Les femmes étaient particulièrement présentes au forum social mondial 2011 de Dakar. Présentes dans les différents stands d’associations ou de coopératives de femmes rurales, d’ONG de défense des droits des femmes. Présentes comme oratrices lors des différents débats, ou comme auditrices des conférences. Présentes surtout dans les discours, qui ont beaucoup tourné sur le rôle et la place des femmes dans nos sociétés, et notamment sur la question du féminisme en Afrique. Si le combat féministe est sans doute universel, les débats du FSM ont prouvé que ce mouvement revêt une coloration très particulière sur le continent africain.
Historiquement, pour sortir du carcan social et culturel extrêmement pesant dans lequel elles évoluaient, les femmes européennes ont choisi l’affirmation de leurs droits à la citoyenneté comme premier cheval de bataille (mouvement des suffragettes), avant de croiser le fer sur les questions liées à la famille (divorce, fin de la tutelle des époux sur leurs épouses), sur le contrôle de leur corps (droit à l’interruption volontaire de grossesse, libération sexuelle) et poursuivent toujours l’ambition d’une égalité réelle entre hommes et femmes, socialement, économiquement et politiquement.
En Afrique, le mouvement d’émancipation de la femme n’a pas suivi les mêmes étapes. Dès 1960, la quasi-totalité des Etats nouvellement indépendants ont établi le suffrage universel. Les femmes n’ont donc pas eu besoin de lutter pour leurs droits citoyens. Aujourd’hui, le Rwanda est l’un des pays au monde où les femmes sont les mieux représentées dans le personnel politique, devançant même les pays scandinaves sur cette question. Même si dans la plupart des pays africains les femmes demeurent sous-représentées, cette question n’est pas forcément au centre des problématiques qui les concernent.
Il ressort des différents débats tenus lors du FSM 2011 deux grands défis du féminisme africain : l’accès de la femme rurale à la terre d’une part et, d’autre part, la protection et la réhabilitation de la dignité de la femme dans les zones de guerre comme le Sud et le Nord Kivu (à l’Est de la République Démocratique du Congo) où elle est l’objet de crimes systématiques.
La question de l’accès à la terre de la femme rurale africaine a été traitée dans de très nombreux débats par différentes organisations et par des intervenantes de divers horizons africains. Il semble bien qu’il s’agisse là d’une problématique extrêmement répandue sur le continent. Les femmes rurales marocaines font ainsi face au même problème que les femmes rurales du Malawi. Au Maroc, ce problème s’est posé avec acuité lors du récent mouvement de privatisation des terres collectives. Ces terres sont des biens collectifs attribués à des tribus, au nom de la tribu, mais dont les membres ne disposent que du droit de jouissance et pas celui de propriété (12 millions d’hectares de terres collectives, 9 millions d’habitants y vivant, issus de 4500 tribus).
Pour encourager les investissements sur les terres irrigables, l’Etat marocain promeut la privatisation de ces terrains, qui sont indivisibles et dont un seul héritier hérite. Or, la vente de la terre est régie par un droit coutumier qui dure depuis le 14e siècle et qui exclut les femmes de l’accès à la propriété terrienne. Les femmes rurales des tribus ayant toujours vécu de leur travail dans les champs collectifs se voient donc dépossédées de leur source de revenu et non indemnisées. A 40 km de la capitale Rabat, les femmes de la tribu Hebdada se sont soulevées contre cette injustice et leur mouvement de protestation est en train de faire tâche d’huile.
Au Malawi, les femmes rurales ont les mêmes difficultés d’accès à la propriété foncière, l’héritage des terres devant revenir à un homme de la famille, cela fragilise la situation sociale des femmes et les place dans l’obligation de se marier où de se mettre sous la tutelle d’un homme pour pouvoir subvenir à leurs besoins. Or, les femmes travaillent autant si ce n’est plus à la mise en valeur des terres agricoles. D’un strict point de vue économique, le système actuel au Malawi est un frein au développement puisqu’il n’offre pas d’incitations à l’entrepreneuriat des femmes rurales.
Le second grand défi du féminisme africain tient à la protection et la réhabilitation de la dignité de la femme dans les zones de guerre. Il s’agit malheureusement d’un thème d’une grande actualité, puisque les médias ont reporté récemment des cas de viols systématiques en Côté d’Ivoire liés aux combats opposant partisans de Laurent Gbagbo et d’Alassane Ouattara. Mais c’est plus particulièrement dans les régions du Sud et du Nord Kivu que ce fléau a pris des proportions dramatiques.
Depuis 1990, la guerre du Congo aurait fait quelques 5 millions de morts et deux millions et demi de déplacés dans l’Est du Congo, ce qui en fait l’un des conflits les plus meurtriers de l’histoire de l’humanité. L’une des singularités des atrocités qui y sont commises est le recours systématique au viol des femmes civiles comme arme de guerre. Dans une allocution où il condamnait cette pratique, le secrétaire générale de l’ONU Ban-Ki Moon la définissait ainsi : « la violence sexuelle est profondément déshumanisante, provoque des traumatismes mentaux et physiques intenses et s’accompagne de la peur, de la honte et de la stigmatisation. C’est une méthode de torture bien établie. »
L’ONG Oxfam International a mené une étude approfondie sur le sujet. L’enquête évoque la stigmatisation dont sont victimes les femmes au sein de leur famille après un viol – beaucoup sont abandonnées par leur mari – et les difficultés pour avoir accès aux soins médicaux. Cette absence de prise en charge médicale peut avoir des conséquences dramatiques, notamment liées au Sida. Pour Susan Bartels, « la violence sexuelle se répand dans le quotidien des civils. Les nombreux viols commis au fil des années de guerre au Congo ont rendu ce crime plus acceptable. »
Afin de mettre fin à cette situation, l’ONG Marche Mondiale des Femmes[1] a organisé du 13 au 17 octobre 2010 une grande marche internationale à Mwenga, dans la province du Sud-Kivu, en mémoire de 13 femmes congolaises enterrées vivantes en 1999 dans cette localité lors des conflits armés.
Comme l’expliquait l’une des organisatrices de la marche présente au FSM de Dakar, le but était de faire sortir cette question du non-dit et du tabou social dans lequel elle était reléguée. « Une femme violée est une victime, elle ne doit pas être culpabilisée par la société dans laquelle elle vit. Elle doit faire valoir ses droits et ne pas être poussée à accepter passivement l’injustice qui lui a été faite. » Cette manifestation a permis de sensibiliser l’ensemble des acteurs de la société et de les pousser à réagir face à la situation ambiante. Ainsi, dans une autre localité du Sud Kivu, après l’enlèvement par une milice errante de femmes du village, les populations locales se sont mobilisées et ont obligé les autorités à négocier avec les miliciens pour exiger leur retour, qui a finalement eu lieu. Ce genre de mobilisation était impensable il y a encore peu.
Face à l'ampleur de la situation dramatique d’ensemble, il faudra encore beaucoup de mobilisation et d’efforts pour protéger et réhabiliter la dignité des femmes dans les zones de guerre africaines.
Emmanuel Leroueil
[1] : Fédération de 6000 groupes de 161 pays différents, initialement créée au Canada