Challenge entrepreneurial au Congo : rencontre des lauréats à N+1

Le Réseau international des Congolais de l’extérieur (RICE) a organisé  à Brazzaville du 21 au 23 novembre 2014 le « Challenge entrepreneurial du bassin du Congo », une manifestation destinée à inciter les Congolais à entreprendre. Rose-Marie Bouboutou, journaliste aux Dépêches de Brazzaville, a souhaité envisager l’impact du concours sur les quatre entrepreneurs lauréats un an après. Un premier article publié dans la rubrique est revenu sur l’organisation d’un challenge entrepreneurial dans un pays classé parmi les derniers dans le rapport Doing Business de la Banque mondiale. Ici, nous partons à la rencontre des quatre lauréats, pour envisager leur développement depuis le Challenge.

A son échelle, le Challenge a permis de souligner que le Congo est prêt pour l’entrepreneuriat et qu’une fois les moyens de base donnés, les entrepreneurs congolais sont capables de changer rapidement d’échelle. Un format d’accompagnement à dupliquer ?

Véra Kempf, responsable de la Rubrique Entrepreneuriat

Le regard des organisateurs sur la réussite des lauréats

« Les subventions dédiées au paiement  des dotations ont été libérées plus tardivement que prévu. De ce fait, les primes n’ont été versées aux gagnants qu’en août 2014. Les sommes sont versées par tranche, selon un échéancier, en fonction de l’avancement du projet, par le trésorier de l’association, sur factures et devis afin de veiller à la bonne gestion des différents projets », explique Edwige-Laure Mombouli.

Malgré  le retard consécutif dans la mise en œuvre de leurs projets, l’expérience demeure positive pour les vainqueurs du challenge. « Les retours sont très positifs pour les candidats de Pointe-Noire qui font la transition vers le secteur formel. Ils se développent, ils gagnent des marchés, leur comptabilité se rationalise, leurs compte-rendu sont de plus en plus cadrés », défend Ambroise Loemba.

La plus grande réussite de l’équipe du RICE est Parfait Kissita. « De mon point de vue, il est le lauréat qui a le mieux saisi l’opportunité que représentait le Challenge entrepreneurial. Il a formalisé son entreprise, recruté un nouvel actionnaire, investi dans une nouvelle usine et des machines à outils, changé son outil commercial et publicitaire vers l’Angola et augmenté son chiffre d’affaires de plus de 100% depuis l’an dernier. Il a vraiment une attitude d’entrepreneur au sens où il a utilisé tout ce qui lui a été donné sous forme de prime pour augmenter son outil de travail », s’enthousiasme Frédéric Nze.

À l’autre extrémité, certains lauréats ont plus de mal dans leur apprentissage « à comprendre les réalités commerciales » ou bien « mélangent la formalisation avec les signes extérieurs montrant socialement le statut de patron ». Or, pour Frédéric Nze : « Toute somme qui rentre dans l’entreprise doit créer de la valeur. Embaucher du personnel non productif, avoir des engins coûteux sous utilisés ou des beaux bureaux est valorisant mais ce sont des poids morts dans le développement d’une entreprise. » Tout une initiation à la culture d’entreprise, avec l’idée que les lauréats d’aujourd’hui puissent devenir à leur tour les mentors des lauréats d’un prochain Challenge entrepreneurial.

A la rencontre des lauréats du RICE, leur introspection à N+1

Parfait-Anicet Kissita, dirigeant de Cuba Libre
Il a réussi le passage de l'informel au formel dans le secteur de la transformation des fruits et légumes locaux en jus de fruits, confitures, légumes marinés et épices moulues.


Les Dépêches de Brazzaville : Où en êtes-vous de votre projet ?
Il nous manquait des équipements, notamment des cuves pour pouvoir transformer tous types de fruits et légumes, un local répondant aux normes d’hygiène et un fond de roulement afin de travailler de façon continue. Aujourd’hui, c’est chose faite ! Nous pouvons envisager de passer au stade semi-industriel. Notre chiffre d’affaires a augmenté de 50% mais nous voudrions atteindre les 100% en produisant 200 casiers supplémentaires.

Qu’avez-vous retiré du Challenge ?

Cette initiative nous a "sortis de la boue". Au Congo, on a l’image que l’entrepreneuriat est une activité réservée aux "Blancs". Je me battais depuis de nombreuses années mais aujourd’hui mon entreprise se développe.

Est-ce que cela a changé votre image de l’entrepreneuriat au Congo ?

Je suis devenu comme une star. Cela me motive à prouver que le Challenge avait sa raison d’être.


Quels conseils donneriez-vous à d’autres porteurs de projets ?
C’est le secteur privé qui fait la richesse d’un pays. Il faut enlever de la tête le système socialiste qui prévalait avant 1992 dans lequel l’État prenait tout en charge. Il revient à chacun de se prendre courage pour que ses rêves se réalisent et que le chômage puisse diminuer.

Jean-Christian Diakanou-Matongo, dirigeant d'Apis Congo
Il a fait le passage de l'informel au formel dans la production de miel


Où en êtes vous avec votre projet ?
J’ai reçu le Prix du meilleur produit issu de l’économie informelle. La première tranche de la dotation m’a permis d’obtenir tous les papiers officiels nécessaires pour formaliser mon activité. J’ai pu acquérir une soixantaine de ruches. Ce qui s’est traduit par une hausse de la capacité de production. Nous attendons de percevoir la seconde tranche pour faire la logistique : améliorer les conditions d’hygiène de production, commander les emballages, aménager la mièlerie pour avoir un miel de qualité.

Qu’avez-vous retiré du Challenge ?
Beaucoup de choses ! Les contacts avec des Congolais de la diaspora qui ont réussi à créer des entreprises à l’étranger : échanger au téléphone ou par mail avec eux m’a permis de pouvoir me revêtir du costume de l’entrepreneur qui a la maîtrise de toute la chaîne de production. Le challenge a révélé au grand jour que le Congo a des gens compétents, porteurs de projets qui peuvent être réalisés avec succès.  Avant le challenge, cela faisait 15 ans que je cherchais des financements ! Grâce au Challenge, j’ai pu être connu et par exemple participer à la semaine agricole avec la Chambre de commerce Pointe-Noire.

Est-ce que cela a changé votre image de l’entreprenariat au Congo ?
Je ne me représentais pas ce que voulait dire notre mauvais classement au Doing business et  la notion d’environnement des affaires. Aujourd’hui je le vis : quand une banque prend un mois pour exécuter un virement, on ne peut pas entreprendre avec ce genre de problèmes ! Il y a de nombreux aspects à prendre en ligne de compte lorsque l’on passe dans le secteur formel : la qualité du produit pour assurer sa compétitivité, les questions d’hygiène, de santé, de sécurité, d’environnement…Il n’y a pas de contrôles quand on vend sur un marché populaire. De même, l’on n’est pas soumis à l’impôt, il n’y a pas de règlementation… le passage au formel soulève des problèmes que l’on n’avait pas au départ.

Quels conseils donneriez-vous à d’autres porteurs de projets ?
Grâce à l’expérience que j’ai vécue à travers le Challenge, je me suis rendu compte qu’il y a de nombreuses personnes qui ont de très bons projets au Congo. Mais pour leur concrétisation, il faut faire des efforts au quotidien. Dans mon cas, je dois préparer les documents nécessaires pour convaincre le RICE que l’argent va être utilisé dans l’avancement de l’entreprise. Je suis issu d’une famille d’enseignants et je sais ce qu’est la rigueur, mais c’est vraiment très dur !

Chris Mabiala, jeune ingénieur de la diaspora, co-créateur de la start-up de motorisation électrique de pousse-pousse, "Pousselec"

Où en êtes vous de votre projet ?
Nous venons de finaliser l’étape du prototype après avoir réalisé tous les tests en condition de production à Brazzaville : tests à charge, à vide, de freinage, de guidage. Aujourd’hui nous sommes à la recherche d’un investisseur qui puisse nous permettre d’industrialiser ce produit afin de le fabriquer en série. Cela nous permettrait de pouvoir créer des emplois.

Qu’avez-vous retiré du Challenge ?
C’est une bonne aventure et je suggèrerais d’organiser souvent ce genre d’initiative. Nous avons appris à réaliser nos rêves. Mais j’aurais préféré que l’intégralité des fonds de la dotation soit gérée directement par l’équipe afin de gagner en flexibilité.

Est-ce que cela a changé votre image de l’entrepreneuriat au Congo ?
En tant qu’ingénieur notre métier est d’avoir des idées. Mais nous n'imaginions pas tout ce que l’on peut avoir comme soucis dans la gestion d’une entreprise. La simple ouverture d’un compte bancaire par exemple nous a pris quatre mois, d'août à décembre, alors même que nous avions à nos côtés dans nos démarches un notaire !

Quels conseils donneriez-vous à d’autres porteurs de projets ?
Il est indispensable d’avoir un bon réseau au niveau local pour entreprendre et savoir où passer pour débloquer des situations. Il faut être disponible à 100% et présent sur le terrain car gérer un projet de loin n’est pas évident, surtout lorsqu’il faut concilier avec une occupation professionnelle à l’étranger en parallèle. Avec le décalage dans le versement des dotations tous les porteurs du projet ont désormais un emploi salarié et il nous faudrait un gérant sur place au Congo, une personne de confiance qui puisse nous représenter totalement.

Sandy Mbaya Mayetela, entrepreneur, directeur d'Africa Solaire


Où en êtes vous de votre projet ?
Nous allons lancer les travaux du local que nous avons choisi à Bacongo  afin d'accueillir l’unité de production ainsi que les premières commandes d’équipements.

Qu’avez-vous retiré du Challenge ?
Que des gens apprécient le projet et le financement, nous a rassuré sur la valeur de ce que nous entreprenons, cela donne envie d’aller de l’avant ! En Afrique il n’y a pas de catalyseur pour concrétiser un projet alors qu’il existe beaucoup de potentiel humain. Le Challenge RICE permet de donner la possibilité aux jeunes de croire en leurs rêves. Ce qui est vraiment génial avec le Challenge RICE, c’est que nous bénéficions d’un accompagnement à la concrétisation de notre projet. On nous donne une méthodologie, un cadre de travail.

Est-ce que cela a changé votre image de l’entrepreneuriat au Congo ?
Être entrepreneur au Congo, c’est un peu abstrait car tout le monde est plus ou moins entrepreneur. Mais remporter le challenge, fait de nous des entrepreneurs au vrai sens du terme, cela a été un plus.


Rose-Marie Bouboutou, article initialement paru dans les Dépêches de Brazzaville du 7 février 2015