ils forment autant de représentations traversées par une ambivalence fondamentale se traduisant pars des aptitudes occidentales essentiellement masculines de fascination et/ou de répulsion selon le rapport entretenu par les Européens avec leurs propres société et, en miroir, selon leur représentation valorisée de la  « nature » ([6]).

          Même dans l’imaginaire africain, certains hommes (campagnards ou citadins) ont une conception statique de la femme africaine subsaharienne, celle de la femme au foyer[7], réduite au silence et à la soumission. Comme le note Aradjouman Modeste Boro, « on pense souvent que la femme africaine n’a de valeur que dans le foyer ; elle n’est qu’une simple domestique » ([8]). Ces différents stéréotypes et préjugés sont relativement à l’origine de la catégorisation de l’image des femmes africaines subsahariennes au cours du temps. Comment comprendre alors, même dans les temps modernes (au XXIe siècle), que les femmes africaines font toujours face à la marginalisation, au racisme, au sexisme et à la manipulation ? Pour Fatou Sarr, la « vision véhiculée par les travaux des Occidentaux et même des Africains, tendant à considérer les femmes du continent comme des objets manipulables entre les mains des hommes » ([9]).  Dès lors, quelle est réellement la place de la femme africaine subsaharienne dans la société ? Face au développement de l’Afrique, au-delà des stéréotypes liés à la couleur de sa peau, la femme africaine a-t-elle les défis à relever ? Peut-on dire que celle-ci est condamnée à subir les humiliations et les discriminations ?

        Admettre la logique selon laquelle les femmes africaines subsahariennes sont condamnées au fatalisme, et elles n’ont pas les défis à relever serait faire obstruction à l’évolution de l’humanité. Parce qu’elles ont une valeur inestimable dans le système traditionnel et moderne de l’Afrique, au-delà des préjugés dont elles font face aujourd’hui. En Afrique et ailleurs, nonobstant qu’elle soit considérée comme une source de procréation, la femme africaine subsaharienne doit maintenant occuper une place prépondérante dans le développement de l’Afrique, et faire face aux défis mondiaux. A cet effet, les Africains, éduquez vos femmes, et mariez-les à l’instruction. En contexte africain, c’est un changement de paradigme de l’image des femmes noires stigmatisées, qui consiste dorénavant à favoriser leur épanouissement, selon leur liberté de choix et en fonction de leurs aspirations. Explicitement dit, les femmes africaines doivent « ouvrir l’esprit, se libérer des contraintes, trouver sa source de créativité et sa passion » ([10]), estime Rameline Kamga. Dans ce cas de figure, elles peuvent effectivement être au centre du développement économique, social, culturel, scientifique et technologique de l’Afrique. Il s’agit donc de promouvoir l’inclusion et la participation de la femme africaine dans la réalisation des projets de développement en Afrique. Dans cette perspective, les gouvernements africains ont la responsabilité d’accompagner les femmes africaines qui aspirent à la formation et au leadership, en mettant en place les politiques d’assistance et de financements appropriés. Dans cet article, nous aborderons plusieurs axes, à savoir : l’histoire de la femme noire (I), la carrière du mariage (II), la femme africaine face aux défis d’éducation et de développement (III) et la femme africaine et le défi politique (IV). 

1- L’histoire tumultueuse de la femme noire

          Les femmes noires ont une histoire jonchée de tristesse et de mélancolie. Les mouvements d’esclavage[11], de colonisation[12] en Afrique subsaharienne, de ségrégation[13] aux États-Unis et d’apartheid[14] en Afrique du Sud sont autant d’éléments qui justifient la triste réalité des Africains, en général, et des femmes noires, en particulier. Selon Jacques Brasseul, « La période coloniale en Afrique a duré 70 ans, de 1890 à 1960, elle a eu impact énorme sur l’Afrique. C’est un processus d’annexion du continent africain par les Occidentaux » ([15]). En effet, les femmes noires n’étaient en marge de la déportation lors de l’esclavage. Parce que, parmi le nombre des Africains déportés, les femmes représentaient environ un tiers. Elles travaillaient dans l’exploitation des plantations des cannes à sucre : « Parmi les 13 à 15 millions d’êtres humains déportés d’Afrique vers les colonies pour l’exploitation intensive des plantations de canne à sucre entre autres, les femmes représentaient environ un tiers » ([16]). En outre, il convient de rappeler que les femmes noires occupaient aussi d’autres fonction, hormis le travail de la coupe des cannes à sucre, tels que servantes, nourricières et cuisinières : 

Dans les colonies, les femmes sont partout. Dans les champs, c’est à elles que l’on attribue les travaux les plus durs, les plus usants qu’il s’agisse de la coupe de la canne ou nettoyer les plantations de mauvaises herbes. Elles ont également intégré les maisons ou les habitations en occupant les fonctions de servantes, de cuisinières, de nourrices ([17]).

         Pour Chimamanda Ngozi Adicie, romancière nigériane, avec les colons, « la place de femme était la cuisine et la chambre » ([18]). Ainsi, la marginalisation de la femme noire a un lien de consubstantialité avec son histoire aussi dure que tragique, au-delà de toute dissemblance. Catherine Coquery-Vidrovitch, dans son ouvrage Les Africains. Histoire des femmes d’Afrique subsaharienne du XIXe siècle, affirme : « Les femmes d’Afrique noire ont eu, et continuent d’avoir, sous des formes qui ont varié au cours du temps, la vie dure » ([19]). Il faut noter que depuis l’esclavage, en passant par la colonisation et jusqu’aujourd’hui, la femme noire n’est pas à l’abri de multiples oppressions et autres formes de discriminations. Parce qu’« elles sont esclaves, elles sont femmes, elles sont noires » ([20]). Makhtar Diop pense que « Depuis longtemps, les femmes et les jeunes filles en Afrique font l’objet des discriminations, phénomène qui affecte leur famille, leur communauté et leur pays tout entier » ([21])Cette situation discriminatoire a eu un impact négatif sur l’être des femmes africaines d’hier et celles d’aujourd’hui. Avec pour conséquences, elle se sent inférieure, affaiblie et complexée. Ce qui fait en sorte qu’elle soit affectée et ait des difficultés à s’épanouir, et donc à relever les défis liés à son éducation et sa participation à l’essor du continent. Car : « Jusqu’aujourd’hui, la question se pose encore des conséquences quant à la considération portée aux femmes noires, mais aussi notamment quant aux rapports entre hommes et femmes » ([22]).

II. La carrière du mariage 

         En Afrique subsaharienne, le mariage est l’un des projets primordiaux pour les jeunes filles au détriment de l’école. Parce qu’elles y voient non seulement comme un moyen pour s’affirmer dans la société, mais également comme une fin en soi pour sortir de la pauvreté. En effet, le rêve des femmes africaines c’est l’appartenance au couple, comme une justification sociale. Le plus important pour elles, c’est « Leur fonction biologique de mère » ([23]), affirme Evelyn Reed. Pour certains hommes, dit-on, il n’est pas contraignant de voir une femme sans métier. Parce qu’ils savent que le métier le plus noble de la femme est le foyer. Simone de Beauvoir, dans Le Deuxième Sexe, le note avec pertinence qu’« il y a aussi celui qui trouve sa femme en rien diminuée parce qu’elle n’a pas de métier. La tâche du foyer est aussi noble, etc. » ([24]). La femme pourrait naturellement considérer le foyer comme une carrière noble. Mais tôt ou tard, dans cette logique, c’est elle qui subira les humiliations lorsque le couple aura des tensions : « C’est moi qui travaille et qui nourris la femme. Sans moi tu seras incapable de gagner ta vie » ([25]).

         Même aujourd’hui, malgré que les femmes intègrent les universités, les administrations, le domaine professionnel et technique, si elles ne sont pas mariées, elles n’auront pas leur dignité. Parce que « la femme mariée est autorisée à se faire entretenir par son mari : elle est en outre revêtue d’une dignité sociale très supérieure à celle de la célibataire » ([26]),affirme Simone de Beauvoir. Dans ces conditions, c’est l’appartenance au couple qui confère à la femme sa carrière honorable : « On ouvre aux femmes les usines, les bureaux, les facultés, mais on continue à considérer que le mariage est pour elles une carrière des plus honorable » ([27]). Cette vision de voir en la femme qu’un être de foyer a engendré plusieurs conséquences chez la femme noire. Notamment, l’état de minorité, la paresse dans son processus d’éducation, le complexe d’infériorité face la domination masculine, l’acceptation de son corps comme un capital à exploiter, l’essor du mariage précoce, etc. 

          De plus, les raisonnements déviants et passifs tels que sans le foyer, la femme n’est rien. Même si elle ne réussit pas à l’école, elle aura un bon mari qui prendra soin d’elle. C’est pourquoi, aujourd’hui, la jeune fille africaine et ses parents n’ont qu’un seul souhait, celui de la recherche du prince charmant et du beau-fils providentiel. Simone de Beauvoir dit en effet : « Tout encourage la jeune fille à attendre du prince charmant fortune et bonheur plutôt qu’à tenter seule la difficile et incertaine conquête », et « Les parents élèvent leur fille en vue du mariage plutôt qu’ils ne favorisent son développement personnel » ([28]). En Afrique, plusieurs parents pensent qu’envoyer leurs filles en mariage est plus rassurant économiquement que de leur permettre d’aller à l’école. C’est l’une des raisons qui expliquent la montée en puissance du phénomène des mariages précoces en Afrique. Selon le Fonds International des Nations Unies pour l’Enfance (UNICEF), « L’Afrique compte 130 millions d’enfants mariés, qu’il s’agisse de filles de moins de 18 ans déjà mariées ou de femmes adultes qui ont été mariées dans leur enfance. Aujourd’hui, l’UNICEF a lancé des rapports continentaux et régionaux sur le mariage des enfants et les mutilations génitales féminines en Afrique » ([29]). Pour l’UNICEF,

Le mariage des enfants et les mutilations génitales féminines constituent une violation des droits de l’enfant. Pourtant, dans de nombreuses communautés du continent, les filles continuent d’être exposées à l’une de ces pratiques, voire aux deux. Le mariage d’enfants est présent sur tout le continent, avec les niveaux les plus élevés dans le Sahel et dans certaines poches d’Afrique centrale et orientale ([30]).

III. Les défis de l’éducation et du développement

          Si pour Evelyn Reed, « Ce n’est pas la nature, mais la société de classes, qui a abaissé les femmes et élevé les hommes. Ce n’est pas la nature, mais la société de classes, qui a volé aux femmes leur droit à prendre part aux plus hautes fonctions de la société et qui a choisi de mettre l’accent sur leurs fonctions animales liées à la maternité » ([31]), alors on comprend mieux que l’éducation est inexorablement l’une des solutions pour que les femmes africaines connaissent leurs droits fondamentaux, s’épanouissent, font face aux inégalités sociales, sortent de l’emprise de la pauvreté et participent au développement durable de l’Afrique. 

Valèse Mapto Kengne note que « La scolarisation, l’éducation et la formation sont à la fois une nécessité et une contrainte pour l’évolution des pays en développement, car le développement durable exige l’accès au savoir et à la culture moderne et technologique » ([32])Comment les femmes africaines peuvent-elles faire face à l’inégalité des sexes, à la pauvreté, au complexe d’infériorité et au développement du continent si elles n’ont pas un minimum d’éducation ? Selon l’UNESCO, « Dans près de 10 Etats africains, 52 à 95% des filles n’ont pas accès à l’éducation du fait de la pauvreté » ([33]). Le faible niveau d’alphabétisation des femmes en Afrique subsaharienne est très élevé, surtout en milieu rural qu’en milieu urbain. Par conséquent, il constitue l’un des blocages pour le progrès de l’Afrique. Selon Divyanshi Wadhwa, experte en données, groupe de gestion de données sur le développement, Banque mondiale, « avec seulement le taux de 57%, c’est l’Afrique subsaharienne qui accuse le plus faible niveau au monde d’alphabétisation chez les femmes »[34]. Par exemple, entre les années 1990 et 2000, les statiques du taux d’analphabétisme en Afrique subsaharienne se présentent ainsi : « Au Tchad, l’analphabétisme touche 95% des femmes; au Rwanda plus de 57, 2%; en Centrafrique, 87,4% des femmes de plus 10 ans sont analphabètes en zone rurale et  56%  des femmes représentent la population analphabète en zone urbaine…» ([35])En substance, ces différents indicateurs montrent que la scolarisation des filles en Afrique subsaharienne reste un tabou, demeure une problématique. Car :

La scolarisation des filles demeure un problème en Afrique subsaharienne. Les indicateurs de scolarisation de l’Unesco et de la Banque mondiale, de même que les travaux sur la scolarisation des filles en Afrique subsaharienne en font foi. Selon les statistiques de l’Unesco, de l’Unicef et de la Banque mondiale, la scolarisation des filles dans les pays en développement accuse un retard d’au moins 30 ans par rapport à la scolarisation des filles dans les sociétés développées ([36]).

            L’analphabétisme des femmes est encore un phénomène croissant en Afrique subsaharienne, donc il accentue la situation de précarité pour le continent. Ce qui revient à dire que si les femmes ou les jeunes filles africaines subsahariennes croupissent au seuil de l’analphabétisme, alors il sera difficile qu’elles soient en concurrence avec les hommes sur le marché du travail, voire qu’elles s’épanouissent ou qu’elles sortent de la pauvreté. En effet, l’éducation est un facteur substantiel pour leur épanouissement, et leur insertion dans la vie active. Parce que la femme africaine est considérée comme la pièce charnière de la famille. Ce qui sous-entend qu’elle doit se cultiver pleinement, se former et se responsabiliser. Dans cette optique, il faut favoriser la scolarisation des jeunes filles dans les pays africains. Au final, l’objectif de cette action est de valoriser la pleine intégration sociale et économique de la femme, et de promouvoir l’égalité des chances. Claudine Bralet affirme :

L’éducation est un droit fondamental de l’enfant. C’est pourquoi, en 1989, la Convention sur les droits de 1’enfant a fait du droit de  l’enfant au développement et de l’universalisation de l’enseignement primaire en faveur des filles des objectifs prioritaires. Forte de cette Convention, la conférence panafricaine sur l‘éducation pour tous, tenue à Ouagadougou en 1993, a eu pour objectif de donner priorité à l’éducation des filles ([37]).  

Dans le cas contraire, une femme africaine qui n’est pas éduquée est non seulement un potentiel danger pour le patrimoine matrimonial, mais également pour le développement du continent africain. Pour Caroline Fink, dans L’éducation des femmes et le développement en Afrique subsaharienne, « L’éducation des femmes en Afrique subsaharienne est indispensable pour pouvoir façonner les fondements d’un développement durable et le plus équitable possible pour l’ensemble de la population » ([38]). Selon elle,

L’ensemble des organismes internationaux pointent le fait que les femmes sont des vecteurs considérables de développement au sein des pays en développement mais sont bien souvent victimes des coutumes, des visions de la société et des lacunes du droit, ce qui les empêche bien évidemment de pouvoir contribuer comme elles le devraient à l’augmentation de la croissance économique mais aussi du développement, ce qui prive la plupart des pays d’Afrique subsaharienne d’une hausse considérable du bien-être de la population de cette région d’Afrique ([39]).

Partant de là, les gouvernements africains subsahariens ont le devoir d’intervenir dans le processus d’éducation des femmes. Parce que l’éducation est un moyen efficace pour briser la muraille des genres. En contexte africain, elle permet aux femmes de comprendre non seulement les logiques économiques et sociales, mais également de saisir les ressorts de l’inégalité des sexes. Pourquoi ? Dans Le Deuxième Sexe, troisième partie, Simone de Beauvoir pense, en substance, que l’indépendance économique et sexuelle est essentielle pour l’émancipation de la femme en tant qu’un être humain autonome et responsable. Dans ces conditions, l’instruction est l’un des facteurs primordiaux permettant aux femmes africaines de comprendre cette nécessité d’accéder à l’autonomie, comme principe de la pleine réalisation de l’être féminin. Néanmoins, il va falloir mettre à contribution les moyens d’accompagnement pour la formation de ces femmes, afin de favoriser l’accès à l’éducation et à la promotion de la femme. C’est dans l’objectif de faciliter leur intégration dans le processus de développement en Afrique. Cela suppose donc de promouvoir efficacement les politiques d’alphabétisation des femmes africaines au travers le dynamisme et la volonté des actions publiques par le canal du Ministère des Affaires sociales et de la promotion de la femme, du Ministère de la solidarité, du Ministère de la culture, du Ministère de l’Éducation nationale, du Ministère de l’Économie et avec l’appui des organismes nationaux et internationaux (ONG).

 En outre, ces actions publiques peuvent s’appuyer sur les trois points centraux que nous supposons être nécessaires pour l’épanouissement de la femme africaine. D’abord, au niveau des jeunes filles à l’âge de la scolarisation, il faut promouvoir les formations universitaires et professionnelles (universités et grandes écoles) de qualité et à long terme, notamment sanctionnées par les diplômes de Licence, Master et Doctorat dans plusieurs domaines comme enseignement, magistrature, administration, économie, ingénierie, finance, médecine, banque, architecture, énergie, etc. Ensuite, au niveau des jeunes filles de plus de 25 ans avec Brevet d’Études du Premier Cycle et le Baccalauréat général, technologique et professionnel, valoriser les formations professionnelles de 2 à 3 ans en secrétariat, logistique et transport, gestion des ressources humaines, communication, enseignement 1er degré, techniciens, etc (avec les diplômes de BTS, DUT, et autres.). 

Et enfin, au niveau des jeunes filles et femmes analphabètes, mettre en place les cours d’alphabétisation magistraux, suivis des formations professionnalisantes dans les centres de formation, en particulier dans les métiers tels que la couture, la coiffure, le commercial, l’agriculture, l’artisanat, la restauration, l’entretien, conduite, la mécanique, la soudure, etc. Ce processus de formation doit aussi prendre en compte les jeunes filles et femmes africaines qui sont dans les zones rurales, en tenant compte de la planification familiale. Au final, ces différentes formations ne doivent pas faire l’objet d’un aboutissement de l’association des chômeurs, comme c’est le cas dans bon nombre de pays africains, mais plutôt elles doivent obéir à la politique d’insertion centrée sur la formation-emploi. Ce qui permettra sans doute d’assurer à chaque pays africain un développement durable, et l’égalité des genres en matière d’éducation et d’emploi. Par conséquent, dans la mesure où les femmes africaines subsahariennes ont d’énormes potentiels pour booster le développement en Afrique. Par exemple, dans le domaine de l’agriculture, les femmes africaines produisent des denrées alimentaires destinées dans la vente du marché local. D’après Valentine Ambert, « En Afrique subsaharienne, les femmes produisent jusqu’à 70% (voire 80% en Afrique centrale selon la FAO) des denrées alimentaires destinées à la consommation des ménages et à la vente sur les marchés locaux. Elles répondent à une demande alimentaire croissante face à la démographie galopante du continent » ([40]).

Ainsi, pour augmenter la production et maximiser les ventes, non seulement dans le domaine de l’agriculture, mais aussi dans d’autres domaines, les femmes africaines devraient se constituer en association ou en coopérative. A cet effet, celles-ci doivent avoir pour capital les revenus générés par les cotisations mensuelles ou annuelles de leurs membres. A cela s’ajoute les revenus de ventes et subventions financières et matérielles venant des partenaires nationaux et internationaux. 

IV. Le défi politique

         Dans certains pays d’Afrique subsaharienne aujourd’hui, les jeunes filles africaines sont de plus en plus nombreuses à fréquenter les universités et grandes écoles. A ce titre, Valentine Ambert affirme : « De nos jours, pour la première fois, on voit dans un certain nombre d’universités africaines presque autant de filles que de garçons » ([41]). Malgré les préjugés sociaux, cette ouverture au monde du savoir, comme partout ailleurs, permet effectivement de voir que les femmes africaines réussissent dans de nombreux domaines tels que le droit, l’économie, le journalisme, l’enseignement, la médecine, l’ingénierie, etc. Ce qui sous-tend que l’Afrique regorge maintenant de femmes universitaires hautement diplômées, qualifiées et responsables. Mais dans le domaine politique, en dépit des avancées significatives dans certains pays africains, la présence et la participation de femmes dans les instances politiques sont encore hétérogènes, voire insignifiantes, dans l’ensemble du continent. D’après Léa Masseguin, « Avec une moyenne régionale de 23,9% de femmes au Parlement (chambre unique ou basse), l’Afrique subsaharienne se place à la 5e place du dernier classement d’ONU Femmes et l’Union interparlementaire (UIP) derrière les pays nordiques, l’Amérique et l’Europe (pays nordiques inclus et non inclus) » ([42])Pour Laurence Rossignol, « la présence des femmes en politique est loin d’être une évidence et ne résulte pas d’un processus naturel » ([43]). Cette présence de moins en moins de femmes dans les gouvernements et parlements africains montre en suffisance qu’elles demeurent encore marginalisées dans le domaine politique. A cet égard, il reste encore beaucoup à faire : « Certains Etats comptent moins de 5% de femmes parlementaires comme la Mauritanie, Madagascar ou le Niger » ([44]). En effet, il faut noter que : 

Malgré le fait que six pays africains figurent dans le top 20 des pays comportant le plus de femmes au sein de leur Parlement, la participation des femmes au processus politique est encore très faible dans de nombreux pays. Le Mali, la Centrafrique, le Bénin, le Swatini, les Comores et le Nigeria sont les États africains les moins avancés en matière d’égalité entre les femmes et les hommes au sein de la sphère politique ([45])

          Selon les données du groupe de la Banque africaine de développement, la présence des femmes dans les sphères politiques et gouvernementales en Afrique a connu une évolution significative :

La proportion des femmes ministres est passée de 4% à 20%, avec l’Afrique du Sud (45 %), le Cap-Vert (36 %) et le Lesotho (32 %)9 en tête. Au niveau parlementaire, le Rwanda compte près de 60% de femmes et en Afrique du Sud près de 50% des représentants sont des femmes, d’autres pays comme la Namibie, le Burkina Faso, la Tanzanie, le Burundi, l’Ouganda ont près de 30% de femmes. Cette place est déterminante car, c’est là que se joue le changement politique. En Afrique du Sud, les femmes parlementaires ont réussi à faire légaliser l’avortement et pénaliser la violence familiale. En Ouganda, elles ont contribué à l’adoption d’une loi faisant du viol un crime passible de la peine capitale. Même l’investiture suprême a été conquise : au Libéria, au Malawi,  les chefs d’Etat sont des femmes ([46]).

         Ces données illustrent manifestement qu’il est temps que les femmes africaines subsahariennes s’impliquent davantage dans l’organisation politique du continent. Pour ce faire, les gouvernements africains doivent faciliter les mécanismes d’insertion. De plus, les femmes africaines, elles-mêmes, doivent se battre pour accéder à une éducation de qualité, afin de s’imposer dans le leadership ou dans la politique. C’est par l’éducation que l’Afrique a eu de femmes d’affaires, diplômées, militantes féministes qui influencent aujourd’hui le domaine politique. 

Selon Catherine Coquery-Vidrovitch, c’est effectivement l’idéal qui anime les femmes africaines actuelles : « Des femmes d’action, militantes féministes ou femmes d’affaires, cherchent à influer dans le domaine législatif et politique »[47]. Ainsi, il y a quelques femmes africaines qui ont montré le chemin de la réussite dans le domaine de la politique en Afrique. En l’occurrence, Ellen Johnson Sirleaf, qui est la première femme à diriger un pays africain, le  Libéria (2006-2018). Joyce Benda est la deuxième femme à diriger un pays africain, le Malawi (2012-2014). Rose Francine Rogombé, ancienne Présidente du Sénat et présidente par intérim au Gabon en 2009 après la mort d’Omar Bongo Ondimba. Nkosazana Dlamini-Zuma, après plusieurs postes ministériels occupés en Afrique du Sud, est devenue la première femme à diriger la Commission de l’Union Africaine en 2008 succédant au Gabonais Jean Ping. Judith Suminwa Tuluka est devenue la première femme cheffe du gouvernement en République Démocratique du Congo, le 01 avril 2024. L’Afrique a plusieurs potentiels féminins qui excèdent en politique, dans leadership féminin et dans d’autres domaines. Mais que les jeunes filles africaines subsahariennes sachent que l’éducation est l’antichambre de cet essor.  

Conclusion

Au terme de cette analyse, il sied de retenir qu’au-delà des stéréotypes et le préjugé de supériorité masculine, il y a surtout le déficit d’éducation qui constitue l’un des blocages de l’épanouissement de la femme africaine subsaharienne. Ce difficile accès à l’éducation, voire ce phénomène de la déscolarisation ou de l’analphabétisme chez les filles africaines, a plusieurs causes, notamment la pauvreté qui sévit les familles africaines. Chez les filles (battantes et assistées) dont les familles sont pauvres et non instruites, il est difficile d’accéder à l’éducation. Dans la mesure où « avec relativement peu de moyens financiers et d’appui familial, ces filles doivent se débrouiller et concevoir des solutions inédites afin de triompher de l’adversité » ([48]).

Parfois, certaines abandonnent complétement l’école tôt, et d’autres n’y sont jamais allées. Alors que chez les filles (héritières) dont les familles sont instruites et opulentes, il y a plus de chances de persévérer dans les études : « les parents instruits ont de meilleures chances de voir leurs filles, des héritières, persévérer dans leurs études » ([49]). En l’occurrence, la pauvreté affecte les femmes africaines de multiples façons, à savoir : l’incapacité d’accéder à l’éducation et le sentiment d’impuissance face à certains défis, en ce qui concerne la réalisation de leurs projets à court et à long terme. 

Mais il faut noter que celle-ci (pauvreté) est due partiellement aux inégalités sociales et au manque d’opportunités financières auxquelles les femmes africaines font face actuellement. Comment pourraient-elles aspirer aux meilleures conditions de vie si elles sont pauvres (sans formation, éducation et emploi) ? On estime que l’Afrique subsaharienne possède un capital humain exceptionnel, parmi lequel le féminin. C’est pourquoi, les gouvernements africains gagneraient à penser inéluctablement l’engagement des femmes africaines dans la redynamisation économique, sociale, culturelle et politique. C’est une organisation étatique qui intègre le principe d’égalité des genres, et donc favorisant l’essor éducatif, économique et social de la femme africaine. Gouverner ainsi donnerait naturellement la possibilité aux pays africains d’éradiquer la pauvreté, mais aussi d’amorcer respectivement le véritable développement durable en Afrique. 

 Dès lors, si on part de l’idée selon laquelle certains anciens grecs (Platon, Xénophon, Aristote) considéraient l’économie comme une science relevant de l’activité ou de la gestion familiale, alors les femmes africaines, étant les gouvernantes des foyers, assumeraient logiquement et mieux les charges économiques, sociales et politiques dans les pays africains. Plus précisément, les femmes ont la capacité de gestion administrative conséquente, et un véritable sens organisationnel. Toutefois, l’accès à une éducation de qualité est la clé pour booster ce potentiel féminin. Dit autrement, la formation est une voie salvatrice pour l’accomplissement des femmes africaines, donc elle est l’unique voie du progrès de la femme. N’est-ce pas « le bonheur s’accroît lorsque la qualité de la vie peut être améliorée grâce à divers moyens techniques et, en particulier, grâce à l’éducation » ([50]) ? Si l’égalité entre les sexes est aussi une question de pouvoir, alors les femmes africaines subsahariennes auront la pleine responsabilité de lutter pour leur leadership, voire pour leur réussite. Parce que le pouvoir ou la réussite n’est pas acquis d’emblée, mais c’est le fruit d’un long processus impliquant de nombreux efforts et sacrifices. Chez les filles africaines « battantes, la scolarisation est vécue dans le sacrifice, la souffrance et l’impuissance » ([51]). Comme pour dire, « On ne naît pas femme, on le devient » ([52]). En somme, on comprend mieux que nonobstant l’hégémonie masculine, l’avenir de l’Afrique subsaharienne sera entre les mains des femmes : « Multiple et indivisible, l’Afrique sera sauvée par les femmes. […] à Dakar, Bamako, Harare ou Naïrobi. À Djibouti, […] elles s’impliquent plus dans les grands dossiers sociaux – éducation, santé […] Éduquez les femmes, poussez-les vers l’instruction […] » ([53]).

 Christian Dior MOULOUNGUIphilosophe, enseignant de philosophie et doctorant à l’Université Omar Bongo (Gabon),cdmouloungui@gmail.com

Indications  bibliographiques 

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Wadhwa, Divyanshi,  2019, « Alphabétisation des femmes : des progrès, mais toujours pas de parité », Banque mondiale, blog de donnéess, 22 p. 


[1] Simone de Beauvoir, Le Deuxième sexe, les extraits publiés dans Paris  Match, n° 20, 6 août 1949. In La philosophie magazine/Hors-Série, XXsiècle : Les philosophes face à l’actualité, Paris, août-septembre 2008, p. 58. 

[2] Victor Hugo, Discours de commémoration de l’abolition de l’esclavage, 18 mai 1978Voir « Discours sur l’Afrique » de 1879, actes et paroles, Laffont, collection Bouquins, tome 4, p. 1010, cité par Seillan J. m., Aux sources du roman colonial. L’Afrique à la fin du XIXsiècle, Éditions Karthala, 2006, p. 14.

[3] Victor Schœlcher, journaliste et homme politique français, est considéré comme le père de l’abolition d’esclavage en France. Voir « Victor Schœlcher (1804-1893) – Une vie, un siècle [archive] », sur senat.fr (consulté le 23 mars 2024). 

[4] Emmanuel Debono et Stéphane Nivet, « 18 mai 1879 : Victor Hugo se plante sur la colonisation », Mémoire et histoire, Licra, 18 mai 2021. 

[5] Yann Le Bihan « L’ambivalence du regard colonial porté sur les femmes d’Afrique noire », Cahiers d’études africaines, Éditions OpenEdition, 1 septembre 2006, p. 513.

[6] Ibid., p. 513.

[7] Nous relevons ici le caractère contraignant de la femme dans la société africaine traditionnelle, qui perdure aujourd’hui. Celui-ci pense que le prestige d’une femme  ou épouse se mesure au foyer. Notamment, au nombre d’enfants procrée, qu’elle donne au lignage, surtout dans le système patrilinéaire. Mais aussi à la soumission aliénante au mari, les droits à l’éducation compromis et allant uniquement dans le sens de promouvoir la domination masculine, adepte des travaux champêtres et ménagés, etc. Pa ailleurs, il faut maintenant voir la femme africaine subsaharienne comme les êtres disposant de plusieurs potentiels, et donc capables de s’affirmer. 

[8] Aradjouman Modeste Boro, « La place de la femme dans le système traditionnel africain », Institut Supérieur Privé de Philosophie, Éditions Maison Lavierie, 03 juin 2014.  

[9] Fatou Sarr, « Féminisme en Afrique occidentale ? Prise de conscience et luttes politiques et sociales », in Vents d’Est, vents d’Ouest : Mouvement de femmes et féminismes anticoloniaux, Genève, Éditions Graduate institute Publications, 2009, p. 1.

[10] Rameline Kamga, « Le leadership réside en la capacité de provoquer le changement grâce à une motivation positive », Magazine Femme, n° 40, août 2012, p. 2

[11] L’Afrique subsaharienne a connu l’esclavage entre 1500 et 1900. 

[12] Depuis la conférence de Berlin de 1884-1885, le continent africain est divisé en colonies appartenant à des pays européens. Voir Elizabeth Heath, Berlin Conference of 1884–1885 : Meeting at which the major European powers negotiated and formalized claims to territory in Africa; also called the Berlin West Africa Conference., Henry Louis Gates, Jr. and Kwame Anthony Appiah (ISBN 978-0-199-73390-3).

[13] La ségrégation est une politique de la discrimination raciale mise en place au sein d’une nation. Celle-ci consiste à séparer physiquement les personnes selon les critères raciaux. C’est aux États-Unis entre 1877 et 1964  elle a été mise en place. En effet, selon le régime socio-juridique que les États-Unis ont connu à partir de la fin de la guerre de sécession en 1865, les Noirs ont été séparés des Blancs. Martin Lutter King (1929-1968), une légende de la lutte des droits civiques, à travers les manifestations pacifiques, a mené une lutte farouche contre la ségrégation  aux États-Unis. Il est assassiné  le 4 avril 1968. Sans oublier aussi Malcom X, l’une des figures emblématiques du mouvement noir de la lutte pour les droits civiques assassiné le 21 février 1965.  

[14] En politique, l’apartheid une gouvernance qui tend à séparer les groupes sociaux ou ethniques. En Afrique du Sud, elle a permis de mettre en place la séparation des Blancs et des Noires, comme deux groupes sociaux distincts entre 1948 et 1994. Nelson Mandela en est une figure emblématique pour la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud. Il a été emprisonné pendant 27 ans pour sabotage et conspiration dans le but de renverser le gouvernement. 

[15] Jacques Brasseul, « Colonisation », in Histoire économique de l’Afrique tropicale, 2016, p. 297-335.

[16] Voir Patrice Elie Dit Casaque, « Esclavage, femme, noire : la triple discrimination », Histoire, Le portail des Outre-mer (la 1ere.francetvinfo.fr), 9 mai 2020.  

[17] Patrice Elie Dit Casaque, Op. cit.

[18] Angeles Jurado, « Comment le féminisme est-il représenté en Afrique ? », Esglobal, 31 décembre 2020.  

[19] Lire à ce sujet, Catherine Coquery-Vidrovitch, Les Africaines. Histoire des femmes d’Afrique subsaharienne du XIXe au XXsiècle, Paris, Éditions La Découverte, 2013, p. 7. 

[20] Patrice Elie Dit Casaque, Op. cit.

[21] Makhtar Diop, « Les femmes en Afrique : un formidable atout dans la lutte contre la pauvreté », Nasikiliza, 29 janvier 2015.  

[22] Patrice Elie Dit Casaque, Op. cit

[23]Evelyn Reed, « De l’infériorité commemythe », in La philosophie magazine / Hors-Série, XXe siècle : Les philosophes face à l’actualité, Paris, août-septembre, p. 59.  

[24] Simone de Beauvoir, Le Deuxième sexeOp. cit., 58.

[25] Ibid., p. 58.

[26] Ibid., p. 59.

[27] Ibid.

[28] Ibid.

[29] Lire à ce sujet, UNICEF, À l’occasion de la Journée internationale de l’enfant africain, Adis Ababa, Dakar, Nirobi, New-York, 16 juin 2022.

[30] Ibid.

[31] Evelyn Reed, « De l’infériorité comme mythe », in La philosophie magazine / Hors-Série, XXe siècle : Les philosophes face à l’actualité, Paris, août-septembre, 2008.

[32] Valèse Mapto Kengne, Thèse de Doctorat  int:itulée : Les filles sur le chemin de l’enseignement supérieur en Afrique subsaharienne : analyse de leurs trajectoires, représentations sociales de l’école et résilience à travers leurs récits biographiques, soutenue en février 2011 à l’Université de Montréal (Canada), Faculté des sciences de l’éducation, Département d’administration et fondements de l’éducation. Voir résumé (p. iii).)

[33] Voir UNESCO, L’éducation des filles-les faits. Rapport mondial de suivi sur l’EPT. Fiche d’information, [en ligne], octobre 2013, p.2-3, disponible sur http://fr.unesco.org/gem-report/sites/ gem-report/files/girls-factsheet-fr.pdf, (consulté le 27/04/2024).

[34] Divyanshi Wadhwa,  « Alphabétisation des femmes : des progrès, mais toujours pas de parité », Banque mondiale, blog de données, 05 septembre 2019.

[35] Makhoumy fall, « Qui et où sont les analphabètes? Afrique sub-saharienne  francophone », Education for All Global Monitoring Report, UNESCO, 2066,  p. 4-7.

[36] Valèse Mapto Kengne, Thèse de Doctorat, Op. cit., p. 8.

[37] Claudine Bralet, « Les femmes, l’éducation et l’eau en Afrique, Paris, UNESCO, 2000.  

[38] Caroline Fink, « L’éducation des femmes et développement en Afrique subsaharienne », HAL open science, Economies et finances. 2011, p. 27.

[39] Ibid., p. 27.

[40] Voir Valentine Ambert, « Afrique : le rôle sous-estimé des femmes dans le développement », Youmetter, 31 août 2021.

[41] Ibid.

[42] Léa Masseguin,« Les femmes en politique : une participation inégale sur le continent en 2019 », Société, Jeuneafrique, 3 mai 2019.  

[43] Laurence Rossignol, « Les femmes en politique », in Après-demain, Paris, Éditions Fondation Seligmann, 2013, p. 25.

[44] Voir Afrique Renouveau, « La lutte des femmes pour l’égalité », disponible sur http://www.un.org/africarenewal/fr/magazine/july-2005/la-luttedes-africaines-pour-légalité, (consulté le 27/04/2024).

[45] Léa Masseguin, Op. cit.

[46] Nisrine Eba Nguema, « Etre une femme africaine aujourd’hui ».

[47] Catherine Coquery-Vidrovitch, (« Les femmes en devenir en Afrique subsaharienne », Paris, Éditions Fondation Gabriel Péri, in La Pensée, 2015, p. 58.

[48] Valèse Mapto Kengne, Thèse de DoctoratOp. cit., p. iv.

[49] Ibid.

[50] Claudine Bralet, « Les femmes, l’éducation et l’eau en Afrique » ? Op. cit.

[51] Valèse Mapto Kengne, Op. cit., p. iv.

[52] Simone de Beauvoir, Deuxième Sexe, Op. cit., p.  58.

[53] Monga (2007 : p. 188). Célestin Monga, C. (2007).  Un Bantou à Washington, un Bantou à Djibouti, Paris, Éditions  P.U.F., 2007, p. 188.

Mouvements sociaux en Afrique : Comment la société civile s’est imposée comme une actrice majeure de la régulation du champ politique

Par Mamadou Lamine FALL, docteur en Sciences politiques à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, spécialiste en coopération internationale pour le développement, la coopération Nord-Sud et la paix et la sécurité internationale.

Résumé 

L’hostilité grandit à l’égard de l’influence des puissances étrangères sur les économies africaines. Des mouvements comme France Dégage axent leur lutte dans ce sens : « Ce slogan vise la France institutionnelle qui en collusion avec le capitalisme, vampirise les peuples ici en Afrique francophone et ailleurs – Comment pouvons-nous vivre la souveraineté monétaire pendant que notre monnaie est frappée en France » ?[1]

Cette hostilité est l’une des raisons pour lesquelles les mouvements sociaux se multiplient  en Afrique ces dernières années mais ce n’est pas l’unique raison. Au plan interne, la gabegie et la gestion chaotique du pouvoir poussent les citoyens et les organisations de la société civile à interpeller les gouvernants sur leur attitude irresponsable. Il s’agit là, d’une question cruciale parce que la gestion du pouvoir est une affaire de tous. Il est nécessaire d’avoir des acteurs neutres capables de réguler le champ politique pour garantir l’ordre, la justice et la cohésion nationale. La société civile apparaît ainsi comme un maillon essentiel dans la pacification du jeu politique, si et seulement si, elle assume sa mission de manière autonome et objective.

Mots clés : Société civile, transparence et parti politique.

Introduction

La prolifération des organisations de la  société civile en Afrique constitue une preuve évidente du rejet des politiques des grandes puissances comme la France: « 
Au Mali, au Sénégal et plus récemment au Tchad, lors des mouvements de protestation, les jeunes du continent s’en prennent aux symboles de la présence française en Afrique ».[2]

L’ère des gestions unilatérales est révolu. Les pays africains abritent de plus en plus de mouvements issus de la société civile qui prennent en charge certaines questions ou doléances qui ne sont pas satisfaites par l’État. Nous ne sommes plus à l’époque des grandes dictatures, relais de ces puissances internationales, où il est quasiment impossible de porter certains combats au nom de la justice sociale et du partage équitable des ressources. Les gouvernements africains sont désormais surveillés comme du lait sur le feu. Il n’est plus permis de dicter une politique ou une vision aux gouvernés. La gestion participative devient un levier fondamental pour la réussite de tout projet de société. 

Nous sommes ainsi loin de l’époque où la France imposait ses dirigeants aux pays francophones, comme le note Banncel Nicolas : « C’est largement au moment de la transition vers les indépendances qu’a été mis en place un système de formation et de sélection des élites africaines susceptible de préserver les intérêts de l’ancienne métropole et de conserver ses principales prérogatives, malgré la décolonisation. Tout était alors en place pour que soit maintenue la connivence entre le première génération de dirigeants, puis les suivantes, et les autorités françaises ».[3]

En conséquence, les populations africaines veulent désigner leurs propres leaders en toute autonomie et en toute liberté sans l’ingérence d’un pays tiers comme la France. C’est ce qu’on peut noter dans les propos du Malien Issa Ndiaye lors d’une interview accordée aux journalistes de la BBC sur le sentiment anti-français en Afrique: « Je pense que ce rejet de la politique française vient essentiellement de là. On a le sentiment que ceux qui sont au pouvoir dans nos différents pays en Afrique le sont par la volonté de la France. Et ils sont maintenus au pouvoir par le fait de la puissance française. Et qu’il n’ont pas de légitimité populaire en dehors de cela », dit-il ».[4]

Il s’avère nécessaire maintenant de définir la notion de société civile et pour cela, nous allons citer la définition de la Banque Africaine de Développement concernant ce concept: « La société civile recouvre un ensemble d’activités humaines et associatives qui s’opèrent dans la sphère publique en dehors du marché et de l’Etat. Elle est la libre expression des intérêts et aspirations de citoyens organisés et unis autour d’intérêts, d’objectifs, de valeurs ou de traditions, et mobilisés pour mener des actions collectives en tant que bénéficiaires ou parties prenantes au processus de développement. Bien que la société civile se démarque de l’Etat et du marché, elle n’est nécessairement pas en contradiction avec eux. En dernière analyse, elle exerce une influence sur ces deux entités qui l’influencent en retour ».[5]

Toujours dans cette même logique de conceptualisation, la notion de mouvements sociaux fait référence à une dynamique de groupe tendant vers le changement social, comme le souligne l’historien Alain Touraine.Il définit le mouvement social comme « une action collective des individus en vue d’un changement social ; cette action est destinée à contrôler les orientations sociales de leur environnement. C’est le dépassement du mouvement contestataire du groupe, et la mise en cause du pouvoir et de sa domination ».[6]

En outre, les mouvements  populaires constituent une réponse significative aux nombreux problèmes dont souffrent les citoyens africains à savoir : la pauvreté, le sous-développement, l’insécurité, l’endettement, la dépendance vis-à-vis de l’aide etc. 

Par ailleurs, les mouvements anti-français montent au créneau pour dénoncer l’attitude de la France dans le fonctionnement et l’organisation des pays francophones, comme nous pouvons le constater dans les mots de l’écrivain Boubacar Boris Diop: « l’arrivée à maturité d’une génération qui ne se sent pas concernée par ce que la France a pu représenter pour ses aînés, qui regarde de moins en moins vers elle»[7]

Cela dit, l’analyse de ce thème pose une question essentielle à savoir : Comment décrire la trajectoire et le rôle des mouvements sociaux africains ? Le sens de ce questionnement influencera nos futures approches. Dans un souci méthodologique, nous allons nous appuyer sur des postulats théoriques et pratiques pour élucider notre démarche. L’étude de ce thème fait appel à des considérations épistémologiques, mais elle se focalise aussi sur des exemples concrets concernant les actions menées par les mouvements sociaux en Afrique.

  1. Genèse des mouvements sociaux

Dans cette partie, l’étude sera orientée vers la naissance des mouvements sociaux en Afrique. Nous allons ainsi tracer l’origine de ces mouvements dans deux périodes à savoir : les mouvements sociaux des années 60 et les mouvements sociaux des années 90

A/ Les mouvements sociaux des années 60

Contrairement à ce qu’on pense, l’origine des mouvements sociaux remonte bien longtemps en Afrique, dès les années 60. Il faut savoir que le contexte était très particulier dans la mesure où, les sujets de revendication portaient sur l’occupation coloniale comme le souligne Thomas Deltombe : « Partout en Afrique, des syndicats, des associations, des intellectuels, des partis politiques réclament l’égalité de traitement et la fin du racisme ».[8]

Les pays africains étaient sous le contrôle de la puissance coloniale. Cette puissance imposait sa culture, contrôlait l’administration et s’adonnait au pillage des ressources comme l’explique l’historienne Samia ElMechat : « Tout d’abord, l’administration coloniale est dotée d’instruments de commandement et de contrôle lui permettant d’asseoir la domination coloniale. Il n’existe pas de contrepoids véritable au pouvoir qui lui est dévolu, aucune limitation ne venant faire obstacle à cette concentration du pouvoir administratif »[9]

Cette situation étant devenue intenable, c’est pour cette raison que nous avons assisté à l’apparition des mouvements de lutte et de contestation contre l’occupation coloniale. 

Ainsi, plusieurs mouvements populaires ont vu le jour et les relations entre les puissances coloniales et les mouvements de contestation étaient devenus alors plus tendues et plus difficiles. Nous allons mentionner, ici l’attitude des mouvements étudiants anticoloniaux selon Pascal Bianchini: « Pour résumer cette tentative très brièvement, j’ai distingué trois âges dans l’histoire des mouvements étudiants africains : celui de l’anticolonialisme, notamment, dans le cadre du militantisme diasporique de la West African Students’ Union (Wasu) et de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (Feanf), celle de l’anti-impérialisme, avec une effervescence militante, liée au développement d’organisations de la gauche révolutionnaire de la fin des années 1960 jusqu’au début des années 1980, et enfin celui des luttes contre l’ajustement structurel et pour la démocratisation des régimes africains durant les années 1990 en particulier ».[10]

En clair, l’indépendance des pays africains a été portée par les mouvements des étudiants africains en France. Il s’agit de l’Association des Étudiants du Rassemblement Démocratique Africain (AERDA) dirigée par  Cheikh Anta Diop et la Fédération des Étudiants d’Afrique Noire en France (FEANF) comme le souligne Nicolas Bancel en ces termes : « Enfin, Nicolas Bancel a proposé une analyse de cette période en croisant histoire institutionnelle des élites et histoire culturelle de la jeunesse. Il repère deux phases dans le mouvement étudiant, la première entre 1946 et 1956 marquée par une diversité d’associations et la seconde, à partir de 1956, caractérisée par l’unification du mouvement au sein de la Fédération des étudiants d’Afrique noire en France (FEANF). Tout en reconnaissant que l’AERDA reste mal connue, il note que cette association, durant la première période, est « l’un des creusets de la formation politique des militants nationalistes étudiants ». [11]

Beaucoup de membres issus de ces mouvements anticoloniaux ont finalement crée des partis politiques, c’est le cas de Cheikh Anta Diop avec sa formation politique dénommée, Rassemblement National Démocratique (RND), créée en 1976 et légalement reconnue en 1981. Il en est ainsi pour le parti de Majhemout Diop, le (PAI) Parti Africain de l’Indépendance, crée en 1957.

Toutes ces raisons mentionnées ci-dessus, montrent clairement que les mouvements sociaux ne datent pas d’aujourd’hui contrairement aux idées reçues. 

B/ Les mouvements sociaux après les années 1960

La trajectoire des mouvements sociaux est à tracer dans le temps, car un phénomène marquant est venu changer la donne. Il s’agit de trois événements majeurs. 

Le premier est que les mouvements sociaux de l’époque coloniale ont finalement vu leur lutte être couronnée de succès puisque la grande majorité des pays africains ont accédé à l’indépendance dans les années 1960. Les mouvements populaires disparaissent pour devenir des partis politiques. C’est le cas de l’Algérie avec  le Front de Libération National (FLN) qui a  participé activement à l’indépendance de ce pays maghrébin. Le FLN prend la connotation d’un parti politique après l’indépendance de l’Algérie comme le mentionne le  sociologue algérien Nacer Djabi: « Durant les trois premières décennies de l’Algérie indépendante, le mouvement associatif national s’est réduit comme peau de chagrin. Suspecte aux yeux du parti unique, la société civile se résumait alors aux « organisations de masse », qui n’étaient rien d’autre que des satellites du FLN. En 1987 toutefois, le pouvoir lâche du lest, et l’Algérie s’inspire de la fameuse loi française de 1901 pour réglementer l’activité associative. Vingt ans plus tard, la société civile s’impose chaque jour un peu plus comme un partenaire essentiel des autorités dans l’élaboration des politiques publiques et la prise de décisions ».[12]

Le deuxième point concerne la lutte des années 1980 avec les politiques d’ajustement structurel des institutions de Breton Woods,  Les dirigeants des pays africains nouvellement indépendants sont considérés comme des mauvais gestionnaires des ressources publiques dans la mesure où, ils ont mal géré les fonds alloués par la Banque Mondiale et le FondsMonétaire International pour construire le développement économique du continent. Cette situation a conduit les bailleurs de fonds à promouvoir une gestion inclusive et participative dans la gouvernance des ressources publiques.. C’est dans ce contexte que les organisations de la société civile se créent un peu partout en Afrique pour garantir la transparence dans la mise en oeuvre des projets et programmes de développement: « 
À partir des années 1980, avec la crise de l’État « développementaliste » et les premiers plans d’ajustement structurels, les pays africains deviennent plus dépendants de l’aide publique internationale et aussi des modèles d’organisation occidentaux. En 1989, le « consensus de Washington » impose, à travers les grands bailleurs de fonds, une vision néolibérale qui vise à étendre le rôle du marché et à restreindre celui de l’État. Dans le contexte du début des années 1990, le rôle politique des sociétés civiles africaines s’affirme comme le moteur des démocratisations, au point de surpasser celui des partis politiques dénoncés comme les refuges d’un personnel politique inamovible ».[13]

Le troisième point concerne le basculement des pays africains vers la démocratie dans les années 1990. Après l’indépendance, le parti unique qui reflétait le champ politique avec une opposition quasi inexistante, cède la place au multipartisme et au développement de la presse privée. Le pouvoir est devenu alors un objet de convoitise. Des élections libres et transparentes deviennent le seul moyen légitime pour accéder au pouvoir et les institutions publiques sont de plus en plus acculées par une opposition farouche et une presse écrite très critique. À cela s’ajoute, la naissance progressive des mouvements sociaux qui militent pour la plupart pour le respect de la démocratie et des libertés , comme on le remarque ici : « En Afrique, les luttes de démocratisation sont de plus en plus portées par des mouvements sociaux ».[14]

Par ailleurs, nous allons aborder le rôle de quelques mouvements populaires en Afrique.

Au Sénégal, on peut citer le mouvement « y’en a marre » crée en 2011 et le  Front pour une Révolution Anti-impérialiste, Populaire et Panafricaine « FRAPP-France Dégage » lancé en 2017 et qui est une coalition de 17 organisations militant pour les mêmes causes. Ces mouvements populaires ont été à l’origine de plusieurs manifestations et contestations contre la vie chère, la corruption et l’influence de la France dans les secteurs clés de l’économie.

En Ouganda, on peut citer l’exemple de Black Monday Movement composé d’ONG et d’organisations de la société civile. Ce  mouvement citoyen envahissait tous les lundis les grandes artères de Kampala pour dénoncer la corruption et la mauvaise gestion des deniers publics.

Au Congo, c’est le  même sentiment avec la coalition « Publiez ce que vous payez » qui mène des actions de contestation contre la corruption.

Enfin, au Burkina Faso, le « Balai citoyen » est un exemple concret, inspiré par le mouvement « y’ en a marre » du Sénégal, a été créé en 2013 pour porter le combat concernant la justice et la transparence dans la conduite des affaires publiques. 

C/ Les points de revendication des mouvements sociaux après les années 90

Il s’avère nécessaire de faire le point sur les points de revendication des organisations de la société civile.

Le domaine politique

Les mouvements de la société civile sont très regardants sur la bonne marche de la démocratie et ils interviennent dans presque tous les domaines de la vie sociale, comme on le souligne ici : «Les citoyens ne veulent plus être des observateurs passifs au sein des organisations de masse, mais veulent plutôt façonner les résultats et jouer un rôle plus actif et participatif dans les processus de prise de décision. Ainsi, les citoyens se réunissent en groupes locaux de manière spontanée et informelle – y compris via les médias sociaux – pour débattre et résoudre des problèmes spécifiques ».[15]

Ils jouent un rôle d’intermédiaire entre le pouvoir et l’opposition et tentent même parfois de réconcilier les deux camps en cas de conflit ou de crise politique. Le rôle de la société civile en tant que contre-pouvoir est fondamental. De même que la séparation des pouvoirs telle que théorisée par Montesquieu. Mais, cette séparation est de plus en plus remise en cause en raison de son caractère théorique. C’est pourquoi, la société civile joue un rôle indéniable dans ce sens. Non seulement, elle milite pour le respect de la séparation des pouvoirs, mais aussi, lutte pour la bonne marche de la démocratie. On peut citer entre autres, le respect du calendrier électoral, la tenue des élections libres et transparentes, l’indépendance de la justice etc. 

Enfin, la société civile en assurant son rôle, participe à la pacification de l’espace politique et du coup, son existence devient indispensable dans une démocratie.

Les autres thèmes de contestation

La mauvaise conduite des affaires publiques ainsi que les promesses électorales non tenues font naître des revendications tout azimut. Les thèmes de contestation sont de plusieurs natures. 

La mauvaise gestion des finances publiques est devenue un problème majeur en Afrique, surtout que les cas de détournement sont très fréquents, c’est le cas de l’Ouganda, comme on le remarque ici : « Les médias se font l’écho d’un rapport accablant du contrôleur général ougandais, accusant des fonctionnaires, y compris certains responsables au sein du bureau du Premier ministre, du détournement de quelque 15 millions de dollars. L’argent était destiné à des projets de développement dans le nord du pays, dévasté par une longue guerre civile. Lors d’une conférence de presse, le Premier ministre, Amama Mbabazi, reconnait qu’ « un vol massif » a eu lieu ».[16]

Les populations pensent que les hommes politiques s’enrichissent illégalement et le phénomène reste impuni: « Néanmoins, très rapidement, les nouveaux dirigeants ont réalisé les limites de leur pouvoir dans un tel cadre; c’est ainsi qu’à travers des théories apparemment nationalistes, mais souvent démagogiques, le contrôle de l’administration par le politique s’est répandu entraînant un dérapage budgétaire, le recul de la neutralité de l’administration et à la longue, le recul de la croissance. Cette situation qui a aussi créé de nouvelles ambitions politiques (la politique étant de plus en plus perçue comme l’échelle la plus courte vers l’enrichissement personnel) a entraîné l’instabilité politique, faute de réelle perspective d’alternance ».[17]

Ensuite, le pouvoir est vu comme une ascension sociale. Il suffit d’être dans un poste de responsabilité pour devenir riche à un rythme très rapide. C’est la raison majeure qui incite les acteurs de la société civile à jeter le discrédit sur les acteurs du pouvoir. La situation est beaucoup plus inquiétante lorsqu’on sait que la majorité des pays sous-développés ont un budget déficitaire. Le thème de la contestation semble être légitime puisqu’il dénonce ces pratiques malsaines qui ne font qu’aggraver la pauvreté et la précarité.

En outre, d’autres sujets brutaux sont couverts par la société civile, à l’instar de l’équité et la justice. En effet, dans un pays, où la justice est à deux vitesses, les cas de dénonciation d’un pouvoir judiciaire infaillible vont certainement se multiplier. C’est ce que nous observons dans la plupart des pays africains. C’est  ce qui ressort de l’enquête menée par Afrobaromètre sur l’indépendance de la justice en Afrique,  comme on le note ici : « Une enquête Afrobaromètre sur les institutions judiciaires a révélé que les tribunaux sont parmi les institutions suscitant le plus de méfiance en Afrique. Près de la moitié des personnes interrogées (43 %) font « pas du tout ou juste un peu » confiance aux tribunaux. Par ailleurs, 33 % des personnes interrogées pensent que tous ou la plupart des juges et des magistrats sont corrompus, et 54 % estiment qu’il est « difficile ou très difficile » d’obtenir de l’aide auprès des tribunaux. ».[18]

Enfin, la tenue des élections libres et transparentes fait défaut le plus souvent  en Afrique: « L’adage s’est appliqué à plusieurs élections africaines récentes où les citoyens se sont rendus aux urnes et ont vu le décompte de leurs bulletins de vote manipulés. Les commissions électorales ont annoncé des résultats invraisemblables, qui ont été immédiatement contestés. Les parties lésées ont été invitées à « aller devant les tribunaux » pour obtenir réparation, mais les juges ont rejeté leurs requêtes et confirmé le résultat favorable au président sortant, qui a été dûment investi. Les félicitations ont alors afflué de la part des dirigeants africains et étrangers malgré la fraude électorale avérée. Les récentes élections en République démocratique du Congo (RDC), au Zimbabwe, en Égypte, au Gabon, en Sierra Leone, à Madagascar et en Ouganda semblent avoir suivi cette tendance ».[19]

Généralement, le processus électoral est émaillé de conflits, c’est le point de vue du Bureau des Nations Unies pour  l’Afrique de l’Ouest et du Sahel (UNOWAS) sur la question dans une note publiée en 2017 : « La  violence électorale est déclenchée pendant la période électorale quand des parties en position de force ou de faiblesse constatent que l’autre partie établit de manière unilatérale les règles du jeu électoral qui la favorisent. Les sujets sur lesquels ce déclenchement est plus rapide restent : la mise en place du fichier électoral, la mise en place de l’administration électorale et les résultats électoraux. La violence électorale se manifeste par des actes tels que : la violation du cadre juridique ; les paroles blessantes ou indécentes ; les assassinats ; les coups et blessures entre supporters rivaux ; l’intimidation des adversaires, des électeurs ou des agents électoraux ; le bourrage des urnes ; l’exclusion de communautés »[20]

Comme, nous le savons, la composition de l’organe chargé d’organiser les élections pose beaucoup de problèmes. Les acteurs ne sont pas toujours d’accord sur la légitimité de certains membres de l’organe en question. Du côté du pouvoir, on tente de rassurer, mais on peine à convaincre et du côté de l’opposition, c’est l’amertume et la désolation. En dernier lieu, la société civile cherche à calmer le jeu en invitant les acteurs à discuter et s’entendre sur un minimum de consensus.  

Il en est de même après la proclamation des résultats, beaucoup de contestation sont notées pouvant même entraîner des scènes de violences indescriptibles. Les conflits post-électoraux sont visibles un peu partout en Afrique. C’est pourquoi, la société civile s’implique davantage dans tout le processus électoral pour garantir la transparence de celui-ci. Pour assurer la fiabilité des élections, les organisations de la société civile mènent une mission importante comme le mentionne Emmanuel Koukoubou en ces termes : « En somme, il est à retenir que si l’action de la société civile à l’intérieur de la CENA est difficile à appréhender, elle est particulièrement remarquable en dehors de la commission électorale. Dans cette posture, c’est un rôle de garant de la transparence des élections que les organisations de la société civile se sont attribuées ».[21]

Cette liste n’est pas exhaustive, la société civile s’intéresse à d’autres questions comme l’environnement, la protection des données personnelles, la justice sociale etc.

Ainsi, force et de constater que le rôle des mouvements sociaux est primordial pour le bon fonctionnement d’un pays. Le plus important, c’est qu’ils doivent assurer leurs missions avec indépendance et impartialité. Ils doivent rester à équidistance des parties. Souvent, on reproche à la société civile de prendre partie. Autrement dit, le pouvoir la considère comme une opposition alors que sa mission doit être celle d’un organe d’alerte et de sensibilisation. 

Bibliographie

[1] GUEYE Daouda, « À PROPOS DU CONCEPT « FRANCE DÉGAGE » », 02/08/219, disponible sur https://www.seneplus.com/opinions/propos-du-concept-france-degage

[2] LÔ Ndèye Khady & Bouboutou- BOUBOUTOU-POOS Rose-Marie « Sentiment anti-français « : quelle est son histoire en Afrique et pourquoi il resurgit aujourd’hui  »?, 28 mai 2021, disponible sur https://www.bbc.com/afrique/region-56971100

[3] Nicolas Banncel, « La voie étroite : la sélection des dirigeants africains lors de la transition vers la décolonpisation », Dans Mouvements 2002/3 (no21-22), p.28

[4] LÔ Ndèye Khady & Bouboutou- BOUBOUTOU-POOS Rose-Marie « Sentiment anti-français « : quelle est son histoire en Afrique et pourquoi il resurgit aujourd’hui « ?, 28 mai 2021, disponible sur https://www.bbc.com/afrique/region-56971100

[5] Document Banque Africaine de Développement et Fonds Africain de Développement, « COOPERATION AVEC

LES ORGANISATIONS DE LA SOCIETE CIVILE POLITIQUE ET DIRECTIVES », OESU, octobre 1999

[6] https://www.lemondepolitique.fr/cours/sociologie/contemporains/_alain_touraine.htm

[7] Fanny Pigeaud, « Manifestations et critiques de Bamako à Dakar Présence française en Afrique, le ras-le-bol », LeMondediplomatique.fr, Mars 2020 disponible sur https://www.monde-diplomatique.fr/2020/03/PIGEAUD/61500, consulté le 26 août 2021.

[8] Deltombe Thomas : « Afrique 1960, la marche vers l’indépendance », Le Monde- diplomatique, disponible surhttps://www.monde-diplomatique.fr/publications/manuel_d_histoire_critique/a5326

[9] https://books.openedition.org/pur/104279?lang=fr

[10] BIANCHINI Pascal, «  l’âge anticolonialiste à l’âge anti-impérialiste : Le rôle charnière de l’Union générale des étudiants ouest-africains (Ugeao) à Dakar (1956-1964) », Comprendre le Sénégal et l’Afrique aujourd’hui (2023), pages 497 à 517

[11] MOURE Martin (2023), « Cheikh Anta Diop, l’AERDA et le mouvement étudiant africain à Paris. Une autre Histoire des luttes pour l’indépendance de l’Afrique », Revue d’Histoire Contemporaine de l’Afrique, n° 4, 35-47, disponible sur : https://oap.unige.ch/journals/rhca/article/view/04mourre

[12] Djabi Nacer, «  Société civile », 22 août 2008, disponible sur https://www.jeuneafrique.com/115719/societe/soci-t-civile/

[13] QUANTIN Patrick « Le rôle politique des sociétés civiles en Afrique : vers un rééquilibrage », Dans Revue internationale et stratégique 2008/4 (n° 72), pages 29 à 38

[14]Akindèse Francis et Zina Ousmane, « L’État face au mouvement social en Afrique », Revue Projet 2016/6 (N° 355), pages 83 à 88

[15] Cristina Buzasu, « Le rôle de la société civile dans l’élaboration des politiques », 19 juin 2020

[16] Essoungou André-Michel, « Le réveil de la société civile  en Afrique » Afrique Renouveau, Décembre 2013

[17]ALAO Sadikou, « Société civile et bonne gouvernance »

[18] NANTULYA Paul, « La mainmise du régime sur les tribunaux en Afrique », 27 février 2024, disponible sur https://africacenter.org/fr/spotlight/la-mainmise-du-regime-sur-les-tribunaux-en-afrique/

[19] NANTULYA Paul, « La mainmise du régime sur les tribunaux en Afrique », 27 février 2024, disponible sur https://africacenter.org/fr/spotlight/la-mainmise-du-regime-sur-les-tribunaux-en-afrique/

[20] Bureau des Nations Unies pour  l’Afrique de l’Ouest et du Sahel (UNOWAS) « COMPRENDRE LA VIOLENCE ÉLECTORALE POUR MIEUX LA PRÉVENIR » 6 décembre 2017, disponible sur https://unowas.unmissions.org/fr/comprendre-la-violence-%C3%A9lectorale-pour-mieux-la-pr%C3%A9venir

[21]  KOUKOUBOU Emmanuel, « La société civile dans la transparence des élections », 21 Octobre , 2018

Salubrité urbaine: La ville de Douala fait sa mue avec l’opération ‘’Douala Clean City ! It’s Possible’’

Par Georgie Aurore Arlette Wondje Ngothy, Experte en mobilité urbaine et Directrice Adjointe de la Police Municipale et de la Sécurité en charge du Contrôle de la Circulation, de l’Occupation de la Voie et des Espaces Publics de la Ville de Douala.

Et Rodrigue Nana Ngassam, Docteur en Science Politique (Université de Douala). Chargé d’étude à la Cellule des Relations Publiques de la Division de la Communication et des Relations Publiques de la Ville de Douala.

Introduction 

Présenté officiellement le 23 octobre 2023 par le Gouverneur de la Région du Littoral, Samuel Dieudonné IVAHA DIBOUA aux différentes autorités de la ville de Douala, le programme ‘’Douala Clean City ! It’s Possible’’ a vu sa phase opérationnelle lancée le 31 octobre 2023 par le Maire de la Ville, Dr Roger Victor MBASSA NDINE sur toute l’étendue de la capitale économique du Cameroun. Il faut dire que ce programme arrive à point nommé tant la ville de Douala fait face à une insalubrité criarde qui dénature le décor urbain avec des tas d’immondices. Il s’affirme comme une opération de civisme et de restauration de la propreté urbaine afin de redonner à la ville de Douala, son lustre d’antan. 

Le casse-tête de la gestion des déchets à Douala 

La prise en charge des déchets est souvent un casse-tête pour les collectivités locales. Surtout lorsque l’on sait que la ville de Douala avec ses près de 4.000.000 d’habitants produit 2500 à 3000 tonnes de déchets chaque jour[1]. Si elle traîne cette fâcheuse réputation de dépotoir à ciel ouvert, ce n’est pas faute de déployer de sérieux efforts pour laver cet affront. La gestion des déchets ménagers préoccupe au plus haut point l’Exécutif Communautaire de la Communauté Urbaine de Douala et ceux des Communes d’Arrondissement.Le modèle de gestion des déchets qui s’appuie sur un partenariat public-privé ne permet plus d’assurer un service régulier de collecte et de traitement des ordures ménagères. L’entreprise Hygiène et Salubrité du Cameroun (HYSACAM) en charge de la collecte des déchets au Cameroun ne dispose pas d’assez de moyens pour procéder à leur enlèvement, à leur nettoyage ou à leur recyclage. La faible logistique de son matériel de collecte ne peut couvrir tous les interstices de la ville de Douala encore moins absorbée l’intégralité des déchets ménagers issus des ménages. 

Parallèlement, il faut dire que l’incivisme des populations est également un autre facteur aggravant de ce désordre urbain[2].  Amas d’immondices, stagnation d’eau pour cause de mauvais pavage, défaut d’entretien des conduites d’eau ménagères, mauvaise odeur des fosses et cabinets, saletés des murs, des espaces publics sont autant d’incivilités causées par des populations insouciantes ou inconscientes de la gravité de leur geste au quotidien pour la ville. Chaque jour, il faut balayer sans cesse entre les pieds des passants, débarrasser à toute heure les rues des tas d’immondices et objets les plus invraisemblables abandonnés sur le trottoir, verbaliser les incivilités. Et recommencer sans cesse nonobstant le coût financier dans un contexte de décentralisation où les collectivités territoriales décentralisées rencontrent des difficultés financières. D’où, il était important pour le Maire de la Ville, de reprendre la question des déchets en main afin de redonner un nouveau visage à la ville de Douala en y impliquant ses habitants. 

Repenser le mode de gestion des déchets avec ‘’Douala Clean City ! It’s Possible’’

Ce programme à l’allure d’opération ville propre a pour but de procéder, au balayage des voies et places publiques, au curage des caniveaux, à l’enlèvement et au transport des ordures ménagères et à la mise en décharge. Il consiste également au déguerpissement des occupations anarchiques et insalubres des emprises des voies publiques et à la sensibilisation des populations. Il faut dire qu’il fallait lancer une grande bataille de la propreté pour mettre fin à l’insalubrité constatée dans les quartiers, villages et cantons de la cité économique du Cameroun. Les engins, balais et uniformes des éboueurs écument à longueur de journée les rues de Douala pour enlever les encombrants qui s’y trouvent. Le spectacle du propre passe aussi par les ‘’Women Clean City’’, ces mamans qui ont pris l’initiative de mettre fin à la pollution de l’environnement par des déchets. Celles-ci balaient les carrefours, les trottoirs, les chaussées, les grandes artères de la ville pour montrer aux autres citadins que la propreté de la ville est une affaire de tous. Il s’agit aussi d’offrir un service sans interruption en mobilisant en permanence la propreté sur le terrain à peu près jour et nuit, les jours ouvrables, les dimanches et les jours fériés.

L’Exécutif Communautaire est conscient que le programme ‘’Douala Clean City ! It’s Possible’’ est une vitrine à laquelle il faut amener les populations à adhérer. A cet effet, des sensibilisations sont faites dans les quartiers, les marchés, les établissements scolaires pour éduquer les populations, les jeunes, les commerçants, les informer sur les bonnes pratiques en matière de gestion de déchets et les méthodes du tri sélectif pour favoriser le recyclage dans leur environnement. Apprendre à la population à assurer la salubrité de leur cadre de vie est une action noble que plusieurs citadins apprécient et exhortent le Maire de la Ville à avoir la main lourde contre les contrevenants qui enfouissent ou jettent les ordures au sol. Ce que l’on sait, c’est qu’il ne suffit pas de verbaliser pour obtenir des résultats. La coercition ne résout pas les problèmes, même si elle doit exister pour traiter certaines situations. D’où, l’implication des citoyens car, ils ne sont pas que des clients mais des habitants d’une ville de Douala qui aspire à un mieux-être, à un mieux-vivre à l’image des grandes métropoles modernes et attractives. 

Associer les populations pour un environnement salubre et agréable

Le premier niveau d’implication des usagers consiste à obtenir d’eux qu’ils ne salissent pas. Des campagnes régulières les y incitent : des spots sont diffusés dans les médias, des affiches collées dans les écoles, les panneaux publicitaires de la ville (Douala Clean City ! It’s Possible, interdiction de jeter les ordures au sol sous peine de sanctions ; Propreté de Douala. Ayons l’amour de notre ville etc.). Le Maire de la Ville ne ménage pourtant pas ses efforts et a, par exemple installés les comités de coordination du Programme ‘’Douala Clean City’’ dans tous les cinq arrondissements continentaux de la ville de Douala. L’objectif reste de sensibiliser et mobiliser les communautés locales pour embellir la ville et assurer une propreté durable dans chaque arrondissement. Comme l’a souligné le préfet du Wouri, la propreté ne peut être garantie sans l’appui et le soutien de la population : « Aujourd’hui, nous observons bien à l’évidence que nos seules villes et communes ne peuvent pas valablement porter cette vaste opération si elles n’ont pas l’appui, le soutien des populations… Il est important que cette propreté commence par des simples citoyens que nous sommes »[3].

Demander la participation des usagers vise aussi à optimiser les dépenses. Dans un contexte de décentralisation qui voit les compétences des collectivités territoriales décentralisées augmenter, celles-ci connaissent des difficultés financières qui les conduisent à une gestion davantage « managériale » des services urbains. Elle passe par exemple par une production de services urbains plus flexibles, donc mieux adaptés aux demandes. Orientation que l’on voit à l’œuvre à la Communauté Urbaine de Douala avec la création de plusieurs régies autonomes (la régie des routes et des constructions, la régie foncière et domaniale et la régie de la propreté urbaine) pour minimiser les coûts des travaux d’aménagement et de restructuration de la ville. C’est aussi pourquoi on demande aux usagers de mettre « la main à la pâte » et d’être plus conscients des dépenses. Il est faux de laisser croire que le Service de la Propreté peut tout nettoyer. C’est aux populations aussi à prendre en main la propreté de leur ville et c’est désormais du civisme de chacun que dépendront les progrès les plus significatifs.

Mettre fin à La tolérance administrative avec ‘’Douala Clean City ! It’s Possible’’

La tolérance administrative se rapporte à des agissements permettant l’établissement de situations en marge de la légalité. Ainsi, les errances de l’autorité publique pour gérer efficacement les espaces publics à Douala ont fait de ces lieux, des espaces de désordres[4]. En tolérant des agissements qui favorisent l’établissement de situations en marge de la légalité, les municipalités se rendent parfois complices du fléau du désordre urbain. Or l’Etat, instrument de la contrainte organisée possède par excellence, les moyens de se montrer intolérant à travers la répression des violations éventuelles de la règle de droit. Aussi, pour un nouvel ordre urbain dans la ville de Douala, il est temps de rétablir une relation entre l’art de construire et celui de bâtir une communauté à l’aide d’une planification et d’une conception spatiale s’appuyant sur une participation des citoyens. Il devient par conséquent impératif pour lutter contre le désordre urbain, d’amener les masses urbaines notamment par le recours à l’image, à l’audition, au langage, à contribuer, à déconstruire, à construire ou à reconstruire l’identité de la ville même par une participation individuelle et/ou collective à la recomposition du tissu urbain désormais très fragmenté et fragilisé. 

L’idée générale ici est de mettre en place une véritable communication urbaine basée sur l’éducation, l’information et la sensibilisation des populations sur tous les aspects d’intérêt commun en milieu urbain afin d’en finir avec l’incivisme. Car, sans une citoyenneté active, responsable et disciplinée, sans une autorité bien ordonnée, sans une capacité réelle de l’Etat à répondre effectivement aux attentes des populations, la lutte contre le désordre urbain a toutes les chances d’être un combat perdu d’avance. Une restructuration urbaine s’impose au sens de la Loi n° 2004/003 du 21 avril 2004 régissant l’urbanisme au Cameroun à travers un ensemble de mesures et opérations d’aménagement qui consiste en la démolition totale ou partielle d’un secteur urbain insalubre, défectueux ou inadapté, en vue d’y implanter de nouveaux paysages urbains. Cela exige à des endroits, une réaffectation des espaces à de nouveaux usages. Les espaces colonisés par des commerces doivent laisser place véritablement à des espaces verts, des routes, à la circulation piétonne, etc.C’est autour de cette question qu’il faudrait réfléchir pour mettre fin à la normalisation de l’écart dont parle le philosophe camerounais Hubert Mono Ndjana qui caractérise Douala.

(1) Ngo Bonog Jean-George, « Douala dans les ordures : ce qui fait problème », in « Assainissement de la ville. Comment transformer le visage de notre cité ? », Mundi Mwasu n° 13, 2023, p. 35-36. 

(2) Nana Ngassam Rodrigue, « Cameroun : l’urbain informel et ses paradoxes à Douala », Magazine Formes,le 25 mai 2020, https://www.formes.ca/territoire/articles/l-urbain-informel-a-douala

(3) Douala Clean City: Le préfet du Wouri installe les comités de coordination des 5e et 3e arrondissements – CitiesHebdo  

(4) Nana Ngassam Rodrigue, « Le contrôle des espaces publics par le commerce informel à Douala », Magazine Formes, le 1er juin 2020, https://www.formes.ca/territoire/articles/les-espaces-publics-a-douala


[1] Ngo Bonog Jean-George, « Douala dans les ordures : ce qui fait problème », in « Assainissement de la ville. Comment transformer le visage de notre cité ? », Mundi Mwasu n° 13, 2023, p. 35-36. 

[2] Nana Ngassam Rodrigue, « Cameroun : l’urbain informel et ses paradoxes à Douala », Magazine Formes, le 25 mai 2020, https://www.formes.ca/territoire/articles/l-urbain-informel-a-douala

[3]Douala Clean City : Le préfet du Wouri installe les comités de coordination des 5e et 3e arrondissements – CitiesHebdo  

[4] Nana Ngassam Rodrigue, « Le contrôle des espaces publics par le commerce informel à Douala », Magazine Formes, le 1er juin 2020, https://www.formes.ca/territoire/articles/les-espaces-publics-a-douala

 Le service universel de télécommunications: un droit social au concours des politiques publiques de décentralisation administrative, économique et de lutte contre les inégalités

Par Samba Diouf, juriste consultant en droit du numérique et des télécommunications et en droit des affaires

Les territoires africains comptent beaucoup de zones reculées qui sont de densité certes faible, mais qui expriment le besoin d’un réseau de télécommunication ouvert au public, affirme dans cette note Samba Diouf, juriste consultant en droit du numérique et des télécommunications et en droit des affaires.  

Le développement de politiques de Service Universel au sein des Etats africains pourrait avoir un effet d’entraînement sur les taux de couverture nationale relevant des obligations d’ordre public et des engagements conventionnels des opérateurs existants. La politique de Service Universel aura un impact social décisif sur les territoires aussi bien au niveau de leur numérisation, de l’emploi des jeunes que de la vie sociale en général. Les communications électroniques peuvent constituer aussi un levier social à l’intégration économique des organisations sous régionales africaines (UEMOA, CEDEAO, CEMAC, UMA…). 

Biographie de l’auteur

Juriste consultant et enseignant en droit privé des affaires et en droit économique et du système OMC. Chargé de Travaux dirigés à la faculté de droit de l’UCAD jusqu’en 2010, Samba Diouf est responsable du Service Juridique, du Contentieux  et des relations institutionnelles pour l’opérateur de Service Universel  de télécommunication du Sénégal.

Entre 2015 et 2023, Samba Diouf a participé à l’élaboration de l’essentiel des documents stratégiques et des réformes juridiques du Sénégal relatifs aux télécommunications et au numérique

Samba Diouf a participé sous l’égide de l’ARTP Sénégal à l’élaboration d’un modèle juridique pour l’institutionnalisation du Free Roaming en Afrique de l’Ouest. Depuis Mars 2022, Samba Diouf participe au sein du comité de pilotage aux travaux sur la réforme du code des investissements avec l’Agence de Promotion des Investissements et des grands travaux du Sénégal.

Sambajuf1@gmail.com

Cadreafrique1@outlook.com

GAZA : Quête d’une Ambassade pour une humanité d’une égale dignité

Par Thierry Amougou, économiste, professeur à l’Université catholique de Louvain (UCLouvain), membre de IACCHOS (Institut d’Analyse du Changement dans l’Histoire et les Sociétés Contemporaines)

Le 02 février 2024, au moment où je commence ce texte, la guerre menée par Israël contre le Hamas a déjà fait 27.019 morts et 66.139 blessés Palestiniens. L’horreur quotidienne est donc le plat du jour, qu’à leurs sens défendant, dégustent les yeux du monde devant le bombardement cathodique du petit écran. Les âmes sensibles « zappent » ou se couvrent les yeux quand les journaux télévisés invitent dans l’intimité des familles les nouvelles atrocités de ce champ de bataille. D’autres, plus affectés pour de multiples raisons, se contentent des pleurs muets et des larmes sèches de leurs esprits. Comme une grenade, mon cœur écarlate n’a aucune sympathie pour les explosions qui réduisent en miettes hommes, femmes, enfants et bébés pour la passion du bruit assourdissant et du fatras derrière soi après la déflagration. Comment échapper aux balles et à leurs sinistres sifflements ? Comment éviter le règne de la vie en miettes ? Comment résister au béton qui passe de la forme bâtiment à la forme gravas ? Comment crier plus fort que des canons en rut ? Comment dire la vie plus haut qu’un char qui crache le feu de la mort de toute sa machinerie et de toute sa technologie ? Je n’ai pas de réponses pertinentes, alors j’écris. J’écris parce que mon cœur, ma grenade organique bat encore, et que, dans une complicité intime avec mon cerveau, elle cherche un refuge salvifique vers mes multiples références intellectuelles. Elle espère y trouver une Ambassade, une terre d’accueil pour une humanité d’une égale dignité. Je pense que nous en sommes très loin dans ce conflit. Nous en sommes à mille lieues dans ce monde où une telle humanité fait face au sens interdit et au cul de sac lorsqu’elle cherche sa route, lorsqu’elle scrute sa destination. Sommes-nous sortis de la civilisation ? Barbarie et civilisation ne font-ils qu’un désormais ?

Les lignes qui suivent sont une réflexion intime d’un universitaire sur le conflit israélo-palestinien et sa résurgence prégnante depuis quelques mois après l’attaque terroriste du Hamas sur Israël. Elles montrent comment ce conflit traverse mon corps, mon esprit, mes références intellectuelles et interroge ma personne et le monde. Elles montrent comment mon travail d’enseignant est impacté et mettent en lumière la foultitude de questions qui m’envahit. Peut-on penser une Ambassade pour une humanité d’une égale dignité ? Qu’est-ce qui fonde la différence entre civilisation et barbarie en suivant Sigmund Freud, Norbert Elias et Friedrich Hegel ? Peut-on parler de barbares modernes ? Qu’apprendre de Nelson Mandela, des philosophes Fabien Eboussi Boualaga et John Duwey ? Voilà quelques-unes des interrogations auxquelles j’essaie de répondre.

  • Requiem pour l’humanité : À quel penseur m’accrocher ?

La première référence que mon cœur oriente vers mes méninges est « Malaise dans la Civilisation »[1] de Sigmund Freud. Dans cet ouvrage, le célèbre psychanalyste défend l’idée qu’en ce qui concerne « la vie psychique, la conservation du passé est plutôt la règle qu’une étrange exception… » Cette thèse freudienne me frappe véritablement comme un gourdin. Elle rend encore plus évidente ce que je perçois, c’est-à-dire, un véritable déraillement civilisationnel…

Je me rends compte qu’autant Vladimir Poutine a déclenché sa guerre contre l’Ukraine au motif de lutter contre les « Nazis » qui ferraient subir un génocide aux Ukrainiens Russophones, autant l’Etat juif qui a pour mémoire fondatrice un génocide subi par les siens du faits de vrais Nazis, écrase la Bande de Gaza au point où de nombreux intellectuels comme George Yancy, Michel Moushabeck, Didier Fassin et Judith Butler parlent de génocide et de l’exclusion des Palestiniens du statut de personne par Israël et les Etats-Unis[2]. Le « Malaise dans la Civilisation » dont parle Freud prend ici au moins trois formes que je décline de façon interrogative. N’est-ce pas la conservation psychique du triste passé des Juifs qui s’opérationnalise chez Vladimir Poutine lorsque qu’il avance comme alibi pour faire la guerre à l’Ukraine les « Nazis » et le « génocide » ? N’est-ce pas parce que Poutine sait très bien ce que « Nazis » et « génocide » évoquent dans l’imaginaire collectif mondial et notamment occidental, qu’il les mobilise pour légitimer son occupation de l’Ukraine ? N’est-ce pas la même loi freudienne de conservation psychique de la violence et de son imaginaire qui permit de faire le lien entre l’attaque terroriste du Hamas le 7 octobre 2023 et l’holocauste en considérant que cette attaque est le plus grand massacre de Juifs en une journée depuis la Shoah ?  Le « Malaise dans la Civilisation » ne traduit-il pas au XXIè siècle le fait qu’alors que Friedrich Hegel exalte « La Raison dans l’Histoire »[3] dans son cours de 1830, les actions et les réactions violentes des acteurs dans les sociétés modernes usent plus de la loi de conservation psychique de la violence pour définir leurs comportements que de la fonction civilisatrice de la raison ?

Friedrich Hegel est donc la seconde direction vers laquelle mon cœur guide mon cerveau. Il espère y trouver une valeur refuge, un concept consolateur… Tout de suite, mon corps tressaillit d’espoir car la raison c’est le graal du mode moderne. C’est le maître mot de Hegel dans son ouvrage de philosophie de l’histoire. C’est le principe opérationnel qui, d’après ce philosophe, mène les peuples et le monde, malgré la force motrice des passions dans les grandes réalisations humaines. L’Homme étant un animal raisonnable, il y a une intervention, même inconsciente, de la raison dans tous ses actes. Dès lors, l’Histoire étant l’Histoire de l’Homme, celle-ci est mue par une sorte de raison universelle qui mène le monde vers la liberté et le droit dont l’Etat est à la fois l’aboutissement et l’acteur pilote…

Ma joie corporelle et intellectuelle est cependant de très courte durée. Inquisiteur, mon cerveau revient à la charge pour questionner le relâchement de mon constat de déraillement civilisationnel du monde. Aussitôt des contradictions fusent…

Si nous suivons Hegel alors la raison comme instance d’aide au discernement et à la décision est omniprésente dans la Shoah (génocide des Juifs par le troisième Reich) en 1945, dans la Nakba (dépossession multiforme, notamment foncière et violente des Palestiniens par les Juifs) depuis 1948, dans l’attaque terroriste du Hamas contre Israël le 7 octobre 2023 et dans l’écrasement de la Bande Gaza par Tsahal en guise de riposte. Es-tu convaincu par cette conséquence de la dialectique hégelienne ? me demande mon cerveau. Penses-tu vraiment que la Shoah, la Nakba, l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023 et l’éradication de la Bande de Gaza de la carte par Tsahal soient des formes cachées mais agissantes d’une raison qui, en sous-main, mène cette partie du monde vers le droit, la liberté et le bien-être ? Comment sortir de la barbarie via la raison hegelienne si la raison est au fondement du mal de masse et si ladite raison tue au point de toujours repousser à demain les résultats positifs de son action positive dans l’Histoire ? À quand le règne de la liberté et du droit si des Etats (exemple de la Russie en Ukraine et d’Israël à Gaza) censés incarner l’aboutissement et la mise en scène de la civilisation ne respectent pas le droit international et font de la guerre le moyen de garantir leur liberté au détriment de celle des autres ? À quand la terre promise pour les Palestiniens ? À quand, dans une histoire sous l’égide d’une raison qui alimente la destruction comme la nuée porte l’orage, la liberté et la paix pour les Juifs ? Faut-il attendre que la Raison-Dieu, celle qu’exalte Hegel, agisse en son temps avec la violence comme prix à payer ? Ne faut-il pas que les Hommes qui font l’Histoire choisissent dès maintenant des actions non- violentes comme le fit Gandhi ?

  • Des barbares modernes…

N’avons-nous jamais été rien d’autre que des barbares les uns pour les autres depuis les rapports intertribaux des sociétés anciennes aux rapports interétatiques actuels ? Le droit, l’Etat et leurs idéologies ne sont-ils, comme le pensait déjà Karl Marx, que des superstructures protectrices de la classe dominante et illusionnistes d’un changement des fondements violents des rapports sociaux ? Cette autre série de questions fait venir Thomas Hobbes et Fernand Braudel à la rescousse de mes tourments face au conflit Israélo-palestinien.

Je me demande en effet à quel stade se trouve la raison dans l’Histoire quand, au XXIè siècle, le meurtre de l’autre demeure, pour de nombreux acteurs étatiques et non étatiques, la condition de rester en vie. C’est ainsi que raisonne le Hamas par rapport à Israël dont il vise la destruction. C’est mêmement ainsi que raisonne l’extrême droite israélienne par rapport à la Palestine et au Hamas. Dans une telle configuration hobbesienne, « la solution finale », c’est-à-dire celle qui me sauve de la mort et me donne le droit à la vie devient inévitablement le meurtre de mon semblable dont la continuité de la vie dépend aussi du droit qu’il a d’ôter la mienne[4]. C’est cette logique du meurtre et de la crémation réciproques qui dicte les comportements dans le conflit historique entre Israël et la Palestine. Les extrêmes des deux côtés, en refusant le droit à la vie d’autrui différent d’eux, témoignent du fait que le monde moderne n’est pas encore sorti du stade barbare de l’Homme loup pour lui-même. Je pense donc qu’on peut parler de barbares modernes comme d’un produit civilisationnel de la Raison dans l’histoire. Ce qui se passe en Ukraine et à Gaza constitue le renouvèlement de la preuve que dans l’histoire longue, la violence paroxystique, c’est-à-dire la guerre totale, est plus la règle que l’exception dans la recherche de solutions aux problèmes des Hommes et des sociétés. Dès lors, Freud et Hegel ne peuvent plus être d’accord car les barbares modernes qui s’expriment en Ukraine et à Gaza contredisent la conception freudienne de la civilisation comme « la totalité des œuvres et des organisations dont l’institution nous éloigne de l’état animal de nos ancêtres et qui servent notamment la réglementation des relations des Hommes entre eux. »[5]

  • …Aux génies de surface

Au regard, d’une part, du soutien de l’Occident, notamment des Etats-Unis, à la guerre totale à Gaza et, d’autre part, de l’élan du cœur pour la Palestine et les Palestiniens du Sud global, je pense que le monde se trouve dans une lutte des classes feutrée à travers deux Internationales qui existent de façon symbolique sans avoir été organisées institutionnellement au préalable. D’un côté, l’Internationale des Etats dominants en lutte contre le terrorisme et pour la conservation de l’ordre mondial actuel. De l’autre, l’Internationale des laissés-pour-compte qui, conscients d’être des dominés au même titre que les Palestiniens, sont empathiques par rapport à la Bande de Gaza. Cette dernière rappelle à la fois l’ancien statut de colonie de nombreux pays du Sud global et leur actuel statut de pays sans voix au sein des instances internationales de décision. Les statuts asymétriques de ces deux Internationales dans le système international d’Etats les oppose dans l’appréciation du conflit et le rôle des acteurs impliqués. Pour les peuples dominés ayant connu la colonisation et les violences qui s’ensuivent, le Hamas est « un mouvement de résistance » du peuple palestinien et Israël un Etat colonisateur qui ne respectent pas le droit international à l’instar de tous les Etats forts jadis colonisateurs. Les Etats du Nord, obligatoirement conservateurs d’un ordre du monde qui leur est favorable, misent plus sur le caractère terroriste du Hamas et le droit d’Israël à se défendre.

Je note aussi, alors que l’Internationale des Etats dominants joue toujours son rôle de chef d’orchestre mondial, que des fausses notes apparaissent en son sein via ses populations subalternes qui, en soutien aux Palestiniens, dénoncent la politique de la mort intra-muros et de la vengeance sans limites. Tout se passe comme si, sans se concerter, ces subalternes du Nord et du Sud global sont convaincus que c’est l’absence d’une justice pour tous qui est le fond du problème entre Israël et la Palestine. Ce problème est que, l’Etat d’Israël qui a le droit d’exister, souffre d’une infirmité morale, celle de se construire via un processus à la fois de dépossession des Palestiniens de leur terre et de non-respect du droit international.

Cela étant, les décideurs du monde ne sont-ils ceux que Fernand Braudel appelait ironiquement et de façon métaphorique des génies de surface ? Oui, cet éminent historien de l’école des Annales avait pour méthode d’analyse la longue durée nécessaire à la généalogie des phénomènes à travers la recherche des nappes profondes d’histoire lente permettant d’isoler la totalité historique comme une infrastructure explicative d’ensemble[6]. Force est de constater, comme le critiquait Fernand Braudel, que les décideurs et les instances de même nature s’activent sur ce qui fait le plus de bruit et brille. C’est-à-dire à la fois l’histoire événementielle (attaque terroriste du Hamas, expédition punitive de Tsahal) et l’histoire conjoncturelle (la guerre endémique entre Israël et la Palestine). Ils ne sortent pas de ces histoires supérieures et superficielles pour s’attaquer à la lame de fond qu’est l’injustice structurelle des rapports entre l’Etat juif et les Palestiniens. C’est cette injustice structurelle qui commande les conjonctures et les évènements sur lesquels les acteurs décideurs, que dis-je, les génies de surface s’activent. Conséquence, le problème reste intact, sans réponse et la même injustice historique reproduit d’année en année les mêmes conjonctures et les mêmes évènements meurtriers. Tant que le monde décideur restera à la surface des choses, il continuera d’assassiner des tombereaux de vies humaines innocentes. Chose, je le pense, qu’on ne peut éviter qu’en cessant d’être des génies de surfaces pour devenir des adeptes du décryptage des structures de l’injustice historique. C’est la seule posture analytique où on peut entendre la dictée d’un monde ancien dont l’injustice gouverne toujours le présent.

  •  La mort des pauvres, des pauvres morts : restes muets de la politique ?

Les pauvres innocents morts en Israël à cause de l’attaque terroriste du Hamas et les pauvres Palestiniens qui sont écrasés dans la Bande Gaza ne sont-ils pas ceux que Michel Foucault[7] refusait de considérer comme des restes muets de la politique ? Ne sont-ils pas finalement ceux que les Etats forts et les gladiateurs des deux côtés considèrent comme tels en se débarrassant ainsi de leur responsabilité dans qui arrivent aux Hommes d’os et de chair ? Je pense, contrairement à ce que souhaitait Foucault, que ces tombereaux de cadavres sont effectivement devenus des restes muets de la politique, celle du Hamas du côté palestinien et celle de Benjamin Netanyahu du côté israélien. Ces deux extrêmes et leurs organisations sont dans une violence cyclique à travers une série d’attaques et des contre-attaques récurrentes depuis plusieurs années au point de faire oublier que c’est leur extrémisme et l’immobilisme de la communauté internationale qui assassinent à la fois les Israéliens et les Palestiniens. Ceux-ci sont pris dans ce tourbillon de violence rivalitaire parce que mimétique comme le pensait René Girard[8]. Une violence rivalitaire qui aboutit à une normalisation de l’état permanent de guerre au service d’une négation réciproque du droit des autres à un Etat.

Outre cela, je pense qu’il y a même des restes muets de la politique encore plus muets que d’autres. La récente escalade dans la Bande de Gaza le montre car les plus ou moins 1000 victimes juives du Hamas ont été plus décriées et commentées par les médias et les Etats occidentaux que les désormais plus de 27.000 Palestiniens tombés à ce jour sous les bombes de Tsahal. Cette distribution inégale des émotions et de l’indignation n’est pas surprenante dans la mesure où la règle n’est pas que toute vie perdue est un drame, mais que certaines vies perdues sont des drames et d’autres pas. Le niveau d’émotion et d’indignation dépend moins de la profondeur et de l’intensité du mal infligés à tout Homme que du statut, de la couleur et de la religion des victimes dudit mal. La preuve, des Africains se noient dans la méditerranée par milliers depuis plusieurs années à cause des politiques migratoires xénophobes sans que cela n’émeuve le monde autrement que via quelques brèves des journaux télévisés. Les massacres à l’Est de la RDC existent depuis plus de trente ans sans aucune initiative internationale pour y mettre fin parce que les massacres des pauvres sont normaux. Ils font déjà partie des normalités étranges du monde moderne.

Ce n’est donc pas une histoire récente mais ancienne que les restes des populations pauvres soient des restes muets de la politique. Ce n’est pas une surprise que la colonisation qui semble le maître mot de plusieurs dirigeants israéliens de ces dernières années, aboutissent au massacre des Palestiniens car on sait qu’historiquement, la colonisation et le massacre des populations indigènes vont toujours de pair. La colonisation espagnole du nouveau monde a son lot de massacres de populations autochtones, autant que les colonisations allemande et française en Afrique. Concernant la France, Daniel Schneidermann[9] montre que ces massacres débutent avec la consolidation de l’empire colonial français alors qu’Yves Benot[10] met en lumière qu’aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, la IVème République fut autrice des massacres de Sétif (mai-juin 1945) à Madagascar (1947), d’Haiphong (1946) au Vietnam, de Côte-d’Ivoire (1949-1950), de Casablanca au Maroc (1947) et du Cameroun (1955-1972) où l’armée française a éliminé des dizaines de milliers d’hommes et de femmes dont le seul tort était de revendiquer pour plus de libertés ou pour l’indépendance.

Pour moi, la banalisation du mal dont parle Hannah Arendt[11] ne se limite plus, dans sa version contemporaine, au caractère ordinaire du bourreau, un individu de tous les jours mais auteur d’actes monstrueux. Je pense que le monde moderne connaît une anesthésie du devoir moral devant le mal absolu, le mal non naturel et encore plus lorsqu’il frappe les plus pauvres. Je le pense parce qu’en dehors des populations, et hormis les actions de l’Afrique du Sud, les mobilisations des grandes puissances sont faibles, mieux leur vie quotidienne continue comme si de rien n’était alors que des hommes, des femmes et des enfants innocents tombent par milliers. On massacre sur terre et les décideurs regardent ailleurs… C’est le sentiment que j’ai de ce manque d’intranquillité et de cette anesthésie du monde moderne par rapport au mal non naturel. « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs » le disait l’ancien président français Jacques Chirac pour fustiger l’immobilisme des décideurs face au réchauffement climatique. La phrase est valable pour ce qui se passe à Gaza car cette bande de terre et sa tragédie sont les miroirs de l’autodafé de notre propre humanité.

  • Amphithéâtres : la guerre verbale contre l’Occident a bien eu lieu

Mes étudiants ne vivent pas sur mars. Ils ont droit à la parole, une parole pour discuter des problèmes qui baignent leur vie quotidienne. Aussi j’ai passé la parole à mes étudiants pendant trente minutes tant lors du début de la guerre russo-ukrainienne, qu’au début de l’offensive israélienne dans la Bande de Gaza. Ma pédagogie est simple. Je donne la parole à qui souhaite la prendre pour exprimer ce qu’il pense du conflit. Je n’interviens en tant que professeur que pour réguler les prises de parole dans un débat uniquement entre les étudiants. Ce n’est que lorsque les prises de paroles et les débats inter et intra étudiants ont cessé que j’interviens sur base de ce que les uns et les autres auront développé. Ces débats ont donné lieu à une évidence :

En dehors des étudiants qui ne disent rien mais qui doivent certainement en penser beaucoup, ceux qui parlent sont majoritairement contre l’Occident dans la Guerre en Ukraine alors que c’est la Russie l’agresseur et l’Occident celui qui sanctionne l’agresseur. Il en est ainsi parce que les étudiants ont de la mémoire et pensent que ce que fait Vladimir Poutine en Ukraine est une habitude des Occidentaux à travers le monde sans que personne ne les sanctionne. J’ai été marqué par le fait que mes étudiants ne condamnent pas catégoriquement l’agression de l’Ukraine par la Russie mais mettent dos à dos Poutine et les pays occidentaux au motif qu’ils font tous la même chose. Mon intervention a consisté à signaler que ce n’est pas parce qu’une action négative devient une habitude de tous à travers le monde qu’elle cesse d’être une action négative. Mes étudiants ont en effet tendance à dire que puisque les Américains attaquent parfois certains pays sans respect du droit international, alors le fait d’attaquer un pays n’est plus condamnable. Il se passe ici un affaiblissement du droit international à travers ce sentiment de mes étudiants potentiels dirigeants de demain. D’où le malaise dans la civilisation dont je parle à la suite de Sigmund Freud. Les règles deviennent ce que nous en faisons…

S’agissant de l’actuelle phase du conflit entre Israël et la Palestine après l’attaque terroriste du Hamas, je me suis retrouvé face à un paradoxe. Au lieu que les étudiants ne condamnent pas Israël comme ils l’ont fait pour la Russie dans l’agression de l’Ukraine par Poutine, la majeure partie des interventions a plutôt été contre l’Etat juif alors qu’il avait été agressé par le Hamas. Là, les étudiants m’ont démontré qu’ils maîtrisent la source du problème et que dans cette source, d’après eux, c’était encore l’Occident le fautif en soutenant Israël contre les Palestiniens depuis toujours sans daigner résoudre la question de fond. Le triomphe des lumières à travers le monde est-il en train de rencontrer une résistance ou une réfutation dans le milieu estudiantin ? Je me suis posé cette question dans la mesure où l’Occident est condamné par mes étudiants par contumace tant dans la guerre de la Russie en Ukraine que dans la guerre entre Israël et le Hamas. Si mes étudiants voient l’Occident dans des conflits où il n’est pas partie prenante directement, alors ils sont conscients que c’est l’Occident, en tant qu’entité dominante du système-monde, qui a toute la responsabilité dans l’état actuel de ces conflits. Les mêmes étudiants assimilent Israël à l’Occident. Le sentiment d’injustice envers les Palestiniens qu’ils manifestent me semble plus large dans leurs rangs que la défense de l’Etat juif.

  • De la souffrance et de la victime suprêmes dans le conflit Israël/Palestine :  Quid d’une Ambassade pour une Humanité d’une égale dignité ?

Pour moi, une Ambassade pour une Humanité d’une égale dignité est un lieu infranational, national ou international où les Hommes sont libres et égaux en droits et devoirs de telle façon que les Droits de l’Homme soient les mêmes pour tous. C’est une terre promise des Droits de l’Homme et de leur concrétisation pour tous les Hommes. Ma quête intime et intellectuelle d’un tel lieu, ne peut échapper à la religion comme prisme de lecture du conflit israélo-palestinien pour au moins quatre raisons. Premièrement, je suis issu d’une famille chrétienne si pratiquante que ma grand-mère paternelle qui n’avait jamais été à l’école pensait que Jérusalem était au ciel et pas sur terre. Deuxièmement, le conflit israélo-palestinien est enrobé et imbibé tous azimuts de religion. Le Judaïsme, le Christianisme et l’Islam se marchent en fait sur les pieds dans cet espace géoculturel où les extrêmes politiques les transforment parfois en messianismes politiques détonants. Benjamin Netanyahu n’a-t-il pas une approche messianique du sionisme au point où il réfute le terme colonisation pour celui d’occupation de la terre biblique d’Israël ? Le Hamas n’a-t-il pas de l’Etat d’Israël l’image de Babylone, c’est-à-dire de l’ennemi à abattre que fut Rome pour les Juifs dans le récit biblique ? Babylone est effectivement dans l’histoire du christianisme une autorité satanique et démoniaque qu’il faut détruire parce qu’elle a utilisé son pouvoir politique et économique pour corrompre le monde, le coloniser. Troisièmement, puisque je parle de civilisation, je ne peux échapper aux religions qui, ainsi que l’enseigne André Malraux, sont les noyaux durs de toute civilisation : « La nature d’une civilisation, c’est ce qui s’agrège autour d’une religion. »[12] Sigmund Freud partage cette idée en affirmant que « Nous ne pouvons imaginer de traits plus caractéristiques de la civilisation…d’indice culturel plus sûr que le rôle conducteur attribué aux idées dans la vie des hommes. Parmi ces idées, les systèmes religieux occupent le rang le plus élevé dans le système des valeurs »[13].

Il est cependant indiscutable qu’aucune des trois religions monothéistes sus-évoquées n’a été et ne peut être de nos jours le fondement d’une Ambassade pour une humanité d’une égale dignité. Le conflit israélo-palestinien en est la preuve en ce sens qu’en promettant la paix et le bien-être à leurs peuples, ceux-ci récoltent l’insécurité permanente comme résultat concret de deux messianismes concurrents. La raison du plus fort restant toujours la meilleure comme le disait Jean de La Fontaine, la violence censée être domestiquée et absorbée par le Christ crucifié en tant que victime expiatoire de la violence rivalitaire entre les Hommes, revient sur les faibles et les pauvres [14]. Je dois donc me tourner vers autre chose car John Duwey[15] nous met en garde contre les religions et les grandes valeurs morales universelles sans ancrages ni sur les réalités concrètes et encore moins sur les connaissances rationnelles des sciences sociales. Pour lui, les voies par lesquelles la conduite humaine est susceptible d’un progrès moral suppose de s’appuyer sur une description aussi objective que possible de ses éléments constitutifs, les habitudes, les impulsions et l’intelligence sachant que ces éléments sont engagés dans une négociation permanente avec les conditions sociales, économiques, culturelles qui composent leurs environnements. Dans ce cas, le monde aura toujours un retard par rapport au progrès moral pouvant le conduire vers une Ambassade pour une égale dignité. En fait, les enseignements que donnent par exemple la sociologie de Norbert Elias[16] à travers la civilisation des mœurs sont toujours, expériences sociales obligent, ex-post par rapport à une période où des crimes ont déjà été commis. Ce que dit John Duwey ne peut donc aider que si une fois les expériences violentes connues et leurs enseignements tirés par les sciences sociales, nous devenions non seulement des « Hommes qui s’empêchent » certaines choses comme le recommandait Albert Camus[17], mais aussi des Hommes qui remplacent la raison du plus fort et la liberté de leurs pulsions violentes par une organisation harmonieuse du vivre ensemble : « Le développement de la civilisation impose des restrictions, et la justice exige que ces restrictions ne soient épargnées à personne »[18]. C’est ce qu’a compris Nelson Mandela en mettant en place la commission vérité et réconciliation. Mandela qui fut considéré comme un terroriste par de nombreux régimes occidentaux a opéré une mutation qui montre que c’est moins la violence et la force qui construisent la stabilité et la sécurité que la justice au sens d’organisation de la vie en partage. La commission vérité et réconciliation a effectivement été le moment où Nelson Mandela qui pensait rendre justices aux Noirs, aux Indiens et aux Métisses Sud-Africains via l’exclusion des Sud-Africains blancs du pays, a montré que la sécurité, la paix et la stabilité réelles s’obtiennent en considérant l’ennemi d’hier moins comme une tête à couper que comme quelqu’un avec lequel on peut cheminer et bâtir l’avenir. « Je suis parce que nous sommes » décline « Ubuntu », la philosophie bantoue qui ne conçoit la vie et l’existence qu’en partage. En devenir adepte nécessite donc, ainsi que nous le recommande le philosophe Africain Fabien Eboussi Boulaga, un apprentissage à devenir humain car cela, chez le primate qu’est l’Homme, est un avènement improbable qui exige une série d’interdits, de renoncements et de devoirs.

Ainsi, nous ne devrions plus, après les horreurs qu’a connues et que connait le monde, penser le vivre ensemble harmonieux en cherchant comment faire passer l’autre de vie à trépas même si cet autre est notre ennemi. Nous devons le faire suivant un principe suivant lequel l’expérience des évènements passés étudiés par les sciences sociales enseigne que c’est le renoncement de tous et de chacun à certaines choses qui garantit la vie en partage. Mais le monde contemporain a une approche anthropophage et autophage du vivre ensemble. Nous cherchons plus le formatage du monde à notre image que sa transformation à l’image de tout le monde. Autant de choses qui nous éloignent d’une Ambassade pour une humanité d’une égale dignité. Existent-ils des crimes tels que si vous en avez été victimes vous deveniez incritiquable et détenteur d’un droit d’infliger des violences atroces à d’autres Hommes ? Y a-t-il un crime tel que si vous critiquez les agissements des descendants de ceux qui l’ont subi vous deveniez automatiquement tant adepte de l’idéologie qui les fit souffrir que conspirateur des pratiques criminelles de cette idéologie ? Y’a-t-il des victimes et des souffrances au-dessus de toutes les autres victimes et souffrances ? La réponse à ces trois questions est positive dans le conflit israélo-palestinien. Cet état de chose nous éloigne d’une Ambassade pour une Humanité d’une égale dignité. Un lieu où tous les Hommes sont libres et égaux en droits et devoirs, un endroit où il prévaudrait une inviolabilité des Droits de l’Homme.

Thierry Amougou est économiste, professeur à l’Université catholique de Louvain (UCLouvain), membre de IACCHOS (Institut d’Analyse du Changement dans l’Histoire et les Sociétés Contemporaines). Thierry.amougou@uclouvain.be


[1] Sigmund Freud, 1978, Malaise dans la Civilisation, Paris, Presse Universitaire de France, page 37.

[2] Judith Butler, 2023, « Les palestiniens ne sont pas considérés comme des personnes par Israël et les Etats-Unis », Par George Yancy, Truthout, 31 octobre 2023 ; Michel Moushabeck, 2023, « Un génocide est encours à Gaza. Les dirigeants américains ne peuvent plus dire : Nous ne savions pas », Truthout, 26 octobre 2023 ; Didier Fassin, 2023, « Le spectre d’un génocide à Gaza », AOC.

[3] Friedrich Hegel, 2012, La Raison dans l’Histoire, Paris, Univers Poche.

[4] Alexandre Escudier, 2009, « Temporalisation et modernité politique : penser avec Koselleck », Annale. Histoire, Sciences Sociales, pp.1269-1301.

[5] Sigmund Freud, 1978, op. cit. page 37.

[6] Fernand Braudel, 1958, « Histoire et science sociales : la Longe durée », Annales, pp.725-753.

[7] Michel Foucault, 1984, « Face aux gouvernements, les droits de l’homme », Libération, n°967, 30 juin-1er juillet 1984, p.22.

[8] René Girard, 2011, La violence et la sacré, Paris, Fayard. 

[9] Daniel Schneidermann, 2023, Cinq têtes coupées. Massacres coloniaux : Enquête sur la fabrication de l’oubli, Paris, Seuil.

[10] Yves Benot, 2005, Massacres coloniaux. 1944-1950 : La IVè République et la mise au pas des colonies françaises, Paris, La Découverte.

[11] Hannah Arendt, 2012, L’humaine condition, Paris, Gallimard.

[12] André Malraux : « Note sur l’Islam », 3 juin 1956.

[13] Sigmund Freud, Sigmund Freud, 1978, op. cit. page 42.

[14] René Girard, 2011, op.cit.

[15] John Duwey, 2023, Nature humaine et conduite. Introduction à la psychologie sociale, Paris, Gallimard.

[16] Norbert Elias, 1994, La dynamique de l’Occident, Paris, Calmann-Lévy.

[17] Albert Camus, 1994, Le premier Homme, Paris, Gallimard.

[18] Sigmund Freud, Sigmund Freud, 1978, op. cit.            

[19] Fabien Eboussi Boulaga, De la philosophie africaine, You Tube, consulté le 17/11/2023.

La philosophie en contexte gabonais : Quels enjeux éducatifs et politiques ?

Par Christian Dior MOULOUNGUI, Philosophe, Enseignant de philosophie et Doctorant à l’Université Omar Bongo (Gabon), cdmouloungui@gmail.com

 Résumé

 « À l’école de la démocratie, les États africains ont la triste réputation d’être de mauvais élèves »[1]. Si nous validons cette assertion, alors la question fondamentale est celle du « pourquoi ». Le Professeur Pierre Nzinzi répond à cette question en ces termes : « est-il possible de réaliser les principes démocratiques dans les formes des peuples et des États tant qu’il existe un défi d’éducation ? Plus simplement, jusqu’où peut aller l’expérimentation démocratique dans la société faiblement éduquée ? »[2]Cet article souscrit à ce présupposé, qui considère que l’éducation est la condition de possibilité d’établissement des sociétés démocratiques. Éduquer, c’est enraciner un esprit dans un milieu donné et l’ouvrir au monde. Mais dans le cadre des États africains, en général, et du Gabon, en particulier, quel rôle doit jouer la philosophie pour aider, en contexte d’apprentissage, à la participation citoyenne[3] et faire en sorte que celle-ci soit un facteur de démocratie durable ? Du point de vue philosophique, nous montrerons que l’éducation aide  à la formation d’un jugement autonome, qui consiste pour le citoyen à se questionner à la fois sur l’état d’éveil des consciences, sur les rapports sociaux, sur la légitimité des institutions et sur le modèle des élites.

Mots-clés : Philosophie, citoyen, Afrique, Gabon, démocratie, éducation.

Abstract

At the school of democracy, African states have the sad reputation of being bad students”. If we validate this assertion, then the fundamental question is “why”. Professor Pierre Nzinzi answers this question in these terms: “is it possible to realize democratic principles in the forms of peoples and States as long as there is an educational challenge? More simply, how far can democratic experimentation go in a poorly educated society? » This article subscribes to this presupposition, which considers that education is the condition for the possibility of establishing democratic societies. To educate is to root a mind in a given environment and open it to the world. But in the context of African States, in general, and Gabon, in particular, what role should philosophy play in helping, in a learning context, to citizen participation and ensuring that this is a factor of democracy? Sustainable? From a philosophical point of view, we will show that education helps in the formation of an autonomous judgment, which consists for the citizen in questioning both the state of awakening of conscience, on social relations, on the legitimacy of institutions and on the model of elites.

Keywords: Philosophy, citizen, Africa, Gabon, democracy, education.

Introduction

 Cet article trouve son ancrage dans notre communication faite à l’occasion de la Journée Mondiale de la Philosophie[4] célébrée à l’Université Omar Bongo[5] de Libreville sur le thème : « La Philosophie en situation. Le contexte gabonais à l’épreuve », le 18 novembre 2023. Partant de là, nous avons examiné l’interrogation suivante : « La philosophie en contexte gabonais : Quels enjeux éducatifs et politiques ? ». En effet, si nous admettons que la philosophie est sagesse et donc la meilleure manière de vivre, alors l’acte même d’éduquer constitue la praxis du philosophe. Il existe ainsi une relation consubstantielle entre la philosophie et l’éducation. A ce titre, John Dewey pense qu’il y a « une relation intime et vitale entre le besoin de philosopher et la nécessité d’éduquer »[6]. Dans l’histoire de la philosophie, la question relative à l’éducation reste d’actualité, surtout à l’ère de l’effondrement des principes moraux, sociétaux et démocratiques. Dans ces conditions, la question relative à l’éducation a un impact dans l’organisation politique. Cependant, dans le cadre des États africains, en général, et du Gabon, en particulier, quelle est l’implication de la philosophie à la formation citoyenne considérée comme un élément participatif à une organisation politique fiable, équitable et juste ? Du point de vue philosophique, l’éducation, en posant les fondements d’un esprit libre et indépendant de l’individu, façonne le citoyen autonome, le rend responsable de ses actes, respectueux des droits humains, capable de s’approprier des valeurs de justice, de la transparence politique, et donc valorisant une société démocratique. Ainsi, philosophiquement, dans cet article, nous montrerons d’abord que c’est à travers l’éducation que le citoyen gabonais aura la possibilité d’être formé à un jugement autonome, qui lui donnerait effectivement la capacité à se questionner à la fois sur l’état d’éveil des consciences et sur les rapports sociaux(1). Ensuite, nous nous interrogerons sur la légitimité des institutions(2). De plus, nous discuterons du modèle de l’élite intellectuelle(3). Enfin, nous aborderons les perspectives philosophiques de l’éducation à la politique(4).

1. L’éveil des consciences et les rapports sociaux

Philosophiquement, l’éducation renvoie à la formation du citoyen[7] à l’esprit autonome, en tant que sujet pensant et capable de se questionner sur le fondement d’une organisation démocratique fiable. Et grâce à sa capacité à raisonner, et à ses aptitudes à répondre aux défis de l’existence. Car : La philosophie est d’une grande utilité dans la société, « sa contribution à la formation de citoyens responsables, par la culture et le développement de l’esprit critique la rend indispensable […] »[8]. En contexte africain, en général, et gabonais en particulier, nous pensons qu’elle aiderait le citoyen à être responsable, meilleur, libre, conscient, et donc à manifester l’esprit critique et indépendant. Il s’agit d’un citoyen autonome et maître de lui-même dans les faits, dans chaque geste et dans chaque décision politique. D’après Landry Ndounou, dans Education, citoyenneté, démocratie au Gabon, l’école, nécessairement républicaine, permet d’éveiller les consciences critiques, suscite la vigilance concertée et délibérative au sujet des fondements et autres supposés qui structurent l’État[9]. Sans l’autonomie et la liberté, le citoyen serait en même temps dans l’incapacité de se questionner, de comprendre la nécessité de valoriser le bien général et à participer à la bonne organisation politique de l’État gabonais. Dans L’autonomie comme enjeu de l’éducation scolaire. Le regard des philosophes, le citoyen « ne peut rien ordonner comme moyens en vue d’une fin et il est donc incapable de lier ses activités pour les tendre vers un but unique général. Cette incapacité est le signe premier du manque d’autonomie ou de liberté. Et le problème est que la majorité des citoyens souffrent en réalité de ce manque d’autonomie »[10].

 Il faut noter que l’éducation doit être non seulement  un vecteur de formation et de transformation du citoyen gabonais aux bonnes mœurs publiques, mais également essentiel pour l’appréhension des valeurs cléricales susceptibles de promouvoir le développement politique, économique et social du Gabon. Issaka Yameogo affirme : « L’éducation doit être le levier du développement politique, social et économique de l’Afrique. Une éducation qui ne conduit pas au développement manque fondamentalement à sa mission »[11]. C’est à ce titre que Joseph Ki-Zerbo, pense qu’il faut « faire du développement une grande affaire d’éducation, et de l’éducation, une vaste entreprise de développement »[12]. En d’autres termes, « Conformément à sa vision du développement qualitatif déjà décrite, il plaide pour une éducation capable de prendre en compte la valeur économique des liens sociaux et à même d’évaluer la pertinence sociale de l’accumulation des biens matériels »[13].

 Dans ce cas, l’éducation est un véritable moteur qui doit permettre aux citoyens gabonais de comprendre la nécessité de valoriser les rapports sociaux et moraux. Le citoyen valorise « la solidarité, le patriotisme, le civisme et la loyauté à l’égard des institutions et de la Constitution qui les sous-tendent »[14], estime Landry Ndounou. C’est pourquoi, la philosophie défend les valeurs qui concourent à la paix dans le monde, à savoir : la démocratie, les droits de l’homme, l’égalité et la justice. A cet effet, il faut éduquer le citoyen gabonais à ces valeurs, notamment à celle de la démocratie. Autrement dit, « forger une formation culturelle des citoyens à la démocratie »[15], Dans la même perspective, Léon Matanguila,  pense que :

Tant qu’une éducation, vectrice des valeurs des libertés, du respect de nos différences, promotrice des droits de l’homme et de la vie, de l’égalité pour tous, ne sera pas intégrée dans nos divers programmes de formation primaires, secondaires et universitaires, l’apprentissage du vivre-ensemble dans la paix sera ; à mon avis, illusoire[16].

 Somme toute, « L’éducation étant l’un des axes de l’apprentissage de la citoyenneté, elle s’inscrit à ce titre au cœur des missions de l’école et participe résolument à former des jeunes citoyens égaux et différents, capables de vivre ensemble dans de sociétés en réseaux »[17].

2. La réflexion sur la légitimité des institutions[18]

           La philosophie nous interpelle sur l’idée que l’éducation est un élément salvateur et primordial qui permet d’éclairer les gouvernants africains sur la nécessité de mettre en place les institutions légitimes. En effet, le questionnement sur la légitimité des institutions permet de réinventer une organisation démocratique qui aspire la confiance entre les gouvernants et les gouvernés en Afrique, en général et au Gabon, en particulier. Mais cela n’est possible que par la production des institutions fortes et la formation des citoyens qualifiés, afin de promouvoir  une société gabonaise démocratique, juste, équitable et prospère.  L’ancien Président américain Barack Obama, lors de son discours prononcé au Ghana, le 11 juillet 2009 affirmait : « L’Afrique n’a pas besoin des hommes forts, mais de fortes institutions ». A contrario, en cas de problématique de gouvernance ou de dysfonctionnement étatique, les autorités compétentes doivent admettre que l’une des solutions idoines consiste effectivement à restaurer les institutions démocratiquement fortes. Il s’agit donc d’admettre que l’expérimentation démocratique trouverait son essor que lorsque l’Afrique, en général, et le Gabon, en particulier, aurait compris la nécessité de s’appuyer sur l’éducation. Irma Julienne Angue Medoux note avec pertinence que :

La montée en puissance des démocraties a besoin de s’appuyer sur une montée en puissance de l’éducation qui puisse guérir les démocraties libérales et délibératives de leur volonté de puissance logocentrique en forgeant une faculté de juger démocratique qui soit à l’œuvre chez tous les partenaires sociaux[19].

 Une carence en matière d’éducation pourrait manifestement constituer l’un des obstacles de l’expérimentation démocratique, et donc un blocage au développement économique et social de la société gabonaise. Cela dit, c’est par l’éducation que les citoyens gabonais auront la possibilité de comprendre que ces institutions doivent avoir une vocation à défende et à promouvoir leurs intérêts, leurs droits fondamentaux, et donc assurer leur bien-être. Landry Ndounou n’en pense pas moins : « L’accès à un niveau de connaissance et de savoir suffisant permet au citoyen de se saisir comme un membre effectif du souverain, capable de ce fait, de mieux contrôler la qualité des lois et le mode de gouvernance en vigueur dans l’État, d’en exiger la révision, le cas échéant, d’en suggérer la nécessaire refondation, par le biais d’amendement élaboré »[20]. Ainsi, du point de vue philosophique, l’éducation permet au citoyen d’être éveillé, observateur et critique face à la législation, et non d’être un admirateur. Comme l’aurait compris Condorcet :

Le but de l’instruction n’est pas de faire admirer aux hommes une législation toute faite, mais de les rendre capables de l’apprécier et de la corriger. Il ne s’agit pas de soumettre chaque génération aux opinions comme à la volonté de celle qui la précède, mais de les éclairer de plus en plus, afin que chacun devienne de plus en plus digne de se gouverner par sa propre raison[21].

3. L’élite intellectuelle gabonaise : Quel modèle pour la population ?

 Par élite, nous entendons ici l’ensemble de personnes qui, par rapport à leur position sociale, dispose d’une forme d’autorité et la met à profit pour persuader, proposer, débattre, permettre à l’esprit critique de s’émanciper des représentations sociales. Le terme d’élite vient de l’ancien français eslit, participe passé du verbe elire[22], lui-même dérivé du verbe latin eligere, signifiant extraire, choisir. L’élite désigne alors la sélection de ce qu’il y a de meilleur parmi un ensemble de choses ou de personnes[23]. Celle-ci est composée d’intellectuels, des leaders religieux, des leaders politiques et d’artistes. Mais dans le cadre de notre analyse, il s’agit effectivement de l’élite intellectuelle gabonaise (homme ou femme). Elle devrait être considérée comme le modèle, en contexte d’apprentissage, dans la société africaine, en général, et gabonaise, en particulier.

 A cet effet, nous pensons que l’élite intellectuelle au Gabon doit être un prototype à la formation du citoyen, et donc source de développement social du pays : « l’élite en Afrique a une trajectoire sociale »[24], selon Jean Daniel Bombela. L’élite intellectuelle africaine ou gabonaise, par son acquisition de certaines valeurs cléricales et les responsabilités qu’il occupe dans la sphère publique, doit être un exemple pour la population. C’est-à-dire, nous sous-tendons que l’élite intellectuelle se doit d’incarner une conduite exemplaire (en matière de moralité et de responsabilité), qui pourrait avoir une influence positive à l’égard de la population. Comme l’affirme Akala Ekondy, « l’élite influence la conduite du reste de la population simplement en étant ce qu’elle est, à savoir un groupe jugé « de position élevée » à bien des égards »[25]. Dans ce cas, l’élite intellectuelle africaine serait alors un vecteur des valeurs (justice, égalité, liberté, bonté, etc.) qui concourent au développement de la société. Autrement dit, à travers ses analyses, ses conseils et sa vision rationnelle du vivre-ensemble, celle-ci se doit d’être l’artisan du progrès de la société. Elle est portée au plus haut sommet de la société, et apparaît donc comme ce modèle qui inspire l’éducation de la jeunesse, voire du citoyen. C’est pourquoi, Akala Ekondy pense qu’« elle est admirée et imitée, car on estime qu’elle possède des avantages importants et des qualités précieuses »[26]. Nous pensons que l’élite intellectuelle gabonaise, par  sa connaissance, son esprit ouvert et sa critique, doit défendre les valeurs cléricales, s’engager dans la société et mettre son intelligence au service de toutes les couches de la communauté. De manière logique, l’élite intellectuelle doit être au centre de l’appareil de l’État, diriger les projets de développement, donner des orientations sur l’organisation politique, évaluer les politiques économiques, sociales et culturelles. C’est ce qui confère à l’élite intellectuelle une certaine légitimité à l’égard de la société, et donc fait d’elle un modèle pour la population. Akala Ekondy, n’en pense pas moins : « Ainsi, par sa seule manière d’agir et de penser, elle fixe des normes adoptées par l’ensemble de la société, son influence et son pouvoir sont ceux d’un modèle accepté, qui paraît digne d’être copié »[27].

4. Les perspectives philosophiques de l’éducation à la politique

 Les implications philosophiques de l’éducation à la politique doivent avoir un impact dans les faits sociétaux. Autrement dit, elles doivent être centrées sur l’homme et sur son éducation. En effet, c’est au moyen de l’éducation que le citoyen africain ou gabonais aura la possibilité d’accéder à une formation de qualité et à un éveil de conscience, et de les mettre finalement en exergue au profil du progrès de la société.  C’est par là que la pleine conscience de mettre en place la bonne gouvernance sera effective. Pour ainsi, ceux qui gouvernent la chose publique pourront maintenant comprendre la nécessité d’acter une répartition équitable des ressources. Ainsi, nous pensons qu’il apparaît donc urgent que l’Afrique, en général, et le Gabon, en particulier, devrait valoriser des pratiques éducatives et politiques républicaines dans l’optique de favoriser la bonne formation des citoyens, et leur insertion socioprofessionnelle. Pour « aider chaque jeune à jouir pleinement de sa liberté, à vivre ses droits et devoirs, à se reconnaître dans la société et participer au jeu démocratique », estime  Caroline Claire Yankep. Parce que, selon Baden Powell, « il faut développer la société en développant les gens qui la composent »[28].        

CONCLUSION

 En somme, nous avons vu dans cet article que les enjeux philosophiques de l’éducation à la politique nous ont permis de comprendre que l’éducation est un facteur substantiel pour la réalisation des sociétés démocratiques en Afrique, en général, et au Gabon, en particulier. Si du point de vue de la philosophique, l’éducation[29] est la voie qui mène à la formation d’un jugement autonome, alors nous pensons que l’autonomie[30] doit être la première qualité du citoyen gabonais. C’est la condition du politique où doit se décider précisément les moyens pour réaliser le bien commun de la société gabonaise. Ce qui sous-tend que l’un des remèdes au problème de la démocratie au Gabon, voire en Afrique doit être cherché dans l’éducation. Parce que c’est à travers elle que le citoyen arrive à comprendre que les dirigeants africains ne doivent pas gouverner selon leurs passions et à leur avantage. Au risque de succomber dans une gouvernance despotique. Alors que le gouvernement des hommes libres et rationnels s’organise à l’avantage de la félicité du plus grand nombre. Pierre Rosanvallon nous interpelle, dans La Contre-démocratie. La politique à l’âge de la défiance[31], de proscrire l’image d’antan du citoyen-électeur-passif, qui non seulement limite son implication à la politique aux échéances électorales, et demeure aussi au tant passif que spectateur politique durant le mandat des élus. Mais pour une nouvelle orientation politique contemporaine, en général, et africaine, en particulier, il faut valoriser le citoyen-électeur-vigilant, dit-il. C’est-à-dire, un citoyen actif, surveillant, dénonciateur et évaluateur face à l’action gouvernementale de façon constante, même après les échéances électorales. Caroline Claire Yankep, dans Jeunesse et citoyenneté active au Cameroun, n’en pense pas moins :

L’on distingue deux types de citoyens. Le citoyen passif (celui qui choisit de ne pas participer) et celui actif (celui qui participe). Quant à la citoyenneté active qui nous intéresse ici, elle est la mise en œuvre dans la vie de tous les jours de son rôle den citoyen. Elle passe essentiellement par le fait associatif, l’exercice des droits d’association, d’expression libre, de grève et de manifestation entre autres[32].

 Dès lors, les élites intellectuelles africaines, en général, et gabonaises, en particulier, doivent veiller à la survie de la démocratie par leurs critiques, analyses et orientations. Elles sont les prêtres  de la vérité, les défenseurs de la liberté et les garants de la justice et l’égalité sociale. Charles Zacharie Bowao, dans La Tragédie du Pouvoir. Une Psychanalyse du Slogan Politique, note avec pertinence que « La pensée critique est libre et responsable de ses actes. Nul ne peut l’enfermer dans un carcan partisan. D’où qu’il s’exprime, le philosophe ne poursuit que la vérité »[33]. Les élites intellectuelles sont alors des modèles de la société, et c’est de façon sempiternelle qu’elles doivent défendre la cause commune, même au péril de leur âme : « il est difficile, en Afrique, d’accomplir son office d’intellectuel sans s’attirer la foudre des fanatiques »[34], affirme Charles Zacharie Bowao. René Dumont, dans Démocratie pour l’Afrique, estime que l’éducation « c’est aussi une priorité politique, car toute démocratie vraie requiert une masse éduquée plus intelligemment que jusqu’ici »[35]. C’est à chaque citoyen africain, en général, et gabonais, en particulier, de comprendre que les savoirs philosophiques sont nécessaires (salvateurs et transformateurs) pour une éducation à la politique valorisant toute la plénitude d’un vivre-ensemble vers le bonheur.  

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[1] Biléou Sakpane-Gbati, « La démocratie à l’africaine », Éthique Publique, OpenEdition Journals, 2011, p. 1.

[2] Pierre Nzinzi, « Éducation et démocratie dans les sociétés postmodernes africaines et européennes », in Éducation et démocratie en Afrique et en Europe, acte du colloque de Libreville, du 23 au 25 janvier 2013 à l’Université Omar Bongo, Paris, Éditions L’Harmattan, 2014, p. 9.

[3] La citoyenneté est le statut juridique qui permet à un individu de devenir citoyen.  A cet effet, la citoyenneté donne accès à l’ensemble des droits politiques, tout en créant des devoirs, permettant de participer à la vie civique d’une société ou d’une communauté politique. C’est-à-dire, c’est un principe qui permet à un individu de devenir un citoyen dont l’objectif est de participer à la vie politique de son pays.

[4] L’organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la Science et la Culture (UNESCO) a institué depuis 2005 la célébration de la Journée Mondiale de la Philosophie chaque 16 novembre de l’année. C’est dans l’objectif de favoriser les sociétés plus inclusives, tolérantes et pacifiques. A cet effet, la philosophie contribue à consolider les véritables fondements d’une coexistence pacifique dont l’optique d’œuvrer pour une meilleure compréhension du monde, et de promouvoir la paix. L’UNESCO, en l’instituant, souligne l’importance de la philosophie, surtout pour les jeunes, elle encourage la pensée critique et autonome. C’est pourquoi, d’ailleurs, elle doit avoir une réflexion au près d’un large public. Et d’autant plus dans des pays où la philosophie n’est pas abordée en études supérieures.

[5] Porteur du projet : Département de Philosophie, Université Omar Bongo, Pr. J.-R.-E. Eyené Mba, Pr. C.O. Mpaga, Pr. Th. Ekogha, Dr. R. Edou Nkoghé, Dr. N. Engone Elloué.

[6] John Dewey, « Philosophie de l’éducation », in Les ouvrages Middle de John Dewey, 1916, p. 306-307.

[7] Un citoyen c’est celui qui jouit des droits et s’acquitte des devoirs définis par les lois et les mœurs d’un État organisé. C‘est-à-dire, celui qui bénéficie de l’égalité devant la loi, de la sécurité et de la liberté grâce au contrat social qui transforme l’individu en membre authentique du corps politique. (A partir de XVIIIe avec Rousseau, voir Gérard DUROZOI  et André ROUSSEL, Dictionnaire de Philosophie, Paris, Éditions Nathan, 1997, p. 69.). Dans l’Antiquité grecque, le citoyen est un homme libre appartenant au corps civique dans la cité. Dans la Rome antique, le citoyen est un homme libre doté de droits politiques dans la cité.

[8] Voir « Module de formation Philosophie », FORMATION DES PROFESSEURS

CONTRACTUELS DU PROGRAMME SOCIAL

DU GOUVERNEMENT IVOIRIEN 2019, 28 juillet – 30 septembre 2019, p. 9.

[9] Landry P. R. Ndounou, « Éducation, citoyenneté, démocratie au Gabon », in Éducation et démocratie en Afrique et en Europe, Paris, Éditions L’Harmattan, 2014, p. 202.

[10] Gaëlle Jeanmart, « L’autonomie comme enjeu de l’éducation scolaire. Le regard des philosophes », Philocité, Paris, 2009, p. 4. 

[11] Issaka Yameogo, « De l’éthique de l’éducation en Afrique : sur les traces de Joseph Ki-Zerbo », Éthique en éducation et en formation, Érudit, 2021, p. 11-12.   

[12] Joseph Ki-Zerbo, Éducation et développement en Afrique. Cinquante ans de réflexion et d’action. Ouagadougou : Fondation pour l’Histoire et le Développement endogène de l’Afrique, Paris, Éditions Les Presses Africaines, 2010, p. 183.

[13] Issaka Yameogo, Op. cit., p. 12.

[14] Landry P. R. Ndounou, « Éducation, citoyenneté, démocratie au Gabon »Op. cit.,  p. 201.

[15] Irma Julienne Angue Medoux, « Présentation de l’argument », in Éducation et démocratie en Afrique et en Europe, présente les actes du colloque qui s’est tenu à Libreville, du 23 au 25 janvier 2013 à l’Université Omar Bongo, Paris, Éditions L’Harmattan, 2014, Quatrième de couverture.

[16] Léon Matangila, « L’éducation à l’interculturalité, condition pour l’essor des démocraties en Afrique », in Éducation et démocratie en Afrique et en Europe, Paris, Éditions L’Harmattan, 2014, p. 168.

[17] Caroline Claire Yankep, « Jeunesse et citoyenneté active au Cameroun », in Citoyenneté active au Cameroun : enjeux, défis et perspectives, Friedrich Ebert Stiftung, Yaoundé (Cameroun), 2017, p. 61.

[18] Une institution est une structure d’origine coutumière ou légale, faite d’un ensemble de règles orienté vers une fin, qui participe à l’organisation de la société ou de l’État. Autrement dit, Une institution est l’organisation d’un corps administratif. Elle est mise en place par la constitution, les lois, les règlements et les coutumes.

[19] Irma Julienne Angue Medoux, « Présentation de l’argument », Op. cit., p. 13.

[20] Landry P. R. Ndounou,  « Éducation, citoyenneté, démocratie au Gabon», Op. cit., p. 202.

[21] Condorcet, Cinq mémoires sur l’instruction publique (1791-1792), Paris, Éditions Flammarion, 1994, p. 93.

[22] Voir Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales, CNRS, 2012. Informations lexicographiques [archive] et étymologiques [archive] de « Élite » dans le Trésor de la langue française informatisé, sur le site du Centre national de ressources textuelles et lexicales.

[23] Ibid.

[24] Lire à ce sujet, Jean Daniel Bombela, « L’État africain et ses élites », Appel à contribution, Calenda, Publié le mercredi 23 août 2023, https://calenda.org/1091859 (Yaoundé, Cameroun). Jean Daniel Bombela est Enseignant Chercheur au Département de Science Politique à l’Université de Yaoundé II.

[25] Akala Ekondy, « Les  élites africaines et les relations sociales : La notion d’élite sociale », Journal Article, Éditions Présence africaine, 1965, p. 1.

[26] Ibid., p. 1.

[27] Ibid.

[28] Baden Powell cité par Caroline Claire Yankep, dans « Jeunesse et citoyenneté active au Cameroun », Op. cit., p. 62.

[29] L’éducation a pour première mission de faire des citoyens. Et l’autonomie, qui est le premier enjeu de cette éducation à la citoyenneté, est considérée de manière toute à fait politique comme la capacité à reléguer ses intérêts privés et immédiats pour mettre en avant l’intérêt général et le bien commun.

[30] Chez Aristote, le problème essentiel de l’éducation est lié au problème  politique. Aristote a une conception proprement politique de l’autonomie : c’est est la capacité de bien délibérer sur les moyens pour parvenir au bien le plus général, au bien du plus grand nombre.

La citoyenneté juridiquement peut être définie comme la jouissance des droits civiques attachés à la nationalité, c’est-à-dire la jouissance de l’ensemble des droits privés et publics qui constituent le statut des membres d’un État donné qui les reconnaît comme tels.

[31] Lire à ce sujet, Pierre Rosanvallon, La Contre-démocratie. La politique à l’âge de la défiance, Paris, Éditions du Seuil, 2006. 

[32] Caroline Claire Yankep, « Jeunesse et citoyenneté active au Cameroun », Op. cit., p. 65.

[33] Charles Zacharie Bowao, La Tragédie du Pouvoir. Une Psychanalyse du Slogan Politique, Paris, Éditions Dianoïa, 2015, p. 24.  

[34] Ibid., p. 23.

[35] René Dumont, Démocratie pour l’Afrique, Paris, Éditions du Seuil, 1962, p. 257.

Comment mobiliser l’épargne de la diaspora africaine pour financer l’entrepreneuriat sur le continent africain ?

Par Lucien Kouakou, co-fondateur de l’association Youth Alliance for Sustainable Solutions for Africa (YASSA)

L’Afrique est le berceau de l’humanité, une terre riche de diversité culturelle et naturelle. Pourtant, de nombreuses régions du continent sont confrontées à des défis économiques et structurels qui entravent leur développement. Dans ce contexte, la diaspora africaine éparpillée aux quatre coins du monde détient un potentiel économique exceptionnel pour contribuer au progrès de leur continent d’origine.

La diaspora africaine est vaste, comptant des millions d’individus ayant quitté leurs terres natales à la recherche de meilleures opportunités. En Europe, en Amérique, en Asie, ou ailleurs, les membres de cette diaspora représentent une formidable force économique et un lien vital entre leur pays d’origine et leur pays de résidence actuel. Leurs efforts, leurs talents et surtout leur épargne sont des atouts précieux pour l’Afrique.

Cependant, malgré ce potentiel considérable, une grande partie de l’épargne de la diaspora africaine reste sous-exploitée, dormant dans des comptes bancaires, des biens immobiliers ou des investissements sans lien direct avec le continent. Les mécanismes de collecte et de transfert de fonds existent, mais ils sont loin d’atteindre leur plein potentiel. Cette sous-utilisation de l’épargne de la diaspora prive l’Afrique de ressources essentielles pour son développement.

Cet article explore cette opportunité inexploitée. Dans les pages qui suivent, nous plongerons dans la taille et la composition de la diaspora africaine, examinant l’importance de cette diaspora en tant que levier économique pour le continent. Nous examinerons également comment l’épargne de la diaspora est actuellement gérée, les mécanismes de transfert en place et les défis qui entravent son efficacité. Enfin, nous proposerons des solutions et des mécanismes innovants pour mobiliser cette épargne au profit de l’entrepreneuriat en Afrique, décrivant comment elle peut contribuer à stimuler la croissance économique, à favoriser l’innovation et à créer des opportunités pour des millions d’Africains.

Il est temps de transformer cette épargne en moteur de changement positif sur le continent. Il est temps que la diaspora africaine réalise pleinement son potentiel en investissant dans l’avenir de l’Afrique. Bienvenue dans notre exploration de ce thème essentiel et prometteur.

A-t-on une idée de la diaspora africaine dans le monde ?

 La diaspora africaine, un phénomène complexe et dynamique, a connu une évolution significative au cours des dernières décennies. De nombreux Africains ont choisi de s’établir en dehors de leur continent d’origine, motivés par des raisons diverses allant des études aux opportunités d’affaires. Cette migration prend différentes formes, allant des séjours temporaires aux décisions de résidence permanente. Depuis 1990, la diaspora africaine a enregistré une croissance marquée. En 2020, sur les 281 millions de migrants internationaux dans le monde, 25,4 millions étaient d’origine africaine, selon les données du (DAES, 2020). Cette dispersion géographique a conduit à la formation de communautés africaines diverses dans le monde entier.

Selon l’Organisation Internationale pour l’Immigration (OIM) les pays africains qui comptent le plus grand nombre d’émigrants se trouvent généralement dans le nord du continent. Ils apparaissent dans la colonne de gauche de la figure ci-dessus, où les pays sont classés selon leur nombre total de migrants (immigrants et émigrants). En 2019, l’Égypte comptait le plus grand nombre de ressortissants à l’étranger, devant le Maroc, le Soudan du Sud, la Somalie, le Soudan et l’Algérie )  (International Organization for Immigration, 2022).

Selon les données de Département des affaires économiques et sociales des Nations unies (UNDESA), 82% des africains quittant leur pays de naissance réside dans un autre pays d’Afrique. Seulement 4.8% vont en Asie, et 2.6% en Europe. Sur le plan économique, les migrants africains semblent privilégier les pays à faibles revenus, représentant 58,9% de leurs destinations, tandis que 27,18% optent pour des pays à revenus moyens. Les migrations vers des pays à très hauts revenus restent limitées à 3,26%. Cette orientation économique peut refléter les opportunités perçues dans des contextes économiques similaires à ceux d’origine.

Table 1:United Nations Department of Economic and Social Affairs, Population Division (2020). International Migrant Stock 2020.

Quel potentiel économique représente cette diaspora ?

Selon les données de la Banque mondiale, les flux financiers de la diaspora africaine ont compté pour 3,5 % du produit intérieur brut (PIB) de l’Afrique en 2019 alors que les Aides Publiques au Développement (APD) comptaient que 2,2 % sur la même période. Cette tendance n’a cessé d’évoluer depuis lors. En 2022 par exemple, les africains de la diaspora ont envoyé 95 milliards de dollars en aide sur le continent (World Bank, 2023). Sur ce montant, environ 53 milliards de dollars sont allés vers des pays d’Afrique subsaharienne, avec le Nigéria, le Ghana, le Kenya et le Zimbabwe en tant que principales destinations. A titre comparatif, seulement 30 milliards de dollars ont été reçu en investissement direct étrangers et 29 milliards de dollars d’aide au développement officielle pour l’Afrique subsaharienne sur la même période. Les transferts de la diaspora sont devenus la principale source de devises étrangères dans plusieurs pays. Par exemple, pour le Kenya, ces transferts sont plus importants que les exportations clés du pays, y compris le tourisme, le thé, le café et l’horticulture (World Bank, 2023). Les pays les plus dépendants des transferts de la diaspora, en proportion du PIB, sont : la Gambie, le Lesotho, les Comores et le Cap-Vert tel que le montre le graphique ci-après.

Cependant, malgré cette contribution financière substantielle, l’Afrique demeure le continent où les coûts de transfert d’argent sont les plus élevés. En moyenne, la diaspora africaine paie des frais de transfert avoisinant les 8% pour envoyer de l’argent vers les familles restées sur place, comme indiqué par le graphique de la Banque Mondiale. Cette réalité souligne le besoin pressant d’initiatives visant à réduire ces coûts et à maximiser l’impact positif de ces transferts.

Mais est-ce seulement de l’argent que peut apporter la diaspora dans le monde ?

La contribution de la diaspora ne se limite pas à un apport financier, mais elle détient également un capital humain précieux. En effet, outre les ressources financières, la diaspora africaine représente un vivier de compétences techniques considérables.

La fuite des cerveaux demeure un défi majeur entravant le progrès en Afrique. De nombreux Africains expatriés possèdent des qualifications élevées dans des secteurs où le continent souffre d’un déficit crucial, notamment dans les domaines des mathématiques, des sciences, des technologies et de l’ingénierie.

Selon un article publié par Gnimassou, la taille de la diaspora africaine dans les pays développés de l’OCDE a connu une augmentation significative depuis 1990. Cela a entraîné une proportion élevée de diaspora africaine qualifiée dans ces pays par rapport à la population ayant un niveau similaire d’éducation dans les pays d’origine. Certains pays africains, tels que l’Angola, le Cameroun, le Ghana, le Libéria et le Sénégal, affichaient un taux de diaspora qualifiée dépassant les 20% en 2010. Pour d’autres, comme la Guinée équatoriale, la Sierra Leone, l’Érythrée et la Mauritanie, ce taux atteignait même les 40%. Cette concentration de compétences constitue un réservoir essentiel pour le développement de l’économie africaine (Gnimassoun, 2021).

Comment peut-on mobiliser ce potentiel de la diaspora ?

Historiquement, les transferts financiers de la diaspora africaine vers les familles restées au pays étaient réalisés par des virements bancaires ou via des services bien établis tels que Western Union, Money Gram, RIA, VISA, Equity Bank (Kenya). Cependant, ces méthodes étaient souvent grevées de coûts élevés tant pour l’expéditeur que pour le bénéficiaire.

Fintechs de la dernière décennie, les transferts de fonds ont été simplifiés et les coûts considérablement réduits grâce à l’émergence des plateformes de transfert d’argent numériques, communément appelées fintechs. Par rapport aux institutions bancaires traditionnelles, les fintechs ont intégré de nombreuses améliorations pour répondre à la demande croissante de transferts de fonds d’une population d’utilisateurs en constante augmentation. Des fintechs telles que Kyshi, Wise , Sendwave, WorldRemit, Orange Money, Nala Money, M-PESA, Upesi Money Transfer, Afriex, Mukuru Africa, Skrill , Chipper Cash, TapTapsend, Dahabshill , Paytoo, Mamamoney, M-Shwari (Kenya), Homesend, MSF Africa, etc. offrent aux Africains la possibilité d’effectuer des virements depuis leur pays de résidence vers leur pays d’origine. Cette évolution simplifie et rend plus accessible la contribution de la diaspora au développement économique de l’Afrique.

Orientations des capitaux transférés par la diaspora africaine vers le continent : Quelle destination pour ce capital massif ?

Malgré le potentiel des investissements de la diaspora, l’analyse de leur impact en tant que moyen de financement du développement a souvent oscillé entre optimisme et pessimisme. La lacune d’informations sur les flux financiers de la diaspora, en général, et leurs destinations d’utilisation, ne permet pas une classification précise de l’utilisation des fonds de la diaspora africaine. Traditionnellement, l’Afrique est perçue comme un continent caractérisé par la solidarité. Il n’est donc pas surprenant que la majeure partie des capitaux rapatriés par la diaspora africaine serve à soutenir les familles restées sur place, notamment à travers l’investissement dans l’éducation, les soins de santé et l’alimentation. Selon l’Agence Française de Développement, environ 80 % des transferts d’argent vers les pays d’origine sont destinés à la consommation et à la couverture des risques familiaux (sécurité alimentaire, santé, éducation). Cependant, la proportion restante, soit environ 20 %, représente près d’un tiers du total de l’Aide Publique au Développement.

Les graphiques issus d’une étude de Making Finance Work for Africa (MFW4A) pour le Sénégal, le Ghana et le Nigéria donnent une estimation des montants transférés et de leurs utilisations respectives par la diaspora. Les diasporas du Ghana et du Nigeria semblent envoyer moins d’aides financières à leur pays d’origine. Cette disparité par rapport au Sénégal peut s’expliquer par divers facteurs, tels que les taux de change entre la monnaie du pays d’origine des fonds et celle du pays bénéficiaire. Cependant, ces montants demeurent significatifs lorsqu’on les compare au PIB par habitant des trois pays étudiés.

Un autre aspect important révélé par cette étude est que la diaspora africaine épargne depuis leur pays de résidence. Cette épargne est soit investie localement, soit transférée vers le continent pour soutenir les familles restées sur place ou financer des projets économiques. Cette dynamique souligne la diversité des usages de la diaspora africaine en matière de mobilisation de capitaux.

Comment peut-on orienter ce capital vers l’économie réel du continent ?

Malheureusement, les pays africains sont toujours confrontés à un énorme déficit de financement pour le développement de l’économie du contient.  Comment peut-on alors susciter plus de flux de la diaspora vers le continent ? et comment l’utiliser plus efficacement pour soutenir le développement économique du continent ?

Aujourd’hui plusieurs solutions se dessinent, et les modèles de réussite se multiplient dans le monde.

Ces paragraphes ci-après font le tour de approchent bien connues à ce jour.

  1. Le crowdfunding

Le crowdfunding, ou financement participatif en français, permet de mobiliser de l’épargne des particuliers à travers des plateformes digitales pour financer des solutions entrepreneuriales. Plusieurs plateformes de crowdfunding spécialement destinées à l’Afrique se constituent et permettent à la diaspora de contribuer au financement des startups et des projets depuis leur pays de résidence.

Selon la contrepartie des fonds envoyés l’on distingue plusieurs types de crowdfunding :

Selon le Cambridge Centre for Alternative Finance (CCAF), en 2016, le marché du financement participatif en Afrique était estimé à 182 millions de dollars. Le Nigeria, l’Afrique du Sud et le Kenya étaient les trois principaux marchés identifiés dans le rapport du CCAF. Les prévisions indiquent désormais que le financement participatif en Afrique subsaharienne pourrait atteindre potentiellement 2,5 milliards de dollars d’ici à 2025.

  • Le Diaspora bond

Des instruments financiers innovants voient le jour pour financer des projets d’envergure nationaux. C’est le cas des « Diaspora bonds » qui sont des titres d’emprunt obligataire émis par les États en vue de mobiliser l’épargne de la diaspora ont pour vocation de briser la spirale de la dette insoutenable des Etats africains en proposants des obligations à des taux plus favorables comparés aux obligations ordinaires des marchés financiers. Ce mécanisme a déjà prouvé son potentiel en Israël et en Inde.  L’Israël et l’Inde ont levé entre 35 et 40 milliards de dollars grâce à ces obligations depuis 1951 (Ratha & Ketkar, 2007). Malgré le potentiel de cet instrument, très peu de pays africains l’ont exploré jusqu’à présent. Seulement quelques pays tels que le Nigéria ont effectué leur première opération de Diaspora Bond avec succès. En 2017, le pays a pu lever jusqu’à 300 millions de dollars à travers le Diaspora Bond. Cependant, ce montant restait significativement très petit comparé aux 21 milliards de dollars reçus à travers les transferts de la diaspora la même année (Kazeem, 2017).

  • Les clubs d’investissement de la diaspora

Plusieurs clubs d’investissement de la diaspora se créent et permettent à des individus de se cotiser leurs épargnes en vue de financer un projet commun sur le continent. C’est le cas de la solution proposée par Nawali, une initiative qui vise à construire des quartiers écologiques au Sénégal à travers l’épargne de la diaspora (Nawali, 2022). Dans la même idée, au Burkina Faso un appel à la diaspora et au peuple a été lancé par le pouvoir public en vue de souscription massive à l’entrepreneuriat communautaire avec comme objectif, la construction de deux usines de transformation de la tomate à Bobo-Dioulasso et à Tenkodogo (AIB, 2023). Dans la même dynamique, au Mali, les ambassadeurs s’unissent pour mobiliser la diaspora à investir dans le pays.

En 2020 le Kenya a créé son premier fonds d’investissement agréé pour sa diaspora, ce qui devrait permettre de canaliser une plus grande partie de l’argent de la diaspora vers des projets de développement dans l’ensemble du pays (African Business, 2020).

  • Les institutions de développement

La problématique du financement de l’économie africaine par la diaspora a bien des supporteurs institutionnels. Des institutions telles que l’Agence Française de Développement (AFD) se mobilisent pour soutenir des Etats à définir un cadre règlementaire, et propice pour canaliser les fonds en provenance de la diaspora. Ainsi, le Sénégal et l’AFD renforcent leur coopération sur le sujet en signant une convention de financement des initiatives des diasporas sénégalaises de France, mais aussi d’Espagne, d’Italie et de Belgique, en faveur du développement du pays (Kaba, 2017)

En 2022, l’Union Africaine a lancé African Diaspora Investment Fund (ADIF). Selon l’Union africaine, l’ADFC sera créé en tant qu’institution financière continentale indépendante, non membre de l’UA. Elle fonctionnera comme une entreprise sociale et collaborera avec les institutions financières, de développement et de la diaspora africaines et mondiales (Negash, 2022).

Des outils méthodiques pour permettre aux états africains d’évaluer le potentiel de la diaspora

Making Finance Work for Africa (MFW4A) en collaboration avec DMA Global et l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) ont développé une boîte à outils dédiée à une meilleure compréhension des investissements de la diaspora en Afrique. Cet outil est l’aboutissement de nombreuses années de discussions qui ont découlé de l’étude intitulée : « Une approche systématique pour soutenir les investissements de la diaspora en Afrique ». L’étude visait à développer une méthodologie pour aider les pays à identifier les opportunités de stimuler le capital de la diaspora comme source viable d’investissement productif, et la meilleure approche pour attirer cet investissement. A travers leur étude, ils sont parvenus à cartographier les principaux canaux pouvant être utilisés pour mobiliser des investissements financiers de la diaspora. Cet outil, bien que destiné aux Etats dans leurs politiques de canaliser les capitaux de la diaspora permets aussi aux privés de saisir l’opportunité d’affaire que la problématique offre.

Cet outil met en évidence deux principaux type d’instruments d’investissement :

  • Les instruments du gouvernement : Obligations d’État, régimes publics de retraite pour la diaspora
  • Les instruments privés : Obligations d’entreprise de la diaspora, portails en ligne de placements collectifs, comptes d’épargne de la diaspora, prêts et hypothèques de la diaspora fonds gérés de la diaspora

Le graphique ci-dessous présente un aperçu des différents canaux d’investissement couverts par le modèle, (Benbrahim, 2020), (Banque Africaine de Développement & Making Finance Work for Africa, 2019).

Les obstacles d’un déploiement massif des fonds de la diaspora vers le continent africain sont divers.

Les défis entravant un flux massif des fonds de la diaspora vers le continent africain sont variés, comme indiqué dans une étude de Making Finance Work for Africa (MFW4A). Cette analyse met en lumière plusieurs raisons qui limitent la contribution de la diaspora, résumées dans les graphiques ci-dessous. Les résultats soulignent clairement que l’absence d’un cadre administratif fiable constitue un obstacle majeur à la participation de la diaspora africaine. De manière unanime, la corruption, le manque d’une entité de confiance pour une gestion optimale des fonds, ainsi que le déficit d’informations sur les projets dans les pays ciblés, se présentent comme les principaux freins à cette contribution.

En adressant promptement et durablement ces problématiques, il est possible d’accélérer l’engagement de la diaspora aux côtés des pays d’Afrique. En effet, la mise en place de mécanismes transparents, la lutte contre la corruption, et une communication efficace sur les projets en cours peuvent contribuer à instaurer la confiance nécessaire pour mobiliser de manière plus importante les ressources de la diaspora.

Quelles propositions  de solutions ?

Nous sommes convaincus que la diaspora peut jouer un rôle significatif dans le développement économique de l’Afrique, en combinant le transfert de compétences et le transfert de capitaux. Cependant, il est impératif d’harmoniser judicieusement ces deux ressources. Des initiatives telles que le crowdfunding et les diaspora bonds semblent très prometteuses. Toutefois, il est essentiel d’établir un cadre réglementaire approprié en mobilisant les acteurs publics et privés compétents pour garantir leur bon fonctionnement, notamment en abordant des problématiques telles que la réduction des coûts de transferts, la sécurité et la garantie des fonds, etc.

Pour notre part, nous croyons que les actions suivantes peuvent avoir de forts impacts sur l’écosystème entrepreneurial du continent.

  1. Prise de participation dans les startups incubées 

 L’objectif de cette approche est d’accompagner les startups dès leurs phases initiales de développement en mettant à leur disposition les ressources humaines nécessaires. Ensuite, la mobilisation de capitaux à travers les membres d’un club d’investissement de la diaspora pour prendre des participations. Cette approche présente un intérêt double : d’une part, pour l’entrepreneur qui bénéficie d’un pool de compétences pour mieux structurer son entreprise et accède aux capitaux nécessaires à la mise en œuvre de ses idées, et d’autre part, pour le club d’investissement qui peut réaliser des profits sur la croissance de l’entreprise.

  • Fond d’investissement de la diaspora

La création de fonds d’investissement spécialisés dans les startups africaines, avec des apporteurs de capitaux issus de la diaspora, permettrait d’aligner les besoins de la diaspora en termes d’investissement sur le continent avec les besoins de financement des startups locales.

Que retient-on de tout cela ?

Cette étude de la mobilisation de l’épargne africaine pour le financement de l’entrepreneuriat sur le continent révèle un potentiel significatif et une dynamique en pleine évolution. La diaspora africaine, à travers ses flux financiers, représente une source cruciale de financement, dépassant même les investissements directs étrangers et l’aide au développement dans plusieurs pays. Ces transferts financiers jouent un rôle majeur dans la satisfaction des besoins fondamentaux des familles restées sur place, tels que l’éducation, la santé, et la sécurité alimentaire.

Cependant, des défis subsistent, notamment liés au coût du transfert des fonds, à la transparence, la confiance, et la gestion efficace des fonds. L’absence d’un cadre administratif fiable, la menace de la corruption, et le manque d’informations claires sur les projets entravent le potentiel massif de contribution de la diaspora. Pour surmonter ces obstacles, des solutions innovantes émergent, allant du crowdfunding à l’émission de « Diaspora bonds » en passant par la création de clubs d’investissement. Ces mécanismes offrent des perspectives prometteuses pour orienter davantage les fonds de la diaspora vers des projets d’entrepreneuriat et de développement économique concrets.

Il devient impératif que les gouvernements africains, les institutions financières, et les acteurs de la diaspora collaborent étroitement pour créer un environnement propice, garantissant la transparence, la sécurité, et la rentabilité des investissements. En renforçant la confiance, en éliminant les obstacles administratifs, et en favorisant l’innovation financière, l’Afrique peut libérer pleinement le potentiel de sa diaspora pour stimuler une croissance économique durable et inclusive sur le continent.

Pour notre part, nous croyons qu’une  bonne combinaison des principales ressources de la diaspora  que sont compétences techniques et épargnes financières peuvent aider à changer la donne dans le financement des startups sur le continent .

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Biographie de l’auteur

Lucien Kouakou est co-fondateur de l’association « Youth Alliance for Sustainable Solutions for Africa (YASSA) », dont la mission est d’accompagner les entrepreneurs développant des solutions inclusives et innovantes. Issu d’une famille d’agriculteurs établie dans un village de la sous-préfecture de Grand-Béréby, au sud-ouest de la Côte d’Ivoire, il obtient son baccalauréat au Lycée Technique d’Abidjan, série E. Il intègre l’Institut National Polytechnique Houphouët Boigny de Yamoussoukro (INP-HB) après les classes préparatoires, suivies d’un cycle ingénieur généraliste. Après près de deux années dans le monde professionnel, où il a exploré diverses industries telles que le traitement et la distribution de l’eau ainsi que le textile, il recentre sa carrière vers la finance. En 2020, il intègre HEC Paris pour un Master en finance et économie et effectue des stages à BNP Paribas, Akuo Energy et Spayne Lindsay.

Is the CFA Franc pegged to the Euro against the economic interest of the countries in the West African Economic and Monetary Union?

In Senegal, abandoning the CFA Franc is An economic and social demand to regain economic sovereignty, say Souleymane Gueye, professor of Economics, San Francisco College and Abdoulaye Cisse, Ph.D. Candidate, Department of Economics, University of California, Berkeley

Abstract

The recent economic events resulting from major external shocks such as COVID-19 and the Russian-Ukraine war and their impact on the Communauté Financière Africaine (CFA) franc zone have reignited the debate about the usage of the CFA franc in the West African Economic and Monetary Union (WAEMU). This article investigates how the economic performances of the WAEMU in general and Senegal, in particular, relate to the arrangements between the CFA Franc currency union and the Euro and between WAEMU and France. In particular, the paper analyzes the advantages and the disadvantages that stem from the different components of these arrangements and highlights the lack of economic competitiveness of the CFA franc countries caused by the structural overvaluation of the CFA franc, the lack of monetary and fiscal sovereignty, and the no optimality of the CFA franc zone as destabilizing elements of the CFA franc for WAEMU. The paper then proposes a mild reform in the short term and a complete abandonment of the CFA franc for a national currency anchored to a basket of currencies in the long term, in the hope of achieving inclusive growth and poverty alleviation in WAEMU. 

Keywords: CFA franc, competitiveness, foreign reserves, development indicators, economic indicators, economic growth, poverty, debt, monetary policy, fiscal policy, exchange rate system, credit allocation 

Introduction

While the debate over the usage of the CFA franc has been ongoing amongst economists since the early 60s, the issue has never been a major preoccupation of most Senegalese citizens for a long time. But in the last decade, a growing interest in using the CFA has been at the forefront of public/private media and social media[1]. This growing interest of the population in the economic issues surrounding the CFA franc should be welcomed and applauded by policymakers and politicians as it is time to examine objectively the benefits and the costs of the CFA franc’s peg to the euro and ponder about the economic performance of these countries and the role the currency is playing in fostering/hindering the capacity of these countries to alleviate poverty. 

After more than sixty years of independence, it is not obvious that the currency is favorable to the economies of WAEMU in general and Senegal in particular.

Some economists say that the CFA franc affects the member countries in two key areas: 

  1. Loss of sovereignty by tying the WAEMU’s economies to the French market and constraining the scope for an independent monetary policy; hence weakening the states with negative impacts on poverty alleviation
  2. The overvaluation of the currency impairs the competitiveness of exports. 

Other economists argue that it has brought price and monetary stability, fiscal discipline, credibility, and stability to international competitiveness. Furthermore, they argue that a supranational central bank has insulated the CFA zone members’ economies from national treasuries. In contrast, the peg to the euro insulated a higher proportion of WAEMU’s trade from exchange rate fluctuations and encouraged regional convergence and integration. 

These views have been reexamined and debated since the Macron/ Ouattara announcement to replace the CFA with the Echo (1). More voices are calling to sever the financial ties with France and completely abandon the CFA. The arguments for its abandonment range from “this currency is a relic of the colonial era,” “an instrument of the colonial era,” “an instrument of repression,” and “mean of exploiting the colonies.” Why is the CFA Franc, the currency many African countries use, so controversial? 

This article aims to clarify this debate and supply economic arguments to justify severing the economic and financial arrangements at the core of the CFA franc zone. 

What are the economic effects of the CFA franc’s peg to the euro? Should Senegal abandon the CFA franc as its national currency and issue its currency like many independent states or stay in the zone? 

To answer these questions, we will present some institutional background on the CFA franc zone and briefly describe the economic structure of Senegal to provide the basis for an objective assessment of the effects (economic, monetary, and financial implications) of this exchange rate peg that convincingly should incentivize the future Senegalese authorities to exit the CFA zone and start the process of setting up the policy and institutional arrangements necessary for the introduction of a new currency.

I/ Structure / Architecture of the CFA Franc Zone

The monetary cooperation in the CFA franc zone is based on four key principles.

  1. A fixed exchange rate parity between the CFA franc and the euro remained constant from 1949 until 1994 when it was devalued by 50% to 1 French Franc = 100 CFA Franc which corresponds to 1 EUR = 655.957 CFA Franc since the euro replaced the French franc at the beginning of 1999, to help resolve a crisis that was associated with the overvaluation of the CFA franc and the failure of the structural adjustment policies imposed by the World Bank and the International Monetary Fund (IMF)(2).
  2. An unlimited and unconditional guarantee by the French Treasury for the convertibility of the CFA franc into euro at the fixed exchange rate at the Paris Stock Exchange. It is important to note that the warranty has not been used since the early 1990s, in contrast to the heavy mobilization seen before the 1980s. 
  3. The centralization of the members’ net foreign reserves at the two central banks and until 2020, the obligation to deposit half of these reserves in an operating account at the French Treasury. Since April 2021, the operating account has been closed and the funds have been transferred to other WAEMU (West African Economic and Monetary Union) accounts, following the Macron Ouattara reform of 2019(3).
  4. Free capital movements within the CFA franc zone and with France although the central bank can impose exchange controls for transactions with non-member countries of the zone.

The closed operating account functioned like a current account with overdraft facilities and worked like a currency board arrangement, thus providing little scope for an active monetary policy. Consequently, an important indicator, the Reserve cover ratio (foreign exchange reserves/short-term liabilities of the central bank) was used to guide a passive monetary policy. The rule was such that when the reserve cover ratio dropped below 20% for three consecutive months, actions such as an increase in official interest rates and a decrease in refinancing ceilings must be taken to protect parity. In practice, the Reserve cover ratio never reached alarming levels as the WAEMU zone always kept the health levels of reserves. A similar indicator of coverage is the currency issue coverage ratio, which is the ratio of the foreign exchange reserves to the value of the physical currency in circulation (i.e., physical banknotes and coins).

Figure 1 shows that the requirement to maintain 50% of total foreign exchange reserves (represented by the blue horizontal line) has been respected by the WAEMU countries since 2007. While the share of total reserves kept at the French treasury has sometimes been close to the threshold, it has consistently been higher than that, which means that France has never had to trigger the guarantee that is theoretically in the arrangements. Figure 1 also shows that the coverage ratios have been at healthy levels and that WAEMU countries typically keep sufficient levels of foreign exchange reserves to cover most of the banknotes in circulation. This observation also points to the derisked environment in which the WAEMU countries operate.

Figure 1: Key Indicators Related to Foreign Exchange Reserves

Notes: This figure shows key indicators related to the reserves held in the operating account. The y-axis on the left (in blue) shows the share of total foreign reserves held in the operating account of the French Treasury. The y-axis on the right shows the currency issue coverage ratio, which is the ratio of the foreign exchange reserves over the value of physical banknotes and coins). The blue horizontal line corresponds to the minimum requirement of total reserves that need to be kept in the operating account. The red horizontal line corresponds to the minimum level of foreign reserves needed to cover the physical currency in circulation. All the raw data are from the annual reports of the WAEMU. All calculations are done by the author.

Before the closure of the operating account, the WAEMU countries were receiving an interest of 0.75% on their reserves deposited at the operations account (rates based on ECB interest rates.) In case these reserves turned into debt, interest was to be paid to the French Treasury. The French Treasury also guaranteed these reserves’ value against a depreciation of the euro vis a vis the Special Drawing Rights (SDR)[2].

However, several safeguards triggering action by the central bank are applied to ensure the exceptional character of foreign exchange interventions and to avoid a permanent reduction or deficit of the operating account. In case the account of a country goes into deficit for a month, a reduction of 20% of the refinancing ceiling is triggered for the culpable countries. When the surplus is less than 15% of the money supply for a country, a decrease of 10% of the refinancing ceiling is applied (4).

Figure 2 shows the level of foreign reserves held by WAEMU countries in the operating account at the French Treasury over time. Strikingly, we see that these reserves constituted a significant share of nominal GDP for these countries. They fluctuated 10% of nominal GDP between 2007 and 2018. Considering how funding and liquidity constraints WAEMU countries are, this stylized trend alone gives a sense of the drawbacks of the CFA franc.

Figure 2: Foreign Reserves Held by WAEMU in the Operating Account at the French Treasury

Notes: This figure shows the relative and absolute values of the foreign exchange reserves. The y-axis on the left (in blue) shows the level of foreign reserves that were held in the operating account as a share of the nominal GDP of the WAEMU countries. The y-axis on the right (in red) shows the nominal values of foreign reserves held in the operating account. The figure only includes foreign exchange reserves held in the operating account. The rest of the foreign exchange reserves not held in the operating account were excluded from the calculations. All the raw data are from the annual report of the WAEMU. All calculations are done by the author.

Given the safeguards described above, the time series of data in Figures 1 and 2, and the comparatively small size of the CFA franc zone economies, which currently represent about 5% of France’s GDP (Gross Domestic Product), the risks to France’s public finance remain limited in scope (limitation of potential liability of the French Treasury and at the same time supply a rule-based of credibility and to the fixed parity). It is quite unlikely for the account to go into deficit since it is based on the principle of pooling the reserves of the member states. 

This safeguard mechanism was designed to control the “excesses” to which states are accustomed, taking away their ability to distribute internal capital resources through self-defined development strategies by allowing the central bank to impose a cap of 20% of national fiscal revenues on resource allocation to national treasuries of WAEMU countries. 

For example, when the balance of the operation account is in deficit for three consecutive months, or when the ratio between net external assets and sight liabilities of a central bank is equal to or less than 20% for three consecutive months, refinancing amounts are reduced automatically by 20% and immediate corrective actions are taken by the board of directors, which is now fully composed of African officials and no longer has a French representative since the Macron Ouattara reform.

Therefore, it is the level of external reserves, and not credit needs, that decide credit allocation when it should have been the opposite. Credit allocation is decided by the French government’s monetary and fiscal authorities which will tend to perform it according to France’s view over the zone economies, not based on any development strategies developed by the WAEMU countries (5).

It should be noted that despite the closure of the operating account and removal of French representatives from the board of directors, the inherent structure of the CFA Franc is still such that it presents disadvantages and drawbacks to the WAEMU zone. Indeed, the terms of the guarantee of the CFA Franc and the Euro are still opaque and not fully transparent based on the latest public documents available. While the latest annual reports of the Central Bank of West African States (BCEAO) state that the operating account has now been closed, little to no details are given about the effective changes in the guaranteed mechanisms between the Euro and the CFA franc that resulted in this closure.

In what follows, we argue that France has clear benefits and few disadvantages with the current CFA franc arrangement.

II/ Disadvantages / Drawbacks for The CFA Franc Zone: What is wrong?

There are clear disadvantages and few benefits for the Franc Zone countries. The peg to the euro, before 1999 to the French franc constraints the scope for an active independent monetary policy of the WAEMU.

Overall, the arrangement has resulted in lower inflation (on average 8%) than in other countries in Sub-Saharan Africa, which have an average of 15%. But it has also significantly limited the macroeconomic policy options (fiscal and monetary policies as well as an exchange rate policy) available to the CFA Zone members (6). Indeed, the current exchange rate regime presents several macroeconomic problems that impede these countries’ ability to navigate external shocks such as the COVID-19 pandemic and Ukraine.

First, this principle compounded by a set of legal and institutional arrangements (Board composition and operations), as well as policy and operational features (design of supervisory arrangements within the two sub-zones[3]), are wrapped in a web of unwritten rules and practices with widespread consequences on the economic, monetary, financial, fiscal, and central bank policies of the entire CFA franc zone. Although there is no direct causation between these arrangements/ policies and development outcomes, the structural indicators of the countries in the CFA franc zone, such as the Human Development Index (HDI) and the Corruption Perception Index, are among the lowest in the world, and this suggests some correlation between the CFA franc arrangements and CFA franc countries’ development outcomes (7). For example, the HDI for Senegal in 2023 is 0.512, which decreased by 0.39% compared to the previous year with a rank of 170 while the average for the WAEMU is 0.544. These HDI values are below the HDI values of similar developing countries and none of the zone members is classified in the high HDI or Medium HDI categories in Africa. The extreme poverty rate is 27.5% (rank 32) and the GDP per capita is $1606 (rank 143).

As Table 1 below illustrates, the WAEMU region ranks the lowest in key development indicators including life expectancy, earnings, and schooling. While these figures do not imply any causational link between the currency the regions use and their economic indicators, the picture is still the picture: the WAEMU countries are some of the least developed countries by conventional standards.

Table 1: Development Indicators for Different Regions in the World

Table 1: Development Indicators for Different Regions in the World

 HDILife ExpectancyYears of SchoolsGNI Per Capita
Arab States0.70870.98.013,501
East Asia and the Pacific0.74975.67.815,580
Europe and Central Asia0.79672.910.619,352
Latin America and the Caribbean0.75472.19.014,521
South Asia0.63267.96.76,481
Sub-Saharan Africa0.54760.16.03,699
WAEMU0.48660.83.42,692
     

Notes: This table shows some key economic indicators for different regions of the world. Each value shown is the mean of the variable in the first row for the region in the first column. The Human Development Index (HDI) is a composite index measuring average achievement in three basic dimensions of human development—a long and healthy life, knowledge, and a decent standard of living. (“Countries of the Third World – Nations Online Project”) Life expectancy at birth is the number of years a newborn infant could expect to live if prevailing patterns of age-specific mortality rates at the time of birth stay the same throughout the infant’s life. Mean years of schooling gives the average number of years of education received by people ages 25 and older, converted from education attainment levels using official durations of each level. (“Education Index | SpringerLink”) Gross national income (GNI) per capita is the aggregate income of an economy generated by its production and its ownership of factors of production, less the incomes paid for the use of factors of production owned by the rest of the world, converted to international dollars using PPP rates, divided by midyear population. All data are for the year 2021. All the raw data are from the UNDP website.

The persistence of monetary and financial relationships has favored neither structural transformation of the economies nor regional integration and has done even less for the economic development of the CFA countries. For example, 9 out of 14 countries in the WAEMU and the CAEMC zones are among the Least Developed Countries. With regards to health and education, CFA franc-using countries occupy the lowest ranks worldwide, as shown in Table 2.

Looking from a long-term perspective, average real incomes have stagnated or declined in five of the biggest CFA francs-using economies: Cote d’Ivoire, Cameroun, Gabon, Senegal (4.1% in 2022), and Congo Republic. Extreme poverty has risen by 3% since COVID-19. Countries in the CFA franc zone are the most impoverished in Sub-Saharan Africa despite stable prices (due to their lower inflation rate compared to the other countries in Sub-Saharan Africa). The average poverty rate for CFA countries stands at 40%. The opportunity cost of lower inflation has thus been slower GDP per capita and diminished poverty alleviation. All CFA Franc countries – including Senegal – are burdened by excessive debts and are in the category of Highly Poor Indebted Countries (HIPC)

MAJOR MACROECONOMIC INDICATORS

 2020202120222023
GDP growth (%) 1.35.14.154.1
Inflation (yearly average, %) 2.52.19.76.5
Budget balance (% GDP)-6.4-6.3-6.2-4.9
Current account balance (% GDP)-10.9-13.3-13.2-14.5
Public debt (% GDP) 69.273.275.172.4

Source: World Bank Development Indicators and IMF: Debt, trade deficit, and other economic indicators

These observations are not surprising since these countries have an average credit-to-GDP ratio of 25% compared to an average of 60% for the rest of the countries in Sub-Saharan Africa and 148.5% for France. Furthermore, the amount of credit distributed to the CFA countries’ economies stays exceptionally low with prohibitive interest rates. Most of the loans are oriented towards the export sector and service sector to the detriment of investment in the primary and secondary sectors which employ more than three-quarters of people in the labor force. These countries face credit constraints, and financial repression, and cannot use interest rates to stimulate small and medium enterprises’ development because monetary policy is seriously constrained.

Second, the institution of the CFA is at the heart of the “colonial pact” set up by France in the 1960s when all these African countries were gaining their independence. Many critics of the CFA zone consider it a relic of Africa’s colonial past and a barrier to West African country’s economic progress.

Accordingly, the objective from its origin is to maintain peripheral economies that are ‘complementary’ to the French economy; otherwise, economies that serve as cheap sources of raw material supplies (consider how Senegal, Niger, Ivory Coast, and other countries in the WAEMU region are giving French companies licenses to exploit their natural resources).

Third, the peg to the euro decreases transaction costs and insulates French companies (and all foreign companies operating in euros for that matter) from exchange rate risk. Concurrently, it hampers the level of competitiveness of the domestic private sector in the zone by effectively acting as a subsidy to imports. As a result, most of the countries in the CFA zone run substantial trade deficits. For example, the trade deficit of Senegal stands at 10% of its GDP. Therefore, this structural overvaluation of the CFA franc – in 2020 the CFA franc in the WAEMU was 20% overvalued –, tends to favor imports, including luxury goods, to the detriment of exports. This is one of the reasons the political elite do not want to take the necessary steps to change the framework of the CFA franc zone.

Besides effectively contributing to subsidizing imports, the fixed parity also acts as a trade preference granted to the eurozone, since countries in the Franc zone cannot depreciate the exchange rate to affect the level of competitiveness of their exports or to absorb external shocks such as the Covid 19 or Ukraine war. Therefore, when confronted with trade shocks or crises, the only way to defend the anchor to the euro is a reduction in public expenditure (fiscal policy) and credits to the economy (monetary policy), as well as a recourse to external financing flows (more debt accumulation). In Senegal, public debt has been increasing at an exponential rate reaching 77% of GDP because of excessive borrowing by the government and state-owned enterprises to finance the budget and to invest in the oil and gas sector. The public debt service represents more than 50 % of fiscal revenue (1772 billion CFA francs, with interest payments and depreciation amounting to 502 billion and debt amortization to 1070 billion). The debt sustainability indicators are very close to their threshold (IMF Report, 2023).

The ratio of external debt service/export revenues is 19.1% for a threshold of 21% and the external debt service/ public sector revenue is 18.8% for a threshold set at 23%. This is very worrisome as it points to a severe constraint in the capacity to borrow money when faced with external shocks. The risk position of Senegal has deteriorated (from low to moderate-risk debt that can easily evolve to high-risk debt).

Fourth, the freedom of financial transfer eases the free investment and disinvestment of capital as well as the repatriation of profits, dividends, etc. This freedom is often associated with a massive capital flight -significant financial bleeding in resource-rich CFA countries such as the Republic of Côte d’Ivoire and Senegal (9),

Fifth, besides the handicaps of an overvalued exchange rate and capital outflows due to the outward transfer of local economic surpluses, the behavior of the banking sector keeps its colonial aspects. Most of the financial institutions are subsidiaries of French financial institutions despite the timid implementation of other foreign entities (Middle Eastern and North African countries)

Bank loans are primarily targeted at large companies and governments to the detriment of SMEs in general. This trend continues to hold despite the loss of market share of many French financial institutions in the CFA countries and the dominance of foreign banks. In Senegal, foreign banks control more than 90 percent of banking assets (10).

This situation explains the low level and inadequacy of the credits to the private and public sectors that hinder domestic production in the primary sector and manufacturing sectors. The overvaluation of the CFA franc worsens this decline in domestic production.

Sixth, the current system worsens inequality between urban elites and the rural poor by constraining incentives for commercial agriculture and subsistence agriculture. Furthermore, it has failed to accelerate growth for the poorest members.

Finally, although this monetary bond did not prevent the commercial and financial decline of France in its sphere of influence, it has nonetheless contributed to the institution of centralized political regimes that are more responsive to the priorities of the French government, French companies, and foreign investors than to the interests of their citizens. For example, in oil-exporting CFA countries such as Chad, Gabon, the Republic of Congo, and Equatorial Guinea, the ‘president for life’ model or president looking to extend their term by violating the constitution of their countries still is the norm, despite the frequent organization of formal elections with a foregone conclusion. Unfortunately, Senegal is heading that way with the current president’s determination to select his successor by preventing the main opposition leader from taking part in the upcoming election after awarding all the main public projects and exploitation of the key natural resources to French companies and other foreign entities (Turks, Chinese, Indian, and Middle Eastern countries as well as North African firms).

In other words, the CFA franc existence favors a particular type of political leadership. « Those who can aspire to lead CFA countries are those who will not question its limitations while those who question the underpinnings of the CFA framework will be jailed, exiled, or killed” (Sylvanus Olympio first president of Togo, Thomas Sankara of Burkina Faso). Leaders in the Republic of Côte d’Ivoire, Senegal, Benin, and Togo have enjoyed the active solidarity and support of the French government and the French private sector over the last six decades.

In the face of growing protests of this neo-colonial relic led by pan-Africanists, social movements, patriots, nationalist politicians, and academicians, France, in alliance with Côte d’Ivoire, decided in December 2019 to soften its stance on the West African CFA franc. This proposed reform is meaningless as it is extremely limited in scope. Its main objective is to prevent criticism by renaming the currency, rearranging French representation within the Central Bank of WAEMU, and modifying the control of the French Treasury over the foreign reserves of these states.

These propositions completely ignore the key aspects of the financial and monetary arrangements that many economists criticize: the existence of a formal link of monetary subordination between France and the CFA countries, the fixed parity with the euro, the freedom of transfers, and the existence of two monetary unions that have no other foundation than colonial history.

While the abandonment of the CFA franc does not guarantee that its member countries will develop rapidly with inclusive economic growth, fair distribution of income, and alleviating poverty, the extension of its life expectancy can hinder any prospect of political and economic sovereignty of these countries.

III/ Reform of the CFA Zone

Against this background and considering the cost and benefit analysis performed for the WAEMU economies in general and Senegal particularly, a debate about the dismantlement of the CFA zone is still ongoing among economists and policymakers. The debate is about whether to stick to the existing framework of the CFA franc and change some key features or leave the CFA franc zone. The abandonment of the CFA franc to choose an exchange rate regime will be based on lessons learned from the experience of the economic performance of floaters (countries that allow their currency to fluctuate) and peggers (countries that fix their currency against a major currency or a basket of currencies). Should Senegal advocate for a reform of the CFA (opt out for a break with the peg and envision a semi-flexible or flexible system) or get out of the Zone and adopt its national currency to regain its sovereignty over monetary policy and exchange rate policy? What is the best choice for Senegal?

Short Term: Overhauling the exchange rate framework.

As the CFA members countries in general and Senegal in particular, plan for a post-COVID-19 to grow their economies and alleviate poverty, meaningful reform of the CFA franc zone should be on their agenda instead of what the French president and the Ivorian president proposed in December 2019 ( revision of the monetary cooperation agreement with France as was the case in 1973 after the criticisms of president Eyadema and the renaming of the currency from CFA franc to Eco to take into account the political and identity dimension of money; the end of the centralization of BCEAO’s foreign reserves with the French treasury (hence the closing of the operation account); and the withdrawal of France from the board of directors, the BCEAO monetary policy committee, and the WAEMU banking commission. This proposed reform is not enough and is meaningless. Consequently, one can envision a reform of the Zone since the inflexible CFA Franc monetary and exchange rate arrangement is a major contributor to the lagging economic performances (lower real GDP growth, lower per capita real GDP, lower HDI, higher trade deficit, less FDI) of countries such as Senegal, besides other factors such as bad governance, systemic corruption, inadequate business regulatory environment, human capital building, and a lack of investment in infrastructure.

The current exchange rate framework should be changed to reflect greater monetary flexibility, the possibility of improving competitiveness, adopting export-led growth, and realigning incentives for agricultural producers. To reach these goals, the exchange rate regime should evolve from the peg to the euro because anchoring the CFA to the euro no longer has the same meaning nor does it serve the same interest as it did when the system was set up – export to eurozone has decreased by more than 50% and is currently at about less than 20%. This rebalancing of the trade pattern in favor of China, India, Thailand, and Nigeria justifies a new anchoring of the CFA to a basket of currencies, especially the euro, dollar, and renminbi, reflecting WAEMU’s changing trade patterns with the rest of the world. The price of crude oil can be included in the basket to figure out the value of the exchange rate within a predefined band. Therefore, the benefits in terms of exchange rate stability with the euro are less effective due to less trade between the two zones.

Furthermore, there is a probability of a decrease in value in terms of export earnings because earnings are reported in USD, which must be converted to euros. So, an appreciation of the euro will lead to a decrease in the value of export earnings. It is also detrimental to the level of competitiveness because of the appreciation of the real exchange rate[4], and the only way to offset this negative impact on the level of competitiveness is to improve the term of trade by increasing the price of commodity goods which these countries do not control. This situation has led to a structural current account deficit since the introduction of the euro. It should also be noted that the peg to the euro creates a sentiment of “abandonment of monetary sovereignty” because of the need to follow policies set by the ECB to keep parity. Hence the restrictive policies of the Central Bank of WAEMU that explain the underfinance in these countries are the result of the peg. Indeed, M2/GDP is only 16%, which indicates a very low level of financing of economic activities.

Another reason for moving away from the peg is related to the concept of “optimal” currency area- the geographical region of the CFA zone is far from optimal due to three factors: (i) weak intraregional trade within WAEMU (it is less than 12% of total trade and well below the aim of 25%), (ii) less financial integration between the economies of WAEMU, and (iii) diverse capabilities to deal with asymmetric shocks (supply shocks such as oil shocks, COVID pandemic, or Ukraine war).

Moreover, suppose one uses exchange rate misalignment to measure the level of competitiveness of the CFA zone countries. In that case, there is a significant difference between countries in the zone, making it impossible to set up a single consensus monetary policy.

Finally, the goal of balancing stability and flexibility should make the currency more market-based to support exporters and entrepreneurs with the exchange rate adjustment. On the other hand, regaining monetary sovereignty can widen the options for fiscal and monetary management in a post-pandemic world.

Long Term: Adopting a national currency and setting up the required conditions for an independent central bank of Senegal.

As proved above, the CFA franc’s current financial and monetary arrangement is not conducive to economic growth and development because it hampers exports, hinders investment and industrialization, and creates inflationary pressure due to high inputs prices and commodities prices as well. More than sixty years after political independence or sovereignty, countries like Senegal no longer need neocolonial guarantees for monetary and fiscal management in conducting monetary and exchange rate policies. Overall, compared with the other African countries, economic growth and poverty alleviation, the human development index in the CFA franc zone has been lower since the 1990s due to the prohibitive cost of doing business in a currency pegged to the euro and because of restrictive monetary policies (tight credit policies) in the zone.

This monetary arrangement prevents the possibility of using big-push investments to transform the economies of the CFA countries, because of the fear that has been created in the minds of political leaders, policymakers, and economic managers of the zone by emphasizing the disadvantages of getting out of the Franc zone. But the lessons from the Asian tigers and many Latin American countries and African countries that manage their currencies should convince Senegal that it is possible to overcome the difficulties of having your currency and to manage monetary policy correctly to reach the stated economic goals of economic growth, price stability, job creation, and poverty alleviation. 

Our advice to the future Senegalese government is to start overcoming the burden of this financial and monetary arrangement and start a timeline of setting up the prerequisites (such as setting up an independent central bank modeled after the Federal Reserve system and the institutions to manage our currency). It is time to regain our economic and monetary sovereignty. Senegal has the human resources needed for successfully managing a national currency.

References

1. Public Announcement of Macron/ Ouattara July 2019

2. Souleymane Gueye. “La devaluation du franc cfa: Mesure inevitable ou imputable à l’intersyndicale” published in Walf Quotidien 1993

3. The new terms of the arrangements between the countries in the CFA franc zone and France remain opaque and largely undisclosed. While the latest annual report states that the operating account that previously sat at the French treasury has now been closed since April 2021, it does not disclose the details of the new ways through which the CFA is still guaranteed by the Euro now that the reserves are no longer held at the French treasury.

4. Paul R. Mason and Catherine Pattillo. The Monetary Geography of Africa Brookings Institution Press

5. The view tends to be mercantilist and monopolistic in favor of French state-backed private multinationals that operate within the WAEMU area.

6. Many African countries – Sierra Leone (44.8%), Ghana (43.1%) Gambia (17.8%), and Nigeria (24.08%) – have experienced prolonged periods of inflation. These rates are well above the inflation rate in the CFA zone in general and Senegal (14.1%) in particular. This rate is expected to slow down to 9% in 2023. These high inflation rates result from supply chain disruptions, global commodity price fluctuations, rising food and energy prices, political instability, and currency devaluation in countries with flexible exchange rates.

7. Souleymane Gueye. Senegal: Corruption, Bad Governance, and Development Outcomes. L’Afrique des idees. 2023.

8. World Bank Development Indicators and IMF: Debt, trade deficit, and other economic indicators

9. Souleymane Gueye. The Determinants of Capital Flight in the West African Economic and Monetary Union. Updated working paper. Berkeley 2021.

10. “Africa’s last colonial currency: The CFA franc story” by N’dongo Sylla et Fanny Pigeaux


[1] See for example ‘Francs CFA: Les termes nouveaux d’une question ancienne’ de Kako Nupukpo, Demba Moussa Dembele and Martial Ze Belinga, or the book “Africa’s Last Colonial Currency: the CFA Franc Story’ by Fanny Pigeaux and Ndongo Samba Sylla, among recent publications on the topic.

[2] Special Drawing Rights are assets created by the International Monetary Fund (IMF) and act as potential claims used by WAEMU countries to supplement their official reserves.

[3] The two sub-zones are the WAEMU (West African Economic and Monetary Union) and CAEMC (Central African Economic and Monetary Union).

[4] This real exchange rate is the Nominal exchange rate*(domestic price/ foreign price).

Les bénéfices de la lutte contre la corruption dans un pays : exemple du Sénégal

Par Moussa Sylla, auteur du livre « La conformité bancaire au Sénégal et dans la zone UMOA » moussisylla@gmail.com

Il y a quelques jours, la France a promis de restituer 150 millions de dollars US[1] détournés par Sani Abacha, l’ancien Président du Nigeria entre 1993 et 1998, de son pays. En dix ans, entre 2006 et 2016, la Suisse avait rendu au Nigeria près de 723 millions de dollars US volés à son pays par la même personne.[2]

Au total, Sani Abacha et ses proches ont été accusés d’avoir pris illicitement plus de 4 milliards de dollars US des caisses de l’État nigérian et tenté de les blanchir dans les banques occidentales. Imaginons, avec 4 milliards de dollars, tout ce qu’un État aurait pu réaliser, combien d’hôpitaux, de routes et d’écoles de qualité il aurait pu construire.

La corruption est un fléau qui nuit au développement d’un pays[3]. Elle entraîne la surfacturation des marchés publics, amenuise les ressources fiscales, pervertit les valeurs d’une société qui se trouve gangrénée par l’argent facile et l’illusion que la réussite ne dépend pas d’un travail acharné. Elle crée une instabilité politique dans un État et provoque une difficulté à attirer les investisseurs étrangers, car ces derniers sont plus enclins à investir dans un pays qui lutte plus fermement contre la corruption.

Le 9 décembre 2003 a été signée la Convention des Nations unies contre la corruption, que le Sénégal a ratifiée en 2005 à travers la loi no 2005/11 du 3 août 2005. La date du 9 décembre marque la Journée internationale de lutte contre la corruption.

Combattre la corruption est une nécessité aujourd’hui. Si le concept de personne politiquement exposée (PPE)[4] a vu le jour, c’est dû à l’affaire Sani Abacha. Dans le cadre de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, la corruption fait partie des infractions sous-jacentes à ces deux menaces. Lutter contre la corruption contribuera à endiguer ces deux fléaux. Pour cela, John A. Cassara écrit dans son livre Money laundering and illicit financial flows : « Et la corruption, sous ses diverses et nombreuses formes, est le grand facilitateur du blanchiment de capitaux. »[5]

Les conséquences de la corruption ne sont pas que monétaires, elles sont aussi sociales. Le civisme fiscal en est tributaire. Dans un pays où les citoyens savent que leurs impôts seront judicieusement utilisés, que les détournements de deniers publics ne resteront pas impunis, les populations seront plus enclines à s’acquitter de leurs devoirs fiscaux. Dans le cas contraire, elles trouveront des moyens de ne pas payer leurs impôts, car estimant qu’ils seront détournés par quelques personnes, en toute impunité.

Il urge aujourd’hui que le Sénégal lutte plus fermement contre la corruption. Son Code pénal contient des dispositions relatives à la lutte contre la corruption, il a institué un organisme chargé de lutter contre la corruption (l’OFNAC), il impose à certaines personnes élues ou nommées à certaines fonctions d’effectuer une déclaration de patrimoine, enfin, il a ratifié la Convention des Nations unies et le Protocole de la CEDEAO sur la lutte contre la corruption.

Un corpus réglementaire destiné à lutter contre la corruption a été mis en place au Sénégal, ce qui est un pas important pour la vaincre. Toutefois, des réglementations anticorruption, aussi rigoureuses soient-elles, ne seront d’aucune utilité si elles ne sont pas appliquées. L’impunité s’avère le principal engrais qui favorise une culture propice à la corruption. Par ailleurs, l’équité est une nécessité pour l’efficacité dans ce combat. Si les populations perçoivent que telle personne est poursuivie pour des faits d’enrichissement illicite, parce qu’elle a un différend avec le pouvoir en place, et que pour les mêmes faits, telle autre personne ne l’est pas, parce qu’elle fait partie du pouvoir, elles ne soutiendront pas la lutte contre la corruption.

Le Sénégal doit également élaborer une réglementation qui impose aux entreprises, privées comme publiques, de mettre en place un dispositif de lutte contre la corruption et surtout de l’appliquer. Ce dispositif doit comprendre :

  • un code de conduite qui interdit expressément tout fait de corruption ;
  • la cartographie des risques pour l’application d’une approche basée sur les risques ;
  • la formation et la sensibilisation continues des collaborateurs de l’entreprise sur la lutte contre la corruption ;
  • l’élaboration de procédures anticorruption sur les appels d’offres, la mise en concurrence lors des recrutements, la politique cadeaux… ;
  • le soutien du top management qui doit montrer, à travers ses mots et ses actes, que la lutte contre la corruption est importante pour lui ;
  • l’interdiction de payer ou de recevoir des pots-de-vin pour obtenir ou octroyer un contrat ;
  • des livres comptables transparents et fiables ;
  • la gestion des conflits d’intérêts ;
  • la protection des lanceurs d’alerte qui signalent des faits de corruption ;
  • l’audit périodique du dispositif pour permettre son amélioration continue.

Nous avons évoqué plus haut les sommes importantes détournées par Sani Abacha. Ce dernier les avait transférées dans les banques occidentales. Ces flux financiers illicites ont entraîné d’énormes pertes en devises pour son pays. Les personnes qui détournent des deniers publics et les transfèrent dans les pays occidentaux drainent les devises dont un Etat a besoin pour payer ses importations. Prenons le cas du Sénégal. Sa balance commerciale est déficitaire[6] ; il importe, en grande partie, de pays qu’il doit payer en devises telles que l’euro et le dollar. Les flux illicites qui quittent le Sénégal entraîneront des difficultés à régler ses importations.

Toutefois, la lutte contre la corruption n’est pas un combat perdu d’avance. Tout pays peut l’éradiquer ou du moins fortement atténuer ses effets. Cela exige une forte volonté étatique, avec la mise en place d’un dispositif anticorruption et son application rigoureuse et impartiale. Parmi les moyens d’y parvenir :

  • voter une loi anticorruption et s’assurer de son application ;
  • traquer tout enrichissement illicite, et si la personne présumée coupable ne peut justifier son enrichissement, confisquer les fonds et les réinjecter dans les caisses étatiques,
  • doter les organismes de lutte contre la corruption de plus de ressources et d’autonomie pour qu’ils jouent efficacement leur rôle, avec équité et impartialité.

David de Ferranti, Justin Jacinto, Anthony J. Ody, Graeme Ramshaw, dans leur livre Pour une meilleure gouvernance, écrivent sur la non-fatalité de l’échec dans la lutte contre la corruption :

       « L’explication [du succès dans la lutte contre la corruption] tient, bien sûr, au simple fait que les sociétés qui se sont montrées capables de limiter la corruption disposaient pratiquement toutes d’un système efficace d’investigation – une institution judiciaire puissante et indépendante en capacité de faire appliquer les lois, des journalistes d’investigation habiles et compétents et des médias indépendants, des fonctionnaires hautement qualifiés, des organismes de contrôle disposant de moyens techniques et financiers adéquats. »[7]

Les quatre auteurs du livre ont résumé magistralement comment le Sénégal devrait s’y prendre pour lutter efficacement contre la corruption. Il en a tout intérêt : ainsi, il pourra offrir de meilleurs services publics à sa population et à un meilleur prix, il améliorera le civisme fiscal de sa population, augmentant ainsi ses recettes fiscales, et pourra mieux attirer les investisseurs étrangers, car ces derniers seront plus enclins à investir dans un pays où la corruption est strictement combattue, comme nous l’avons vu plus haut.

Pour cela, une lutte rigoureuse contre la corruption est une nécessité au Sénégal aujourd’hui. Cela ne doit pas juste être des mots, mais surtout des actions continuelles.


[1] Chiamaka Okafor, « France to return $150 million Abacha loot to Nigeria », 3 novembre 2023.

[2] Bassey Udo, « Abacha loot: Switzerland returns $723 million to Nigeria in 10 years », 15 mars 2016. https://www.premiumtimesng.com/news/headlines/200192-abacha-loot-switzerland-returns-723-million-nigeria-10-years.html?tztc=1

[3] Terence Ho, « Avoiding the ‘resource curse’ is the key to Singapore’s sustained growth », 12 novembre 2023:

https://lkyspp.nus.edu.sg/gia/article/avoiding-the-resource-curse-is-the-key-to-singapore-s-sustained-growth :

“The truth is that it is hard for economic growth to take off in countries that are beset with conflict or corruption”

[4] Une PPE est une personne qui s’est vu confier une fonction politique importante au sein d’un État ou d’une organisation internationale. Les proches et les associés des PPE sont aussi des PPE.

[5] John A. Cassara (2021), Money laundering and illicit financial flows, page 302 : “And corruption, in its many and varied forms, is the great facilator in money laundering.

[6] Selon les données provisoires de l’ANSD pour 2022, la balance commerciale s’est fortement dégradée, passant à -3986 Mds FCFA (-6,1 Mds EUR) en 2022 :

https://www.tresor.economie.gouv.fr/Pays/SN/situation-economique-et-financiere-du-senegal

[7] David de Ferranti, Justin Jacinto, Anthony J. Ody, Graeme Ramshaw (2014), Pour une meilleure gouvernance, Nouveaux Horizons, page 71.

Les fondements du sous-développement de l’Afrique

Par Mamadou Lamine FALL, Docteur en Sciences politiques à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar

Résumé

Les conditions difficiles que traverse depuis des années le continent africain constituent un choc moral et une immense injustice. Certes, les Africains ont une grande part de responsabilité de leur situation actuelle. Mais force est de constater qu’ils sont victimes des politiques internationales complètement en leur défaveur.

Introduction

L’Afrique reste le continent le plus pauvre au monde et elle est au centre des préoccupations sur la scène internationale. En effet, divers organes et acteurs militent pour le développement du continent, et cela depuis des années, mais jusqu’ici, les efforts déployés sont en deçà pour faire reculer l’extrême pauvreté en Afrique. Le continent africain est presque inexistant dans le commerce mondial. Il ne représente qu’environ moins de 3% du commerce international comme, on le remarque : » Sa part est passée de 4 à 2,7 % entre 1970 et 2019,…Au cours du premier semestre 2020, le commerce de marchandises de l’Afrique a baissé  de 12 % par rapport à la même période l’an dernier ».[1]

En outre, la grande majorité des pays africains ont une balance commerciale déficitaire, ce qui ne favorise pas la performance économique du continent. L’Afrique dépend aussi en grande partie de l’aide publique au développement déléguant ainsi son développement à des acteurs externes.

En clair, la pauvreté de l’Afrique est due à des facteurs endogènes et exogènes. C’est ainsi que nous avons décidé de réfléchir sur les vraies causes du sous-développement de l’Afrique.

En conséquence, pour mieux appréhender ce thème, une question essentielle mérite d’être posée à savoir : Quels sont les facteurs qui justifient le sous-développement de l’Afrique ? C’est tout l’intérêt de notre réflexion sur ce sujet.

I. Les causes externes de la dépendance politique et économique de l’Afrique

Il s’agit là de passer au peigne fin les facteurs externes qui expliquent le sous-développement du continent africain et qui perdurent encore et encore sans solution sérieuse.

En effet, le système international ne favorise pas le développement du continent africain dans la mesure où, le capitalisme économique est un frein pour jeter les bases de la croissance économique de l’Afrique. Les pays développés tirent beaucoup plus de profit dans le jeu du libéralisme économique, car, ils ont une économie qui s’adapte parfaitement à ce mécanisme ce qui n’est pas le cas pour les pays africains qui ne font que subir le diktat des grandes puissances comme, on le souligne l’économiste Amin Samir : «Le développement du capitalisme en Afrique noire s’opère dans le cadre des relations de domination qui caractérisent notre époque; il n’est pas un phénomène local totalement autonome« .[2]

En outre, les organismes multilatéraux comme la Banque Mondiale, le Fonds Monétaire International et l’Organisation Mondiale du Commerce sont des mécanismes de représentation de la machine néolibérale au grand désarroi des pays africains comme, comme le note Eric Toussaint : «  Il est essentiel de constater la cohérence des politiques recommandées par le trio Banque mondiale / FMI / OMC. Le FMI et la Banque mondiale utilisent leur statut de créancier privilégié pour conditionner l’octroi de prêts aux gouvernements de la Périphérie à la mise en œuvre de réformes économiques qui augmentent l’ouverture des économies des pays endettés au marché mondial dominé par les pays les plus industrialisés et les transnationales qui y ont en majorité leur siège ».[3]

Ces institutions internationales mettent en œuvre des politiques macroéconomiques qui désarticulent complètement les économies africaines comme par exemple les politiques d’ajustement structurel. Ces dernières ont été développées dans les années 1980 après la crise de la dette. Il faut comprendre qu’après l’accession de la plupart des pays africains à l’indépendance, les institutions de Betton Woods ont octroyé des prêts à ces pays pour leur permettre de relancer leurs économies, mais au bout d’un certain temps, c’était devenu le chaos général, les fonds alloués ont été détournés et cette situation a été aggravée par la chute du cours des matières premières qui devaient normalement servir à rembourser la dette. Vu la situation, les institutions de Betton Woods ont simplement poussé les pays africains à adopter les politiques d’ajustement structurel, pour le remboursement des prêts, c’est-à-dire, privatisation, arrêt des subventions, libéralisation de l’économie etc.

En un mot, les politiques d’ajustement structurel ont appauvri le continent africain comme, nous le notons ici : « Les programmes d’ajustement structurel pour réduire la dette ont entraîné des coupes sévères dans les subventions à la santé, l’éducation et les projets de développement rural. Les démunis, dont les femmes, en sont profondément affectés. La dette de l’Afrique au Sud du Sahara s’élève à 280 milliards de dollars US, représentant plus de 90 % du produit intérieur brut (PIB) ».[4]

Enfin, la détérioration des termes de l’échange est un procédé qui permet aux pays industrialisés de se procurer des matières premières de l’Afrique à des prix dérisoires. Pour ensuite, les transformer en des produits finis destinés à ces mêmes pays à des prix exorbitants, ce qui nous paraît une double exploitation du continent noir. C’est ce qu’on peut noter dans les propos de M. Abdelaziz Bouteflika, ancien président algérien et ancien président de l’Organisation de l’Unité Africaine dans les années 2000: « La dégradation des termes de l’échange qui se traduit par une perte de l’ordre de 2,5% du PNB des pays africains »[5].

Ainsi, il s’avère nécessaire d’étudier un autre point pour mieux cerner la problématique du sous-développement en Afrique.

Il. Les facteurs internes de la dépendance

Dans cette partie, l’accent sera mis sur les causes internes qui empêchent les pays africains de sortir de la pauvreté et de la précarité.

Premièrement, la mauvaise gouvernance est une réalité en Afrique. Chaque année, une manne financière importante fait l’objet de détournement ce qui n’est pas sans conséquence sur le développement du continent : « La mauvaise gouvernance est un frein au développement des activités économiques en Afrique et elle coûte cher».[6]

La transparence et la reddition des comptes font défaut pour la plupart des pays africains. Les marchés publics souffrent d’un manque de transparence, au point que certaines entreprises ont du mal à gagner des marchés au profit du clientélisme politique. Cette situation freine le développement du continent et accentue la pauvreté dans tous les domaines comme on le souligne ici : « Il est évident que la corruption porte directement atteinte au développement durable en Afrique de l’Ouest, comme il est évident qu’elle touche principalement les couches de la société les plus pauvres et les plus démunies »[7]

Deuxièmement, la mauvaise gestion est une tradition en Afrique. Elle se traduit par la dilapidation de deniers publics en investissant sur des projets improductifs qui n’ont pas de conséquence directe sur la croissance économique. Les programmes et projets de développement sont souvent mal appréhendés pour booster la croissance économique des pays africains comme l’affirment Arnaud Bourgain et Jean-Claude Vérèz: «  L’attente est telle que la probabilité que les politiques publiques soient satisfaisantes est très faible, dans les pays en développement (PED) et en particulier, en Afrique subsaharienne (ASS). La complexité des réalités des terrain en ASS fait que les incompréhensions et les critiques dominent largement dans la population »[8] .

Troisièmement, l’instabilité politique et les conflits internes font échouer tout espoir de développement comme on le note dans le rapport du PNUD : « L’insécurité liée aux conflits armés demeure un des plus grands obstacles au développement humain. Il s’agit tant de la cause que de la conséquence de la pauvreté de masse ».[9]

Malheureusement, c’est la marque de fabrique de la grande majorité des pays africains qui traversent des conflits armés depuis des décennies.

Conclusion

Les fondements de la dépendance économique et politique de l’Afrique se justifient au niveau interne et externe. Les facteurs externes sont tellement ancrés dans un système quasiment contrôlé et dominé par les puissances occidentales qui ne font aucun cadeau aux pays africains. On a beau parlé de l’aide publique au développement, la calamité et la fatalité continuent de décrire le continent africain.

Fondamentalement, les pays africains doivent changer de paradigme pour prendre au sérieux la question de la pauvreté. Pour ce faire, il faut envisager des solutions durables et concrètes par rapport aux facteurs internes du sous-développement. Ces efforts doivent être aussi menés sur la scène internationale en appelant à une solidarité africaine beaucoup plus sincère loin des slogans et des politiques propagandistes que ne font que ralentir le processus de développement du continent africain.

Biographie

Mamadou Lamine FALL est Docteur en Sciences politiques, spécialité : Relations Internationales à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Il est spécialiste en coopération internationale pour le développement, la coopération Nord-Sud et la paix et la sécurité internationale.

Bibliographie

  • TOUSSAINT Eric, « Le trio FMI – Banque mondiale – OMC », 25 septembre 2005
  • AMIN Samir, « Le développement du capitalisme en Afrique noire», L’Homme et la société  Année 1967 6  pp. 107-119
  • U Etim, Ekei., « Dette et programme d’ajustement structurel conséquences pour les femmes en Afrique », Spore 44. CTA, Wageningen, The Netherlands 1993
    Communiqué de Presse, « La dégradation des termes de l’échange, la dette et l’insignifiance  des investissements handicapent le développement de l’Afrique ».CNUCED/B/252
  • Rapport de l’Afreximbank, Économie Commerce mondial, « l’Afrique continue à perdre du terrain », Samedi 19 Décembre 2020 – 16:04
  • www.adiac-congo.com
  • Reportage, « La corruption appauvrit les sociétés de l’Afrique de l’Ouest », Dakar, 3 janvier 2014
  • https://www.thenewhumanitarian.org/fr/reportage/2014/01/03/la-corruption-appauvrit-les-societes-de-l-afrique-de-l-ouest
  • BOURGAIN Arnaud et VÉREZ Jean-Claude, «  Politiques publiques en Afrique subsaharienne. Introduction », dans Mondes en développement 2021/3 (n° 195), pages 7 à 10
  • Rapport du PNUD sur le développement humain en 2006
  • Conférence économique africaine (CEA) 2017

[1] Rapport de l’Afreximbank, Économie Commerce mondial : « l’Afrique continue à perdre du terrain », Samedi 19 Décembre 2020 – 16:04

www.adiac-congo.com

[2] AMIN Samir, « Le développement du capitalisme en Afrique noire», L’Homme et la société  Année 1967 6  pp. 107-119

[3] TOUSSAINT Eric, « Le trio FMI – Banque mondiale – OMC », 25 septembre 2005

[4] U Etim, Ekei., « Dette et programme d’ajustement structurel conséquences pour les femmes en Afrique », Spore 44. CTA, Wageningen, The Netherlands 1993

[5] Communiqué de Presse, « La dégradation des termes de l’échange, la dette et l’insignifiance  des investissements handicapent le développement de l’Afrique ».CNUCED/B/252

[6] Conférence économique africaine (CEA) 2017.

[7] Reportage, « La corruption appauvrit les sociétés de l’Afrique de l’Ouest », Dakar, 3 janvier 2014

https://www.thenewhumanitarian.org/fr/reportage/2014/01/03/la-corruption-appauvrit-les-societes-de-l-afrique-de-l-ouest

[8] BOURGAIN Arnaud et VÉREZ Jean-Claude, «  Politiques publiques en Afrique subsaharienne. Introduction », dans Mondes en développement 2021/3 (n° 195), pages 7 à 10

[9] Rapport du PNUD sur le développement humain en 2006

La Déclaration de Nairobi : Vers une Transition Climatique en Afrique ?

Par Amadou DIALLO, docteur en droit (Université Clermont Auvergne), chargé d’enseignement à l’UFR Droit et science politique – Université Paris-Nanterre.

Résumé : Cet article procède à l’analyse des enjeux et des opportunités inhérents à la transition climatique en Afrique, en se focalisant sur quatre domaines essentiels abordés lors du premier Sommet africain sur le climat, qui s’est tenu à Nairobi, au Kenya, du 4 au 6 septembre dernier. Ces domaines comprennent le financement des initiatives climatiques, l’agenda de la croissance verte, l’intégration de l’action climatique au sein du cadre de développement économique, ainsi que l’optimisation des ressources globales. Il examine également la pertinence de la Déclaration de Nairobi, émanant du Sommet africain sur le climat. Cette Déclaration se révèle être un instrument propice à la promotion de mesures concrètes visant à favoriser la durabilité environnementale et le développement économique en Afrique, en réponse à l’impératif pressant de l’urgence climatique.

Abstract: This article conducts an analysis of the challenges and opportunities inherent to climate transition in Africa, with a focus on four key areas addressed during the inaugural African Climate Summit held in Nairobi, Kenya, from September 4th to 6th of last year. These areas encompass climate initiative financing, the green growth agenda, the integration of climate action within the economic development framework, and the optimization of global resources. Additionally, it examines the relevance of the Nairobi Declaration arising from the African Climate Summit. This Declaration proves to be an instrumental tool for promoting concrete measures aimed at fostering environmental sustainability and economic development in Africa in response to the pressing imperative of climate urgency.

Contexte

Le premier sommet africain sur le climat, (Africa Climate Summit 23), s’est déroulé à Nairobi, au Kenya, du 4 au 6 septembre dernier. Il s’agissait d’une étape significative sur la voie de la Conférence des Nations unies sur le changement climatique (COP28), qui aura lieu en novembre à Dubaï, aux Émirats arabes unis.

Les perturbations climatiques actuelles constituent une menace sans précédent qui affecte considérablement tous les continents, y compris l’Afrique. En outre, elles engendrent une grande inégalité climatique. Cette inégalité est reflétée par le fait que les pays du Nord sont historiquement responsables des émissions, alors que celles du Sud subissent les conséquences les plus sévères tout en disposant de capacités d’adaptation limitées[1]. Dans ce contexte, l’engagement des nations africaines dans la lutte contre le réchauffement climatique revêt une importance majeure.

 Le cinquième rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) souligne le rôle central des activités humaines dans le changement climatique et ses principales manifestations. Il met particulièrement en lumière les conséquences de l’augmentation des événements climatiques extrêmes, qui ont exposé des millions de personnes à une insécurité alimentaire aiguë et à une réduction de la sécurité hydrique. Ces impacts ont été particulièrement prégnants dans de nombreuses régions et communautés, en particulier en Afrique[2]. L’objectif principal de ce sommet était de souligner l’urgence de renforcer les mesures visant à lutter contre le changement climatique[3]. Plus précisément, cet événement historique a abordé quatre thèmes essentiels, à savoir le financement de l’action climatique, l’agenda de la croissance verte en Afrique, la synergie entre l’action climatique et le développement économique, ainsi que l’optimisation du capital global.

Financement de l’action climat

La mobilisation de ressources financières constitue l’une des préoccupations majeures des dirigeants africains lors de ce premier sommet. L’objectif est de soutenir les initiatives visant à renforcer la lutte contre le changement climatique sur le continent.

Lors de la Conférence des Nations unies sur les changements climatiques de 2022, également connue sous le nom de COP27[4], un consensus a été atteint en vue de l’établissement d’un Fonds spécifique dédié aux pertes et dommages[5]. Ce fonds a pour but de fournir une assistance financière aux pays en développement confrontés aux impacts irréversibles du changement climatique, englobant à la fois des aspects économiques tels que la destruction d’infrastructures lors de phénomènes climatiques extrêmes, tels qu’un ouragan, et des aspects non-économiques, notamment la perte de vies humaines[6]. Bien que le terme « pertes et dommages[7] » soit officiellement reconnu par la Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques, la manière de traiter cette problématique suscite des débats et des controverses, principalement entre les pays industrialisés, qui portent une responsabilité historique dans le changement climatique, et les pays en développement, qui doivent surmonter de nombreux défis pour y faire face[8].

Dans cette perspective, les responsables africains ainsi que les parties prenantes impliquées dans les pourparlers sont confrontés à la responsabilité cruciale de favoriser considérablement l’effectivité de ce processus. Néanmoins, l’atteinte de cet objectif demeure tributaire de l’établissement de lignes directrices claires et précises, en conformité avec les normes des droits humains et assorties de délais contraignants pour leur mise en œuvre.

À cet égard, la Déclaration de Nairobi sur le changement climatique, adoptée à l’issue du premier Sommet africain sur le climat le 6 septembre 2023, préconise « la mise en œuvre du Fonds pour les pertes et dommages, conformément à l’accord conclu lors de la COP27, tout en convenant d’adopter un objectif mondial mesurable en matière d’adaptation (GGA) comprenant des indicateurs et des objectifs permettant d’évaluer les progrès accomplis dans la lutte contre les effets néfastes du changement climatique »[9]. Ce rappel incite les parties prenantes à entreprendre des actions décisives en vue de concrétiser les engagements pris lors de la COP27, en mettant en place des mécanismes de suivi et d’évaluation visant à assurer la transparence et l’efficacité de la mise en œuvre du Fonds pour les pertes et dommages. Il demeure essentiel de déterminer quelles mesures concrètes seront prises pour caractériser le versement de fonds destinés à indemniser les pays concernés.

Par ailleurs, lors de son discours au sommet sur le climat, le Président de la Commission de l’Union Africaine a mis l’accent sur la nécessité d’établir une position commune au sein de l’Afrique, renforcée par une dynamique unificatrice, en ce qui concerne les questions liées au changement climatique. Il a également souligné l’impératif d’une justice collective envers l’Afrique, dont la responsabilité dans la pollution planétaire est limitée, malgré sa contribution inversement proportionnelle au volume global des investissements dans la préservation de l’environnement[10].

  • Agenda de la croissance verte en Afrique

Cette thématique a également suscité d’importantes réflexions relatives au développement durable et à la transition vers une économie à faibles émissions de carbone en Afrique. L’objectif sous-jacent consiste à mettre en lumière le potentiel inexploité de l’Afrique en tant que catalyseur de la croissance verte à l’échelle continentale et mondiale, tout en établissant un cadre pour l’incorporation des principes de la croissance verte au sein des politiques nationales et régionales.

En effet, le premier sommet africain sur le climat est stratégiquement positionnée pour coordonner, promouvoir et exploiter la dynamique croissante entourant divers domaines tels que la transition vers des sources d’énergie plus durables, la conservation de la biodiversité, la promotion de financements durables et la garantie de la sécurité alimentaire. Cette position stratégique est renforcée par sa proximité temporelle avec plusieurs événements majeurs, notamment la Semaine africaine du climat, le Sommet international sur le climat et l’énergie à Madrid, l’Assemblée annuelle de la Banque mondiale à Marrakech, ainsi que la conférence de reconstitution des ressources du Fonds vert pour le climat prévue à Bonn, en Allemagne, en octobre.

Les dirigeants africains s’engagent donc à promouvoir une croissance économique durable, limitant les émissions tout en favorisant une production respectueuse de l’environnement à l’échelle mondiale, créant ainsi des opportunités d’emploi[11]. Cette initiative s’inscrit dans une volonté plus vaste de renforcer la collaboration continentale en améliorant la connectivité entre les réseaux régionaux et continentaux, avec une attention particulière portée à la mise en œuvre de l’accord relatif à la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf)[12]. Dans le cadre de cette démarche, les dirigeants africains cherchent également à favoriser l’industrialisation verte en priorisant les secteurs à forte consommation d’énergie, ce qui contribuera à promouvoir l’adoption des énergies renouvelables, stimuler l’activité économique et mettre en valeur les ressources naturelles de l’Afrique[13].

  • Articulation entre l’action climatique et le développement économique

En Afrique, les températures connaissent une augmentation notable, dépassant la moyenne mondiale. Selon le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), cette tendance à la hausse est prévue de persister tout au long du XXIe siècle[14]. Cette réalité climatique impose ainsi la nécessité d’adopter une approche intégrée où les efforts déployés pour lutter contre le changement climatique sont intrinsèquement liés au développement des nations africaines.

En effet, le changement climatique représente une menace sérieuse pour la réalisation des objectifs de développement durable (ODD) et du Programme de développement de l’Union africaine à l’horizon 2063. Ainsi, l’intégration des actions climatiques dans les politiques de développement devient une nécessité impérative[15]. En raison de la cadence et de l’ampleur de l’effort requis pour lutter contre le réchauffement climatique, il est impératif de prendre en considération dès maintenant son impact sur l’économie. Cette préoccupation économique est d’autant plus pertinente pour les pays africains, qui sont souvent confrontés à des défis de développement complexes[16].

Sur ce point, la déclaration des dirigeants africains sur le climat met en lumière le constat que l’Afrique se trouve dans une situation de sous-financement concernant le secteur des énergies renouvelables, en dépit de son potentiel substantiel dans ce domaine. Par conséquent, les dirigeants préconisent la nécessité d’encourager des investissements positifs en faveur du climat dans le but de stimuler la transition vers une économie verte[17]. De plus, au cours de ce premier sommet sur le climat, les chefs d’État africains s’engagent à réorienter leurs stratégies de développement économique vers une croissance favorable au climat, englobant l’expansion de transitions énergétiques équitables et de la production d’énergie renouvelable pour le secteur industriel, la promotion de pratiques agricoles respectueuses et régénératrices du climat, ainsi que la préservation et l’amélioration cruciales de la nature et de la biodiversité[18]. Ils préconisent également l’intégration des initiatives liées au climat, à la biodiversité et aux océans dans les plans et processus nationaux, garantissant ainsi leur contribution aux objectifs de développement durable, à la promotion des moyens de subsistance et à l’amélioration de la résilience des communautés locales, des zones côtières et des économies nationales[19].

En outre, ils appellent à une mobilisation collective à l’échelle mondiale visant à lever les fonds nécessaires au développement et à l’action climatique, réitérant les principes énoncés dans la déclaration du Sommet de Paris pour un nouveau pacte de financement mondial, à savoir qu’aucun pays ne devrait jamais être contraint de choisir entre ses aspirations au développement et son engagement envers l’action climatique[20].

Si la transition vers une économie à faible émission de carbone peut être une opportunité pour promouvoir une croissance économique durable en Afrique cela nécessite une planification précise et une coordination efficace entre les acteurs nationaux et internationaux. Partageant le constat, certains auteurs soulignent qu’ « il est donc nécessaire d’accroître l’efficience énergétique et l’action contre le réchauffement climatique, notamment de manière articulée entre pays au niveau international »[21].

Pour réussir cette transition, il est impératif d’élaborer des politiques publiques cohérentes qui intègrent les objectifs climatiques dans les stratégies de développement à long terme. Les investissements dans les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique et la gestion durable des ressources naturelles peuvent contribuer à réduire les émissions de gaz à effet de serre tout en stimulant la croissance économique. De même, une meilleure planification territoriale, une agriculture résiliente au climat et des mesures d’adaptation sont également essentielles pour atténuer les impacts négatifs du changement climatique sur les économies africaines.

  • Optimisation du capital global

À mesure que les pays africains progressent dans leur développement et adoptent un système économique de marché, il devient impératif qu’ils établissent des mécanismes en vue d’optimiser leur capital global. En effet, ce processus doit s’inscrire dans une démarche continue, constamment adaptée aux évolutions, notamment celles associées aux changements climatiques.

Dans ce contexte, la déclaration souligne que l’Afrique possède à la fois le potentiel et l’ambition d’être un élément essentiel de la solution mondiale au changement climatique. En tant que foyer de la main-d’œuvre la plus jeune et à la croissance la plus rapide au monde, associé à un énorme potentiel d’énergies renouvelables inexploité, ainsi que de riches ressources naturelles et une culture entrepreneuriale dynamique. Ces atouts placent le continent dans une position idéale pour jouer un rôle central en tant que pôle industriel compétitif et prospère, tout en offrant la capacité d’aider d’autres régions à atteindre leurs objectifs de neutralité carbone[22].

La Déclaration de Nairobi encourage également les pays du continent à renforcer leurs systèmes de résilience face à la sécheresse en passant d’une gestion réactive des crises à une approche proactive de préparation et d’adaptation à la sécheresse. L’objectif est de réduire de manière significative la vulnérabilité des populations, des activités économiques et des écosystèmes aux effets de la sécheresse[23].

Elle encourage en outre les partenaires de développement, tant du Sud que du Nord, à harmoniser et à coordonner leurs ressources techniques et financières dédiées à l’Afrique. Cela permet de favoriser l’utilisation durable des ressources naturelles du continent africain dans le but de soutenir la transition vers un développement à faible émission de carbone sur le continent, et ainsi contribuer à la décarbonisation à l’échelle mondiale[24].

Par ailleurs est proclamé la nécessité de renforcer la résilience aux chocs climatiques, notamment en améliorant le déploiement du mécanisme de liquidité des DTS et des clauses de suspension en cas de catastrophe. L’objectif est d’examiner une nouvelle émission de DTS pour répondre à la crise climatique, d’une ampleur au moins de la même ampleur que celle du Covid19 (650 milliards de dollars)[25].

En somme, l’Afrique, tout en reconnaissant son rôle essentiel dans l’atténuation du changement climatique, sollicite la solidarité et l’engagement de la communauté mondiale en vue de garantir un avenir plus durable et résilient. Cependant, la mise en œuvre effective de cette intention demeure un sujet d’interrogation suscitant des débats ininterrompus. Quoi qu’il en soit, la Déclaration de Nairobi sur le changement climatique, qui a été adoptée à l’issue du premier Sommet africain sur le climat, constituera un outil dont pourront se servir les négociateurs et les acteurs sociaux des pays africains pour exiger davantage le respect des engagements pris et encourager des mesures plus ambitieuses. En effet, de nombreux pays africains sont fortement touchés par les conséquences du réchauffement climatique, ce qui renforce leur intérêt pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Quelle que soit la portée limitée du Sommet africain sur le climat et de sa déclaration, sa contribution à cette cause est une nouvelle favorable pour la communauté mondiale tout entière.

Biographie de l’auteur
Amadou Diallo est titulaire d’un M2 en science politique, option relations internationales, obtenu en 2015 à l’Université de Mohammed V de Rabat, suivi d’un M2 en droit de l’environnement et de l’urbanisme en 2018 à l’Université d’Artois (France). Il a également un Diplôme d’Université (DU) en expertise juridique et technique de l’environnement de l’École des Mines de Douai. En juin 2023, il a soutenu sa thèse de doctorat en droit à l’Université de Clermont Auvergne. Actuellement, il occupe le poste de chargé d’enseignement à l’Université Paris Nanterre, au sein de la faculté de droit. Ses domaines de recherche couvrent le droit public, le droit administratif et le contentieux administratif, le droit de l’environnement et de l’urbanisme, ainsi que les études africaines, en particulier la région du Sahel.

Bibliographie

  • A. AVADIKYAN, C. MAINGUY, « Accès à l’énergie et lutte contre le changement climatique : opportunités et défis en Afrique subsaharienne – Présentation », Mondes en développement, 2016/4 (n° 176), p. 7-24.
  • A. CHARTIER, M. TSAYEM DEMAZE, « L’Afrique dans l’agenda international de réduction des émissions de gaz à effet de serre : quelle transition énergétique pour quel développement ? L’exemple de Madagascar », Mondes en développement, 2020/4 (n° 192), p. 77-79.
  • Agence Française de Développement, Changement climatique : pourquoi l’Afrique doit être une priorité, publié le 21 septembre 2023, consulté le 07/10/2023 à 15h11 minutes, disponible à l’adresse : https://www.afd.fr/fr/actualites/Afrique-impacts-changement-climatique
  • B. SULTAN, P. ROUDIER et S. TRAORÉ, Chapitre 10, Les impacts du changement climatique sur les rendements agricoles en Afrique de l’Ouest In : Les sociétés rurales face aux changements climatiques et environnementaux en Afrique de l’Ouest, Marseille : IRD Éditions, 2015 consulté le 13 octobre 2023 à 10h07 minutes, disponible à l’adresse : http://books.openedition.org/irdeditions/9773
  • Déclaration des dirigeant africains de Nairobi sur le changement climatique et l’appel à l’action, adopté le 6 septembre 2023 à Nairobi, Kenya.
  • H. GERARDIN, O. DAMETTE, « Quelle transition énergétique, quelles croissance et développement durables pour une nécessaire transition écologique ? Présentation », Mondes en développement, 2020/4 (n° 192), p. 11.
  • IPCC Intergovernmental Panel on climate change, Climate change 2023, Synthesis Raport, Summary for policymakers, p. 3-42.
  • J. DURAFOUR et Ch. DE LA CHAPELLE, La protection des droits humains face au changement climatique: vers une meilleure justiciabilité?, Université de Genève, consulté le 27/09/2023 à 13h09 minutes, disponible à l’adresse : https://www.humanrights.ch/cms/upload/pdf/2022/220811_Memoire_Jeanne_Durafour.pdf
  • L. ATWOLI, G. ERHABOR, A. GBAKIMA, et al. Conférence COP27 sur le changement climatique : des mesures d’urgence sont nécessaires pour l’Afrique et pour le monde entier, Revista Panamericana de Salud Pública, 2023, vol. 46, p. 211.
  • L. BOISGIBAULT, et P. DIBI-ANOH, Changement climatique en Afrique subsaharienne, de la vulnérabilité à l’adaptation, In : Douzièmes Journées Géographiques de Côte d’Ivoire (JGCI-2020), 2020.
  • L. ZOMA, Perception et effectivité du droit de l’environnement: entre influence des niveaux de développement et nécessité de réduire les disparités, Revue juridique de l’environnement, 2019, vol. 44, no 2, p. 321-338.
  • La 27e Conférence des Nations Unies sur les Changements Climatiques, qui s’est tenue du 6 au 10 novembre 2022 à Charm el-Cheikh, en Égypte.
  • M. GARLICK et I. MICHAL, Mobilité humaine, droits et protection internationale: répondre à la crise climatique, Forced Migration Review, 2022, n° 69.
  • M. Woillez, « L’Afrique face au changement climatique », Agence française de développement éd., L’économie africaine 2023, la Découverte, 2023, p. 25-44
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  • OECD iLibrary, Pertes et dommages induits par le changement climatique : un moment critique pour agir (en ligne), consulté le 20 septembre 2023 à 11h05 minutes, disponible à l’adresse : https://www.oecd-ilibrary.org
  • Organisation Météorologique Mondiale, Le rapport sur l’état du climat en Afrique met l’accent sur le stress hydrique et les risques liés à l’eau, publié 08/09/2023, consulté 09/10/2023 à 11h03 minutes, disponible à l’adresse : public.wmo.int
  • P. AMIR IMAM, K. KPODAR, « Changement climatique et viabilité budgétaire en Afrique subsaharienne », Revue d’économie du développement, 2022/4 (Vol. 32), p. 89-124.
  • Union Africaine « Discours du Président de la Commission de l’Union Africaine S.E. M. Moussa Faki Mahamat à l’occasion du Sommet Africain Sur Le Climat », septembre 05, 2023, consulté le 13/09/2023 à 09h13 minutes, disponible à l’adresse suivante : https://au.int/fr/speeches/20230905/discours-de-se-moussa-faki-mahamat-president-lors-de-louverture-de-acs2023
  • United Nations Climate Change, La COP 27 parvient à un accord décisif sur un nouveau fonds « pertes et préjudices » pour les pays vulnérables (en ligne), 21 novembre 2022, consulté le 14 septembre 2023 à 17h13 minutes.

[1] Sur ce point voir M. WOILLEZ, « L’Afrique face au changement climatique », Agence française de développement éd., L’économie africaine 2023. La Découverte, 2023, p. 25-44 ; L. BOISGIBAULT, et P. DIBI-ANOH, Changement climatique en Afrique subsaharienne, de la vulnérabilité à l’adaptation, In : Douzièmes Journées Géographiques de Côte d’Ivoire (JGCI-2020), 2020 ou encore l’Organisation Météorologique Mondiale, Le rapport sur l’état du climat en Afrique met l’accent sur le stress hydrique et les risques liés à l’eau, publié 08/09/2023, consulté 09/10/2023, disponible à l’adresse : public.wmo.int

[2] GIEC, « Changement climatique 2022 : impacts, adaptation et vulnérabilité, Le Résumé à l’intention des décideurs », consulté le 20 septembre 2023, p. 9, disponible à l’adresse suivante : https://www.ipcc.ch/report/ar6/wg2/downloads/report/IPCC_AR6_WGII_SummaryForPolicymakers.pdf

[3] N. GORBATKO, « Sommet africain sur le climat : la communauté mondiale rappelée à ses engagements », Actu Environnement, 08/09/2023, consulté le 25/09/2023 à 11h07 minutes, disponible à l’adresse : https://www.actu-environnement.com

[4] La 27e Conférence des Nations Unies sur les Changements Climatiques, qui s’est tenue du 6 au 10 novembre 2022 à Charm el-Cheikh, en Égypte.

[5] United Nations Climate Change, La COP 27 parvient à un accord décisif sur un nouveau fonds « pertes et préjudices » pour les pays vulnérables (en ligne), 21 novembre 2022, consulté le 14 septembre 2023.

[6] United Nations Climate Change, « La COP 27 parvient à un accord décisif sur un nouveau fonds ( pertes et préjudices ) pour les pays vulnérables », 21 novembre 2022, consulté le 14 septembre 2023, disponible à l’adresse suivante : https://unfccc.int/fr/news/la-cop-27-parvient-a-un-accord-decisif-sur-un-nouveau-fonds-pertes-et-prejudices-pour lespays#:~:text=ONU%20Climat%20infos%2C%20le%2020,touch%C3%A9s%20par%20les%20catastrophes%20climatiqus

[7] Ce terme « désignent les effets néfastes potentiels pouvant résulter des interactions entre les aléas liés au climat et l’exposition et la vulnérabilité à ces aléas ». Voir OECD iLibrary, « Pertes et dommages induits par le changement climatique : un moment critique pour agir », consulté le 20 septembre 2023, à l’adresse suivante : https://www.oecd-ilibrary.org/sites/5acc2318-fr/index.html?itemId=/content/component/5acc2318-fr

[8] J. DURAFOUR et Ch. DE LA CHAPELLE, La protection des droits humains face au changement climatique: vers une meilleure justiciabilité?, Université de Genève, consulté le 27/09/2023, disponible à l’adresse : https://www.humanrights.ch/cms/upload/pdf/2022/220811_Memoire_Jeanne_Durafour.pdf; Sur ce point, voir aussi ZAMBO, Yanick Hypolitte, La perception de la justice climatique dans les régions les plus vulnérables et à faible capacité d’adaptation au changement climatique: le cas de l’Afrique subsaharienne, NAAJ-Revue africaine sur les changements climatiques et les énergies renouvelables, 2021, vol. 2, no 1.

[9] Déclaration des dirigeant africains de Nairobi sur le changement climatique et l’appel à l’action, adopté le 6 septembre 2023 à Nairobi, Kenya, point 20.

[10] Sur ce point voir l’Union Africaine « Discours du Président de la Commission de l’Union Africaine S.E. M. Moussa Faki Mahamat à l’occasion du Sommet Africain Sur Le Climat », septembre 05, 2023, consulté le 13 septembre, disponible à l’adresse suivante : https://au.int/fr/speeches/20230905/discours-de-se-moussa-faki-mahamat-president-lors-de-louverture-de-acs2023

[11]  Déclaration des dirigeant africains de Nairobi sur le changement climatique et l’appel à l’action, op., cit, point 22.

[12] Ibid., point 25.

[13] Ibid., point 26.

[14] Sur ce point voir IPCC Intergovernmental Panel on climate change, Climate change 2023, Synthesis Raport, Summary for policymakers, p. 3-42.

[15] A. CHARTIER, M. TSAYEM DEMAZE, « L’Afrique dans l’agenda international de réduction des émissions de gaz à effet de serre : quelle transition énergétique pour quel développement ? L’exemple de Madagascar », Mondes en développement, 2020/4 (n° 192), p. 77-79.

[16] Ibid., p. 71-88.

[17]  Déclaration des dirigeant africains de Nairobi sur le changement climatique et l’appel à l’action, op., cit, point 11.

[18] Ibid., point 23.

[19] Ibid., point 31.

[20] Ibid., point 43.

[21] H. GéRARDIN, O. DAMETTE, « Quelle transition énergétique, quelles croissance et développement durables pour une nécessaire transition écologique ? Présentation », Mondes en développement, 2020/4 (n° 192), p. 11.

[22] Déclaration des dirigeant africains de Nairobi sur le changement climatique et l’appel à l’action, op., cit, point 13.

[23] Ibid., point 37.

[24] Ibid., point 40.

[25] Ibid., point 44


Qu’est-ce que la conformité bancaire et quelle est son importance ?

Par Moussa SYLLA, directeur de la Conformité à la FBNBank Sénégal, auteur de « La conformité bancaire au Sénégal et dans la zone UMOA« 

Les banques évoluent dans un secteur d’activité réglementé. Ainsi, elles sont assujetties à des normes (lois, circulaires, règlements, instructions) qu’elles doivent respecter. Les banques au Sénégal et dans la zone UMOA doivent tout d’abord obtenir un agrément avant de pouvoir exercer.

Après avoir obtenu leur agrément, les banques doivent respecter un certain nombre de réglementations, comme nous l’avons écrit plus haut. Dans le cadre de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, elles font partie des personnes assujetties. Dès lors, elles doivent mettre en place un dispositif de lutte contre ces deux fléaux, en connaissant leur clientèle (KYC), en surveillant leurs transactions, en filtrant les personnes qui effectuent les transactions dans leurs livres, et en déclarant à la CENTIF toutes les opérations en espèces égales ou supérieures à 15 millions de francs CFA et les transactions suspectes…

Blanchiment des capitaux

Toutefois, les banques ne sont pas les seules personnes assujetties à la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme ; celle-ci doit être un effort collectif. Sinon, nous en pâtissons tous.

Il y a un fort soupçon que le boom immobilier que connaît le Sénégal est dû au blanchiment de capitaux. Si les notaires, les agents immobiliers ne jouent pas aussi leur rôle pour combattre le blanchiment de capitaux, le Sénégal y sera toujours en proie, et les classes moyennes continueront d’éprouver de grandes difficultés pour se procurer un logement.

Cela est également valable pour la corruption qui fait partie des infractions sous-jacentes du blanchiment de capitaux. Un pays qui connaît une forte corruption est un pays très vulnérable face au blanchiment de capitaux. Si le Sénégal ne combat pas avec force la corruption, il sera utopique de penser qu’il pourra éradiquer le blanchiment de capitaux.

Les banques doivent également respecter les réglementations relatives au dispositif prudentiel, faire preuve de loyauté envers leurs clients en leur vendant des produits et services adaptés à leurs besoins, et procéder, avant d’exécuter un transfert à l’étranger, à des vérifications telles que requises par la Réglementation sur les relations financières extérieures de l’Union…

Des sanctions conséquentes

Si elles ne respectent pas toutes ces réglementations, les banques s’exposent à des sanctions financières et disciplinaires de la part de la Commission bancaire, qui est leur organe régulateur. À l’échelle mondiale, les sanctions peuvent être très élevées ; récemment, une banque allemande, Deutsche Bank, a été sanctionnée d’un montant de 186 millions de dollars par le régulateur américain pour non-respect du dispositif réglementaire de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme.

Dans la zone UMOA, depuis juin 2022, des banques ont été sanctionnées de montants allant jusqu’à 300 millions de francs CFA pour non-respect de diverses réglementations qui leur sont applicables.

Les sanctions ont un impact important, parce qu’elles entraînent la mauvaise réputation d’une banque, ce qui peut faire fuir ses clients ou pousser ses correspondants bancaires à cesser toute relation avec elle. Dans la zone UMOA, les sanctions sont pour le moment anonymes, mais cela changera certainement dans le futur. À l’échelle internationale, le nom de la banque sanctionnée est publié, et tous les grands médias en parlent, nuisant à son image et à sa réputation.

Le rôle de la conformité est de s’assurer que toutes les réglementations qui sont applicables à une banque sont respectées, en son sein. Pour cela, la fonction conformité ou la compliance doit identifier toutes les normes qui régissent une banque, les diffuser à l’ensemble du personnel et établir des contrôles pour s’assurer de leur respect. Par ailleurs, elle doit former et sensibiliser l’ensemble du personnel sur le respect des règles. Pour assurer son indépendance, elle doit rendre compte au Conseil d’administration et ne doit pas exercer des fonctions opérationnelles ou génératrices de revenus pour éviter tout conflit d’intérêts.

La conformité commence par le sommet

Les banques sont tenues de disposer « d’une fonction conformité permanente » dans la zone UMOA, selon la circulaire 05/2017/CB/C. C’est une chose d’en disposer d’une, c’en est une autre que ses avis soient sollicités et écoutés. Certaines entreprises mettent en place une fonction conformité cosmétique, parce que la réglementation le leur exige. Cependant, elles n’écoutent pas l’avis de la fonction conformité, et même, le marginalisent. Aussi dit-on que la conformité commence par le sommet, le Conseil d’administration et la Direction générale d’une entreprise, ce que les anglo-saxons appellent le « tone from the top », ou le ton donné par le sommet.

Les dirigeants d’une banque doivent montrer, à travers leurs mots et leurs actes, que la conformité est importante pour eux, qu’elle fait partie intégrante de l’entreprise. Pour cela, ils doivent lui octroyer des ressources humaines suffisantes et les ressources matérielles nécessaires afin qu’elle puisse être efficace dans ses tâches. La fonction conformité à elle seule ne peut faire respecter les règles dans une entreprise. Si elle n’a pas le soutien du top management, aussi volontaire et compétente soit-elle, elle sera inefficace.

C’est le sens des mots de Peter B. Driscoll, directeur de l’Office of Compliance Inspections and Examinations du Securities and Exchange Commission (SEC), le régulateur américain de la Bourse, dans un discours qu’il prononça le 19 novembre 2020, intitulé « The Role of CCO[1] – Empowered, Senior and With Authority :

         « L’un des aspects les plus importants d’un programme de conformité efficace consiste à faire en sorte que le top management soutienne la Conformité et donne à son directeur les moyens d’accomplir son travail efficacement. Sans le soutien de la Direction générale, aucun directeur de la conformité, aussi diligent et compétent soit-il, ne peut être efficace (…)

La cause ou le blâme d’un problème ou d’un échec de conformité n’incombe généralement pas uniquement au directeur de la Conformité et peut ne pas être dû en totalité au directeur de la Conformité. »[2]

Le top management doit montrer l’exemple

Dans notre livre La conformité bancaire au Sénégal et dans la zone UMOA, nous insistons sur l’importance que le top management doit accorder à la fonction conformité. Pourquoi ? Les travaux de Robert Cialdini, dans son livre Influence et manipulation, montrent que l’autorité fait partie des mécanismes de persuasion les plus efficaces. Les subalternes sont influencés par leurs supérieurs. Quand ces derniers montrent l’exemple, non pas juste par leurs mots, mais aussi par leurs actions, se diffusera, au sein d’une entreprise ou d’une banque, une culture de conformité. Cela entraînera que les règles y seront respectées, parce que cela fait partie de la culture d’entreprise.

À défaut, comme nous l’avons vu plus haut, une entreprise ou une banque sera sanctionnée, et si ces sanctions sont diffusées nommément, sa réputation sera ébranlée. La réputation fait partie des actifs les plus importants d’une entreprise.

Ce livre a été écrit pour aider les banques de la zone UMOA à se conformer à leurs obligations réglementaires. Il leur montre comment implanter un dispositif de conformité et comment l’appliquer. L’époque où une banque pouvait accepter n’importe quel dépôt sans demander des justificatifs sur la provenance des fonds et s’assurer de leur licéité est révolue, l’époque où elle pouvait vendre à sa clientèle des produits et services inadaptés à ses besoins est aussi révolue – les clients peuvent transmettre une réclamation à une banque, et celle-ci est tenue d’y répondre dans un délai d’un mois. Dans le cas contraire, ils peuvent saisir la Commission Bancaire à l’adresse web suivante : (https://www.cb-umoa.org/index.php/fr/reclamation).

Aujourd’hui, une banque est tenue de se conformer aux règles et d’agir avec éthique et déontologie. Pour cela, la conformité est un bien nécessaire et apporte une grande valeur ajoutée à une banque qui lui accorde de l’importance.

Moussa Sylla est un professionnel de la conformité, avec plus de cinq ans d’expérience dans le domaine. Il a été tour à tour chargé de conformité, Responsable Service LAB/FT et Veille réglementaire, Directeur de la Conformité, dans trois banques différentes. Il est aussi l’auteur de plusieurs publications sur la conformité.

moussisylla@gmail.com


[1] Chief Compliance Officer, ou directeur de la conformité.

[2] Voir le discours de Peter B. Driscoll sur le lien suivant : https://www.sec.gov/news/speech/driscoll-role-cco-2020-11-19

OMC: à l’heure de la dé-mondialisation, l’Afrique peut-elle rester spectatrice ?

Par Joël Té-Léssia Assoko, journaliste, éditeur associé à l’Afrique des Idées

Alors que l’ordre commercial international est en plein chamboulement, les voix africaines se font inaudibles. A quel prix?

Les intrus sont dans Babylone. Et ses défenseurs hésitent. La décadente citadelle peut-elle encore être défendue ? Mieux: est-elle moralement défendable ? “Pour la première fois en cinquante ans, il n’y a pas d’accord mondial sur le commerce”, affirmait à la mi-septembre, à Genève, l’ex-Premier ministre britannique Gordon Brown, invité vedette du Forum public de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Plus diplomate, la Nigériane Ngozi Okonjo-Iweala, directrice générale de l’institution multilatérale, s’alarmait d’une “tendance” pouvant mener “à la fragmentation de l’économie mondiale”.

À la coalition hétéroclite – nationalistes, populistes et altermondialistes – s’est joint une toute aussi disparate mais autrement plus puissante confédération de “réformateurs”. Tous insatisfaits de “l’ordre économique mondial” bâti depuis 75 ans “sur l’idée que l’interdépendance parmi les nations à travers l’accroissement du commerce et des liens économiques promouvrait la paix et la prospérité partagée”, comme s’en est émue Ngozi Okonjo-Iweala. Pour l’ancienne ministre nigériane des Finances, “cette vision est aujourd’hui menacée”. Avec elle, le futur d’une économie mondiale “ouverte et aux règles prévisibles”.

Une approche punitive du commerce

Le fait est que, longtemps confinés aux marges de l’économiquement correct, les “sales petits secrets” de la mondialisation sont désormais au cœur de l’agenda des élites. “Des idées qui avaient été discréditées après les ‘erreurs’ des années 1930 reviennent aujourd’hui à la mode”, alerte le dernier “Rapport sur le commerce international”. Selon les économistes de l’OMC, le processus de “démondialisation” aujourd’hui entamé “rendrait l’économie mondiale plus pauvre, moins efficace, moins innovante et plus limitée en ressources, réduisant ainsi les capacité à faire avancer les priorités sociales, environnementales ou sécuritaires”.

Peut-être bien. Quoi qu’il en soit, les mesures protectionnistes (“distortionnaires” dans le franglais de l’OMC) autrefois camouflées via divers subterfuges sont aujourd’hui assumées. Ainsi, le durcissement des règles commerciales vis-à-vis de la Chine décidées par l’administration de Donald Trump n’ont guère été supprimées. Loin s’en faut. Alors que la Chine domine le marché des “minerais critiques” essentiels à la fabrication des batteries électriques, les exemptions fiscales pour l’acquisition de véhicules électriques prévues par la Loi sur la réduction de l’inflation (Inflation Reduction Act – IRA) promulguée par Joe Biden en août 2022, ne sont réservées qu’aux voitures dont au moins 50% des intrants proviennent d’Amérique du Nord, en 2030 ce taux sera de 100%, rappelle Xolelwa Mlumbi-Peter, ambassadrice de l’Afrique du Sud auprès de l’OMC. “Qu’adviendra-t-il si ce n’est un espace commercial mondial fragmenté ?”, s’alarme la diplomate sud-africaine.

L’Union européenne défend son Mécanisme d’ajustement carbone aux frontières (Carbon Border Adjustment Mechanism – CBAM). Un ensemble de taxes appliquées à diverses importations (acier, ciment, engrais, aluminium, hydrogène, véhicules) dont la phase transitoire commence en octobre 2023. Bien sûr, ce n’est que pure coïncidence si ces mesures épousent la géographie exacte des points faibles de l’industrie européenne. Il s’agit uniquement de mettre en œuvre “une tarification du carbone équivalente à celle appliquée aux industriels européens fabriquant ces produits”. Et ce principalement afin de “lutter contre les fuites de carbone [transfert des activités polluantes vers des juridictions moins réglementées, ndlr], dans un contexte de renforcement de l’ambition climatique au niveau européen”. Pour le président français Emmanuel Macron, il s’agit pour l’Europe de retrouver son “autonomie stratégique”. 

“Il est nécessaire de trouver les solutions de décarbonisation les moins restrictives pour le commerce. Le CBAM, par exemple, perturbera considérablement les échanges internationaux, mais ne permettra de réduire que très marginalement les émissions mondiales de gaz à effet de serre. Cela revient à utiliser un bazooka pour tuer une mouche”, répond Xolelwa Mlumbi-Peter.

Équité et dynamique de pouvoir

Le “Sud global” n’est pas en reste. La Chine, deuxième puissance économique mondiale, s’agrippe à son statut de “pays en développement”, arguant de ses concessions passées. ”Lors de son adhésion à l’OMC, la Chine a accepté des conditions et un traitement très stricts. Par exemple, alors que la limite des subventions a été fixée à 5 % de la valeur de la production agricole pour les pays développés et à 10 % pour les pays en développement, cette limite est de 7,5 % pour la Chine”, explique un haut dirigeant des instances commerciales internationales. 

Il est à noter que le statut de “pays en développement”, est autoproclamé lors de l’adhésion à l’OMC – ce qui requiert l’unanimité des pays membres – et ne peut être abandonné que volontairement. “Le Brésil, Singapour et la Corée du Sud ont individuellement renoncé à bénéficier du “traitement spécial et différencié” réservé dans le cadre de l’OMC aux pays en développement mais n’ont pas formellement renoncé à leur statut de pays en développement”, nous a rappelé ce diplomate, familier des positions du “Sud” dans ces négociations.

Au sein même de l’OMC, “Nord” et “Sud” sont engagés dans une guérilla multipolaire. Avec l’Inde en chef de file, nombre de pays émergents et en développement (d’environ 40 à 90 États selon les sources), exigent la sanctuarisation de la “Détention de stocks publics à des fins de sécurité alimentaire”, tandis que d’aucuns, parmi les pays riches surtout, se plaignent que ces achats provisionnels de bien alimentaires “faussent” les échanges “lorsqu’ils impliquent des achats auprès d’agriculteurs à des prix fixés par les pouvoirs publics, dénommés prix ‘administrés’”. Autrement dit : des subventions cachées à l’agriculture locale.

L’ironie étant denrée rare sur les rives du lac Léman, les pays développés s’opposent à toutes réductions de leurs propres subventions agricoles, tant qu’un accord ne sera pas trouvé au sujet des stocks alimentaires. Les solutions intermédiaires avancées par le Costa Rica, l’Inde et la Chine sur des réductions “asymétriques” ou étalées dans le temps des subventions agricoles ne font toujours pas l’unanimité. 

Or, commente un diplomate européen, environ la moitié des 800 milliards de dollars de subventions agricoles annuelles à travers le monde sont considérées comme “ayant un effet de distorsion” sur le commerce. “En comparaison, l’engagement pris lors de la COP21 à décaisser 100 milliards de dollars en faveur de l’agriculture verte n’a toujours pas été atteint”, a-t-il regretté. En plus des subventions, les mesures relatives au contenu local “sont mises en œuvre au mépris total des règles de l’OMC”, ajoute Xolelwa Mlumbi-Peter, qui avoue sa crainte que “l’ordre commercial mondial progresse désormais sur la base d’une dynamique de puissance et non selon l’équité”.

Pour ne rien arranger, note le rapport de l’OMC, le nombre de mesures d’exception liées à la “sécurité nationale” invoquées pour restreindre les échanges commerciaux a radicalement augmenté. Entre 2016 et 2022, elles ont été invoquées pas moins de 43 fois au sein des comités de l’OMC, contre 35 fois durant les treize premières années de l’OMC. Entre-temps, aucun accord n’a été trouvé pour redémarrer la cour d’appel de l’instance de règlement des différends commerciaux de l’OMC, bloquée par le véto des États-Unis qui, encouragés par d’autres pays développés, estiment que cette dernière a outrepassé ses compétences.

Qu’en est-il de l’Afrique ?

Entre clauses discriminatoires et mesures de distorsions, subventions iniques de plus en plus assumées et sabotages explicites de l’OMC – sous-staffée et dont le budget annuel est bloqué à 197 millions de francs suisses depuis dix ans malgré l’inflation -, “il y a peu de raisons d’être optimistes”, a reconnu un délégué de la Banque mondiale. “Lors de la dernière conférence ministérielle sur le commerce, en juin 2022, les États-Unis, la Chine et l’UE ont esquivé les questions sur les distorsions créées par leurs subventions. Elles n’ont pas été mentionnées dans le communiqué final. Tous les coupables sont dans la salle, en toute impunité vu la paralysie du mécanisme de règlement des différends de l’OMC”, a regretté ce haut fonctionnaire international. 

Plus optimiste, Henry Gao, professeur de droit à Singapore Management University, plaide : “Parce qu’ils sont tous des coupables, il est possible de parvenir à un grand accord sur les subventions si le coût de ces dernières devient trop élevé dans un contexte de durcissement des conditions des marchés financiers”. Cela est possible. Mais venons en au fait : tous les coupables sont peut-être dans la salle, mais toutes les parties prenantes y sont-elles ? 

Qu’en est-il de l’Afrique dans ce maëlstrom d’iniquités, dans cette économie mondiale en voie de “démondialisation” ? Il serait injuste de répondre “nulle part”. 

D’un, le système un pays-une voix qui freine parfois l’adoption des décisions accorde de fait un poids colossal à la quarantaine de pays africains membres de l’OMC, comme le prouve leur soutirn à l’Inde au sujet des stocks alimentaires. 

De deux, comme s’évertue à le rappeler Ngozi-Okonjo-Iweala, “aujourd’hui, 75 % du commerce mondial se fait dans le cadre de la ‘Clause de la nation la plus favorisée’”, pilier de l’ordre économique bâti par et autour de l’institution multilatérale. 

Enfin, “lorsqu’il s’agit des questions de politique [policy issues] et des priorités africaines (l’Agenda 2063 tout comme la zone de libre-échange continentale africaine – Zlecaf), l’unité africaine ne fait aucun doute. Nous nous sommes mis d’accord sur les propositions que nous avons présentées”, se félicite Xolelwa Mlumbi-Peter. 

Pour autant, la représentante de Pretoria admet que “le groupe Afrique est confronté à des contraintes de capacités institutionnelles”. L’Afrique du Sud et le Nigeria, uniquement, disposent d’ambassadeurs et d’équipes spécifiquement dédiées à l’OMC, regrette-elle : “Les autres représentations africaines en Suisse sont surchargées”, entre obligations consulaires à Berne et autres missions auprès des instances helvétiques de l’ONU.

Bizarrerie géopolitique

Avec moins de 5% des échanges internationaux de marchandises, le continent ne porte aucune responsabilité dans la dislocation en cours de l’ordre commercial mondial. 

Pour une fois, les pays africains ne figurent pas parmi les “suspects habituels” d’une bizarrerie géopolitique des temps modernes. Ni protagonistes, passablement “victimes”, certainement pas coupables. Mais, s’agit-il vraiment d’un progrès ?

Dans le grand théâtre du monde, l’innocence semble une vertu, mais elle n’a aucune valeur.

Diplômé en économie (Paris Dauphine PSL) et en affaires internationales (SciencesPo Paris), Joël Té-Léssia Assoko est éditeur associé de l’Afrique des Idées. Journaliste économique depuis dix ans, il a dirigé le pôle économie et finance du média panafricain Jeune Afrique entre 2020 et 2022.

Coup d’Étatisme et Etatisme du coup en Afrique : entrée ou sortie de la démocratie ?

Par Thierry AMOUGOU, économiste, Professeur à l’Université catholique de Louvain (UCL), dernier ouvrage publié: Pandémisme ou les tremblements de l’anthropocène. Esquisse d’une société pandémique moderne, 2022, Louvain-la-Neuve, Academia.

L’Afrique connaît ces derniers temps une cascade de coups d’Etat que la communauté internationale analyse plutôt négativement. Ce texte s’attèle à soutenir une lecture positive du coup d’Etat à l’aune des problèmes concrets du continent africain en montrant que les derniers coups de force qui ont eu lieu en Afrique s’apparentent à des révolutions populaires et que cela les différencie de l’Etatisme du coup contre lequel sont en lutte les peuples africains. Nous cherchons à débusquer les mouvements de fond intra-africains et internationaux qui expliquent la conjoncture politique africaine du moment et militent pour une non-condamnation systématique de l’usage de la crédibilité des armes pour prendre le pouvoir d’Etat.

  1. Coup d’Etatisme

Deng Xiaoping peut être considéré comme le père de l’hyperpuissance capitaliste actuelle qu’est la Chine. Il en est le père-fondateur via un coup d’Etat idéologique sur le parti communiste chinois qui, avec lui, et contrairement à Mao Tsé-toung, devint un parti promoteur d’une économie capitaliste en lieu et place d’une économie communiste. Ce changement idéologico-pratique opérationnalisé en s’accaparant de l’appareil dirigeant central chinois est analogue à ce que fit Thomas Sankara au Burkina Faso pour instaurer ce qu’il appela le « pays des hommes intègres » en contradiction avec la Haute-Volta au service, d’après lui, des intérêts de la domination étrangère et du néo-colonialisme. L’officier Jerry Rawlings installa le Ghana sur la route de la démocratie et de la bonne gouvernance après un putsch en 1979. Dans le cas de la France, la banque de France, le Franc, l’architecture administrative de base du pays, le Code civil et la légion d’honneur encore d’usage aujourd’hui sont des créations du général Napoléon Bonaparte suite à sa prise de pouvoir par coup d’Etat sur le régime issu de la révolution de 1789. Ces quelques exemples historiques parmi des centaines d’autres prouvent que le coup d’Etat peut avoir une valeur politique positive dans l’histoire politique du monde. Aussi, comme le stipule la suffixation[1] en –isme des noms de discours, nous pouvons valoriser la base coup d’Etat par sa modalisation positive et nominale coup d’Etatisme concevable comme l’omniprésence heureuse du coup d’Etat dans l’histoire politique mondiale et dans certaines conjonctures de cette histoire politique. Celle que vit actuellement l’Afrique en fait partie. Le coup d’Étatisme est donc une modalité idéologique et pratique d’organisation du pouvoir politique et de la transition de celui-ci vers une autre forme jugée meilleure via le coup d’Etat au sens d’instrument de prise de pouvoir et d’articulation temporaire du champ politique dans l’histoire longue des sociétés vers des régimes politiques que les auteurs du coup d’Etat pensent non seulement plus libres et plus justes, mais aussi plus productives et impossibles à atteindre sans au préalable une mise en ordre des hommes et des choses dans le sens des conditions de possibilités de cette justice, de cette liberté et de cette efficacité.

Dès lors, un coup d’Etat est parfois un coup heureux au sens de stratégie dans un jeu politique à plusieurs coups et à plusieurs acteurs. C’est un coup d’avance et de désaxement d’une dynamique politique en place au profit d’une autre via l’introduction d’un nouvel axe organisateur du pouvoir exécutif.

C’est une prise de responsabilité par l’entremise d’un moyen non constitutionnel mais objectif qu’est l’autorité et la force que l’Etat donne à une partie de l’Etat pour servir l’Etat et la société. Au sein de l’Afrique actuelle, une minorité numérique (au sein des armées) rencontre, via le coup d’Etat qu’elle orchestre, une majorité populaire sur le plan idéologique et des besoins politiques. Les sociétés africaines prennent donc désormais leurs politiques en main à travers le coup d’Etatisme. Que cela débouche sur des résultats positifs ou non dans les années à venir est moins important que cette maîtrise de leur réel qu’elles entament.

Dès lors, les gardes présidentielles africaines deviennent des « chiens de garde » des peuples et leurs caisses de résonnance en traduisant en action politique les rêves caressés et les désirs profonds des populations africaines réléguées à de simples statistiques par la démocratie libérale. C’est là où le coup d’Etat négatif, très souvent démographiquement minoritaire, se différencie du coup d’Etatisme et rejoint la révolution dans le cas de l’Afrique où les coups d’Etat rencontrent un soutien populaire.

Primo, ces coups d’Etat militaires sont applaudis par les populations africaines qui ne défendent en retour aucun régime déchu dit démocratiquement élu. Deuxio, les populations africaines contestent les troisièmes mandats mais ne contestent aucun des derniers coups d’Etat militaires dans leur continent. Tertio, les troisièmes mandats tuent plus que les coups d’Etat militaires. La preuve, la contestation liée au troisième mandat du président ivoirien Alassane Dramane Ouattara a tué plus de personnes en Afrique que les quatre derniers coup d’Etat en Guinée, au Mali, au Burkina Faso et au Niger.

Le constat est clair et sans bavures : d’un côté, les sociétés africaines accueillent favorablement les coups d’Etat militaires et, de l’autre, les conflits pré et postélectoraux liés aux troisièmes mandats sont, dorénavant, plus thanatologiques en Afrique que les coups d’Etat militaires. La question de savoir comment et pourquoi le coup d’Etat militaire redevient le modèle politique gagnant en Afrique est donc cruciale dans un continent engagé dans un processus démocratique depuis les années 1980. Ces coups d’Etat sont-ils la sortie de l’Afrique de la poursuite de l’idéal démocratique ? Sont-ce son entrée dans la barbarie politique ? Pourquoi, alors que les coups d’Etat sont très souvent des moments de terreur houspillés par les peuples, ceux qui se font en Afrique ces derniers temps, sont plutôt encensés par les peuples africains ? N’est-il pas un signe positif de liberté des peuples africains que les coups d’Etat qui y étaient majoritairement commandités et pilotés par les anciennes puissances coloniales s’y fassent dorénavant à partir des Africains eux-mêmes ?

  • Entrée dans la barbarie politique et sortie de la démocratie ?

Les récents coups d’Etat africains sont-ils le retour de la barbarie politique, c’est-à-dire d’une grossièreté politique propre aux peuples barbares qui montreraient ainsi qu’ils ne sont encore entrés dans le temps démocratique signe d’une civilisation moderne des mœurs politiques ? Sont-ils des preuves que les peuples africains manquent d’esthétique et de goût politiques tant en applaudissant les modes non-démocratiques d’accès au pouvoir qu’en célébrant l’avènement à la tête de leurs Etats d’hommes en treillis qui désertent les casernes et montrent ainsi que les armées africaines manquent cruellement de professionnalisme ? Sont-ce une démonstration d’une Afrique non encore convaincue de Winston Churchill suivant lequel la démocratie est un mauvais système mais le moins mauvais de tous les systèmes ?

Force est de constater que la barbarie politique a commencé en Afrique avec les puissances coloniales qui ont détruit les systèmes politiques africains pendant l’Etat colonial et ont parachevé cette œuvre lors des indépendances en 1960 par la liquidation du leadership nationaliste et panafricaniste du continent. Des figures comme Ruben Um Nyobè au Cameroun, Patrice Lumumba en RDC, Sylvanus Olympio au Togo, Louis Rwagasore au Burundi, pour ne citer qu’elles, ont été liquidées par ce premier épisode de barbarie politique faisant lui-même suite à la barbarie multi-centenaire du commerce triangulaire. La première vague de coups d’Etat en Afrique est donc constituée de ceux des anciennes puissances coloniales sous formes d’élimination physique et/ou d’éviction du pouvoir des leaders africains nationalistes et panafricanistes au profit des collabos locaux.

La deuxième vague de coups d’Etat (1960-1980) survient dans une Afrique postcoloniale. Elle est surtout causée par les balbutiements institutionnels d’Etats africains encore très fragiles car à peine sortis du système colonial proprement dit et tout de suite soumis aux affres du néocolonialisme et de la guerre froide. C’est ainsi que le président gabonais Léon Mba déposé par l’armée gabonaise en 1964 fut réinstallé sur son fauteuil présidentiel par le général de Gaulle suite à une intervention directe de l’armée française au Gabon alors que d’autres militaires comme Mobutu ou Eyadema se maintinrent au pouvoir grâce à la rente géopolitique de la guerre froide. Dans la mesure où le processus démocratique engagé en Afrique avec les ajustements structurels en 1980 se clôture de nos jours par une troisième vagues de coups d’Etat militaire, il semble indiqué de considérer que celle-ci, lorsqu’on prend en compte les processus sociétaux réels, essaie de sortir l’Afrique d’un processus démocratique devenue lui-même une nouvelle barbarie politique des temps modernes. Comment le processus démocratique est-il devenu une barbarie politique en Afrique ? Les lignes qui suivent s’attèlent à l’éclairer.

  • Etatisme du coup

Le coup d’Etatisme africain fait aussi du coup d’Etat une action politique positive en Afrique parce qu’il est en lutte contre l’Etatisme du coup en vigueur dans ce continent depuis la période coloniale. L’Etatisme du coup est une main basse, un délit, une mauvaise action sur les sociétés africaines. Il agit via plusieurs modalités interdépendantes (Etats occidentaux, Etats africains, institutions internationales, idéologies dominantes…) qui s’opérationnalisent toutes par le biais de la systématisation d’une intervention étatique qui, depuis l’Etat-colonial, a porté un mauvais coup à l’Afrique dans le sens d’un mouvement par lequel un corps politique (l’Etat colonial) vient à heurter un autre corps politique (la société africaine précoloniale) qui se retrouve désorganisée dans ses fondements dans tous les domaines.

L’Etatisme du coup s’est ensuite manifesté en Afrique postcoloniale, notamment francophone, par la Françafrique, réseau mafieux qui orchestra, après les indépendances, de nombreux coups d’Etat en passant par les Etats africains postcoloniaux. Il prit la forme du coup de main (aides et appuis divers) de l’Etat français au régime postcoloniaux en place, des coups de feux à travers l’armées française (cas du Gabon en 1964), des coups tordus (introduction de la fausse monnaie en Guinée Conakry par la France en 1958), des coups de force du mercenaire français Bob Denard via le renversement de plusieurs régimes africains de 1980 à 1995 et du coup de folie lors du soutient total de l’Etat français à l’Etat centrafricain pour le sacre de Jean-Bedel Bokassa comme empereur.

Depuis les programmes d’ajustements structurels l’Etatisme du coup a pris une dimension économique et idéologique dominé par le libéralisme autoritaire[2]. Il prend la forme du choc économique ou d’une thérapie de choc qui renvoie aux mesures impératives de libéralisation économique imposées aux Etats africains par les puissances occidentales et les instances financières internationales. Les Etats africains ont ainsi été sommés d’appliquer à leurs propres sociétés des mesures d’austérité et de libéralisme sans passer ni par un débat avec les instances internationales ni par une discussion avec leurs sociétés via les assemblées nationales comme cela fut le cas en Europe à travers le parlement européen lors de la crise de la dette souveraine faisant suite la crise des crédits hypothécaires. Les conséquences de l’application de cette thérapie de choc aux sociétés africaines par ce libéralisme autoritaire ont été désastreuses étant donné qu’il en a résulté une redistribution du pouvoir politico-économique en faveur des Africains déjà fortunés, un recul de l’action publique, une favorisation des conditions économiques des multinationales occidentales et une hausse de la pauvreté, des inégalités et de l’exclusion sociale. D’où un renforcement de l’Etatisme du coup électoral car c’est l’Etat africain qui fut chargé d’implémenter toutes ces réformes de libéralisation dont la démocratisation. Celle-ci, maîtrisée par les Etats africains structurés de façon néo- patrimoniale[3], a vu se renforcer leur capacité de contrôler les processus électoraux, de fabriquer des résultats aux profit des régimes en place et de faire usage d’une inflation de la réforme constitutionnelle au service des acteurs dominants historiques. C’est la sortie de tous ces aspects de l’Etatisme du coup que cherchent les coups d’Etat qui s’enchaînent ces derniers temps en Afrique.

  • L’Afrique fait un coup d’Etat à la démocratie en mode kit

Dans « L’esprit du capitalisme ultime »[4], un de nos ouvrages publié en 2018, nous comparions les démocraties africaines à un meuble IKEA. C’est-à-dire à un produit fini qu’on achète sans connaître son concepteur, l’origine du bois, les conditions de travail de ceux qui le fabrique et encore moins son processus de production et les chaînes de valeurs qui le structurent. Tout ce qui importe à l’acheter d’un tel mobilier est d’avoir avec lui le kit de montage afin qu’il le monte chez lui en jouisse des bienfaits. La démocratie africaine est semblable à un meuble IKEA en ce sens qu’imposée de et par l’Occident comme un produit politique fini de consommation, les Etats africains la reçoivent comme un kit à monter dont les principales pièces sont le multipartisme, des élections, des observateurs, une assemblée multipartiste, une commission électorale, une constitution démocratique et une société civile.

Cette démocratie africaine est donc moins le résultat d’une histoire des luttes politiques et sociales intra-africaines et entre l’Afrique et l’Occident qu’un produit fini de l’histoire des autres que l’Afrique doit juste consommer : C’est la démocratie en mode kit. Une démocratie qui méprise le réel des autres, ne prend pas en compte leur histoire et s’impose à eux comme volonté de l’Occident et des instances internationales à un moment donné de l’évolution du système-monde dont il a le contrôle et oriente la forme.

En conséquence, au lieu que la démocratie africaine soit le résultat politique de la recherche d’une réponse endogène aux problèmes concrets du continent, elle est devenue une réponse toute faite par d’autres à l’usage de l’Afrique dont on ne respecte ni les temporalités sociopolitiques et économiques, ni les problèmes concrets des populations. De là l’aboutissement à des démocraties désincarnées étant donné que le montage du kit démocratique dépend moins de sa capacité à répondre aux questions africaines concrètes qu’à signaler son alignement aux exigences de la communauté dite internationale. Une telle pensée participe non seulement de ce que Vico appelle la barbarie intellectuelle étant donné l’histoire sinueuse de la démocratie en Occident, mais aussi de la barbarie économique qui, à travers les programmes d’ajustements structurels, décapita les Etats africains tout en leur imposant une démocratie de marché. Qu’on aboutisse aujourd’hui à des peuples africains qui encensent des putschistes, ne défendent aucun régime dit démocratiquement élu, rêvent d’union africaine via des figures militaires et vomissent les troisièmes mandats, est tout à fait plausible et compréhensible.

L’explication est que cette forme de démocratie n’a amélioré aucun aspect de leur vie, a aggravé la pauvreté et les inégalités via le néolibéralisme, a orchestré l’affaiblissement de leurs Etats, et a entériné le règne sans partage des dictatures déjà en place depuis des décennies. Les peuples africains ne défendent pas une telle démocratie parce qu’elle n’a aucune légitimité ; et elle n’a aucune légitimité parce qu’elle ne résout aucun de leurs problèmes concrets de développement. Dans un environnement où le kit démocratique n’a aucun ancrage sociologique et culturel réel, un régime africain dit démocratique n’a aucun avantage comparatif politique par rapport à un régime militaire africain.

  • Les peuples africains refusent les dynasties au pouvoir et les troisièmes mandats

Les démocraties en mode kit sont fondamentalement procédurales au sens où elles pensent que la démocratie se limite au vote alors que le vote n’est qu’un mécanisme, un outil de choix qui vient sanctionner toute une évolution sociale, politique et structurelle des institutions politiques, économiques, sociales et spirituelles dans un contexte donné. Une telle approche de la démocratie aboutit depuis plusieurs années à un électoralisme maîtrisé par les Etats africains et ceux qui les dirigent étant donné que c’est le régime au pouvoir et l’appareil institutionnel sous sa domination qui mettent en scène le vote, le calendrier électoral, sa supervision, son effectuation, ses acteurs pertinents et la production des résultats officiels qui seuls font le président élu. Le cratos (le pouvoir) qui s’exprime en Afrique est donc moins celui du demos (le peuple) que celui de l’appareil étatique contrôlé par les dynasties et les clubs élitaires au pouvoir au Congo Brazzaville, au Togo, au Gabon, au Cameroun, au Tchad, en Guinée Equatoriale…

Résultats des courses, de 1980 à nos jours, aucun vote n’a pu évincer les familles africaines détentrices du pouvoir exécutif. Seul un coup d’Etat militaire à évincé Mubutu au Zaïre et c’est aussi un Coup d’Etat militaire qui vient d’évincer la famille Bongo au Gabon. Il en découle qu’une démocratie sans assises sociologiques et culturelles endogènes n’a nullement empêché la reproduction durable des familles régnantes et des club élitaires au pouvoir. Elle a été soit inapte à contrecarrer leurs malversations électorales pour garder le pouvoir, soit incapable d’endiguer la domination totale que ces familles et les clubs élitaires au pouvoir ont sur les sociétés politiques africaines grâce à leurs immenses fortunes accumulées depuis les années 1960. Qui plus est, les constitutions africaines qui auraient pu limiter le nombre de mandats au pouvoir en organisant institutionnellement l’alternance font l’objet de modifications pour les mettre au diapason du rêve démiurgique du pouvoir à vie. Le coups d’Etat militaire devient donc un moyen de sortir de la barbarie politique tant parce qu’il est le seul instrument capable de limiter le nombre de mandats au pouvoir des dictatures qui se veulent éternelles que parce qu’il met fin au troisième mandat et au mandat à vie qui ont pignon sur rue en Afrique. Là où la Constitution et le vote ne peuvent arrêter les troisièmes mandats et le pouvoir à vie, le coup d’Etat militaire le peut. Il devient ainsi paradoxalement plus crédible et plus légitime que la démocratie en mode kit.

Les populations africaines, sans être viscéralement favorables aux coups d’Etat militaires, ont compris qu’avec l’électoralisme les plus puissants au pouvoir depuis toujours le resteront et garderont le pouvoir par tricherie ou par domination totale des sociétés grâce à leurs capacités financières de redistribution des rôles à leur profit. Ainsi, même lorsqu’ils gagnent les élections sans tricher, les dynasties et les clubs élitaires au pouvoir depuis les indépendances dans les pays africains sont vécues comme une injustice majeure par les populations africaines. La démocratie en mode kit ne peut corriger une telle injustice si elle les maintient au pouvoir. C’est là une autre preuve de l’échec de l’approche de la démocratie comme du café instantané. Echec aussi du processus commencé avec les ajustements structurels, continué à la Baule et poursuivi avec la chute du Mur de Berlin. La grande présence et influence de l’international dans les changements politiques en Afrique depuis les années 1980 semble faiblir devant la revanche desdites sociétés qui, à travers leurs processus réels, font que les coups d’Etats en Afrique intéressent de plus en plus le monde mais le monde a de moins en moins d’influence sur eux. Ce mouvement militaire de prise de pouvoir peut donner un ancrage populaire et souverainiste aux démocraties africaines réelles si les transitions politiques et de régimes sont bien négociées. Il peut poser les bases d’une démocratie africaine incarnée.

  • Récusation d’une démocratie appauvrissante et incapacitante…

La démocratie libérale n’est pas en très bonne santé en Occident. Les populations européennes ne sont plus certaines que leurs enfants vivront mieux qu’elles dans des sociétés où les richesses privées augmentent plus rapidement que la richesse nationale qu’est la croissance économique[5]. Le renforcement de la place des institutions technocratiques comme la banque centrale européenne et la commission européenne sans être porteuses d’un mandat électif fait que les experts prennent le pouvoir au détriment des peuples européens qui se voient dicter un libéralisme non démocratique alors que lesdits peuples ne sont pas d’accord avec toutes les mesures libérales prises. Dynamique qui donne lieu à des formes de démocraties antilibérales (Hongrie, Italie, USA de Trump…) où de libéralismes antidémocratiques[6] (commission européenne, BCE…). Un mouvement social comme celui des Gilets Jaunes en France est une preuve que la démocratie libérale n’arrive plus à réduire la pauvreté et les inégalités dans ce pays alors que l’envahissement du Capitole par les partisans de Donald Trump suite à un scrutin contesté témoigne d’une démocratie libérale incapable d’endiguer la violence dans les sociétés occidentales. Le lien tant exalté entre libéralisme économique, démocratie et développement des sociétés est donc de plus en plus mis en mal par des évolutions contradictoires qui montrent que le capitalisme globalisé détruit les Etats, appauvri les sociétés et abîme les bases de la démocratie réelle. À ces difficultés s’ajoutent l’essor des fake news, de la post-vérité et des discours de haine suite aux innovations communicationnelles induites par les nouvelles technologies de l’information et de la communication.

L’Afrique, consommatrice en mode kit de cette démocratie libérale, est aussi face aux désillusions de son rôle prétendument positif sur son développement. C’est que la marchandise vendue à l’Afrique était frelatée de gros mensonges historiques. La démocratie n’a jamais été au début du développement des sociétés. L’Occident par exemple a construit l’Etat, le droit, l’économie et ses spiritualités en passant par cinq siècles de monarchie absolue sans aucune démocratie. Celle-ci est arrivée alors que toutes ces institutions étaient déjà en place. La Chine se développe de nos jours sans aucune démocratie mais avec un parti unique de nature communiste qui régente tout. Les exemples de développement qui nous viennent de l’Afrique ces derniers temps sont, entre autres, ceux du Rwanda et de Guinée Equatoriale dirigés par des dictatures militaires arrivées au pouvoir par coup d’Etat. Cela veut dire que la légitimité des pouvoirs dans des contextes africains en carence de développement est de nos jours supérieure et préférée à la légalité des pouvoirs. C’est-à-dire que les populations africaines préfèrent un régime dictatorial qui donne un accès à l’eau potable, à la santé, au travail, aux logements et à l’électricité à une régime démocratique incapable de fournir ces commodités essentielles et de base. Le moment semble être propice à l’ordre, au travail et à la production par tous et pour tous pour que la vie s’améliore de façon à ce que la démocratie soit d’abord celle de l’accès de tous au bien-être élémentaire et à ses attributs.

Un autre mensonge historique qui participe du processus démocratique africain a été d’assener aux populations africaines l’idée d’une linéarité du processus démocratique et d’une démocratie qui causerait le développement économique. Les deux sont fausses. D’un côté le processus démocratique n’a jamais été linéaire nulle part. Si nous prenons le cas de l’Afrique, des coups d’Etat ont joué un rôle majeur dans l’évolution démocratique du Bénin, du Ghana, du Nigéria et de bien d’autres pays africains de telle sorte qu’on peut parler de putschs démocratiques. D’autre part, les travaux scientifiques ne montrent pas une causalité univoque entre démocratie et développement économique[7]. Tous les pays se sont construits étant des dictatures et la démocratie a permis de mieux réaliser la justice et l’Etat de droit dans de nombreux domaines sans être la cause principale de la prospérité des sociétés. En d’autres termes, si les régimes militaires africains peuvent et veulent construire leurs pays et le continent, ils peuvent y arriver comme le firent les généraux en Corée du Sud aujourd’hui un pays parmi les leaders mondiaux des nouvelles technologies.

  • Le cas du Sahel : Un souverainisme en quête d’une vraie démocratie

Le coup d’Etatisme contre l’Etatisme du coup, du mauvais coup, dirions-nous, est aussi en marche dans le Sahel. Le mauvais coup ici est que ce ne sont pas des dictatures africaines qui sont responsables de ce qui se passe au Sahel mais les démocraties occidentales. Cinq chefs d’Etat africains dans un avion en direction de Tripoli pour négocier une solution pacifique et panafricaine à la crise libyenne ont été obligés de rebrousser chemin suite à la menace de l’OTAN d’abattre leur avion dans le cas contraire[8]. Ce sont donc deux démocraties occidentales (la France de Nicolas Sarkozy et les USA de Barack Obama notamement) qui ont détruit la Libye via des bombes dites à fragmentations démocratiques mais dont le résultat, aujourd’hui, sont d’avoir fait de la Libye un Far West dont les désordres structurels instabilisent et insécurisent le Sahel où les mêmes démocraties occidentales viennent désormais jouer aux pompiers pyromanes. La démocratie à coups de bombes a fait régresser la Libye d’un pays avec un niveau de vie envié par de nombreux pays africains à un pays où les factions islamistes et tribales se disputent le maillot jaune du plus violent des violents. Les rapports entre de nombreux pays du Nord dits démocratiques et les pays africains ne sont donc jamais démocratiques. Ils prennent le plus souvent la forme d’un étatisme du mauvais coup dont les modalités sont soit des conditionnalités pour accéder à l’aide au développement, soit des bombes censées apporter la démocratie, soit le capitalisme autoritaire via des réformes impératives de libéralisation[9].

En conséquence, les opérations Serval, Barkhane et Takouba se sont révélés être plus des stratégies géopolitiques de la France et de l’Europe au Sahel qu’une vraie coopération pour trouver des solutions durables aux problèmes du Sahel. Et pourtant, comprendre le Sahel pour lui-même et non de façon instrumentale pour les objectifs hégémoniques des autres, revient à le considérer à nouveau comme un territoire réel au-delà d’un simple point saillant de la carte du terrorisme en Afrique et dans le monde. C’est-à-dire qu’il faut prendre le Sahel comme un milieu de vie, un espace maîtrisé par des acteurs en conflits multiples dont les dynamiques ne sont pas seulement des marqueurs de violence, mais aussi des preuves d’une sociabilité et d’une vitalité politiques qui le caractérisent. Il s’agit de restituer l’historicité du Sahel. Celle-ci montre que ce que la communauté internationale connait et désigne aujourd’hui par Sahel est au cœur des constructions impériales les plus riches d’Afrique. L’empire du Ghana, l’empire du Mali, l’empire Songhaï, l’empire Ashanti, l’empire Oyo, l’empire Samori et l’émirat de Sokoto, constituent la mémoire spatiale, politique, sociologiques et environnementale d’une grande partie du Sahel actuel. Or, qui qui dit empires, dit constructions de grands ensembles territoriaux, politico-économiques et sociaux gouvernés de façon différenciés par des pouvoirs centraux hégémoniques. Il en découle que la dynamique historique de ce qu’on peut appeler le Sahel ancien a pour force motrice des rivalités et des conflits entre classes sociales au sein d’empires et entre les empires voulant se vassaliser les uns les autres. Frédéric Cooper, spécialiste internationalement reconnu de l’Afrique note que « l’Ashanti, un royaume situé à l’intérieur des terres, étendit son territoire au XVIIe et XVIIIe siècles en conquérant et en incorporant un large éventail de société de son voisinage […] Des routes commerciales reliaient ce royaume et la côte et, via le Sahel et le Sahara, à l’Afrique du Nord […]. Durant le XIXe siècle, les empires islamiques du Sahel occidental furent bâtis non seulement sur les réseaux transsahariens d’élites religieuses de commerçants et de pasteurs, mais aussi sur un projet réformiste : construire un État véritablement islamique en ajoutant de la rigueur aux mélanges d’éléments religieux et culturels qui caractérisent les royaumes sahéliens » [10]. Il en découle que le Sahel ancien est marqué par des constructions politiques impériales, des conflits entre empires concurrents, entre des populations aux statuts asymétriques (esclaves/hommes libres ; aristocratie pastorale/aristocratie religieuse…), une intense activité commerciale reliant l’Afrique du Nord et l’Afrique subsaharienne à travers les routes transsahariennes, une religion dominante (l’islam) et un projet de construction d’un État islamique. Il va sans dire que cette mémoire historique doit être connue et prise en compte dans les politiques sécuritaires car elle se retrouve dans la crise sécuritaire et humanitaire contemporaine du Sahel.

Le Sahel ancien devint, avec la Conférence de Berlin de 1884, le lieu de deux colonisations concurrentes. D’une part, la colonisation des autochtones animistes du Sahel préislamique par les islamisés et des religions animistes par l’islam, puis la colonisation des islamisés par les puissances coloniales occidentales à travers la construction des empires coloniaux[11]. L’approche instrumentale du Sahel est donc très ancienne de la part des acteurs hégémoniques islamiques et occidentaux qui vont travailler en interactions déjà pendant la période coloniale.

En effet, la colonisation du Sahel islamisé par les Occidentaux va reconduire les hiérarchies sociales et communautaires déjà existantes. C’est-à-dire que pour asseoir le règne des États coloniaux, les Occidentaux vont s’appuyer sur les chefs et les communautés islamiques déjà dominantes. D’où une nouvelle stratification du pouvoir où les Occidentaux commandent les islamisés qui commandent les autochtones non islamisés mais libres qui, à leur tour, commandent les esclaves. Un tel état des choses n’a pas complètement disparu aujourd’hui des pays comme le Mali, la Mauritanie, le Tchad, le Niger et même le Nord du Cameroun qu’on peut intégrer au Sahel au sens large, et où l’esclavage perdure autant que des tensions entre descendants d’esclaves et « nobles » très souvent dans une recomposition postcoloniale de leurs alliances hégémoniques avec les pouvoirs modernes en place[12]. L’accord pour la paix et la réconciliation au Mali signé le 14 mai 2015 sonne comme une sorte de reproduction postcoloniale des alliances coloniales entre acteurs hégémoniques occidentaux (la France) et locaux du mouvement de libération national de l’Azawad (MNLA) lorsqu’on se rend compte qu’il consacre l’Azawad comme territoire alors qu’il n’y a aucune trace dans l’histoire du Mali d’un royaume, d’un village ou d’une communauté qui y renvoie[13]

Dans ces conditions, le coup d’Etatisme qui prévaut au Sahel et dont les figures marquantes sont le colonel Assimi Goita du Mali, le capitaine Ibrahim Traoré du Burkina Faso et le général Tiani du Niger a pour objectif de fond de reconquérir la souveraineté/l’autonomie de leurs pays seule condition de possibilité d’une vraie démocratie. En fait aucune réelle démocratie n’est possible si un Etat n’a pas le monopole de la violence légitime via lequel il maîtrise son territoire, contrôle ses populations, gère ses ressources naturelles et calibre ses relations avec l’extérieur. Il devient donc compréhensible que les populations africaines dont le rêve panafricaniste reste vivace utilisent ces nouvelles figures révolutionnaires comme des chevaux de Troie du début de sa matérialisation à travers des relents d’une nouvelle indépendance après celles factices de 1960. Au Sahel comme partout en Afrique, ce sont les besoins réels des populations qui l’emportent sur les normes démocratiques et/ou institutionnelles consacrées. Ce sont ces besoins réels des populations qui inspirent les expériences politiques africaines du moment dans des sociétés qui font le constat amer que les normes démocratiques imposées par la communauté internationale sont conservatrices et ne peuvent, contrairement à leur transgression qu’entraîne le coup d’Etatisme, créer de nouvelles normes moins méprisantes du réel des sociétés africaines et capables de leurs émancipation.

Les peuples africains ne sont pas dupes. Ils savent bien que l’Afrique des militaires a déjà existé avant les années 1980 et que celle-ci s’est soldée par des transitions interminables sans aucun gain de bien-être individuel et sociétal. Le comportement favorable que ces peuples affichent face aux coups d’Etat du Sahel est qu’ils perçoivent, compte tenu de la crise d’épilepsie politique que leurs leaders donnent à la France, que ce sont des prises de pouvoir de rupture par rapport à la domination de cette ancienne puissance coloniale en Afrique. Le faible enthousiasme desdits peuples après le coup d’Etat au Gabon témoigne au contraire de leur conviction qu’il s’agit là non d’un coup d’Etat de rupture par rapport à la Françafrique, mais d’une stratégie d’endiguement d’un vrai coup d’Etat de rupture pouvant contrarier la Françafrique en Afrique centrale. Nos regards sont donc désormais tournés vers le Cameroun où, d’Après Achille Mbembe, « Réussir la succession de Paul Biya est un objectif politique stratégique du quinquennat d’Emmanuel Macron. »[14].

Thierry AMOUGOU, économiste, Pr. Université catholique de Louvain (UCL), dernier ouvrage publié. Pandémisme ou les tremblements de l’anthropocène. Esquisse d’une société pandémique moderne, 2022, Louvain-la-Neuve, Academia.


[1] G. AGBALIAN, 2019, « Isme : suffixe modal pour la formation de noms de discours », Travaux de Linguistique, n°79, pp.43-78.

[2] Concernant d’autres variantes du libéralisme autoritaire on peut consulter H. HELLER & C. SCHMITT, Du Libéralisme autoritaire, Paris, la Découverte, 2020.

[3] J-F. MEDARD, « L’Etat patrimonialisé », Politique africaine, n°39, pp. 25-36, 1990.

[4] T. AMOUGOU, L’esprit du capitalisme ultime. Développement, démocrate et marché, Louvain-la-Neuve, PUL, 2018.

[5] T. PICKETTY, Le capital au XXIè siècle, Paris, Seuil, 2013.

[6] Y. MOUNK, 2019, Les peuples contre la démocratie, Paris, LGF.

[7] T. AMOUGOU, Qu’est-ce que la raison développementaliste ? Louvain-la-Neuve, Academia, 2020.

[8] Cet épisode est relaté dans des vidéos par deux présidents africains encre en exercice que sont Téodoro Obiang Nguema de Guinée Equatoriale et Yoweri Museveni de Mozambique. Voir la vidéo sur  (20+) Facebook

[9] T. AMOUGOU, 2018, op.cit.

[10] F. COOPER, L’Afrique dans le monde. Capitalisme, Empire, Etat-nation, Paris, Petite bibliothèque Payot, 2022, pages 88 et 89.

[11] T. AMOUGOU, 2016, op.cit.

[12] R. ATIMNIRAYE NYELADE & A. BINDOWO, Lamidalisme, colonisalisme, esclavage et génocide des autochtones au Nord du Cameroun : Aux confins de l’expérience cachée des Fali, Canadian Scientific Publishing, 2021.

[13] A. BOURGEOT, « Accord pour la paix au Mali :  bilan et perspectives », Recherches internationales, 2021, pp.101-1016.

[14] A. MBEMBE, « Cameroun-France : Tout se joue aujourd’hui », Jeune Afrique, mis en ligne 4 Août 2022 et consulté le 4 septembre 2023. https://www.jeuneafrique.com/1366751/politique/cameroun-france-tout-se-joue-aujourdhui-par-achille-mbembe/

Effet de la qualité de la démocratie sur le niveau de satisfaction des citoyens en matière de services de santé et d’éducation au Sénégal

Par Boubou Junior COLY, Doctorant en Sciences économiques, Laboratoire de Recherche en Economie de Saint-Louis (LARES), UGB – Sénégal

Résumé 

L’objectif de ce travail est d’étudier l’effet de la démocratie sur la qualité de l’offre de services publics d’éducation et de santé au Sénégal en adoptant une approche microéconomique. Nous utilisons les données de l’enquête Afrobaromètre collectées auprès de 1200 citoyens adultes. Les résultats de l’analyse économétrique, effectuée à l’aide du modèle probit, montrent que la qualité de la démocratie a un effet positif et significatif sur la performance du gouvernement en matière de santé et d’éducation. La qualité de la démocratie est donc profitable aux citoyens sénégalais du point de vue de la fourniture de services de santé de base et d’éducation de qualité. Ces résultats invitent ainsi le gouvernement à améliorer le niveau de la démocratie dans le pays pour permettre aux citoyens de bénéficier des services d’éducation et de santé de qualité.  

Diplômé d’un Master en Analyse Economique et Quantitative (AEQ) de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis du Sénégal, Boubou Junior COLY est actuellement doctorant en économie au Laboratoire de Recherche en Economie de Saint-Louis (LARES). Ses travaux de recherche portent essentiellement sur l’évaluation des politiques publiques, la gouvernance, la démocratie, la fourniture de services publics dans les pays en développement. Par ailleurs, il a récemment obtenu une attestation de formation en Economie de l’environnement et gestion des ressources naturelles, délivrée par l’Université Senghor d’Alexandrie.