Peut-on parler d’émergence d’une classe moyenne en Afrique ?

185298136La dynamique économique actuelle de l’Afrique entraine des transformations de sa structure sociale avec l’émergence d’une classe moyenne qui devrait accompagner le processus de développement du continent. L’émergence de cette classe pourra engendrer une hausse significative et diversifiée de la demande, le développement du secteur financier, l’urbanisation et une demande plus forte d’institutions démocratiques. Cependant, sur la base des données disponibles, notre analyse indique que cette classe ne porte pas encore les propriétés qui feraient d’elle l’un des moteurs du développement de l’Afrique.

Néanmoins, elle est actuellement composée de personnes dont les besoins de consommation ne cessent de croître et de se diversifier. C’est certainement cette dynamique qui va lui permettre de se muter en une véritable classe moyenne capable de contribuer  pleinement au développement de l’Afrique. Lisez l’intégralité de cette Note d’Analyse.

L’Afrique, la convoitée ?

afriqueL’Afrique est en plein essor économique ! Une croissance économique estimée en moyenne à 5%. Même bien loin de l’apothéose et des performances miracles de l’économique asiatique de ces dernières années, c’est une prouesse mondialement reconnue. Du coup, « l’Afrique est un continent d’avenir », se plaisent-ils à défendre. Un continent d’avenir qui suscite maintes convoitises.  

Longtemps, c’est la France-Afrique qui cristallisait les attentions. Bien que décriée cette France-Afrique, aucun politique français n’aura finalement réussi à marquer la rupture avec cette tradition aussi « vieille » que le monde contemporain. François Hollande, grand défenseur « oral » de la fin de la France-Afrique en a appris à ses dépens. Et le récent sommet de l’Elysée sur la paix et la sécurité en Afrique en est bien une illustration poignante. Au-delà des questions sécuritaires, il a été l’occasion pour la France, au détour d’un forum économique l’ayant précédé, de « quémander » une part considérable dans l’économie africaine. En effet, la France semble avoir perdu de grosses parts d’investissements sur le marché africain même dans ses anciennes colonies. Une situation, déjà trop catastrophique pour le pouvoir de Hollande, conscient que l’Afrique est le continent d’ « avenir ». Selon l’Elysée, le sommet aurait servi à élucider la question « comment travailler ensemble pour que la croissance du continent africain puisse être bénéfique à tous ? »  Un modèle franco-africain de croissance qui contribuera à sortir les Africains de la misère et de la pauvreté, la France et plus largement l’Europe à juguler sa crise économique.

Et si Hollande s’évertue à remettre de la France au cœur de l’Afrique économique, la faute est sans doute à ces nombreux pays qui, à chaque instant s’intéressent à l’Afrique. La Chine, en tête de peloton serait le maître d’ouvrage du renouveau africain. Avec un modèle de coopération ultra économique avec l’Afrique, la Chine s’impose dans toutes les sphères de l’économie africaine. Des échanges commerciaux estimés à plus 180 milliards de dollars en 2012, la construction et le don du siège de l’Union de l’Africaine à Addis-Abeba à plus de 200 millions de dollars, la construction de routes, d’écoles, d’hôpitaux, de stades, de raffineries de sucre, et une part importante dans le pétrole du continent, la Chine va au-delà d’une simple convoitise de l’Afrique. Et le dernier forum de coopération sino-africaine a été une nouvelle occasion pour les dirigeants de l’empire du milieu de donner la preuve de leur profond « amour » pour l’Afrique.

L’Afrique de demain, ils sont bien nombreux de pays à participer à son édification. Chacun y va de sa stratégie et de son modèle de coopération. Les émirs pétroliers du Golfe arabo-persique, usent d’une stratégie de bienfaisance et d’assistance humanitaire, qui fait déjà son effet. Le Fonds Koweitien d’investissement, la Banque Islamique d’Investissement et de Commerce, la Fondation du Qatar, et dans une moindre mesure la Turquie réussissent tant bien que mal à s’imposer dans nombre de secteurs porteurs pour l’économie africaine dont notamment l’agriculture et le pétrole.

Au nom de la coopération Sud-Sud, l’Inde, le Brésil et même l’Afrique du sud veulent sortir de l’ombre de grandes puissances économiques sur le continent. S’il existe un modèle de coopération Indafrique bien connu basé sur la migration massive des indiens sur le continent pour des investissements d’affaires dans le secteur minier en Afrique du Sud, sylvicole, agricole et dans l’exportation des produits cosmétiques sur le reste du continent, l’Afrique du Sud, le Brésil, la Russie et les autres repensent sans doute les leurs. Dans le magazine African Business en 2011, le premier ministre indien Manmohan Singh, déclarait lors d’un forum Afrique-Inde au siège de l’Union Africaine « Ce sommet est une occasion pour les deux partenaires de renforcer leur coopération dans divers secteurs allant de l’agriculture à la télémédecine en passant par les infrastructures, la formation et le transfert des technologies, ainsi que la sécurité alimentaire et le partage des informations. » Aussi, insistera-t-il que « l’Inde et l’Afrique ont la particularité de disposer d’immenses ressources humaines et naturelles. Notre principe est de ne pas imposer nos valeurs aux pays africains ».

L’avenir du monde se joue-t-il autant en Afrique ?

Avec la récente tournée du premier ministre japonais Shinzo Abe en Afrique, l’annonce faite par l’administration Obama d’organiser à la Maison Blanche en Août prochain un sommet Etats-Unis-Afrique, précédé d’une rencontre avec les jeunes leaders du continent dans le cadre du Young African Leadership Programme (YALI), l’Afrique, bien qu’il reste beaucoup à faire pour tenir ce rang du poumon de l’économie mondiale de demain, est sans équivoque le centre des grandes convoitises mondiales. Des convoitises qui se jouent autour de son fort potentiel en matières premières, le grand marché d’écoulement de produits manufacturés qu’elle représente pour le futur, la jeunesse de sa population qui servira de main d’œuvre « bon marché » pour les grosses firmes industrielles ancrées dans la délocalisation et la co-localisation.

Des convoitises qui peuvent bien donner lieu à des conflits entre ces grandes puissances. La Chine a-t-elle vu d’un bon œil la visite sur le continent du premier ministre nippon Shizo Abe, qui comme une provocation s’est achevée en Ethiopie ? L’Ethiopie considérée comme la base arrière de la Chine sur le continent. Une chose est certaine, le Japon, « pays du soleil levant » veut se défaire de sa tunique d’éternel donateur pour se muer en un véritable partenaire commercial de l’Afrique.

Et que dira la France de la nouvelle formule d’Obama ? Barak Obama, lui qui depuis sa prise de pouvoir en 2008 s’est montré peu regardant sur l’Afrique. Néanmoins, il ne faut pas oublier qu’il existe depuis des années des facilités d’échanges commerciaux que les Etats-Unis accordent à certains pays africains pour l’exportation sur le sol américain de certains produits.

De la convoitise extrême d’un continent, l’Afrique, à une guerre plus que géostratégique entre les grandes puissances, nous y sommes presque !

De-Rocher Chembessi

“Le Commerce interafricain et ses piliers: relais de croissance face à la crise économique mondiale”

Le Club Diallo Telli et Dauphine Alumni Afrique ont organisé le 28 septembre dernier à l’université Paris Dauphine, en partenariat avec Terangaweb-L’Afrique des Idées, un colloque sur le thème : « Le Commerce Interafricain et ses piliers : Relais de Croissance face à la crise économique mondiale ». Le but de cet événement a été de sensibiliser le grand public aux défis du commerce interafricain et de présenter des propositions pour son renforcement. Plusieurs sous-thèmes ont été abordés au cours des quatre tables rondes qui ont ponctué le colloque et qui ont enregistré la participation de plus de 150 personnes.

infrastructure« Infrastructure et superstructure, prérequis indispensables au développement des échanges »

Ayant pour thème « Infrastructure et superstructure, prérequis indispensables au développement des échanges », la première table ronde a vu la participation de trois intervenants: Laurance Daziano, Maître de conférences en économie à Sciences Po Paris spécialisée sur l’Afrique, Pascal Agboyigor, Avocat spécialisée sur l’énergie et l’infrastructure et Paul-Harry Aithnard, Directeur de Recherche et Gestion d’Actif au sein du groupe Ecobank.

Laurance Daziano a souligné l’importance du manque des infrastructures urbaines et énergétiques de même que celui des infrastructures de l’extraction des matières premières en Afrique. Elle a mis notamment l’accent sur le rôle des partenariats public-privé dans l’investissement des infrastructures et sur le rôle croissant des entreprises chinoises dans le financement des infrastructures, par exemple en Mozambique.

Pascal Agboyigor a axé son intervention sur la nécessité d’une superstructure afin de coordonner et organiser le financement des infrastructures. Il a affirmé que l’un des défis les plus importants pour le gouvernement concerné était l’adaptation des règles de concurrence pour pouvoir permettre l’émergence d’acteurs locaux et régionaux.

Paul-Harry Aithnard a quant à lui expliqué les raisons pour lesquelles le déficit d’infrastructures constitue un handicap pour le développement de l’Afrique, davantage que le déficit observé en matière d’éducation et de santé. Il a en effet souligné son effet dévastateur sur l’économie : inégalités sociales, baisse de la rentabilité, faible productivité. Il a ainsi rappelé que selon les estimations de la Banque Mondiale, entre 6% et 20% de la perte de chiffres d’affaires des entreprises africaines était liée au manque d’infrastructures. Dans ce sillage Paul-Harry Aithnard a ajouté que les infrastructures ont un effet multiplicateur sur l’économie, notamment en termes de développement de l’industrie extractive, des PME, de l’emploi et du commerce interafricain. Il a enfin mis l’accent sur le transport et l’énergie comme les deux pôles d’infrastructures les plus importants.

« Eriger l’intégration régionale au rang de catalyseur des échanges : quels leviers ? »

La deuxième table ronde a porté sur cette question « Eriger l’intégration régionale au rang de catalyseur des échanges : quels leviers ? ». Elle a vu la participation de Bakary Traoré, Economiste au sein du centre de développement de l’OCDE, Sidy Diop, Economiste au sein du cabinet de conseil Microeconomix, Jean-Jacques Lecat, Avocat associé chez Francis Lefebvre et Président de la Commission juridique et fiscal du CIAN[1] et Abdoulaye Tine, Docteur en droit et avocat.

Bakary Traoré est d’abord revenu sur la forte croissance africaine au cours des 10 dernières années, avec un taux de croissance des dix premières économies africaines proche de celui de la Chine. Il a cependant souligné que les échanges interafricains, de l’ordre de 10%, étaient plus faibles que le commerce entre la Chine et l’Afrique (13% en 2011).

Sidy Diop a évoqué l’importance de l’impact des échanges non seulement sur la croissance économique mais aussi sur la pauvreté. Le véritable enjeu résiderait donc, non pas sur l’impact du commerce sur la croissance nominale, mais plutôt sur le développement humain et l’amélioration des conditions de vie des populations du continent. Il a enfin souligné l’importance du prix dans l’accessibilité aux infrastructures par les entreprises qui engendre une faible concurrence.

Jean-Jacques Lecat a présenté brièvement les unions économiques et douanières ainsi que les traités juridiques en Afrique mis en place pour l’harmonisation des règles juridiques et l’intégration régionale. Il a attiré l’attention du public sur le grand nombre de ces organisations, on en dénombre 26, et sur les chevauchements qui existent entre elles et qui sont susceptibles d’en altérer l’efficacité. Le nouvel accord de libre-échange tripartite COMESA-SADC-EAC a été présenté comme une nouvelle piste pour redonner un nouveau souffle à l’intégration régionale en Afrique. Quant à Abdoulaye Tine, il est revenu sur les entraves qui existent sur le terrain à l’harmonisation effective du droit, en dépit d’initiatives salutaires comme l’OHADA (Organisation pour l’harmonisation en Afrique du Droit des Affaires).

« Promouvoir le développement des PME africaines, colonne vertébrale des économies africaines : enjeux et perspectives »

Deux intervenants ont pris part à la 3ème table ronde : Laureen Kouassi-Olson, Directrice d’investissement chez Amethis France et Abderhamane Baby, Directeur administratif et juridique du Groupe Azalai Hotels.

Laureen Kouassi-Olson a d’abord rappelé que les PME représentent 90% du secteur privé en Afrique, avant de mettre en lumière leurs difficultés d’accès au financement, en particulier pour les plus petites entreprises. Elle a insisté sur l’importance des PME dans une croissance économique durable et inclusive. Cette place reste cependant tributaire de l’existence d’un tissu de banques locales prêtes à les financer. Quant à Abderhamane Baby, il est revenu sur l’expérience du Groupe Azalai Hotels, présents dans plusieurs pays africains et de façon plus générale sur les nouvelles tendances qui amènent les banques à s’intéresser de plus en plus aux PME.

« Croissance du commerce interafricain : opportunité pour l’intégration de la jeunesse dans le marché du travail ? »

La dernière table ronde avait pour particularité de donner la parole à la jeunesse, en l’occurrence à Laetitia Sagno, Chargée de Mission Afrique au CEPS[2], Quentin Rukingama, Président du Club Diallo Telli et Georges-Vivien Houngbonon, Economiste en chef du think-tank Terangaweb- l’Afrique des Idées.

Si la croissance du commerce interafricain constitue une opportunité pour l’intégration de la jeunesse dans le marché du travail, Laetitia Sagno a cependant mentionné deux conditions nécessaires : une formation adaptée aux besoins locaux et des politiques favorisant l’initiative privée chez les jeunes. Elle a regretté que cette culture de l’entreprenariat se manifeste davantage dans l’Afrique anglophone que dans l’Afrique francophone. Après avoir partagé ses expériences de terrain concernant des pays comme le Kenyan et le Mozambique, Quentin Rukingama a mis l’accent sur l’importance de la formation technique non seulement dans le domaine de l’industrie mais aussi du management. Quant à Georges-Vivien Houngbonon, il a présenté des études statistiques laissant transparaitre une relation légèrement négative entre le degré d’intégration d’un pays dans le commerce interafricain et son taux de chômage. Autrement dit, les pays les plus intégrés dans le commerce interafricain sont ceux qui ont les taux de chômage relativement les moins élevés, à l’instar du Sénégal et du Bénin.

Le Club Diallo Telli a prévu de consigner l’ensemble des échanges qui ont eu lieu lors ce colloque dans un Livre Blanc qui sera publié dans les prochains mois.

 

Ecem Okan


[1] Conseil Français des Investisseurs en Afrique

[2] Centre d’Etude et de Prospective Stratégique