Il faut réinventer les relations économiques France-Afrique

francafrique-cartesL’Afrique connaît une croissance économique sans précédent. Cette évolution a de nombreuses conséquences, et modifie profondément les besoins de partenariats des pays concernés. Avec le développement de la présence d’acteurs tels que la Chine, dont l'approche est beaucoup plus « business » que « diplomatique », cette situation peut présenter le risque d’une marginalisation de la France, à moins que nous mettions rapidement en place les moyens d'une relation économique rénovée. 

 

1. L’Afrique connaît  une croissance économique sans précédent

De 2000 à 2008 l’Afrique a connu un taux de croissance historique, avec près de 5 % en moyenne, soit trois fois plus que la France.

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Source : Banque Mondiale

Derrière cette tendance macroéconomique se cachent des évolutions qui remettent en cause de nombreuses idées reçues sur l’Afrique. Ainsi :

  • le Rwanda figure dans les premières places du classement « Doing Business » de la Banque Mondiale, qui évalue les efforts réalisés en faveur de la création d’entreprise. Bien loin de l'image laissée par le génocide, ce pays connaît actuellement une croissance record – plus de 11% pour 2013-2017 ;
  • suivant l’exemple de l’Inde, des pays comme le Maroc ont développé une industrie d’exportation de services notamment informatiques, créant des milliers d’emplois qualifiés et attirant des multinationales de premier plan ;
  • au Kenya, 23 % de la population utilise désormais un système de paiement par téléphone mobile par lequel transite l’équivalent de 11 % du produit intérieur brut de ce pays, et qui fait figure de modèle mondial ;
  • la croissance de l’Afrique sur les années récentes, loin d’être concentrée sur l’exportation de matières premières ou sur l’industrie de base, fait apparaître un fort développement des services hôteliers, financiers ou de communication.

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Source : Global Insight, African Development Bank, Arab Monetary Fund, McKinsey Global Institue

2. Ce décollage modifie profondément les modes de développement de ces pays

En conséquence, le développement économique de ces pays emprunte de nouvelles voies :

  • les investissements privés sur des projets rentables, qui représentaient des flux marginaux jusqu’au début des années 90, dépassent désormais très largement les flux de l’aide publique au développement ;
  • les besoins d’accompagnement des pays concernés évoluent : alors que l’accès au financement représentait le principal besoin il y a 20 ans, ce n’est plus le cas pour beaucoup de pays, courtisés notamment par des pays tels que la Chine (qui a annoncé fin 2009 un montant de prêts de 10 milliards d’euros à l’Afrique). Cette dernière qui engage avec ces pays des discussions d’égal à égal jugée par plusieurs de leurs interlocuteurs comme étant beaucoup plus « business » ;
  • les pays concernés ont des besoins d’accompagnement qui évoluent. En effet, le besoin d’accompagnement peut se rapprocher du type d’accompagnement utilisé par les pays plus développés – comme par exemple la refonte du système informatique de gestion des demandeurs d’emploi  En outre, un Etat souverain pourra difficilement confier un projet de refonte de sa stratégie économique à une agence d’un pays pouvant être l’un de ses concurrents. 

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Source : World Bank Development Indicators, McKinsey Global Institure

3. Cette situation offre des opportunités, sous réserve de nous y adapter

Cette situation est nouvelle, et probablement appelée à durer. Elle ne remet pas en cause l’intérêt des missions des agences de développement, qui restent  pertinentes et ont tissé des relations de qualité dans de nombreux pays. En revanche, cette situation fait apparaître un besoin croissant d’autres outils et d'une relation renovée entre la France et les pays d'Afrique, adaptés à l’accélération du développement d’une partie des pays concernés, davantage basée sur l'idée d'une croissance « endogène » :  ces pays ne nous attendent pas pour croître, mais ils cherchent des partenaires économiques sérieux

Pour ne donner que quelques exemples :

  • le développement économique d’une partie de ces pays, bien qu’élevé, est souvent encore insuffisant pour permettre la réduction du chômage, qui constitue l’une des causes premières des flux migratoires. Or des pays tels que le Maroc, le Kenya ou les Philippines ont créé des dizaines de milliers d’emplois en mettant en œuvre, d’une façon unilatérale, des programmes de développement économique qu'ils conçoivent seuls. La France pourrait contribuer à ces travaux – non dans une logique « d'aide au développement », car ces pays ne demandent pas d'aide – mais par le biais de réseaux d'experts ou d'initiatives telles que celles initiées pa l'Union pour la Méditerrannée ;
  • ces pays ont souvent besoin de compétences (informaticiens qualifiés, cadres expérimentés, dirigeants capable de prendre la tête d’une filiale de groupe étranger), et pourraient mobiliser davantage leurs expatriés, et amplifier les capacités de leurs systèmes de formation. Ainsi, certains pays d'Afrique ne produisent que quelques centaines d'ingénieurs par an, alors que la croissance de leur secteur pétrolier en demande des dizaines de milliers. Ainsi une agence de développement des talents[1], notamment chargée de faciliter l’attraction des talents ou le retour des talents expatriés, a-t-elle été créée à Singapour, et de tels projets sont actuellement en cours d’étude dans d’autre pays. Là encore, on pourrait imaginer un programme de basé sur l’identification précise des talents nécessaires au développement économique, et la mise en place des moyens permettant  de les attirer ; 
  • pour les travailleurs moins qualifiés, le marché du travail ou le système de formation et d’accompagnement des demandeurs d’emploi de ces pays fonctionne souvent d’une façon très imparfaite. Par exemple, alors que la France affiche un ratio d’un peu plus de 50 demandeurs d’emploi par agent de pôle emploi, et que le Royaume Uni présente un ratio deux fois moindre, on compte en Tunisie 400 demandeurs par agent de l’ANETI, ce qui exclut toute possibilité d’accompagnement ! A l’inverse l’Inde ou le Maroc ont créé des milliers d’emplois en mettant en place des formations « à la demande » ciblées pour garantir aux multinationales des emplois adaptés à leurs critères de sélection et assurer une réduction rapide du chômage. Pour soutenir la croissance, un effort particulier sur l'efficacité du secteur de la formation et de l'accompagnement des demandeurs d'emploi est nécessaire ; 
  • le développement économique français pourrait enfin bénéficier du décollage des pays d’Afrique, en développant les partenariats économiques, notamment avec les pays francophones.  Ce modèle, proche de celui réalisé par l’Allemagne avec les pays de l’Est, ou des Etats-Unis avec l’Inde.  Le succès de l'industrie logicielle américaine tient en partie à ce partenariat qui, en Inde, a créé un secteur informatique de plus d'un million d'emplois. La francophonie offre à la France un atout économique considérable, offert par le partage d'une même langue, malheureusement sous utilisé.

4. Pour une relation franco-africaine rénovée

Le partenariat entre la France et l'Afrique occupe une place croissante dans les discours et l'agenda médiatique. Dans les chiffres, cependant, ce partenariat n’a pas encore pris la dimension qu’elle mérite. Cette situation entraîne trois risques :

  • un risque économique, celui de priver progressivement la France d'un partenariat économique avec un continent avec lequel elle dispose pourtant d’une relation historique forte et d'un atout unique : une communauté linguistique sans équivalent dans le monde ;
  • un risque géostratégique, celui de laisser des pays tels que la Chine se positionner en « interlocuteurs business », et concentrer l’action de la France sur l’aide au développement « classique » ;
  • un risque politique, celui que, faute de montrer et de rappeler aux Français que l'Afrique est avant tout une promesse bien plus qu'une menace, les flux migratoires et le repli sur soi prennent dans le débat politique la place que devraient prendre le développement économique.

Or la relance de toute relation nécessite plusieurs préalables :

  • faire table rase d'une partie du passé. Il existe encore des mots ou des symboles du passé qui peuvent blesser. Il faut les exprimer afin de tourner définitivement la page ;
  • inscrire cette relation dans la durée. Comme tous les projets de long terme qui ont traversé les alternances (France 2025, Grand Emprunt,..) cette initiative doit être inscrite dans le durée : être transpartisane, s'appuyer sur des institutions fortes (il n'existe par en matière de relations France-Afrique l'équivalent de l'Union pour la Méditerranée) et des projets concrets ;
  • prendre conscience des opportunités futures, et de ce que les partenaires peuvent s'apporter dans une relation d'égal à égal. Paradoxalement, les études sur ce thème sont relativement rares. Alors que les tentations protectionnistes ou racistes s'expriment sans tabous, le potentiel de l'Afrique pour la France mériterait d'être davantage analysé, et porté dans le débat public ;
  • mettre en place dans la durée un dialogue de fond et de confiance. L'Afrique n'est pas un pays, c'est un continent – avec encore plus de variété qu'on peut en trouver entre un chypriote, un belge et un finlandais. Ses enjeux sont multiples, varient d'un pays à l'autre et au cours du temps. De même, les enjeux de la France dans le cadre de cette relation ne peuvent se limiter à une vision «autocentrée» (trouver des marchés supplémentaires pour ses entreprises) – ils doivent également être basé sur une écoute des besoins de nos partenaires, et porter sur les façons de renforcer la relation économique dans le long terme, et de contribuer à l'accélération de leur croissance.

Vincent Champain
Economiste et coprésident de l'Observatoire du Long Terme (http://longterme.org)

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[1]           La Workforce Development Agency

 

L’Afrique, la convoitée ?

afriqueL’Afrique est en plein essor économique ! Une croissance économique estimée en moyenne à 5%. Même bien loin de l’apothéose et des performances miracles de l’économique asiatique de ces dernières années, c’est une prouesse mondialement reconnue. Du coup, « l’Afrique est un continent d’avenir », se plaisent-ils à défendre. Un continent d’avenir qui suscite maintes convoitises.  

Longtemps, c’est la France-Afrique qui cristallisait les attentions. Bien que décriée cette France-Afrique, aucun politique français n’aura finalement réussi à marquer la rupture avec cette tradition aussi « vieille » que le monde contemporain. François Hollande, grand défenseur « oral » de la fin de la France-Afrique en a appris à ses dépens. Et le récent sommet de l’Elysée sur la paix et la sécurité en Afrique en est bien une illustration poignante. Au-delà des questions sécuritaires, il a été l’occasion pour la France, au détour d’un forum économique l’ayant précédé, de « quémander » une part considérable dans l’économie africaine. En effet, la France semble avoir perdu de grosses parts d’investissements sur le marché africain même dans ses anciennes colonies. Une situation, déjà trop catastrophique pour le pouvoir de Hollande, conscient que l’Afrique est le continent d’ « avenir ». Selon l’Elysée, le sommet aurait servi à élucider la question « comment travailler ensemble pour que la croissance du continent africain puisse être bénéfique à tous ? »  Un modèle franco-africain de croissance qui contribuera à sortir les Africains de la misère et de la pauvreté, la France et plus largement l’Europe à juguler sa crise économique.

Et si Hollande s’évertue à remettre de la France au cœur de l’Afrique économique, la faute est sans doute à ces nombreux pays qui, à chaque instant s’intéressent à l’Afrique. La Chine, en tête de peloton serait le maître d’ouvrage du renouveau africain. Avec un modèle de coopération ultra économique avec l’Afrique, la Chine s’impose dans toutes les sphères de l’économie africaine. Des échanges commerciaux estimés à plus 180 milliards de dollars en 2012, la construction et le don du siège de l’Union de l’Africaine à Addis-Abeba à plus de 200 millions de dollars, la construction de routes, d’écoles, d’hôpitaux, de stades, de raffineries de sucre, et une part importante dans le pétrole du continent, la Chine va au-delà d’une simple convoitise de l’Afrique. Et le dernier forum de coopération sino-africaine a été une nouvelle occasion pour les dirigeants de l’empire du milieu de donner la preuve de leur profond « amour » pour l’Afrique.

L’Afrique de demain, ils sont bien nombreux de pays à participer à son édification. Chacun y va de sa stratégie et de son modèle de coopération. Les émirs pétroliers du Golfe arabo-persique, usent d’une stratégie de bienfaisance et d’assistance humanitaire, qui fait déjà son effet. Le Fonds Koweitien d’investissement, la Banque Islamique d’Investissement et de Commerce, la Fondation du Qatar, et dans une moindre mesure la Turquie réussissent tant bien que mal à s’imposer dans nombre de secteurs porteurs pour l’économie africaine dont notamment l’agriculture et le pétrole.

Au nom de la coopération Sud-Sud, l’Inde, le Brésil et même l’Afrique du sud veulent sortir de l’ombre de grandes puissances économiques sur le continent. S’il existe un modèle de coopération Indafrique bien connu basé sur la migration massive des indiens sur le continent pour des investissements d’affaires dans le secteur minier en Afrique du Sud, sylvicole, agricole et dans l’exportation des produits cosmétiques sur le reste du continent, l’Afrique du Sud, le Brésil, la Russie et les autres repensent sans doute les leurs. Dans le magazine African Business en 2011, le premier ministre indien Manmohan Singh, déclarait lors d’un forum Afrique-Inde au siège de l’Union Africaine « Ce sommet est une occasion pour les deux partenaires de renforcer leur coopération dans divers secteurs allant de l’agriculture à la télémédecine en passant par les infrastructures, la formation et le transfert des technologies, ainsi que la sécurité alimentaire et le partage des informations. » Aussi, insistera-t-il que « l’Inde et l’Afrique ont la particularité de disposer d’immenses ressources humaines et naturelles. Notre principe est de ne pas imposer nos valeurs aux pays africains ».

L’avenir du monde se joue-t-il autant en Afrique ?

Avec la récente tournée du premier ministre japonais Shinzo Abe en Afrique, l’annonce faite par l’administration Obama d’organiser à la Maison Blanche en Août prochain un sommet Etats-Unis-Afrique, précédé d’une rencontre avec les jeunes leaders du continent dans le cadre du Young African Leadership Programme (YALI), l’Afrique, bien qu’il reste beaucoup à faire pour tenir ce rang du poumon de l’économie mondiale de demain, est sans équivoque le centre des grandes convoitises mondiales. Des convoitises qui se jouent autour de son fort potentiel en matières premières, le grand marché d’écoulement de produits manufacturés qu’elle représente pour le futur, la jeunesse de sa population qui servira de main d’œuvre « bon marché » pour les grosses firmes industrielles ancrées dans la délocalisation et la co-localisation.

Des convoitises qui peuvent bien donner lieu à des conflits entre ces grandes puissances. La Chine a-t-elle vu d’un bon œil la visite sur le continent du premier ministre nippon Shizo Abe, qui comme une provocation s’est achevée en Ethiopie ? L’Ethiopie considérée comme la base arrière de la Chine sur le continent. Une chose est certaine, le Japon, « pays du soleil levant » veut se défaire de sa tunique d’éternel donateur pour se muer en un véritable partenaire commercial de l’Afrique.

Et que dira la France de la nouvelle formule d’Obama ? Barak Obama, lui qui depuis sa prise de pouvoir en 2008 s’est montré peu regardant sur l’Afrique. Néanmoins, il ne faut pas oublier qu’il existe depuis des années des facilités d’échanges commerciaux que les Etats-Unis accordent à certains pays africains pour l’exportation sur le sol américain de certains produits.

De la convoitise extrême d’un continent, l’Afrique, à une guerre plus que géostratégique entre les grandes puissances, nous y sommes presque !

De-Rocher Chembessi