Dakar et ses discours…

Senghor, le pape Jean Paul II, De Gaulle, Malraux, Kadhafi, Sarkozy…Avant le discours de la Secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton le 2 août dernier à Dakar, la capitale sénégalaise a vu, accueilli et écouté, au cours du demi siècle écoulé, nombre de personnalités qui par les paroles et les actes ont livré des visions différentes du continent en rapport avec sa culture, son histoire, son développement, son avenir…

1958 : De Gaulle et l’indépendance

« Je veux dire un mot d'abord aux porteurs de pancartes. Voici ce mot : s'ils veulent l'indépendance à leur façon, qu'ils la prennent (…) Mais s'ils ne la prennent pas, alors, qu'ils fassent ce que la France leur propose : la communauté franco-africaine ». Charles de Gaulle, en campagne dans les colonies françaises d’Afrique noire pour les convaincre de ne pas aller dans le sens d’une indépendance totale vis-à-vis de la France, s’exprimait ainsi avec un brin d’énervement devant l’accueil réservé par les dakarois. Ayant effectué les étapes précédentes, ivoirienne et congolaise notamment, sans la moindre anicroche, il est surpris par cette foule constituée majoritairement de jeunes qui, à travers des pancartes portées fièrement, exigent une accession immédiate à l’indépendance. Le général tout à son énervement, les met au défi de la prendre. C’est un tournant dans ce périple qui s’annonçait sous les meilleurs auspices. A l’étape suivante, celle de la Guinée, il est accueilli contrairement à Senghor et Mamadou Dia absents à Dakar, par Sékou Touré lui-même qui a décidé de le prendre au mot en lui annonçant que l’indépendance, la Guinée avait décidé de la prendre. Les autres pays suivront un à un pour ce qui sonnera la fin de l’idée de communauté si chère à De Gaulle.

1966 : Malraux et l’art africain

 « Nous voici donc dans l'histoire. Pour la première fois, un chef d'État prend en ses mains périssables le destin spirituel d'un continent. Jamais il n'était arrivé, ni en Europe, ni en Asie, ni en Amérique, qu'un chef d'État dise de l'avenir de l'esprit : nous allons, ensemble, tenter de le fixer ». André Malraux parlait en ces termes de son ami le président Léopold Sédar Senghor  qui avait décidé d’organiser le premier festival mondial des arts nègres dans le dessein de montrer à la face du monde l’apport de la culture africaine au patrimoine de l’humanité. L’écrivain et homme politique français y parla de danse, de musique et de sculpture, le plus grand des arts africains selon lui, avant une réflexion poussée sur la culture, la diversité des connaissances, les émotions, la liberté et les transformations sociales. Il termina par un constat suivi d’une prière très actuelle : « l'Afrique est assez forte pour créer son propre domaine culturel, celui du présent et du passé, à la seule condition qu'elle ose le tenter (…) Puisse l’Afrique conquérir sa liberté »

1980 : Senghor et le pouvoir

 « Sénégalaises, sénégalais(…) je suis venu vous présenter mes vœux et vous faire mes adieux ». Le discours à la nation du président Senghor  du 31 Décembre 1980 a été incontestablement un moment charnière dans l’histoire politique et l’histoire tout court du Sénégal. Il fut aussi à n’en pas douter un grand moment à l’échelle du continent. En effet, dans une Afrique de partis uniques, de leaders s’éternisant au pouvoir et de coups d’Etat, un président décide de s’en aller de son plein gré pour passer le témoin à une génération plus jeune. Bien sûr, il y a beaucoup à redire sur le mode de transmission du pouvoir à Abdou Diouf par le biais de l’article 35 de la constitution sénégalaise, mais il n’en demeure pas moins que par cet acte Senghor créait un heureux précédent et administrait une leçon à beaucoup de ses pairs qui s’accrochaient à leur fauteuil souvent malgré une impopularité grandissante et un bilan économique calamiteux.

1992 : Jean Paul II et la traite des noirs

 Après avoir visité la maison des esclaves de l’île de Gorée, lieu chargé d’histoire, le Pape Jean Paul II s’exprimait en ces termes : « je vous fais part de ma vive émotion, de l’émotion que l’on éprouve dans un lieu comme celui-ci, profondément marqué par les incohérences du cœur humain, théâtre d’un éternel combat entre la lumière et les ténèbres, entre le bien et le mal, entre la grâce et le péché. Gorée, symbole de la venue de l’Évangile de liberté, est aussi, hélas, le symbole de l’effroyable égarement de ceux qui ont réduit en esclavage des frères et des sœurs auxquels était destiné l’Évangile de liberté ». Il continuait son discours : « Pendant toute une période de l’histoire du continent africain, des hommes, des femmes et des enfants noirs ont été amenés sur ce sol étroit, arrachés à leur terre, séparés de leurs proches, pour y être vendus comme des marchandises ». Avant d’ajouter : « Il convient que soit confessé en toute vérité et humilité ce péché de l’homme contre l’homme, ce péché de l’homme contre Dieu (… ) De ce sanctuaire africain de la douleur noire, nous implorons le pardon du ciel ».

Un moment historique et des paroles à méditer venant d’un ami de l’Afrique qui n’a cessé, sa vie durant, d’œuvrer pour la concorde et la solidarité entre les peuples.

2006 : Kadhafi et la présidence à vie

Le 4 avril 2006, soit un quart de siècle après le renoncement de Senghor au pouvoir, Mouammar Kadhafi invité d’honneur du président Wade à la célébration de l’indépendance du Sénégal déclarait ceci après le défilé : « Les sénégalais doivent élire le président Wade à vie », devant une assistance médusée et un Abdoulaye Wade ravi. Ironie de l’histoire, c’est ce même Abdoulaye Wade qui, cinq ans plus tard, escorté par des avions de chasse de l’armée française, se déplace jusqu’à Benghazi, fief de la rébellion anti-Kadhafi, pour demander au Guide de la Jamahiriya « les yeux dans les yeux » de partir. Quelques mois après la chute violente de ce dernier, il quittera lui aussi du pouvoir, mais par les urnes. Comme quoi la présidence à vie est plus facile à théoriser qu’à réaliser.

2007 : Sarkozy et l’homme africain

« Le drame de l’Afrique c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire », la phrase choc de quarante minutes de discours au cours desquels Sarkozy a fait la leçon aux gouvernants africains, parfois à raison, s’est perdu dans des conjectures sur l’histoire du continent et n’a pas une seule fois cité son ‘’hôte’’ Cheikh Anta Diop dont l’université qui abrite ce grand moment d’incompréhension historique porte le nom. Attitude somme toute compréhensible car un bref coup d’œil sur l’œuvre de l’auteur de Nations nègres et culture est suffisant pour battre en brèche toute cette théorie adossée aux thèses Voltairiennes et Hégéliennes considérant le nègre, l’africain noir comme un sous homme. Thèses nourrissant une histoire africaine falsifiée, contre lesquelles Cheikh Anta Diop s’est battu sa vie durant.

Beaucoup d’intellectuels africains ont par la suite écrit pour tenter de remettre les choses à l’endroit. Henry Guaino quant à lui, désigné comme étant le rédacteur de ce qui est communément appelé : le discours de Dakar, affirmait récemment sur la chaîne France 24 que l’histoire était sujette à interprétation et que chacun décide arbitrairement de considérer l’interprétation qu’il juge convaincante. Tout est dit.

2012 : Hillary Clinton et le développement

Après avoir rendu hommage à la démocratie sénégalaise considérée par les Etats Unis, selon elle, comme un modèle en Afrique, Hillary Clinton a axé son speech sur le développement. Résumant son propos, elle déclarera que l’Afrique : « a besoin de partenariats et non de parrainages ». Le constat est qu’entre la communauté de De Gaulle et les concepts de partenariat ou de parrainage utilisés par Clinton il n’y a pas une grande différence. Pourtant plus de cinquante ans et beaucoup de choses se sont passées entre les deux discours  mais l’Afrique en est encore à se faire dire comment gérer son présent et aborder son avenir par d’autres qui, désignés par le nom de partenaires ou celui de parrains, gèrent d’abord et surtout leurs propres intérêts.  

Prendre l’indépendance, pour paraphraser De Gaulle, c’est surtout refuser de se faire dicter sa conduite même amicalement et tracer sa propre voie en toute responsabilité.

 

Racine DEMBA