La Revue de L’Afrique des Idées – numero 2

C’est un réel plaisir pour moi de vous faire parvenir ce deuxième numéro de la Revue de l’Afrique des Idées. Cette publication pluridisciplinaire réunit des analyses menées par nos experts et jeunes chercheurs.

Dans l’édition 2018, retrouvez des propositions concrètes en matière de gestion des déchets, de connectivités physiques dans la CEMAC et d’implication des diasporas dans le développement local au Sénégal et au Cameroun.

Vous pouvez télécharger gratuitement l’intégralité de la Revue en cliquant  ici.

Boris Houenou, économiste
Directeur des publications de l’Afrique des Idées

Présidentielle 2018 au Cameroun : la der des ders pour BIYA ?

 

 

Depuis 1982, le Cameroun a connu 6 élections présidentielles, 7 Premiers ministres mais toujours le même visage au sommet de l’État. Au classement mondial des Présidents détenteurs de la plus longue longévité à cette fonction, Paul BIYA culmine à la deuxième place, juste derrière son homologue Equato-Guinéen Teodoro OBIANG (Président depuis le 3 août 1979).

L’élection présidentielle prévue en octobre 2018, s’annonce donc à la fois sans surprise et n’en ai pourtant pas moins cruciale puisqu’elle intervient dans un contexte de vive tension sécuritaire et aussi, parce qu’il s’agit peut-être de la dernière de l’ère BIYA.

Une période de vives tensions sécuritaires

Depuis son indépendance en 1960, le Cameroun n’a connu que deux Présidents. Paul Biya, président en exercice depuis 1982 et Ahmadou AHIDJO qui a dirigé le pays pendant plus de 24 ans. 4 Camerounais sur 5 n’ont jamais connu d’autre Président que l’actuel locataire du Palais de l’Unité.[1] Rien de surprenant lorsque l’on sait qu’en 1982, le pays comptait un peu plus de 9 millions d’habitants et qu’on en dénombre à présent environ 25 millions.

Cet immobilisme politique  à la tête de l’État, se trouve aujourd’hui bousculé par de vives tensions liées à deux enjeux majeurs. Il s’agit  d’une part, de la menace terroriste représentée par Boko Haram dans le Nord et  d’autre part, des troubles dans les régions anglophones à l’Ouest du pays[2].

Selon l’ONU, les affrontements entre les séparatistes, souhaitant, une autonomie poussée des régions anglophones (voire même une Independence totale) et le pouvoir central de Yaoundé auraient fait plusieurs dizaines de milliers de déplacés depuis fin 2016[3].

Attaques, attentats, manifestations et répression se sont accrues fin 2017, si bien que la situation devient de plus en plus préoccupante pour le pouvoir et menace à présent d’ébranler la stabilité du régime.

A quelques mois des échéances présidentielles, ces tensions auraient pu constituer un obstacle majeur  pour le Chef de l’État sortant, si  bien sûr, ce scrutin n’était pas dénué de toutes surprises depuis bien longtemps.

Simple formalité pour Paul BIYA, l’élection présidentielle n’en demeure pas moins un rendez-vous important de la vie politique camerounaise. Celle-ci encore  plus que les précédentes, dans la mesure où les 85 ans du Chef de l’État laissent fatalement entrevoir des perspectives d’alternance.

A quelques mois seulement de l’échéance, nombreux sont les candidats qui se sont déjà annoncés ou sont même en campagne intensive. Néanmoins, au-delà de la multiplication habituelle des candidatures et des tractations politiques entre partis et leaders de l’opposition, c’est le silence assourdissant du camp présidentiel concernant les prochaines  échéances électorales  qui interpelle.Paul BIYA demeure en effet insondable et mutique sur le sujet et n’a ,à aucun moment évoqué sa candidature.

Une candidature qui se fait donc attendre mais qui n’en demeure pas moins cousu de fil blanc. Manifestations et interventions dans les médias, les réseaux et soutiens de Paul BIYA sont déjà à pied d’œuvre pour demander au Président de bien vouloir se représenter et semblent surtout amorcer l’annonce qui se fait désirer.

Autre signe annonciateur, Paul BIYA réorganise ses troupes. Sous prétexte d’apporter des gages vis-à-vis des revendications anglophones, le remaniement réalisé en mars 2018 laisse clairement penser à une réorganisation de ses équipes à l’approche de l’élection, donnant donc un peu plus de crédit à l’hypothèse d’une nouvelle candidature.

Dernière élection avant « l’après BIYA » ?

Rien ne laisse penser que le Président sortant pourrait renoncer à se présenter aux prochaines élections présidentielles. Cette hypothèse assez improbable, constituerait un séisme dans la vie politique camerounaise si elle venait à se réaliser. Une telle  perspective, aussi infime soit-elle, alimente naturellement les débats au sein de la classe  politique.

En outre, le seul fait qu’il puisse s’agir d’une éventualité attise déjà les appétits et les ambitions, car plus que de savoir si Paul BIYA se représentera ou non, ce qui se joue en fond c’est surtout la préparation de l’après BIYA. Si une majorité des populations et de la classe politique semblent résignés à voir BIYA quitté le  pouvoir  de son vivant, certains ont véritablement compris que le « Vieux »  est au crépuscule de son  long règne à la tête du Cameroun. Les prochaines élections présidentielles pourraient ainsi constituer  pour certains acteurs politiques, la dernière chance de marquer des points et de gagner en visibilité auprès des populations  avant la fin de l’ère BIYA.

Plutôt que de viser la fonction suprême, les candidats déclarés semblent être réduit à espérer exister au premier tour, profiter de la campagne pour capitaliser en notoriété et ainsi poser des jalons pour les échéances à  venir.

Dans ce contexte, une candidature unique de l’opposition avait évidemment peu de chance de voir le jour, la liste  de candidature s’allongeant  de semaine en semaine.

 Agitation au sein de l’opposition, impatience au sein du RDPC[4],

Cette élection sera marquée pour le principal parti d’opposition, le SDF (Social Democratic Front) par la décision de son leader, l’anglophone John FRU NDI, âgé de 76 ans, de ne pas se porter candidat pour passer le flambeau à Joshua OSIH, Vice-président du parti et nouveau visage de la politique.

Parmi les principaux prétendants déclarés, Akéré MUNA et son mouvement NOW ! cumule plusieurs atouts. L’ancien bâtonnier, natif du Nord-Ouest, fils d’un ancien Premier ministre, ami du Président ghanéen, dispose d’un réseau appréciable en particulier au sein de la diaspora.

Candidat pour la première fois à 65 ans, il devra certainement renforcer son implantation locale et faire face à son frère, puisque Bernard MUNA, candidat malheureux à la Présidentielle de 2011, a décidé de se représenter en 2018.

En 2011, la commission électorale avait retenu une vingtaine de candidatures sur plus d’une cinquantaine de déposées. En 2018, leur nombre devrait être tout aussi conséquent.

Parmi les candidatures les plus singulières ou les plus remarquées, figure notamment celle de l’humoriste Dieudonné M’BALA M’BALA qui s’était déclaré début 2017 mais sans toutefois réévoquer cette hypothèse depuis.

A quelques mois de l’échéance, la seule femme déclarée, Sandrine KANMOGNE, une inconnue de 49 ans, titulaire d’un BTS en informatique, risque surtout d’être une candidature de témoignage.

L’ex-candidate Edith KAH WALLA (arrivée 6ème en 2011 avec 0,7%), a quant à elle, renoncé à se représenter, estimant que « ça fait 30 ans que nous participons aux élections et rien ne change » et en demandant « la mise sur pied d’une commission électorale indépendante, un système biométrique efficace et une élection à deux tours.»

Enfin, effet MACRON oblige, plusieurs trentenaires ambitieux, comme Cabral LIBII (Mouvement 11 millions de citoyens et Parti Univers) et Serge Espoir MATOMBA (Peuple uni pour la rénovation sociale, Purs) se sont portés candidats et espèrent créer la surprise.

Plusieurs anciens candidats devraient également repartir en 2018, comme Olivier BILE et Garga HAMAN ADJI, candidats en 2011 ou encore Maigari BELLO BOUBA (Union Nationale pour la Démocratie et le Progrès, UNDP), candidat en 1992, arrivé 3ème avec 19,2 %.

 Johann LUCAS

[1] Analyse réalisée sur la base des données des pyramides des âges réalisées par l’université de Sherbrooke : http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMPagePyramide?codePays=CMR

[2] Pour en savoir plus sur la crise anglophone : https://www.bbc.com/afrique/region-44563294

[3] https://news.un.org/fr/story/2018/03/1008922

[4] Rassemblement démocratique du peuple camerounais, parti  politique du président Biya.

 

L’économie camerounaise face aux Accords de Partenariat Économique ACP/UE

Depuis le début des années 2000, l’Union Européenne et les pays Afrique Caraïbes Pacifique (ACP) ont entamé un processus visant à permettre la libéralisation de leurs échanges. Ces accords dits « Accords de Partenariat Économique » (APE) soulèvent de nombreuses questions sur leurs effets pervers sur les pays de la zone ACP, et le Cameroun ne fait pas exception.

Cet article, après avoir rappelé les bases des APE, visera à étudier leurs effets sur la compétitivité des entreprises camerounaises.

1. Contexte de ratification des Accords de Partenariat Economique par le Cameroun

Les Accords de Partenariat Économique (APE) sont des accords commerciaux visant à développer le libre échange entre l’Union Européenne (UE) et les pays dits ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique). Plus spécifiquement, ils visent la création d’une zone de libre échange entre l’Afrique et l’UE avec l’ouverture des marchés, le transfert technologique, les coopérations et partenariats internationaux et les nouveaux débouchés.

Ces accords interviennent après la convention de Lomé initialisée en 1975 et l’accord de Cotonou passé en 2000. Ils comprenaient dans un premier temps la prolongation des « préférences commerciales » non réciproques[1] qui ont pris fin en 2014. Au cours de cette année, le Cameroun a signé un accord intermédiaire de manière isolée et ce dernier est entré en vigueur en Aout 2016 (Tidiane  Dieye, 2014). Une nouvelle étape dans son application a été conclue en Août 2016 lors de la signature de son décret d’application par Son Excellence Paul Biya (Camerpost, 2016). Il prévoit une suppression de 80% des droits de douanes pour les produits européens sur une période de 15 ans[2] (Ramdoo, 2015) ; ce qui aura tendance à densifier l’offre des biens sur le marché camerounais.

Toutefois, la ratification des APE liant les pays africains à l’Union Européenne (UE) intervient dans un contexte paradoxal pour le Cameroun. En effet, depuis plusieurs années, le pays a entamé le processus de diversification de ses partenaires internationaux. On note particulièrement la baisse de la part de l’UE dans le commerce extérieur du Cameroun et l’émergence de la Chine en terre camerounaise depuis plus de 5 ans. Elle représente aujourd’hui environ 17% des échanges extérieurs du Cameroun et est de plus en plus impliquée aussi bien au niveau du commerce des biens et services qu’au niveau des infrastructures routières, de l’hydroélectricité, des télécommunications, des logements sociaux et de l’alimentation en eau.

Si l’on s’en tient à ces aspects, on avancera que les APE vont favoriser et ou renforcer l’industrialisation des pays africains. Pourtant, l’expérience des USA, de la Corée du Sud, de la Chine et de la Suisse montre que pour se développer et s’industrialiser il faut parfois s’enfermer (Pougala, 2013). En effet, pour rester compétitifs face aux produits manufacturés venant de la Grande Bretagne au XIXème siècle, les industriels américains ont convaincu le congrès de voter une loi portant le droit de douane à 47% sur les produits manufacturés en provenance d’Europe. Cette configuration a permis à l’industrie américaine de se développer sans être perturbée par les forces extérieures.

Dès lors, nul doute que la ratification des accords de partenariat économique du 22 Juillet 2014 aura des répercussions négatives fortes sur les pays africains signataires en général. Nous étudierons ici les effets des APE sur l’économie camerounaise en particulier.

2. Conséquences ou perversité des APE au Cameroun

Le Cameroun est aujourd’hui le seul pays d’Afrique Centrale à avoir franchi le cap du démantèlement tarifaire[3]. La simulation de l’impact de ce démantèlement tarifaire, sans la mise en œuvre du volet développement et la mise à niveau des entreprises locales, dans le Document de Stratégie pour la Croissance et l’emploi (DSCE) exposait des pertes cumulées des recettes non pétrolières à 459,6 milliards de F CFA entre 2015 et 2020. En termes de recettes fiscales, ces pertes cumulées jusqu’en 2013 étaient estimées à 1330 milliards.

Les APE favoriseront également l’éviction des contrats réalisables à moindre coût à cause de la corruption permanente (Pougala, 2013). Alors que de nombreux projets étaient jusqu’ici négociés de pays à pays, ils devront désormais être soumis au marché des appels d’offres et à toutes ses dérives, en réponse à la législation européenne désormais appliquée.

Par ailleurs, le cœur de la politique économique de l’UE étant que l’Etat ne doit avoir de contrôle sur aucune entreprise, les APE vont également favoriser la privatisation des entreprises publiques (Pougala, 2013). De la sorte, par ces accords, le Cameroun doit s’attendre à des procès d’entreprises européennes dénonçant le fait que les entreprises camerounaises qui fournissent les services de base soient les propriétés plus ou moins exclusives de l’Etat.

Au-delà de ces aspects, la principale inquiétude réside dans le fait que la mise en œuvre des APE se fera au détriment du commerce intra africain, les entreprises nationales seront confrontées à l’intensification de la concurrence internationale des firmes plus aguerries de l’Union Européenne. Ce qui ne sera pas sans incidence négative sur l’économie camerounaise à cause de la faible productivité et de la faible compétitivité de celle-ci.

En le classant 115ème sur 145 pays en 2013[4], le forum économique mondial (World Economic Forum) réaffirme la capacité limitée des entreprises du Cameroun à créer les richesses et les emplois. Même sans les APE, la mise à niveau des entreprises camerounaises est un impératif pour exister dans un monde en pleine globalisation. Le principal défi pour cette économie est d’assurer la compétitivité de son secteur privé.

3. Les perspectives pour la compétitivité des entreprises camerounaises

Plusieurs « instruments » ont été mis en œuvre pour favoriser la compétitivité des entreprises. L’on peut citer le comité de compétitivité, le projet de compétitivité des filières de croissance, le Cameroon business forum, la banque agricole, l’agence des petites et moyennes entreprises (Eloundou, 2014). Mais les résultats obtenus ne sont pas assez satisfaisants et suscitent de nouvelles recommandations. A côté du plan d’adaptation de l’économie camerounaise, évalué à 2500 milliards de francs CFA, qui vise le renforcement du tissu économique à travers l’amélioration de la compétitivité des entreprises nationales et de l’enveloppe de 6,5 milliards de l’UE pour soutenir cette même  compétitivité, plusieurs actions sont envisageables.

L’élargissement de l’assiette fiscale

Contre la baisse des droits de douane, on peut envisager un élargissement de l’assiette fiscale. En 2011, le secteur informel représentait 90% de la population active et contribue à environ 30% du PIB de l’économie nationale avec 2,5 millions d’unités de production informelles (INS, 2011 ; Mbodiam, 2017). Les intégrer aux moyens de reformes appropriées aidera à collecter de nouvelles ressources pour répondre aux exigences de la compétitivité entre autres. La première exigence est la création d’un cadre macroéconomique favorable aux affaires, la deuxième exigence est la culture de l’innovation.

La création d’un cadre macroéconomique favorable aux affaires

Plus de la moitié des chefs d’entreprises interrogés donnent une opinion défavorable de l’environnement des affaires au Cameroun. Les facteurs les plus dégradants font référence aux infrastructures, à la corruption, à la concurrence déloyale, à l’accès au crédit, aux coûts élevés des facteurs de production, aux formalités administratives, etc. (RGE, 2009). Il en résulte que le gouvernement doit effectivement devenir un partenaire efficace du secteur privé en renforçant la construction des infrastructures, le développement des techniques de l’information et de la communication et les projets structurants dans le domaine de l’énergie. Ceci nécessite d’avoir également des institutions fortes.

La culture de l’innovation

La culture de l’innovation permet d’enrayer l’intensification de la concurrence par les prix en mettant l’accent sur d’autres facteurs de différenciation. Il est démontré qu’elle est un important facteur de production, de compétitivité ainsi qu’un levier de croissance, d’emploi, d’investissement et de consommation (Eloundou, 2014). Ainsi, les entreprises qui utilisent les innovations technologiques par exemple sont les plus productives. Par ce canal donc, les entreprises camerounaises pourront aisément se distinguer et se lancer à la conquête des gains et des nouveaux marchés.

Etant donné que cette innovation est fonction de la taille des entreprises, on peut comprendre pourquoi elle reste encore limitée au Cameroun où la plupart des entreprises sont de petite taille et ne disposent par conséquent pas de moyens pour supporter les coûts très élevés de recherche. En 2009, le pays comptait 75% de très petites entreprises[5] contre 1% de grandes entreprises[6]. La promotion de l’innovation nécessite le financement des activités de recherche-développement d’une part, et l’exploitation des résultats des travaux menés par les chercheurs d’autre part. Selon le recensement général des entreprises de 2009, seuls 11% des chefs d’entreprise en faisaient usage et on peut imaginer que ce chiffre n’ait pas beaucoup évolué.

La limitation de l’impact des mesures non tarifaires

Il s’agit de lever les obstacles non tarifaires que les acheteurs du monde imposent aux PME camerounaises et de limiter l’impact des mesures non tarifaires qui plombent les échanges commerciaux. Au moins 10% des entreprises camerounaises sont confrontées à des mesures non tarifaires contraignantes tant pour les exportations que pour les importations. Elles concernent notamment l’administration de la preuve à l’origine et des obstacles techniques au commerce. Par ailleurs, aucun produit camerounais de la première phase de démantèlement du 4 Août 2016 ne répond aux normes européennes. La limitation de l’impact de ces mesures peut se faire en assurant la cohésion au niveau national desdites règles, en rationalisant les dispositifs et en favorisant la transparence au niveau des mesures.

En somme, le développement des capacités productives du secteur privé camerounais exige que les entreprises camerounaises soient soutenues et remises à niveau pour être capables de répondre aisément aux exigences des marchés.

La signature des accords de partenariats économiques entre l’UE et le Cameroun en 2016, soulève de nombreuses interrogations, notamment sur leurs potentiels effets pervers sur l’économie camerounaise. Certaines mesures visant à améliorer la compétitivité des entreprises et le climat des affaires peuvent néanmoins être envisagées.

Claude Aline Zobo

[1] C’est-à-dire la levée des droits de douane pour les exportations des pays ACP tout en permettant le maintien des barrières tarifaires sur leurs importations en provenance de l’Europe.

[2]Pour plus de précisions sur l’évolution des tarifs, confère Brice R. MBODIAM « Cameroun : le Président Biya déclenche le démantèlement tarifaire progressif suite à l’entrée en vigueur des APE Avec l’UE », investir Au Cameroun, Août 2016.

[3] Abattement des droits de douane.

[4] 119ème sur 138 pays en 2017.

[5] C’est-a-dire les entreprises avec moins de dix salariés.

[6] C’est-à-dire les entreprises dont l’effectif est supérieur à 5000.

Références

Cheick Tidiane DIEYE (2014) : « Accord de partenariat économique : l’interminable saga aura bientôt une fin ? ».

Isabelle RAMDOO (2015) : « APE : quels gains pour l’Afrique et que peut elle perdre ? », ICTSD.

Jean Paul POUGALA (2013) : « APE Cameroun : voici pourquoi le Cameroun ne doit pas signer l’APE final », www.pougala.org.

Jocelyne NDOUMOU-MOULIOM (2016) : « APE : un déséquilibre à réduire », Cameroun Tribune.

Laurice ETEKI ELOUNDOU (2010) : « La compétitivité des entreprises camerounaises par l’innovation ».

Samuel NTOH (2009) : « La compétitivité et l’internationalisation de l’entreprise camerounaise face à l’ouverture des marchés ».

L’impact de la société civile sur le développement : l’exemple du Cameroun

De nombreux pays africains ont eu des difficultés à atteindre leurs Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD). L’amélioration de la gestion de l’aide internationale, passant par une participation accrue de la société civile, était alors au cœur des débats.

Alors que les gouvernements du monde entier se sont engagés à atteindre les nouveaux Objectifs du Développement Durable avant 2030, la société civile pourrait jouer un rôle décisif dans leur réussite. L’ampleur de ce rôle et ses conditions d’effectivité sont analysées dans cette étude qui aboutit sur des recommandations concrètes en matière de politiques publiques. Lisez l’intégralité de ce Policy Brief.

La Revue de L’Afrique des Idées – numero 1

L’Afrique des Idées a le plaisir de vous présenter le premier numéro de sa RevueCette publication pluridisciplinaire réunit les analyses menées par nos experts. Elle a pour but de vous donner des outils pour approfondir votre compréhension des défis auxquels fait face le continent africain. Dans ce premier numéro, vous retrouverez des propositions concrètes en matière d’électrification, de démocratie, d’implication de la société civile mais aussi de gouvernance fiscale en Afrique. Aussi diverses soient les thématiques abordées, ces analyses s’inscrivent dans une seule et même démarche. La Revue de L’Afrique des Idées est la concrétisation de ce en quoi croient tous les hommes et femmes qui s’engagent pour L’Afrique des Idées : la pertinence et la portée du concept d’Afro-responsabilité.

Vous pouvez télécharger l’intégralité de la Revue en cliquant sur ce lien : La Revue de L’Afrique des Idées n°1 – Mai 2017

Très bonne lecture !

Olivia  GANDZION

Experts :

AURORE BONARDIN, Chargée d’études à la Direction du développement culturel de la municipalité de Saint Denis (La Réunion) et Doctorante contractuelle a liée à l’équipe Déplacements Identités Regards Ecritures (DIRE) de l’Université de La Réunion.

CHRISTELLE CAZABAT, Docteure de l’Université Paris-Sorbonne et Chargée d’études, Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), New York.

GABRIELLE DESARNAUD, Chercheure, Institut Français des Relations Internationales (IFRI), Paris.

JAMES ALIC GARANG, Senior researcher, Ebony Center for Strategic Studies & Upper Nile University, South Sudan.

 

La crise au Cameroun anglophone : un mal profond aux racines lointaines

L’euphorie qui a suivi la victoire des Lions Indomptables lors de la CAN 2017 ne devrait pas faire oublier la crise anglophone et ses plaies encore purulentes et qui ne demandent qu’à être cicatrisées. Depuis fin 2016, les régions anglophones du sud-ouest et du nord-ouest du Cameroun sont vent debout pour protester contre ce qu’elles estiment être un traitement inégal en leur défaveur, de la part du gouvernement camerounais. Les manifestants soutiennent que le pouvoir est déconnecté de leurs réalités et ne semble opposer à leurs revendications, sinon des mesures répressives, un désintéressement ou un silence assourdissant. Pourtant, les protestataires font remarquer qu’ils expriment ces revendications via des canaux reconnus par la Constitution et les textes légaux en vigueur. Notons que la minorité anglophone représente environ 20% des 22.5 millions de Camerounais.

Bref rappel historique

Il est important de faire un bref rappel historique pour mieux appréhender les revendications actuelles.

Initialement, le Cameroun était une colonie allemande. Après la première guerre mondiale, le Cameroun fut placé sous la tutelle de la Société des Nations (ancêtre de l’ONU), et confié à la double administration française et britannique. Le territoire sous domination française acquit son indépendance en 1960. Peu de temps après, le territoire sous administration britannique s’émancipa lui aussi de sa subordination vis-à-vis de la Couronne. Dans ce contexte, anglophones et francophones avaient convenu en 1961 de constituer une fédération à deux États. Le Cameroun Occidental (anglophone) et la République du Cameroun (francophone) décidaient en ce moment-là de constituer la République fédérale du Cameroun et donc de se réunifier. Amadou Ahidjo de la République du Cameroun devint président de la République fédérale du Cameroun et John Ngu Foncha du Cameroun Occidental son vice-président. Toutefois, la fédération ne fit pas long feu, en ceci que le Cameroun retrouva le statut d’État unitaire, suite au référendum organisé par le président Ahidjo en 1972. Ce retour à l’unitarisme étatique, sur fond de marginalisation de la minorité anglophone fut le déclencheur d’un vent fluctuant, ondoyant mais solide d’animosités et de protestations des anglophones vis-à-vis du pouvoir central.  

En 1964 – donc avant même le Référendum de 1972 qui a consacré l’unitarisme-, dans un article intitulé « Construire ou détruire » paru dans la revue culturelle Abbia qu’il a fondée, un ancien ministre et universitaire issu de la province du nord-ouest, Bernard Fonlon, par ailleurs fervent défenseur du bilinguisme, faisait déjà remarquer: « Après la réunification, on conduit sa voiture maintenant à droite, le franc a remplacé la livre comme monnaie, l'année scolaire a été alignée sur celle des francophones, le système métrique a remplacé les mesures britanniques, mais en vain ai-je cherché une seule institution ramenée du Cameroun anglophone. L'influence culturelle des Anglophones reste pratiquement nulle ». Ce diagnostic poignant et incisif traduisait le malaise ressenti par de nombreux ressortissants des régions anglophones à propos de cette supposée volonté des autorités du pays de gommer de vastes pans de l’héritage culturel de la minorité anglophone pour assurer la prépondérance des régions francophones majoritaires.

Avec la fin du fédéralisme et l’instauration d’un État Unitaire en 1972, la méfiance vis-à-vis du pouvoir central qui commençait à sourdre après la réunification de 1961 et ses corollaires jugés défavorables aux régions anglophones n’a fait que se renforcer. Les velléités centrifuges et sécessionnistes apparaissent en ce moment-là.   

Crise actuelle et recommandations

Les autorités camerounaises ont souvent minoré l’importance, pour ne pas dire l’existence d’un « problème anglophone ». Pourtant, il suffit de mettre en veilleuse son positionnement partisan et procéder à un diagnostic objectif et désintéressé pour s’apercevoir du problème. Les évêques Camerounais des régions anglophones ont justement fait ressortir dans leur mémorandum adressé au chef de l’État en décembre dernier quelques-uns des traits ou éléments corroborant l’idée d’une politique deux poids, deux mesures, au détriment des régions anglophones et qui ont poussé les anglophones à manifester. Ces facteurs sont, entre autres[1] :

-La sous-représentation des anglophones dans les jurys des concours d’entrée aux grandes écoles, à la fonction publique, dans le gouvernement et les grandes instances décisionnelles en général;

– la non-utilisation (ou un recours approximatif) de l’anglais (pourtant langue officielle, au même titre que le français) dans les examens d’État et les documents publics;

– l’affectation d’une majorité de magistrats, personnel enseignant ou sanitaire francophones dans les régions anglophones;

– La négligence des infrastructures de l’ouest anglophone.

Les revendications de ces derniers mois ont d’abord été assez apolitiques avant de se muer en une véritable poussée de fièvre politique contre les velléités ou pratiques jugées sectaires et assimilationnistes du pouvoir de Yaoundé. Au départ, il s’agissait d’une série de grèves organisées par les enseignants et avocats anglophones pour dénoncer le peu d’intérêt que les autorités réservent à leurs desiderata. Ensuite, le conflit s’est généralisé et les revendications revêtent désormais un caractère militant et politique. Les ressortissants des régions anglophones qui manifestent ne veulent plus que le régime continue aisément à marcher sur leurs plates-bandes et à favoriser les régions francophones majoritaires. Ils veulent avoir voix au chapitre et jouir d’une certaine autonomie dans la gestion de leurs territoires. Ils estiment en grande partie que le fédéralisme serait une meilleure option que l’unitarisme actuel, même si une relative minorité aux visées sécessionnistes n’hésite pas à sonner le tocsin en brandissant la carte séparatiste. Mais, dans le chef des revendications exprimées, l’option la plus plausible et en tout état de cause la plus défendue par les manifestants reste celle du fédéralisme. En effet, dans un État fédéral, les compétences sont partagées entre le pouvoir fédéral et les entités fédérées. Il y a donc une plus grande autonomie et des pouvoirs plus importants concédés aux entités fédérées, qu’elles soient dénommées régions, provinces ou États.

En effet, il faut bien se rendre compte que malgré la promulgation d’une loi de décentralisation, en pratique, le Cameroun demeure un État fort centralisé. Ce qui n’est pas sans poser de problèmes dans un pays à multiples sensibilités ethniques et culturelles. Certains auteurs et le parti politique de l’opposition SDF se déclarent pro-fédéralistes et pensent que pour éviter de fragmenter encore plus le pays, le gouvernement gagnerait à organiser une consultation populaire ou référendum sur la question du fédéralisme.[2] D’autres estiment qu’à défaut du fédéralisme, il est impérieux que le gouvernement Camerounais s’emploie à exécuter son plan de décentralisation. De l’autre côté, le gouvernement et les défenseurs de l’État unitaire battent en brèche l’idée de fédéralisme soutenue par certains et insistent que l’unité nationale reste le gage de la paix et de la stabilité nationales et que cette unité nationale n’est mieux entretenue et garantie ailleurs que dans le cadre d’un État unitaire au Cameroun.[3]

Thierry SANTIME


[2] Alain Nkoyock. 2017. « Le fédéralisme est-il porteur d’espoir » Jeune Afrique. http://www.jeuneafrique.com/396895/politique/crise-anglophone-cameroun-federalisme-porteur-despoir/

Célestin Bedzigui. « Le fédéralisme est la solution au Cameroun ». http://www.camer.be/56685/30:27/celestin-bedzigui-le-federalisme-est-la-solution-au-cameroun-cameroon.html

« Cameroun : le SDF se dit favorable au fédéralisme ». BBC Afrique. http://www.bbc.com/afrique/region-39402226

 

[3]  « Cameroun : pas de retour au fédéralisme ». BBC Afrique. http://www.bbc.com/afrique/region-38232646

« Cameroun, Vincent Sosthène Fouda : « Non au fédéralisme et encore moins à la sécession » http://www.camer.be/57477/30:27/cameroun-vincent-sosthene-fouda-34non-au-federalisme-et-encore-moins-a-la-secession34-cameroon.html

« Le fédéralisme au Cameroun : une arme à double tranchant ». http://www.camernews.com/le-federalisme-au-cameroun-une-arme-double-tranchant/

 

Mongo Beti, le pauvre Christ de Bomba

MongoBeti_PauvreChristdeBombaDans le cadre de sa comédie littéraire intitulée La couleur de l’écrivain déjà chroniquée sur l'Afrique des idées, l’essayiste togolais Sami Tchak propose au lecteur, au détour d’une séquence consacrée au romancier Mongo Beti, de redécouvrir sino
n d’aborder le travail littéraire de l’homme de lettres Camerounais. Si Sami Tchak a une vision très nuancée de l’engagement en littérature – il en parle  d'ailleurs très bien dans cette essai-comédie – il ne manque pas d’interpeler et encourager le lecteur à aller à la rencontre de cet auteur engagé sur le champ littéraire pour lui épargner la mort attendue par ceux qui combattaient son discours pertinent et dérangeant sur la Françafrique en le confinant à la marge : la mort littéraire.

Pour ma part, j’ai pris commande du Pauvre Christ de Bomba. Un ouvrage publié en 1956 aux éditions Robert Laffont réédité depuis aux éditions Présence Africaine. La première réflexion que je me suis faite concerne la jeunesse de l’écrivain au moment de la publication de ce roman. Déjà auteur de Ville cruelle sous le pseudonyme d’Eza Boto, le Camerounais a déjà marqué les esprits. Avec le Pauvre Christ de Bomba, il place le lecteur au cœur d’une mission catholique quelque part dans l‘arrière pays camerounais. Là, il nous donne de suivre le R.S.P, un fervent prêtre d’origine suisse, le père Drummond. Le poste d’observation proposé par Mongo Beti est Denis, un jeune boy sur la mission qui nous narre avec ses yeux d’adolescent le contexte et les faits qui vont conduire au naufrage de cette œuvre missionnaire. Le RSP porte un intérêt particulier pour l’accompagnement des femmes-mères, il est en guerre ouverte contre les pratiques liées à polygamie. L’équilibre semble toutefois stable quand cet homme engageant se décide à faire le tour de la mission en s’orientant chez les Talas, population particulièrement réfractaire à l’Evangile ou au changement imposé par la nouvelle religion.

Cette tournée va durer près d’un mois. Elle va être très riche en enseignement, en surprise. L’approche prise mongo-beti-1par Mongo Beti est particulièrement édifiante et révélatrice de l’empreinte qu’il donnera à ses prises de position. Le roman décrit essentiellement deux choses. La posture du RSP se traduit par le désir de réduire les résistances à la doctrine catholique qu’ils observent chez les Talas. Ces actions sont téméraires pour réduire les « usurpateurs » qui sapent l’amplification de son discours dans son espace de jeu. Mais l’audace de ce religieux européen repose-t-elle sur sa foi en Dieu ou sur le pouvoir colonial qu’incarne sa couleur de peau ? Cette question est exprimée par le père Drummond qui n’est pas dupe et ne se ment pas. D’ailleurs dans des échanges avec le jeune administrateur colonial Vidal, il a conscience que l’église catholique (dans ce contexte) joue finalement un rôle de refuge dans une stratégie du bâton et de la carotte. Les inhumanités des travaux forcées et autres répressions poussent une population fébrile dans les bras de l’église. Dans la description qu’en fait Mongo Beti.

C'est étonnant combien les hommes peuvent avoir soif de Dieu quand la chicote leur strie le dos.

Le pauvre Christ de Bomba, Edition Présence Africaine, page 67

A propos des travaux forcés, les mots du RSP Drummond.

Vois-tu, Zacharie, des Blancs vont maltraiter des Noirs et quand les Noirs se sentiront très malheureux, ils accourront vers moi en disant : "Père, Père, Père…", eux qui jusque-là se seront si peu soucié de moi. Et moi je les baptiserais, je les confesserais, je les intéresserais. Et ce retournement heureux des choses, je le devrais à la méchanceté des Blancs!… Moi aussi je suis un Blanc!…

Le pauvre Christ de Bomba, Edition Présence Africaine, page 189

La critique la plus subtile de Mongo Beti et son argument matraque sont dans l’affirmation que le ver est dans la pomme et que l’évangélisation n’a jamais pris corps dans ce qui constitue à la mission de Bomba. Le dépucelage forcé du jeune narrateur introduit le lecteur au cœur de la dite-corruption du système sensé être par essence vertueux. L’aveuglement du RSP est consternant de ce point de vue pour le lecteur. Je n’irai pas plus loin afin de laisser au lecteur de découvrir un final pour le moins…

Mon avis de lecteur est que Mongo Beti écrit un livre à charge contre le système colonial et l’église catholique. Et même si le livre a le défaut des œuvres de fiction imprégnées par une pensée politique, il est difficile d’ignorer la qualité du traitement des personnages par Mongo Beti. Le lecteur s'attachera autant au passionné et passionnant homme de Dieu et du pouvoir colonial, qu'à son boy, Denis qui nous narre cette histoire. J’avoue que la réflexion qu’offre Chinua Achebe dans Un monde s’effondre est beaucoup plus engageante justement parce que l’auteur Nigérian choisit de se mettre en retrait et ne nous soumet que les faits d'une confrontation intéressante entre missionnaires et les autochtones en pays igbo.. Il n’empêche que Mongo Beti offre là un texte unique, étonnant, drôle, subversif.

Pour la route, un dernier extrait d'un chef de village dont le RSP Drummond vient d'exploser un instrument  de musique, le père catholique ne supportant pas l'idée de ces populations dansant au rythme de cette musique envoûtante…

Je vous en supplie, frères, laissez-moi écraser cette sale vermine sous mon seul pied gauche et vous n'en entendrez plus jamais parler. Qu'est-il venu ficher dans notre pays, je vous le demande? Il crevait de faim dans son pays, il s'amène, nous le nourrissons, nous le gratifions de terres, il se construit de belles maisons avec l'argent que nous lui donnons; et même nous lui prêtons nos femmes pendant trois mois

Le pauvre Christ de Bomba, Edition Présence Africaine, page 94

Lareus Gangoueus

 

Mongo Beti, Le pauvre christ de Bomba, Editions Robert Laffont, 1956 – Réédition Présence Africaine 

Opérations mains propres en Afrique, opérations cosmétiques ?

JPG_NigerCorruption121114« Opérations mains propres » : le slogan trouve son origine dans l’Italie des années 1992, où la chasse à la corruption, « Mani Pulite », n’obtint rien de moins que la chute de la 1ere République. C’est donc un beau programme que se sont donné ces dernières années les divers gouvernements africains qui ont entrepris de telles batailles, quel que soient le nom que ces dernières aient reçu.

Dès 2006, l’opération « Epervier » lancée au Cameroun par son président Paul Biya aboutissait à l’arrestation de nombreux anciens ministres et dirigeants d’entreprises publiques. Depuis, les exemples se sont multipliés sur le continent : représentent-ils un premier pas vers la fin de l’impunité généralisée ?

Pourquoi maintenant ?

De manière inédite, les instigateurs de ces campagnes de bonne gouvernance ne sont plus les bailleurs internationaux du continent ni la société civile, mais les gouvernements eux-mêmes : alors pourquoi maintenant ?

La vague de démocratisation des années 1990 a soulevé de fortes attentes populaires sans porter ses promesses : les indicateurs de corruptions ont explosé dans la majorité des pays audités ces dix dernières années. En parallèle, la généralisation de l’accès à l’information et la publication de rapports sur la corruption des milieux politiques et économiques tels ceux de Chatham House ou de Transparency International ont fini par influencer le dialogue politique. Les campagnes électorales se sont emparées du sujet et, de façon notoire, la plupart des dernières élections du continent se sont gagnées sur les thèmes de lutte contre la corruption et de bonne gouvernance.

De la campagne de Macky Sall en 2012 au Sénégal aux promesses de Muhammaddu Buhari au Nigéria : qu’en est il aujourd’hui ? Tour d’horizon de quelques unes des opérations mains propres du continent.

Sénégal, une stratégie progressive

Au Sénégal, la dynamique semble bien lancée depuis 2012 : dès son élection, le gouvernement Macky Sall a envoyé des signaux forts avec la création d’un ministère de Promotion de la bonne gouvernance, suivie de la mise en place de l’Office National de Lutte contre la Fraude et la Corruption (OFNAC). En juin 2013, Dakar poursuivait avec le lancement de sa Stratégie nationale pour la bonne gouvernance.

Nigéria : Buhari, Monsieur propre ?

Six mois à peine après son élection, Buhari limogeait l’ex-patron de la puissante EFCC, l’agence fédérale nigériane traquant les crimes économiques et financiers. Durant ses 100 premiers jours au pouvoir, de nombreuses mesures ont ainsi été prises pour redresser la corruption du pays : Président et vice-président ont divisé leur propre salaire par deux et déclaré le montant de leur patrimoine, des mécanismes de rationalisation financière ont été instaurés avec les Etats fédérés, un Comité de conseil contre la corruption composé de sept personnalités reconnues a été formé, et la direction des compagnies pétrolières étatiques a été fortement restructurée_.

De manière visible, des instructions fortes ont été données aux organismes de lutte contre la corruption déjà existants : de nombreuses têtes sont déjà tombées dont celle de Lawal Jafaru Isa, pourtant un ancien allié politique du Président Buhari. Plus de 450 000 euros détournés seraient ainsi déjà retournés dans les caisses de l’Etat.

Burkina Faso : nouvelle ère cherche nouvelle règles

Au pays des nouveaux hommes intègres, la fin de l’ère Compaoré a franchi un cap supplémentaire le 4 mars 2015, avec le vote de la Loi « portant prévention et répression de la corruption au Burkina Faso ». Le texte détaille l’ensemble des manifestations quotidiennes de la corruption dorénavant illicites, les acteurs concernés, avant de préciser la hauteur des peines encourues. Parmi les mesures d’intérêt on peut citer : l’obligation faite aux hauts fonctionnaires de déclarer périodiquement leur patrimoine, l’interdiction pour les agents publics « d’accepter des dons, cadeaux et autres avantages en nature », ainsi qu’une série de mesures visant la transparence du fonctionnement des services administratifs et des mécanismes de contrôle des transactions illicites.

Il parait néanmoins regrettable que certaines des mesures les plus importantes aient été évacuées en quelques formules généralistes et laconiques au sein d’un seul et même article. En effet, l’article 40 évoque à la fois la participation de la société civile, les programmes d’enseignements destinés à sensibiliser étudiants et écoliers, ainsi que l’accès des médias à l’information concernant la corruption. L’article en question ne détaille aucune mesure concrète, aucun moyen d’action envisagé, ni même les services concernés.

Au Gabon, la fête serait terminée ?

Au Gabon, c’est une pratique bien particulière du gouvernement Bongo père qui est visée par l’opération mains propres lancée en 2014 par son fils et successeur, Ali Bongo. Sont en cause les « fêtes tournantes » organisées chaque année dans un Etat différent du pays pour la fête nationale, destinées à mettre en valeur les territoires. L’audit réalisé par la Cour des Comptes nationale est sans appel : sur les 762 millions d’euros engagés pendant 10 ans pour ces célébrations, plus de 600 millions ont été détournés. L’audit poursuit en affirmant que « plus de la moitié du budget (de l’Etat) a disparu dans la nature ». Certaines figures de l’ancien régime sont déjà tombées, notamment Jeannot Kalima, le secrétaire général du ministère des Mines, de l’Industrie et du Tourisme.

Pour quel bilan ?

Malgré ces initiatives positives, le ressenti des populations demeure globalement négatif, et les chiffres consternants : près de 75 millions d’Africains disent avoir payé un bakchich en 2015, soit près de 7,5% du continent. L’étude 2015 du Baromètre de la corruption en Afrique réalisée par Transparency International pointe notamment le Nigeria, en tête des pires résultats du continent. Plus de 78% des Nigérians estiment que la lutte menée par leur gouvernement contre la corruption est un échec. A l’inverse, le Sénégal obtient des chiffres plutôt encourageants, avec 47% de sa population convaincue de l’efficacité du gouvernement contre la corruption. Néanmoins, le combat semble difficile, et la section sénégalaise de Transparency International rapporte des menaces et violences à son encontre, jusqu’à l’incendie d’une partie de ses locaux en 2013.

De même, derrière les plans de communication célébrant les opérations mains propres, il convient de regarder le budget réellement alloué à la justice, et l’évolution de celui-ci au cours des années. Le budget 2015 du Sénégal avait ainsi affiché une baisse de 10,52% des ressources allouées au ministère de la Justice par rapport à 2014. Mais davantage que des budgets, c’est une restructuration en profondeur du fonctionnement de la justice, et l’introduction de solides mécanismes de contrôle qui est attendue. En 2015, Justice et Police sont encore les deux institutions où se payent le plus de pots-de vins en Afrique selon Transparency International.

                                                        Julie Lanckriet

Entretien avec Hemley Boum : Plongée dans le maquis camerounais

Hemley Boum, écrivaine camerounaise, est l'auteure d'un roman remarquable alliant faits historiques et fiction autour du leader nationaliste Ruben Um Nyobé et du volet bassa du maquis camerounais. Les maquisards, ce roman,  est publié aux éditions La Cheminante et disponible en librairie ou en ligne. La romancière camerounaise a accepté de se prêter au jeu des questions-réponses sur ce thème sensible, douloureux et peu connu de la décolonisation en Afrique.


HemleyBoum

Hemley Boum, Bonjour. Vous avez choisi d’écrire sur le maquis camerounais. Un roman plutôt qu’un essai…

C’est un roman intense, complexe avec plusieurs entrées, plusieurs histoires qui s’imbriquent, s’enlacent afin de donner de la cohérence à l’ensemble. Il est assez métaphorique aussi. Je comprends que l’on choisisse certaines portes d’entrée plutôt que d’autres, c’est la liberté du lecteur. Même si « Les Maquisards » est un roman très documenté mais il ne s’agit en aucun cas d’un essai. J’ai délibérément choisi les éléments historiques qui venaient nourrir ma fiction et mis la grande Histoire au service des existences individuelles des hommes et des femmes dont il est question ici. Bien que certaines actions en background se déroulent ailleurs, j’ai choisi une unité de lieu, la forêt bassa, et partant de là, d’étendre ma narration sur plusieurs générations de personnes. L’idée étant d’être au plus près des êtres, au plus près de leur parcours de vies, leurs espoirs, leurs ambitions afin d’expliquer pourquoi toutes ces personnes, ces paysans se sont engagés dans un combat de cette ampleur. Je n’aurais probablement pas pu me permettre une telle licence dans le cadre d’un essai. 

C’est votre marque de fabrique déjà observée dans le précédent roman Si d’aimer…

Oui, nous sommes au plus près des désordres humains, de nos humanités. C’est une littérature qui est dans l’intime, elle se veut être au plus près des hommes.

Comment passe-t-on de Si d’aimer… à ce nouveau roman Les maquisards?

C’est difficile à expliquer, des évènements personnels, des commentaires, des rencontres m’ont fait comprendre qu’il y avait là un sujet d’une extrême gravité et que comme beaucoup de camerounais de ma génération, je passais à côté d’un pan important de l’histoire de mon pays. Ce qui était une vague curiosité s’est changé en interpellation puis en nécessité impérieuse. Je me suis aperçue que plusieurs personnes dans mon entourage immédiat avaient été impactées par cette histoire, avaient personnellement souffert dans cette lutte, elles avaient perdu des membres de leurs familles, des patronymes avaient dû être changés pour échapper à la répression, des villages que je croyais immuables dataient des déplacements forcés de population organisés par l’administration coloniale dans sa stratégie pour isoler les rebelles réfugiés dans la forêt.

En pays bassa, les paysannes pratiquent l’agriculture par jachère. Elles laissent respirer la terre pendant de longues périodes. Des personnes m’ont expliqués qu’encore dans les années 80-90, il arrivait qu’en abordant une nouvelle terre, qu’elles tombent sur des charniers. J’avais l’impression d’ouvrir une boite de Pandore.

J’ai effectué quasiment toutes mes études au Cameroun, et dans mon parcours scolaire je n’ai pas été frontalement confrontée à cette histoire. Si je l’ai rencontrée, c’était tellement édulcoré, peu mis en avant que j’ai zappé. Jusqu’à quel point mon esprit subodorant la supercherie s’est fermé aux faux-semblants officiels. Combien sommes-nous de ma génération à avoir réagi ou à réagir encore ainsi ?

Ecrire sur Um Nyobé, est-ce que le projet a été difficile? D’ailleurs Um Nyobé, est-il personnage prétexte dans votre roman? Comment avez-vous reconstitué cet univers?

Dans les maquisards, Mpodol* n’est pas un personnage prétexte. C’est un vrai personnage qui impulse des choses. Il existe. Il y a quelque chose qui va se mettre en place entre lui et ses proches. Pour connaitre Mpodol, il faut écouter ses discours.  Il est très différent d’un Césaire ou plutôt d’un Senghor, d’ailleurs ils n’avaient aucune sympathie l’un pour l’autre. L’homme d’Etat Sénégalais a été particulièrement injuste avec les nationalistes camerounais, mais ce n’est pas le sujet. Mpodol a du respect pour le français, la langue française, mais il n’a pas cette admiration béate devant la culture française que vont avoir certains leaders africains. Son père est un patriarche traditionnel et il est lui-même très ancré dans la culture bassa. Il a peu d’amis hormis un noyau dur de personnes qui restera jusqu’au bout et dont plusieurs partageront son sort tragique. Il n’est pas mondain. Ce qui va faire le roman, c’est cela, toute cette force, ces passions, cet engagement sans concession, tout cela concentré dans cette forêt, cette cabane, leur environnement naturel. Mpodol n’est pas un poète, un grammairien ou quelqu’un qui a le goût des belles phrases, des envolées lyriques. Il cherche le mot juste, la bonne intonation. Ses discours aux Nations Unies sont révélateurs, il est précis, convaincant, factuel. Il a une mentalité de juriste. Quand il rentre dans les textes français, il les aborde avec profondeur, il les dissèque car il pense que c’est là que ça se joue et qu’il s’agit d’un combat loyal. C’était leur force et leur terrible faiblesse, ces hommes étaient capables de comprendre la complexité d’un texte, sans toutefois saisir l’esprit des rédacteurs. Il pensait sincèrement que cela se jouait à la loyale.

 Au début le livre devait se concentrer sur Um Nyobe, j’ai travaillé sur cinquante pages puis j’ai bloqué. La construction avait du mal à avancer. C’est à ce moment que j’ai créé le personnage d’Amos qui est son double. Ainsi Amos existe et Um Nyobé prend sa place de leader. Il devient un personnage. Je peux donc exploiter les aspects historiques et la dimension personnelle, je peux l’insuffler dans leur relation.

Ces personnages de fiction prennent une place très importante. Le roman prend la forme d’une saga familiale. Il y a des femmes fortes. Il est question de deux femmes particulièrement Thérèse Nyemb et Esta Mbondo Njee.

Elles sont toutes fortes. Likak aussi est une femme forte. Si être une femme forte c’est ne pas se laisser briser, dévaster par l’adversité, même Jeannette et Christine Manguele sont fortes à leur manière.

C’est un roman très féminin. Il y a une démarche de montrer ces femmes qui bougent, bousculent la société bassa traditionnelle.

Votre propos est étonnant. Il y a des hommes forts dans ce roman. Amos Manguele est une grosse personnalité. Alexandre Muulé Nyemb, Ruben Um Nyobe aussi… Mais, comme ils coexistent avec des femmes de caractère dans une relation de complémentarité, vous en déduisez que le roman est féminin. L’important c’est que ces personnes, hommes et femmes, sont puissantes en tant qu’individus mais aussi en tant que communauté, les deux sont liés, imbriqués même. Cela explique leur engagement.

En outre, l’immense implication des femmes dans le mouvement national Camerounais et la guerre de libération est une vérité historique. Mes personnages sont fictifs, cependant dans la réalité, des femmes seront assassinées en même temps que Ruben Um Nyobe ce jour là à Boumnyebel.

Ici, le propos n’est-il pas de dire que ce sont les femmes qui introduisent une certaine rupture? De plus, on pense à un roman comme Cent ans de solitude de Gabriel Garcia-Marquez : La malédiction et le silence. Y-a-t-il de votre  part une réflexion sur la malédiction et les chaines de silence qui se reproduisent de génération en génération? Qu'est-ce que ce silence ?

Le poids des non-dits, le poids du silence sur des faits aussi graves, sur des atteintes aussi importantes aux populations d’un pays provoque un sentiment de honte diffus mais bien réel. Un manteau de violence et de peur a été posé sur cette période.

On peut se demander pourquoi Um Nyobé n’a pas eu la même reconnaissance que Lumumba. D’abord, ce n’est pas le même profil de personne. D’une part. Et d’autre part, le maquis Camerounais s’est fait en deux temps. Il y a le maquis en pays bassa qui fait l’objet du traitement de mon roman. Puis après l’indépendance, il y a eu le volet en pays bamiléké. Le gouvernement camerounais d’Ahidjo avec l’appui logistique, financier et militaire de l’ancienne métropole s’attèlera  à la traque des partisans qui continuent le combat en pays bamiléké. Vous savez, dans la spiritualité bamiléké, il y a des pratiques très fortes autour du crâne des ancêtres. Alors les forces conjointes en lutte contre les nationalistes vont systématiquement trancher les têtes de leurs adversaires et les accrocher sur des pics. Peut-on imaginer une telle violence, une si grande volonté de destruction va au-delà de la nécessité de mater la rébellion, il s’agit de soumettre, de dévaster et d’instaurer durablement la terreur.  Sauf qu’au moment où cela a lieu, le gouvernement au pouvoir est Camerounais. Certaines personnes impliquées dans ces exactions sont encore au pouvoir aujourd’hui. Cela ne facilite pas le devoir de mémoire. Mais les temps changent, j’ai bon espoir. Nous devrons tôt ou tard affronter nos propres démons.

Sur la place des colons : Pierre Le Gall, le colon, est le personnage pour lequel vous introduisez le moins de nuances. Qu’incarne-t-il pour vous? Sur la rencontre entre la femme africaine et l’homme occidental?

Non, je n’ai pas introduit de nuance sur ce personnage pour une raison simple, ce que j’ai écrit sur ce personnage est bien en deçà de ce que les témoignages laissent entendre du comportement de certains colons. La colonisation en elle-même était un système d’une extrême violence uniquement justifiée par des intérêts économiques. La nuance s’inscrira plus globalement dans le livre, le roman dans son ensemble fait coexister des personnes que tout oppose et qui malgré tout se rejoignent dans une commune humanité.

Vous savez certains sujets sont plus porteurs que d’autres. Par exemple dans mon précédent roman Si d’aimer… je raconte cette relation entre le personnage de Céline et son proxénète. Et plus loin dans le roman, je parle aussi de la relation d’amour entre Céline et Paul. Une relation plus apaisée beaucoup plus belle. Mais on me parle toujours de la première et rarement de la seconde. Avec Les Maquisards, c’est un peu la même chose. Il y a Pierre Le Gall, mais aussi son pendant, son fils Gérard, ou la sœur Marie-Bernard qui offre une vision différente des relations entre les personnages y compris dans ces configurations tendues.  Et puis, au cœur même de la rébellion, lorsque les choses se corsent, des partisans se retournent contre les populations, ceux dont l’implication dans le mouvement est mise en doute sont molestés, terrorisés, le personnage de  Joseph Manguele traduit bien cette réalité aussi. 

Ce n’est pas un problème de couleur de peau, cela ne l’a jamais été, en tout cas pas dans mon écriture. Il s’agit plus fondamentalement du respect de l’autre dans son humanité et sa singularité, du respect de l’autre comme unique garantie d’une relation que l’on veut sincère.

Pouvez-vous nous parler la construction de vos personnages? 

Je suis profondément dans l’intime. Les écrivains américains sont doués pour cela, quelqu’un qui fait cela et qui me bouleverse, c’est l’auteur américaine Toni Morrison mais aussi Philip Roth dans un livre que j’adore qui s’appelle « La tache », ou Faulkner dans « Absalon, Absalon ». Même l’incroyable James Ellroy est sacrément doué dans cet exercice. Et Balzac dans la littérature française.

Lorsque vous avez fini de les lire, les pires personnages ont une humanité. Il y a des choses à voir au-delà des actes qu’ils posent. Ils ont une intériorité. C’est de la bonne fiction. Celle qui donne l’impression que nous sommes dans une tragédie antique, chaque personnage est potentiellement Orphée, Perséphone Médée…C’est la fiction que j’aime, celle qui repousse les limites et qui dit l’Histoire, la vie et ses bifurcations dans toute leur complexité en partant de l’humain lambda, vous, moi, n’importe quel personnage de roman. C’est celle que j’essaie d’écrire.

Sur la place de spiritualité dans le livre, il y a une approche un peu manichéenne. Mais sans aller dans le détail, vous présentez cette thématique sous un angle particulier, avec l’idée d’un éventuel retour en arrière, vers ces croyances ancestrales. Est-ce le cas?

Peut-on revenir en arrière? Tant de choses ont été détruites. Pour illustrer mon propos, je raconterai une situation que Soyinka a vécue en Jamaïque à l’époque où il est chassé du Nigéria par Sani Abacha. Soyinka raconte dans ses mémoires que son errance à travers le monde le mène à un village en Jamaïque qui porte le même nom que son propre village de naissance et où l’on pratique un rite à un dieu Yoruba qui est profondément pur. En fait, les jamaïcains avaient gardé des aspects de ces pratiques qui avaient été violemment combattus par le système colonial.  

Les croyances et la spiritualité des groupes humains en Afrique datent de l’Egypte ancienne, Cheikh Anta Diop ainsi que des anthropologues de l’Afrique anglophone, Nigéria, Ghana, ont longuement analysé cet héritage. Il faut comprendre que les croyances africaines, ces spiritualités si anciennes ne sont pas, dans leurs essences, prosélytes. C’est une manière d’être, d’exister dans un accord parfait avec son environnement, son groupe incluant les vivants et les morts. Ce sont des communautés qui comprennent bien que la spiritualité est intime, confidentielle. Elle dépend de votre relation, votre histoire propre en tant qu’individu et en tant que groupe avec les divinités que vous vénérez et à ce titre ne peut en aucune manière être imposée à d’autres.  

Aujourd’hui et c’est bien là le paradoxe, le retour des jeunes vers ces spiritualités africaines se fait contre, en réaction de… Il ne s’agit plus d’un être au monde fluide et naturel, mais d’une spiritualité de combat et de revendication.  Je comprends la démarche mais je ne suis pas certaine que ce soit judicieux.

Est-ce que la fiction peut permettre un changement, introduire le débat?

C’est le rôle de la fiction. Elle permet la prise de recul sur la situation. L’Histoire sur laquelle l’on choisit d’édifier la mémoire d’un peuple est avant toute chose un choix idéologique, cela a l’air d’une science, mais au fond c’est un tri de ce qui va renforcer la conscience de faire corps, le lien, la communauté. Appelez-le prise de la Bastille, République, Guerre de Sécession, Shoah, ainsi s’écrit la légende des peuples, les valeurs qu’ils partagent. La fiction participe à bâtir des édifices imaginaires forts.  Au Cameroun, nous n’avons pas tant que cela des motifs de fierté collective et symbolique, les forces disproportionnées lâchées sur ces personnes de rien, ces paysans désarmés, ces instruits de premières générations, sont une honte et le resteront de toute éternité. Le courage de ces hommes et ces femmes, de même que le sacrifice consenti, est notre plus grande fierté ; quelque chose d’assez solide pour bâtir une Nation. 

Vous avez une profonde connaissance de la culture bassa. Pouvez-vous nous en parler?

Je me suis intéressé à ces données. Comme je l’ai dit plus haut, je voulais ancrer mes personnages dans une réalité sociale et spirituelle forte. Etre au plus près de leur réalité, de leur vécu. Pour cela je devais m’imprégner de la culture bassa, la comprendre dans ses nuances et ses non-dits. Me l’approprier. Je ne regrette pas, j’ai beaucoup appris, mieux compris. Cela reste une belle expérience personnelle.

Il y a  une déstructuration très forte portée au niveau des filiations. Quel est votre propos à ce sujet?

La sexualité telle que la conçoit, l’église catholique, avec cette notion de culpabilité est très peu présente dans les sociétés traditionnelles, elle n’a même pas de sens dans ce contexte. Dans l’organisation sociale traditionelle, la parenté est sociale avant d’être biologique Chez moi, quand une femme avait un enfant avant le mariage, c’était un très bon point, elle avait fait la preuve de sa fécondité alors sa dot était plus importante. Les peuples sont pragmatiques, la cohésion du groupe prime sur l’idéologie, la spiritualité et les croyances travaillent dans ce sens. À ce titre la complémentarité des hommes et de femmes est à la fois économique, sociale, politique et spirituelle.

Un dernier point sur la place de la langue bassa. Manguele communique en bassa avec les autres membres de la guérilla. Quel regard portez-vous sur les langues africaines. Y-a-t-il un enjeu à revenir vers elles, comme elles ont été un moyen de communication sécurisé dans le maquis bassa?

Les bassa, comme quelques autres groupes tribaux au Cameroun ont très vite appris à écrire leur langue. Les églises protestantes américaines installées dans cette zone dès la fin du XIXème choisissent de commencer les apprentissages avec l’écriture et la lecture du bassa. Elles n’ont pas la même appréhension de la question que les catholiques français qui en interdisent formellement l’utilisation à l’école. Ce qui donne une génération de personnes qui non seulement évolue dans leur environnement naturel en parlant leur langue maternelle, mais en plus ont appris à l’intellectualiser à la façon occidentale. C’est un vrai atout. 

En outre, les pères fondateurs de l’UPC étaient issus de tous les grands groupes ethniques camerounais. Cela a permis une transmission du message en langue locale qui a surtout infusé auprès de ceux à qui personne ne prenait la peine d’expliquer les enjeux économiques dont ils étaient l’objet. Tout d’un coup, nous sommes dans de l’entre soi, un immense entre soi qui réunit les camerounais en excluant l’occupant. Et bien sûr les communications qui ont lieu dans les centres urbains plus hétéroclites en terme de population que les villages le sont en français. Le mouvement développe ainsi une souplesse, une adaptabilité supplémentaire.

La langue est un enjeu de communication majeur. Chacune d’elle véhicule ses propres subtilités, un imaginaire, une histoire que l’on peut traduire dans une autre langue bien sûr mais sans jamais être assuré d’avoir respecté au-delà de la lettre, l’esprit. Malgré tout, comme le reste, elles vivent et meurent, remplacées par d’autres plus accessibles ou que sais-je. Mais à chaque fois qu’ainsi disparaît une langue, la perte est à la fois silencieuse, dévastatrice et sans rémission. 

Hemley Boum, merci !

Merci!

Propos recueillis par Laréus Gangoueus

Boko Haram au Cameroun : plaidoyer pour une architecture de sécurité régionale

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Boko Haram au Cameroun, ce n’est pas nouveau. Les incursions du mouvement terroriste dans le Nord du pays existent depuis un moment ; bien que leurs actions spectaculaires de ce mois de janvier attirent un peu plus notre regard. Il est certain qu’il ne saurait y avoir de hiérarchie pour les atrocités commises par la bande d’Abubakar Shekau, mais il est des actes à la puissance symbolique. Une puissance telle que la situation du Cameroun requiert l’attention de la CEEAC et de la CEDEAO en priorité, de l’Union africaine (UA) en second et de la communauté internationale globalement.

Au cœur de l’été dernier, « BH » comme les moque si bien l’humour camerounais (en référence au plat très apprécié Beignets Haricots) tentait d’enlever le Vice-Premier Ministre du Cameroun Amadou Ali dans sa localité de Kolofata où il séjournait pour la fête de la Tabaski. Tentative doublement symbolique puisque l’homme est à la fois un haut personnage de l’Etat et un notable de cette province frontalière du Nigéria. Ayant revêtu des uniformes de l’armée camerounaise et camouflé leurs voitures en véhicules officielles, les combattants de BH capturèrent le sultan de Kolofata et la femme d’Ali (libérés plus tard) et tuèrent le frère du sultan.

Aussi donc l’opération de déstabilisation par Boko Haram est-elle allée crescendo dans ses objectifs et dans ses cibles. Mais qu’est-ce qui motive Boko Haram au Cameroun ?  L’objectif est double. Dans un premier temps il s’agit de s’offrir une base arrière pouvant servir de repli en cas de regain des forces armées nigérianes. Dans un deuxième temps, le Cameroun permettrait de faire la liaison avec les extrémistes qui sévissent déjà en Centrafrique et au Tchad. Ce dernier objectif accréditerait la thèse selon laquelle, la convergence doctrinaire des mouvements sévissant dans les quatre pays que nous avons cités – s’il n’est pas encore totalement avéré – viserait à créer un bastion islamique en plein milieu de l’Afrique centrale.

L’obtention d’un bastion stratégique dans les Nord respectifs du Cameroun et du Nigéria n’est cependant pas chose aisée tant combattre sur deux fronts est déjà difficile pour une armée de métier. C’est sans compter sur le repli de l’armée nigériane ; repli provoqué par les revers infligés par Boko Haram et précipité entre autres par les considérations électorales qui saisissent le Président nigérian Goodluck Jonathan.

On mentionne beaucoup lesdites considérations comme cause principale de ce repli arguant qu’une autre déconvenue de l’armée enterrerait les espoirs de réélection du président sortant. Certes, c’est un facteur non négligeable  mais qui paraitrait presque secondaire tant les difficultés du pouvoir fédéral nigérian à pacifier et intégrer le Nord du pays sont anciennes. Il est honnête de préciser que ces difficultés ne sont pas particulières au Nord puisqu’au Sud, le Biafra des années 1970, le MOSOP des années 90 ou encore  le MEND d’aujourd’hui témoignent de difficultés qui touchent aussi le sud du pays et la région pétrolifère du delta du Niger. Boko Haram a fleuri sur un terreau fertile et il serait dommage de prendre les conséquences pour des causes.

Il n’en demeure pas moins que depuis que les militaires nigérians ont quelque peu baissé pavillon et semblent avoir abandonné à Boko Haram l’Etat du Borno frontalier du Cameroun, les militants ont pu se concentrer sur un seul front. Avec les conséquences malheureuses que nous connaissons.

Ces attaques en terre camerounaise s’accompagnent de tentatives de subversion propres à ces mouvements, dont le manuel de combat mêle guerre conventionnelle et guérilla. Avérée ou pas, cette subversion est un danger que les autorités camerounaises prennent au sérieux, vis-à-vis d’un mouvement qui souhaite couper du reste du pays le Nord à majorité musulmane. C’est ainsi qu’il faudrait interpréter l’arrestation en début janvier de 13 chefs traditionnels du Mayo-Tsanaga (département frontalier du Nigéria) pour complicité présumée de terrorisme avec Boko Haram. Il est encore trop tôt pour condamner ces hommes à qui la présomption d’innocence doit bénéficier mais au vu de la tentative de kidnapping évoqué plus haut, il n’est pas à exclure que Boko Haram dispose de « sympathisants » locaux.

Depuis ce kidnapping de juillet dernier qui causa la mort du frère du sultan de Kolofata, les incursions se sont multipliées, les combats intensifiés et les enjeux clarifiés. Le formidable renfort de 7 000 hommes décidé par le président camerounais Paul Biya répond à la prégnance de la menace. L’engagement camerounais dispense des enseignements à plus d’un égard. Tout d’abord il confirme la sensibilité des pays africains d’Afrique de l’Ouest et du Centre à la contamination des conflits révélant une fois de plus le problème des frontières. Mais plus que leur porosité, c’est le manque de coopération des États frontaliers qui est une nouvelle fois sur le banc des accusés. A cette culpabilité se rajoute une autre qui ne peut plus être ignorée tant les événements la mettent en évidence : le manque de coopération des organisations de sécurité régionale dans la prévention et la gestion des conflits.

Cette nécessaire architecture interrégionale est un défi que la situation actuelle doit permettre de développer ; car les conflits sont les malheureuses mais parfois nécessaires opportunités qui peuvent révéler d’heureuses entreprises. 

A l’heure où ces lignes sont écrites, la question nigériano-camerounaise de Boko Haram –  puisqu’il ne faut plus séparer les deux – fait l’objet d’une proposition de création d’une force multinationale, reste à savoir si le mandat se fera sous l’égide de l’UA et quels rôles joueraient la CEDEAO et la CEEAC.

Bien entendu, nous nous garderons d’un optimisme béat ou même trop prononcé puisque le souverainisme des Etats – celui du Nigéria dans le cas en l’espèce – tend à s’exacerber au fur et à mesure que la crise s’aggrave, sempiternel obstacle de l’intégration continentale… Ainsi le président Jonathan réitère-t-il le principe de non-ingérence et souhaite régler le problème en s’associant au Cameroun, à la République Centrafricaine et  au Tchad qui a décidé de prêter main forte aux deux premiers.

Quoi qu’il en soit, ce qui se passe aujourd’hui à la frontière du Cameroun et du Nigéria fustige la rigidité  coupable des frontières de nos espaces régionaux. Le temps de  l’intégration par cercles se passe de mode car les menaces que posent Boko Haram (ou encore Ansar Dine dans la bande sahélienne) la rendent obsolète – en matière de sécurité du moins. Les agissements de ces derniers et leurs « succès » témoignent qu’eux ont compris que la « transfrontalisation » des enjeux est un atout. A nos États de comprendre que l’inter-régionalisme est le nôtre.

Enfin dernier point et non des moindres : celui de la circulation des Armes Légères et de Petit Calibre (ALPC). Aujourd’hui plus d’un milliard d’armes légères et de petit calibre circuleraient dans le monde entier selon les estimations du Graduate Institute Studies de Genève. Une portion considérable de ce milliard alimente des groupes comme Boko Haram ou encore Ansar Dine. Malheureusement à cette prolifération des ALPC se rajoute maintenant le danger des armes lourdes qui essaiment davantage depuis la crise libyenne. A tel point qu’aujourd’hui certaines armées africaines déjà si peu bien dotées doivent faire face à des ennemis qui font plus que rivaliser par leur puissance de feu. Mais là il faudrait aussi évoquer l’autre immense écueil qu’est le manque de ressources et de professionnalisation des forces de défense et de sécurité en Afrique. Mais ça c’est un autre débat, un autre article…                              

Cheikh GUEYE

 

 

4ème FIFDA – W.A.K.A, un film de Françoise Ellong

 

WAKA affiche  La 4ème édition du FIFDA- Festival des films de la diaspora Africaine s’est tenue cette année du 5 au 7 septembre à Paris. Parmi la sélection du jury, le film W.A.K.A, premier long métrage de la réalisatrice Françoise Ellong, paru en 2013 et projeté le dimanche lors de la journée consacrée aux « migrations-transmigrations ».

Le film entièrement tourné à Douala par une équipe franco-camerounaise raconte l’histoire de Mathilde une jeune femme qui élève, seule, son fils Adam. Mathilde, interprétée par Patricia Bakalack, recherche une source stable de revenus afin de subvenir aux besoins de son fils mais nulle part elle ne parvient à faire accepter sa condition de mère et de surcroit célibataire. A court d’options, Mathilde se résigne à accepter une proposition lourde de conséquences: Mathilde devient Maryline, une W.A.K.A. 

Dans l’argot camerounais, une « waka » désigne une prostituée. Ce nom dérive du verbe anglais « to walk » qui signifie marcher et par extension, les WAKA sont celles qui marchent la nuit, à la recherche de clients. Le jour Mathilde est la mère d’Adam et la nuit elle devient Maryline, la WAKA. Mathilde pouponne Adam, l’emmène à l’école et lui fournit un toit et pour permettre cela Maryline doit se laisser aller à des pratiques humiliantes, parfois violentes avec des inconnus. La frontière qui sépare ces deux mondes est donc bien fine et les rend, résolument, interdépendants. Ainsi, alors que Mathilde essaie tant bien que mal de protéger son fils du monde de la prostitution plusieurs personnages et situations influencent le destin de ce couple mère-fils. Famille, voisins ou encore camarades de classe, tous observent et sanctionnent le choix de cette mère qu’ils accablent ou saluent. Il faut également composer avec les rencontres qui rythment la vie nocturne de Maryline et leurs intentions peu scrupuleuses. A cet égard, on ne peut manquer d’évoquer Bruno, le proxénète intransigeant qui refuse de voir son affaire impactée par la situation de Mathilde. Celle à qui il a donné le nom de Maryline doit travailler quoiqu’il lui en coûte et il compte bien y veiller. Arrivera t-elle à l’écarter d’Adam ? Quel prix devra t-elle payer pour cela ? 

A bien des égards le film proposé par Françoise Ellong est convaincant. D’abord le scénario est cohérent et tient les spectateurs en haleine tout le long par des mises en scènes crédibles. Le jeu des acteurs, plus ou moins confirmés, est remarquablement mis en valeur par un sérieux travail cinématographique. Les sons, images, plans et montages participent à créer l’atmosphère adaptée à chaque scène en révélant tantôt l’ambiance lugubre d’un trottoir où s’agitent des prostituées ou la tendresse partagée à un anniversaire. A ce titre, il faut saluer notamment le choix des lieux qui donnent à voir une ville de Douala diverse et propice aux tournage de jour comme de nuit.

Grâce à tous ces éléments, W.A.K.A met en scène des personnages complexes permettant de se questionner sur des sujets qui le sont tout autant. Ils sont à la fois attachants et repoussants ; par moments on aimerait les soutenir mais on ne peut ignorer leurs écarts et on s’empresse de les juger. Mathilde est certes une prostituée mais est-ce que solution qu’elle choisit à un moment précis pour de multiples raisons doit annuler tout son passé, diminuer son combat ou la condamner dans ses rapports avec les autres et la soustraire irrémédiablement à leur amour? Est-ce parce que des femmes sont réduites à ce moyen qu’elles en perdent leur humanité ? Ce sont ces questions difficiles et ô combien nécessaires que le spectateur est amené à étudier à travers à ce film. 

On aura donc rapidement compris que l’intention du film va au-delà qu’une plongée dans l’univers de la prostitution à Douala mais se concentre sur le parcours d’une jeune mère en difficulté. En réalité, la prostitution n’est rien de plus qu’un cadre, un prétexte pour raconter le combat de Mathilde en tant que mère. Françoise Ellong explique et justifie d’ailleurs ce choix dans la note d’intention qui accompagne le film :

« En choisissant de confronter cette femme à l'univers de la prostitution, le but est clairement de la mettre dans une position jugée dégradante au regard de la société, afin de montrer au mieux sa force et son combat en tant que mère. Au delà de ce que ce barbarisme évoque spécifiquement aux Camerounais, la lecture du titre doit être faite sous la forme d'un acronyme. Ainsi, W.A.K.A dans ce contexte, bien que référant à l'univers global de la prostitution, signifie Woman Acts for her Kid Adam. »

Travail sincère des acteurs, rendu cinématographique intéressant, histoire touchante et réalisatrice engagée, finalement, W.A.K.A est un film camerounais à voir et à soutenir pour diverses raisons qui somme toute se résument en une seule : c’est un BON film. 

 

Claudia Muna Soppo

FinAfrique : catalyseur de la finance africaine

De façon quotidienne, le cabinet FinAfrique conseille et forme les cadres financiers africains. C’est ainsi qu’il accompagne le rapide développement du secteur financier en Afrique subsaharienne. Son directeur général, Fabrice Kom Tchuente, a accepté de répondre à nos questions.

finafrique 2Fabrice Kom Tchuente, Directeur général de FinAfrique

Pourriez-vous nous présenter FinAfrique ?

FinAfrique est un cabinet de Conseil intervenant dans les domaines de la banque, finance et assurance. En 2008, avec trois cadres financiers, nous avons créé ce cabinet afin de rendre disponible en Afrique des prestations de haute qualité et technicité financière. Le constat au départ était qu’il y avait un réel besoin de compétences techniques dans le domaine de la banque, finance et assurance en Afrique pour beaucoup de cadres voire non cadres. A l’époque, pour avoir accès à ce type de prestations, notamment dans la finance « moderne », il fallait systématiquement se déplacer à l’étranger ou faire appel à de grands cabinets étrangers. Nous, nous proposons dans le cadre de notre branche formation FinAfrique Learning, au lieu de déplacer systématiquement les cadres à l’étranger (ce qui peut être onéreux), de faire venir des experts aux compétences équivalentes et qui bénéficient en plus d’une connaissance des problématiques financières locales. Tout ceci à des prix modérés afin que nos services soient à la portée du plus grand nombre, c’est-à-dire que notre but n’est pas de former uniquement les top-managers mais aussi des middle-managers et des non cadres.

FINAFRIQUE

Quelles sont les prestations de FinAfrique et à quel type de clients s’adressent-elles ?

Nous faisons du Conseil, des Etudes et de la Formation. Nos premiers clients sont les institutions financières privées (des banques et des compagnies d’assurance) ainsi que des administrations financières telles que les ministères de l’économie et des finances, des banques centrales, des banques de développement. Nous offrons également des services aux directions financières de quelques groupes industriels.

Depuis janvier 2012, nous sommes partenaire d’IFC (International Finance Corporation), filiale de la Banque Mondiale spécialisée dans le financement du secteur privé des pays en développement. Nous avons signé un contrat pour la mise en place d’un outil destiné aux PME camerounaises. Ce programme, le SME Toolkit, (boîte à outils pour les PME) offre un accompagnement et des formations en ligne via une plateforme déjà déployée dans une dizaine de pays africains. L’animation du réseau est centralisée au niveau d’IFC qui fournit du contenu aux partenaires responsables de chaque pays, mais à notre niveau nous développons, en plus de cela, nos propres contenus adaptés aux réalités locales. Nous avons mis en place cette activité il y a deux ans et elle fait sont petit chemin. Nous comptons aujourd’hui un portefeuille de 700 PME que nous formons via cette plateforme. Parallèlement nous collaborons avec des entreprises camerounaises, notamment un mouvement patronal – ECAM – dont le portefeuille d’adhérents est quasi exclusivement constitué de PME.

Plus récemment, c’est-à-dire fin juillet de cette année, nous avons conclu un partenariat avec l’African Guarantee Fund (AGF) basé à Nairobi et son partenaire l’African Management Services Company (AMSCO) basé à Johannesburg pour l’animation d’ateliers sur un ensemble de pays francophones (Afrique Centrale, Afrique de l’Ouest et Maghreb) avec l’objectif principal de renforcer les capacités des cadres des institutions financières partenaires d’AGF dans la création de nouveaux produits à destination des PME/PMI.

Nous menons également des études et des réflexions sur le développement et la croissance économique en Afrique. C’est dans ce cadre que nous avons organisé en Novembre 2013 à Douala le Forum FIFAS (Forum International de la Finance en Afrique Subsaharienne) sur le thème de la surliquidité bancaire, l’épargne et le sous-financement du secteur privé. L’objectif était de  comprendre le paradoxe qui existait entre, d’une part, les banques et des compagnies d’assurances-vie qui connaissent une situation de surliquidité et, d’autre part, le secteur privé qui peine à se financer, principalement les PME. Il y a eu de nombreux débats à la suite desquels un certain nombre de propositions ont été faites. Suite à cela nous avons rédigé un Livre Blanc qui a été présenté à de nombreux hauts responsables en Afrique Centrale, en Afrique de l’Ouest, en Afrique de l’Est, à l’île Maurice et à Madagascar afin de les sensibiliser à la mise en œuvre de ces recommandations.

La diffusion du Livre Blanc a-t-elle porté ses fruits ?

Je ne pourrais pas affirmer que c’est le Livre Blanc du FIFAS 2013 qui en est l’origine, mais je peux dire qu’il y a des recommandations présentes dans le Livre Blanc qui sont en cours de réalisation, notamment en Afrique Centrale où la banque centrale (BEAC) a accéléré la mise en place des bureaux d’information sur le crédit. Ces bureaux sont très importants et avaient été vivement sollicités par les banquiers lors du Forum. En effet, à titre d’exemple, il était très facile pour un entrepreneur, ou un particulier d’ailleurs, de faire défaut auprès d’une banque et ensuite d’aller emprunter auprès d’une autre banque sans être inquiété. Les bureaux d’information sur le crédit permettent d’éviter les abus de ce type.

Ce succès est-il dû au fait que des personnalités influentes aient pris part à ce Forum ?

Effectivement, les personnalités clés du secteur de la finance étaient présentes. Nous avons pu compter sur le Président de la FANAF (Fédération africaine des sociétés assurances), le Président des banquiers du Cameroun (APECAM), le directeur général de l’économie du Cameroun, un haut responsable de la Banque centrale (BEAC), un autre du Groupe Natixis en France, ou encore de la Banque Kepler en Suisse, ainsi que de nombreux spécialistes de tous horizons, comme le Private-Equity, des institutions internationales de développement telles que IFC et Proparco, etc.

Avez-vous l’intention d’organiser d’autres conférences sectorielles ?

En novembre dernier, il s’agissait de la première édition du FIFAS. Nous envisageons d’organiser une deuxième édition en 2015 et cette fois-ci elle aurait lieu à Abidjan.

Pour revenir au SME Toolkit, comment se matérialisent concrètement l’accompagnement des PME membres ?

Concrètement, le SME Toolkit prend la forme d’une plateforme en ligne sur laquelle les membres ont accès à des contenus qui traitent des sujets divers très utiles pour la gestion quotidienne d’une entreprise : le management, la gestion financière, le développement de son image et de son offre commerciale, la gestion des ressources humaines … Ce dernier élément est très important car les PME sont souvent gérées de façon très familiale.

Aidez-vous également les entrepreneurs que vous accompagnez à accéder plus facilement à des sources de financement ?

Nous comptons parmi nos partenaires bancaires la banque UBA Cameroon (United Bank for Africa), mais nous n’avons pas encore suffisamment développé cet axe « accès aux sources de financement » car il s’agit de l’axe le plus difficile du fait de la frilosité des banques. Avec le soutien d’IFC, nous allons accroitre ce réseau bancaire dans les mois qui viennent, notamment dans le cadre d’un projet de sélection de PME qui seront triées sur le volet. Je ne peux pas en dire plus sur ce sujet étant donné que le projet n’a pas encore été officiellement lancé.

Dans ce cas, les 700 PME déjà affiliées à la plateforme sont-elles toutes autofinancées ?

Oui, nos membres sont des entrepreneurs accomplis, ils se connectent régulièrement à nos modules de formation en ligne pour se former et lorsqu’ils ont besoin de conseils ou de services, ils nous contactent. Nous mettons à leur disposition des formateurs agréés sur le SME Toolkit qui répondent à leurs questions et échangent avec eux sur les problématiques rencontrées. C’est dans ce sens là qu’il faut comprendre le volet accompagnement.

Nous savons que dans les pays africains la très large majorité des entreprises opèrent dans le secteur informel. Cela est-il le cas des affiliés de la plateforme ?

Les entreprises que nous accompagnons n’opèrent pas forcément dans le secteur formel. Le profil de nos affiliés peut aller du simple vendeur de cigarettes qui a besoin d’améliorer la gestion de son budget à la PME de plus grande envergure qui doit diversifier son offre commerciale.

Quel est le coût pour accéder à la plateforme et aux services qui s’y rattachent ?

Tout cela est totalement gratuit. IFC ne finance pas les coûts de gestion de la plateforme, nous la maintenons par nos propres moyens. Cependant, lorsque nous avons besoin de débloquer des moyens supplémentaires, nous pouvons y installer des applications publicitaires qui vont rémunérer la plateforme.

L’autre service que nous fournissons c’est l’organisation des Journées de l’entrepreneur à la Chambre de Commerce de Yaoundé ou de Douala, en collaboration avec l’ONG Harambe Cameroon. Lors de ces journées, un certain nombre d’acteurs économiques (banquiers, consultants, des entrepreneurs ayant connu des success stories, des trésoriers, des conseillers en management) viennent tour à tour faire des présentations de façon bénévole. Cela dure toute une journée, les participants se voient remettre des supports et l’entrée coûte généralement autour de 10 000 FCFA (environ 15 euros).

Concernant le cœur de métier de FinAfrique, qui est le conseil et l’accompagnement des entreprises (banques, assurances, institutions financières), quels sont vos principaux domaines d’intervention et comment êtes-vous déployés ?

Nos domaines d’interventions sont assez divers dans le domaine de la Finance. S’il faut en citer quelques-uns, je citerais le Conseil en investissement, la Gestion Actif-Passif, la structuration d’un marché financier, la mise en place des normes prudentielles Bâle I, II et III.

Quel bilan faîtes-vous de vos six années d’existence ?

Nous nous sommes beaucoup enrichis en termes de partenariat, avec des institutions financières de renom (IFC, AGF à Nairobie, CESAG à Dakar). Nous avons su développer un large réseau d’entreprises partenaires et nous intervenons aujourd’hui pour de nombreuses institutions à travers l’Afrique subsaharienne.

Awa Sacko

Pour plus d’informations sur le SME Toolkit en Afrique francophone :

Gaston-Paul Effa : « Voici le dernier jour du monde » (2005)

Voici le dernier jour du monde paru en 2005, est un roman qui appartient à ces écrits qui ont pour thème commun l’auteur africain exilé depuis longtemps en terres occidentales qui s’interroge sur son identité africaine et sur ses rapports avec le continent de ses origines : est-il devenu une noix de coco, noire à l’extérieur, blanc à l’intérieur ? Peut-il encore penser l’Afrique en tant qu’Africain ?

Voici le dernier jour du mondeGaston-Paul Effa est né en 1965 à Yaoundé. Donné à des religieuses alsaciennes par son père, il étudie auprès d’elles pendant ses premières années au Cameroun. Après son secondaire fait en France, il poursuit des études de théologie et de philosophie en Lorraine, matière qu’il enseigne aujourd’hui dans un Lycée de Sarrebourg. Auteur de plusieurs romans, il reçoit en 1998 le Grand Prix Littéraire de l’Afrique Noire pour son  oeuvre romanesque, Mà.

Confronté à ces interrogations existentielles, il décide de rendre visite à son ami d’enfance, Fabien, intellectuel revenu en Afrique après avoir mené un cursus universitaire brillant aux Etats-Unis. Sur place, seulement ému par les odeurs des cuisines qui lui rappellent son enfance au pays, l’écrivain se sent étranger. Il ne réussit pas à communier avec cette terre qu’il l’a vu naître. Simple spectateur, écoutant avec détachement son compagnon lui rendant compte des gangrènes qui affectent le bon gouvernement de cette nation, il éprouve les plus grandes difficultés à écarter cette réflexion lancinante tel le tic-tac épuisant d’une pendule : se sent-il concerné par les tourments de ce pays, le pays de ses origines ? Cette terre ne lui est-elle pas devenue étrangère ? Peut-il se risquer à des réflexions sur ce continent sans tomber dans les sempiternels clichés véhiculés en Occident ?

Le destin tragique de Fabien qui entraîne irrépressiblement le sien le conduit peu à peu à des ressentis différents. Fabien en porte à faux avec le régime est embastillé ; de là commence une horrible déchéance et avec elle, la ruine d’un pays, d’un continent abandonné par Dieu aux prédateurs des enfers. Mais qu’on ne s’y trompe pas, moins celle de son compagnon d’enfance, c’est sa destinée dans ce maelström, lui l’écrivain, qui est dépeinte avec le recours constant à la première personne d’un singulier schizophrène : l’homme frappé par la sauvagerie, l’écrivain torturé dans son être par la bestialité. Car il s’agit bien de cela : savoir si son état d’écrivain forgé à la littérature humaniste française le protège de la barbarie d’autres tropiques ou du moins le prépare. Il va en faire la douloureuse et fatale expérience : aucunement. Jour après jour, à mesure que le continent tombe sous les fourches caudines d’un chaos qu’incarne ces enfants soldats, page après page l’écrivain plie devant telles horreurs et s’y fond. Navigant malgré lui sur le Radeau de la Méduse où a trouvé refuge l’humanité restante, risquant de sombrer à tout instant dans un océan de sang anthropophage, il décide d’en appeler au sacrifice salvateur. Mais les holocaustes de Fabien et de sa personne sont-ils suffisant pour se sauver ?

La qualité thématique de cette œuvre et de son contenu est servie par une écriture sobre, très personnelle, qui retranscrit finement l’intime ; l’intimité du narrateur rattrapée et happée par la condition humaine

 


Pour en savoir plus sur l'oeuvre de Gaston-Paul Effa :

 

 

Patrice Nganang, La saison de prunes

J’ai commencé la lecture de ce roman par un malentendu. Pourquoi les camerounais appellent-ils le fruit du safoutier une « prune » ?  Car derrière ce titre un peu étrange, voir un peu exotique pour qui s’intéresse à l’arboriculture, c’est par la saison de safous, pardon la saison de prunes, que Patrice Nganang commence son évocation d‘une période de l’année singulière en terre camerounaise. A cette époque, un jeune cadre de l’administration coloniale, poète à ses heures perdues, Louis Marie Pouka décide en cette année 1940, douloureuse pour la France et ses colonies, de partir en vacances à Edéa, en pays bassa. Son père y vit. Géomancien de son état, influent dans cette localité. Ne s’arrêtant pas seulement aux petites gens qui viennent solliciter ses « dons », M’Bangue – c’est son nom –  annonce avant l’heure le suicide d’Hitler.

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Pouka retrouve à cette occasion d’autres amis à Edéa dont Fritz et Ruben Um Nyobé (oui, le futur leader de l’UPC). Louis-Marie Pouka a l’ambition de créer un cénacle de poètes en langue française dans son fief. Ses amis y voient un acte de folie. Le poète se lance avec la conviction du juste dans ce projet audacieux et, disons-le, décalé. De la foule très nombreuse en quête d’emploi qui accourt à son annonce de recrutement, il retiendra une demi-douzaine d’illuminés qu’il rebaptise à la gloire de grands poètes disparus… En travaillant à la fois sur la personnalité de Pouka et celles de ses adeptes qui se réunissent dans un tripot aux allures de bordel, ainsi que le microcosme qui gravite autour d’eux Patrice Nganang pose une description très pertinente du petit monde d’Edéa entre les fonctionnaires ou hommes indépendants revenant des grandes villes camerounaises, des femmes, souteneuses ou épouses.

Quatre personnalités de ce roman foisonnant de portraits se dégagent. Bilong, l’adolescent impétueux, imbu de lui-même, audacieux et rêvant de se faire une place parmi les hommes. Ahoga, le faux hilun, broussard un peu perdu dans ce cénacle, magnifique chantre de la tradition orale bassa, Philotée, le bègue, aussi jeune que Bilong et Hebga, le cousin bucheron de Pouka, qui ne fait pas partie du cercle, mais dont le rapport avec Pouka est d’abord celui très intime du talent que ce dernier, dans son adolescence avait pour porter une parole qui sublime la puissance physique d’ Hebga et le pousser au dépassement de soi pour le meilleur comme pour le pire.

Dans cette première phase du roman, la question du sens de la littérature et de la parole dans une société qui se forme est intéressante. Cette prise de parole est essentielle même si on peut se poser la question de son fondement et du genre employé, la poésie, pour former des illettrés à la recherche d’un emploi.

Le sarcasme de l’écrivain sur cette question est très caractéristique de son discours et on peut penser d’une  certaine manière que NGanang ne se fait pas trop d’illusion sur la place de la littérature dans une société qui se cherche. Ecoutez, Bilong expliquer la démarche à sa belle nommée Nguet, une wolowos, l’esprit du cénacle.

« Qu’est ce que vous faites là-bas ? » lui avait-elle demandé avec curiosité, après lui avoir apporté l’eau. 

C’était Nguet.

« Ecrire », lui avait dit Bilong. Il but dans le gobelet que lui avait donné, les jambes écartées pour laisser les gouttes impregner le sol.

« Ecrire quoi ? avait continué la Nguet

Des rimes. »

Les autres femmes avaient réagi.

« C’est quoi, ça ? »

« On mange ça ? »

Page 208, Editions Philippe Rey

Le contexte de ce roman est celui la construction de la France libre à partir des colonies qui sont pour la plupart vichystes à la fin 1940, excepté le territoire du Tchad que dirige le gouverneur Félix Eboué. Assez rapidement, entre en scène autre personnage historique, le capitaine Leclerc qui arrive à Edéa en pirogue. Cet homme à tout faire de Charles de Gaulle, stratège futé, va construire pas à pas une légitimité au discours de Gaulle exilé en Angleterre en prenant Yaoundé avec le soutien d’Eboué, et en organisant avec quelques officiers, la formation des tirailleurs qui vont constituer la Force noire qui partant d’Afrique subsaharienne vont remporter les premières victoires significatives françaises pendant ce conflit à Murzuk et Koufra dans le désert du Sahara face aux troupes italiennes.

Edéa étant une plaque tournante, selon Nganang, de ses troupes de tirailleurs, plusieurs membres du cénacle sont embrigadés dans ces contingents et armés de la parole construite avec Pouka, ils vont nous raconter cette guerre de l’intérieur.

« Il (Hegba) faisait partie du contingent, lui – dans lequel les sénégalais n’étaient pourtant pas nombreux. C’est une paresse française que personne n’a corrigée, car le Sénégal, alors vichyste, n’avait pas jusque là fourni de tirailleurs à de Gaulle ; de plus, il lui a infligé sa première véritable défaite militaire du 23 au 25 septembre 1940 […] En tout cas le premier contingent de soldats au Tchad venait du Sénégal. On racontait que c’est parce que ces sénégalais ne voulaient pas tirer sur des tchadiens, comme leur ordonnaient leurs officiers supérieurs, et manquaient toujours ceux qu’ils devaient mettre en joue, qu’on les avait appelés tirailleurs. Qui sait ? Toujours est-il que les Français désignèrent bientôt tous les soldats africains de leur armée comme « tirailleurs », et tous les africains qu’ils recrutaient comme « Sénégalais ». C’était commode. C’était simple. Comme toute injure »

Page 170, éditions Philippe Rey 

C’est l’âme du tirailleur « sénégalais » – qui paradoxalement  ici est bassa –  que nous restitue avec brio le romancier camerounais. L’initiation de Pouka, va servir à l’élaboration du discours de ces tirailleurs. Ce roman participe à donner, selon ma lecture, un sens très particulier à la question de la France libre et des enjeux que celle-ci a dû surmonter pour reconstituer une identité nationale française mise à mal par l’occupation nazie et la collaboration vichyste. De Gaulle n’aurait pas existé devant Churchill sans ces victoires en Afrique de Leclercq, sans cette chair à canon qu’ont été les tirailleurs « sénégalais » dans le désert du Sahara.

Ce roman participe donc à l’exploration de tous les non-dits de cette période douloureuse, mais qui dicte des comportements entre postcoloniaux et français. Comme tout roman historique, il faut naturellement identifier ce qui relève de la fiction et ce qui est avéré et je pense que l’ambition de Patrice Nganang se situe dans cette invitation à creuser le sujet.

Je terminerai en disant que cet auteur n’est jamais aussi bon que lorsqu’il fait des romans où subrepticement il laisse exprimer son rire qui désamorce le dramatique. Ce texte est donc utile. A lire et à  faire lire.

 


Patrice NganangPatrice Nganang (1970 – ) est un écrivain camerounais. Docteur en littérature comparée (Johann Wolfgang Goethe University – Francfort) et professeur de littérature à la Stone Brook University de New York, son second roman Temps de chien a reçu le Prix Marguerite Yourcenar (2002) et le Grand Prix de Littérature de l'Afrique Noire (2003).

La saison des prunes est son cinquième roman.

Editions Philippe Rey, 445 pages, 1ère parution en avril 2013

www.philippe-rey.fr

A quoi servent les oppositions africaines?

progbagboLa question mérite d'être posée : à quoi servent les oppositions politiques en Afrique ? De manière plus générale, à quoi servent les opposants politiques dans un processus démocratique ? Les opposants ne devraient-ils pas empêcher ou minimiser la « dictature » de la majorité présidentielle en contre-balançant les pouvoirs et les points de vue politiques ? Certes, dans les pays africains, le manque de ressources allouées aux oppositions démocratiques ne leur permet pas de faire face aux projets politiques et autres prétentions du groupe majoritaire. Malgré cela, ont-elles même simplement essayé de jouer leur rôle, de ramer à contre-courant, mais dans le bon sens ? Dans la plupart des cas, les opposants politiques n’essaient même pas. Pourquoi ?

Les débats sur le déficit démocratique des pays africains épargnent souvent le rôle et la responsabilité des oppositions politiques. L’opposition corrompue du Cameroun est très fortement partie prenante des mandats perpétuels du Président Paul Biya qui ressemblent à une aventure ambiguë annihilant toute possibilité d’alternance politique. Cette opposition n’ouvre, bien évidemment, aucune perspective de changement, d’évolution politique d’une république se disant, pourtant, démocratique. Au Sénégal, l’obsolescence subite du Parti Démocratique Sénégalais (PDS) depuis l’élection de Macky Sall est honteuse et alarmante. Il y moins d’un an grand parti au pouvoir, elle se décompose et prend les allures d’une petite brigade politique de province.

Le cas du PDS témoigne d’une décadence voire d’une incapacité à se poser comme parti d’opposition digne et prometteur ; ne serait-ce que pour les prochaines cruciales échéances électorales, face à un parti au pouvoir adepte des alliances sur fond de clientélisme, de promesses politiciennes et de corruption des différentes tendances politiques composant la majorité. Fait-on face à des oppositions hyper-présidentialistes ? L’on peut répondre par l’affirmative, et aller plus loin en notant que la présence des éternels opposants qui n’ont plus d’idées enrichissantes pour l’évolution politique de leur formation pose un vrai problème de renouvellement des élites voire constitue même un frein dans un processus démocratique qualitatif. D’éternels chefs comme Abdoulaye Bathily ou Ousmane Tanor Dieng semblent faire de la politique un éternel métier. Une situation qui ne laisse, bien évidemment, aucune perspective aux jeunes qui ont souvent le choix entre hurler leur colère et voir indiquée la porte de sortie ou carrément se désintéresser de la gestion de la chose publique.

opposant-guinee-mUn renouvellement des leaders d’oppositions africains est donc une nécessité dans un continent dont la jeunesse est le premier potentiel économique pour plus de représentativité et plus de responsabilité des acteurs politiques. C’est également une façon de renouveler, varier et faire évoluer les idées et les compétences. Opposant historique ne rime pas forcement avec compétence politique. Un renouvellement des élites est, dès lors, plus que nécessaire, elle est obligatoire. Force est de reconnaître que dans bien des pays africains, les oppositions politiques se sont laissées corrompre, signe d’une démocratie instable et superficielle pouvant, d’un moment à l’autre, plonger les Etats dans une phase de désintégration partielle ou totale de leurs institutions. Benjamin Disraeli avait raison de soutenir que nul gouvernement ne peut être longtemps solide sans une redoutable opposition. Le cas malien n’est que la résultante d’un long processus de désintégration institutionnelle sous couvert d’une démocratie unanimiste et fictive. L'opposition n'a pourtant pas seulement un rôle de contestation, de destruction. Un opposant démocratique est un acteur de la vie politique, œuvrant pour plus de démocratie, plus de respect des engagements des dirigeants, plus de débat dans l'espace public. 

Pour plus démocratie, pour des représentants politiques plus responsables et soucieux de la cause publique, bref pour une politique plus noble et plus saine, nos opposants politiques doivent prendre conscience de leur mission. Il ne s’agit pas de tenir un éternel et redondant discours démagogique. Il ne s’agit pas non plus d’avoir à l’esprit une éternelle critique stérile encore moins une velléité de seulement détruire sans être une force de propositions. Il s’agit de contribuer à l’évolution des idées et des pratiques politiques. Il s’agit de prendre part à un projet collectif noble et humaniste dans un vrai processus démocratique. Une démocratie de façade fera long feu. Elle débouche sur une désintégration progressive des bases constitutionnelles et institutionnelles, sur une remise en cause de la structure étatique prélude à son effondrement. L’enjeu n’est pas une querelle de personnes mais d’œuvrer pour le bien public. Les forces d'opposition actuelles ont une très grande part de responsabilité dans l’immobilisme politique des Etats africains, quand elles ne précipitent pas leur effondrement.

 

Papa Modou Diouf

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