Un [autre] discours de Dakar

image tw6Le 26 juillet 2007, à l’université de Dakar, j’écoutais, incrédule, Nicolas Sarkozy débitant des propos insultants sur l’Afrique. Le 27 avril 2013, il s’agissait, au même endroit, dans le même bâtiment, de déclamer un autre discours de Dakar, adressé à la jeunesse africaine. Cette fois, il porte le crédo de l’afro-responsabilité. Qui mieux que des fils du Continent pouvaient disserter sur l’avenir de l’Afrique, identifier ses défis dans un monde en perpétuel mouvement et prôner des solutions concrètes, durables et inclusives ? C’est le pari réussi par le Bureau dakarois de Terangaweb – L’Afrique des Idées, lors de la journée de lancement de ses activités sur le Continent.

Au-delà du faux-dilemme éternelle lamentation/volonté farouche de prendre le large, il convient de préciser une autre alternative pour la jeunesse africaine. Celle du choix de rester/retourner en Afrique et de porter haut le flambeau de la lutte pour l’émergence politique et sociale. C’est cela aussi la vocation de Terangaweb – L’Afrique des Idées. Loin du prototype du regroupement de « salonards »*, il était d’une impérieuse nécessité de s’installer aussi sur le Continent lorsqu’on se définit comme un cadre promouvant le débat d’idées sur l’Afrique.

Dès le départ, nous avons refusé la posture de l’intellectuel de la diaspora aux « mains propres » qui, de Paris, lance de temps en temps des salves de banalités sur la corruption, la mal gouvernance, les crises institutionnelles, en prenant bien soin de garder cette attitude moralisatrice et supérieure, savante et pédante .

Le mandat que nous avions ainsi reçu était de permettre la création d’un cadre d’échanges sur l’Afrique à Dakar, en vue de porter un message nouveau plein d’espoir sur l'Afrique mais pleinement lucide sur l’immensité des défis qui nous interpellent.

Ce cadre existe dorénavant! Ce samedi, à Dakar, nous avons vu la jeunesse africaine débattre, échanger, identifier des problèmes et décliner des solutions. Elle a assouvi le temps d’une journée, dans un pays où le débat politique ne cesse de décevoir, son profond désir d’être écouté et entendu.

Le paradoxe de l’Afrique, c’est d’être un continent jeune dans un monde qui vieillit, tout en refusant à sa jeunesse l’accès aux strates de décisions et d'influence. Il faut qu’en Afrique la jeunesse cesse d’être un péché, une maladie honteuse qui sera bien vite guérie, une promesse, mais pleinement un potentiel sur lequel doit impérativement reposer toute stratégie de développement.

Un autre Discours de Dakar a résonné ce week end dans les allées de l’UCAD portant deux messages fondamentaux sur l’identité de Terangaweb.

 Il s’agissait d’abord d’un appel à la réforme de nos Etats pour qu’enfin la puissance publique puisse jouer son rôle en répondant aux préoccupations des populations. Ensuite, la responsabilisation d’un nouveau leadership en Afrique qui devra prendre le relais de la génération de nos pères dont le bilan est tout sauf reluisant.

Hier, une jeunesse africaine du Sénégal est venue assister à la formalisation en Afrique d’un cadre neuf de réflexion et d’échanges dans le respect de nos différences et dans une ambition de responsabilité.

Tant pis si les politiciens ont préféré les bavardages des éternels thuriféraires de l’action présidentielle, plutôt que de venir échanger avec une jeunesse qui confrontée à un chômage endémique, se trouve parfois à épouser l’université comme moyen de repousser l’échéance de la sortie dans la vie active.

Quoi qu’il en soit, à Dakar, un discours sur la responsabilité et la prise de conscience sur les défis du Continent a été lancé à la jeunesse africaine. Il convient de le relayer suffisamment pour qu’ensemble nous contribuions à l’émergence politique et à la transformation sociale du Continent, à la circulation des idées sur l’Afrique, pour l’Afrique et dorénavant en Afrique.

Pour faire suivre les actes à ce discours de Dakar, jeunesses d’Afrique, n’hésitez plus, rejoignez-nous.

Hamidou Anne

Responsable du Bureau de Dakar

de Terangaweb – L’Afrique des Idées

* Salonards est une allusion aux Africains qui – par uniquement les mots –  font et refont l’Afrique dans les salons feutrés des beaux quartiers parisiens, sans aucun engagement politique ni associatif. 

Dakar et ses discours…

Senghor, le pape Jean Paul II, De Gaulle, Malraux, Kadhafi, Sarkozy…Avant le discours de la Secrétaire d’Etat américaine Hillary Clinton le 2 août dernier à Dakar, la capitale sénégalaise a vu, accueilli et écouté, au cours du demi siècle écoulé, nombre de personnalités qui par les paroles et les actes ont livré des visions différentes du continent en rapport avec sa culture, son histoire, son développement, son avenir…

1958 : De Gaulle et l’indépendance

« Je veux dire un mot d'abord aux porteurs de pancartes. Voici ce mot : s'ils veulent l'indépendance à leur façon, qu'ils la prennent (…) Mais s'ils ne la prennent pas, alors, qu'ils fassent ce que la France leur propose : la communauté franco-africaine ». Charles de Gaulle, en campagne dans les colonies françaises d’Afrique noire pour les convaincre de ne pas aller dans le sens d’une indépendance totale vis-à-vis de la France, s’exprimait ainsi avec un brin d’énervement devant l’accueil réservé par les dakarois. Ayant effectué les étapes précédentes, ivoirienne et congolaise notamment, sans la moindre anicroche, il est surpris par cette foule constituée majoritairement de jeunes qui, à travers des pancartes portées fièrement, exigent une accession immédiate à l’indépendance. Le général tout à son énervement, les met au défi de la prendre. C’est un tournant dans ce périple qui s’annonçait sous les meilleurs auspices. A l’étape suivante, celle de la Guinée, il est accueilli contrairement à Senghor et Mamadou Dia absents à Dakar, par Sékou Touré lui-même qui a décidé de le prendre au mot en lui annonçant que l’indépendance, la Guinée avait décidé de la prendre. Les autres pays suivront un à un pour ce qui sonnera la fin de l’idée de communauté si chère à De Gaulle.

1966 : Malraux et l’art africain

 « Nous voici donc dans l'histoire. Pour la première fois, un chef d'État prend en ses mains périssables le destin spirituel d'un continent. Jamais il n'était arrivé, ni en Europe, ni en Asie, ni en Amérique, qu'un chef d'État dise de l'avenir de l'esprit : nous allons, ensemble, tenter de le fixer ». André Malraux parlait en ces termes de son ami le président Léopold Sédar Senghor  qui avait décidé d’organiser le premier festival mondial des arts nègres dans le dessein de montrer à la face du monde l’apport de la culture africaine au patrimoine de l’humanité. L’écrivain et homme politique français y parla de danse, de musique et de sculpture, le plus grand des arts africains selon lui, avant une réflexion poussée sur la culture, la diversité des connaissances, les émotions, la liberté et les transformations sociales. Il termina par un constat suivi d’une prière très actuelle : « l'Afrique est assez forte pour créer son propre domaine culturel, celui du présent et du passé, à la seule condition qu'elle ose le tenter (…) Puisse l’Afrique conquérir sa liberté »

1980 : Senghor et le pouvoir

 « Sénégalaises, sénégalais(…) je suis venu vous présenter mes vœux et vous faire mes adieux ». Le discours à la nation du président Senghor  du 31 Décembre 1980 a été incontestablement un moment charnière dans l’histoire politique et l’histoire tout court du Sénégal. Il fut aussi à n’en pas douter un grand moment à l’échelle du continent. En effet, dans une Afrique de partis uniques, de leaders s’éternisant au pouvoir et de coups d’Etat, un président décide de s’en aller de son plein gré pour passer le témoin à une génération plus jeune. Bien sûr, il y a beaucoup à redire sur le mode de transmission du pouvoir à Abdou Diouf par le biais de l’article 35 de la constitution sénégalaise, mais il n’en demeure pas moins que par cet acte Senghor créait un heureux précédent et administrait une leçon à beaucoup de ses pairs qui s’accrochaient à leur fauteuil souvent malgré une impopularité grandissante et un bilan économique calamiteux.

1992 : Jean Paul II et la traite des noirs

 Après avoir visité la maison des esclaves de l’île de Gorée, lieu chargé d’histoire, le Pape Jean Paul II s’exprimait en ces termes : « je vous fais part de ma vive émotion, de l’émotion que l’on éprouve dans un lieu comme celui-ci, profondément marqué par les incohérences du cœur humain, théâtre d’un éternel combat entre la lumière et les ténèbres, entre le bien et le mal, entre la grâce et le péché. Gorée, symbole de la venue de l’Évangile de liberté, est aussi, hélas, le symbole de l’effroyable égarement de ceux qui ont réduit en esclavage des frères et des sœurs auxquels était destiné l’Évangile de liberté ». Il continuait son discours : « Pendant toute une période de l’histoire du continent africain, des hommes, des femmes et des enfants noirs ont été amenés sur ce sol étroit, arrachés à leur terre, séparés de leurs proches, pour y être vendus comme des marchandises ». Avant d’ajouter : « Il convient que soit confessé en toute vérité et humilité ce péché de l’homme contre l’homme, ce péché de l’homme contre Dieu (… ) De ce sanctuaire africain de la douleur noire, nous implorons le pardon du ciel ».

Un moment historique et des paroles à méditer venant d’un ami de l’Afrique qui n’a cessé, sa vie durant, d’œuvrer pour la concorde et la solidarité entre les peuples.

2006 : Kadhafi et la présidence à vie

Le 4 avril 2006, soit un quart de siècle après le renoncement de Senghor au pouvoir, Mouammar Kadhafi invité d’honneur du président Wade à la célébration de l’indépendance du Sénégal déclarait ceci après le défilé : « Les sénégalais doivent élire le président Wade à vie », devant une assistance médusée et un Abdoulaye Wade ravi. Ironie de l’histoire, c’est ce même Abdoulaye Wade qui, cinq ans plus tard, escorté par des avions de chasse de l’armée française, se déplace jusqu’à Benghazi, fief de la rébellion anti-Kadhafi, pour demander au Guide de la Jamahiriya « les yeux dans les yeux » de partir. Quelques mois après la chute violente de ce dernier, il quittera lui aussi du pouvoir, mais par les urnes. Comme quoi la présidence à vie est plus facile à théoriser qu’à réaliser.

2007 : Sarkozy et l’homme africain

« Le drame de l’Afrique c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire », la phrase choc de quarante minutes de discours au cours desquels Sarkozy a fait la leçon aux gouvernants africains, parfois à raison, s’est perdu dans des conjectures sur l’histoire du continent et n’a pas une seule fois cité son ‘’hôte’’ Cheikh Anta Diop dont l’université qui abrite ce grand moment d’incompréhension historique porte le nom. Attitude somme toute compréhensible car un bref coup d’œil sur l’œuvre de l’auteur de Nations nègres et culture est suffisant pour battre en brèche toute cette théorie adossée aux thèses Voltairiennes et Hégéliennes considérant le nègre, l’africain noir comme un sous homme. Thèses nourrissant une histoire africaine falsifiée, contre lesquelles Cheikh Anta Diop s’est battu sa vie durant.

Beaucoup d’intellectuels africains ont par la suite écrit pour tenter de remettre les choses à l’endroit. Henry Guaino quant à lui, désigné comme étant le rédacteur de ce qui est communément appelé : le discours de Dakar, affirmait récemment sur la chaîne France 24 que l’histoire était sujette à interprétation et que chacun décide arbitrairement de considérer l’interprétation qu’il juge convaincante. Tout est dit.

2012 : Hillary Clinton et le développement

Après avoir rendu hommage à la démocratie sénégalaise considérée par les Etats Unis, selon elle, comme un modèle en Afrique, Hillary Clinton a axé son speech sur le développement. Résumant son propos, elle déclarera que l’Afrique : « a besoin de partenariats et non de parrainages ». Le constat est qu’entre la communauté de De Gaulle et les concepts de partenariat ou de parrainage utilisés par Clinton il n’y a pas une grande différence. Pourtant plus de cinquante ans et beaucoup de choses se sont passées entre les deux discours  mais l’Afrique en est encore à se faire dire comment gérer son présent et aborder son avenir par d’autres qui, désignés par le nom de partenaires ou celui de parrains, gèrent d’abord et surtout leurs propres intérêts.  

Prendre l’indépendance, pour paraphraser De Gaulle, c’est surtout refuser de se faire dicter sa conduite même amicalement et tracer sa propre voie en toute responsabilité.

 

Racine DEMBA

 

 

Logos et logocrates (II) : Sarkozy et Obama discourent sur l’Afrique

Accra
Le ton et le contexte sont ici essentiels. L’allocution de Barack Obama à Accra était attendue, le choix de cette ville, considéré comme un adoubement, une reconnaissance. La popularité du Président Américain y est réelle et solide. Le ton du discours plus apaisé, plus respectueux dans les formes, plus didactique, le fond plus conséquent, la forme plus structurée, les analyses plus fines, les perspectives ouvertes plus claires, les promesses chiffrées et les références plus actuelles que dans le cas du désormais (et tristement) célèbre "discours de Dakar".
J’avais le pressentiment que je détesterais ce discours. Pour des raisons assez étranges, les discours de l’ex-sénateur Obama, me semblent rébarbatifs depuis son accession à la présidence, sa timidité dans le domaine des relations internationales m’exaspère aujourd’hui, comme jadis l’enthousiasme insensé que sa candidature avait soulevé.
Au fond, il n’y a rien à redire sur le discours en lui-même, mais c’est l’idée de ce discours, la manie de discourir tout le temps sur l’Afrique, la propension à venir rappeler aux leaders Africains des vérités qu’ils sont censés savoir, qui est écœurante.
L’allocution d’Obama a un avantage décisif sur celle de son homologue Français : elle est structurée et cohérente.
D’abord les habituelles banalités sur l’avenir de l’humanité qui dépendra peu ou prou de ce qui se passera en Afrique, dans les domaines de la démocratie, la santé et l’économie. Puis un retour sur l’histoire familiale du Président Américain qui recoupe en partie l’histoire de l’Afrique subsaharienne (colonisation, lutte pour l’indépendance et mirages postélectoraux). Enfin, le corps du sujet : une exposition en quatre parties sur la démocratie, la création d’opportunités, la santé et la résolution pacifique des conflits.
Simple et cohérent. Des annonces chiffrées (65 milliards de dollars pour poursuivre les efforts entrepris par Bush dans le domaine de la santé), des explications sur le rôle du commandement militaire américain qui doit être installé au Liberia, des engagements précis sur le soutien aux états démocratiques du continent, sur l’aide à la formation des cadres, sur la lutte contre le paludisme et l’amélioration de la prise en charge de l’accouchement. Nulle allusion à l’homme Africain, juste « l’Afrique » (parce que c’est suffisant); la question des défis et des opportunités que crée le réchauffement climatique en Afrique abordée sans aucune référence à l’homme noir si "proche de la nature".
Mais tout cela est gâché par le paternalisme. « L’Avenir de l’Afrique appartient aux Africains »… Et les parlementaires Ghanéens ont applaudi… L’occident n’est pas responsable de la dégradation de la situation au Zimbabwe… Et la salle s’est enthousiasmée. « Le monde sera ce que vous en ferez » et des hourrah jaillirent de toutes les gorges. Des sottises pareilles…
On pourrait en tirer deux conclusions : ou personne ne sait rien de tout cela en Afrique, et l’on est en droit de s’alarmer sur l’avenir de ces terres ; ou Barack Obama a ressenti le besoin de rassurer les Africains, ce qui est presque plus grave, parce qu’il n’y a que les enfants qu’on a besoin de rassurer, les adultes affrontent les défis, "debout, parce que c’est debout qu’on écrit l’Histoire".
L’infantilisation ici procède différemment. Ce ne sont pas les Africains en général qui se sentiraient infantilisés par ce discours, mais leurs leaders. La Voix de l’Amérique leur apporte la vérité sur leur situation, leur promet récompenses ou punitions. La société civile en Afrique a reçu elle les « encouragements » et les « félicitations » du président américain, l’entreprenariat privé a été vanté. Ce sont les leaders politiques qui ont été infantilisés. Le Professeur Obama leur a pendant trente minutes expliqué pourquoi il fallait aller de l’avant, comment leur situation pourrait s’améliorer et ce qu’il faudrait changer; il leur a présenté les vertus de la démocratie. Tout cela dans une sorte de tragi-comédie qu’on pourrait intituler « les cons découvrent le XXIème siècle ».
Conclusion
L’élégance racée et distinguée d’un côté, la brutalité brouillonne de l’autre, mais le même fond, à Dakar il y a deux ans, comme à Accra, l’Afrique n’a eu droit qu’à des logocrates, exposant ce qu’ils présentent comme les nécessités et les besoins de ce continent, alors qu’il ne s’agit que de tactiques électorales. Le discours de Conakry du Général de Gaulle en 1958 n’a pas mis fin à la mainmise française en Afrique francophone, celui de François Mitterrand à la Baule en 1990 n’a pas achevé les dictatures africaines, les excuses de Clinton en 1998 à Kampala n’ont pas suffi à clore le débat sur l’esclavage : tous visaient avant tout à rassurer ou s’attirer les faveurs de certaines parties des opinions publiques nationales, l’Afrique n’était qu’un prétexte.
Si Nicolas Sarkozy a annihilé tout espoir de construire des relations pacifiques avec l’Afrique, Barack Obama, par son habileté et aussi au nom de cette mystique panafricaine désuète mais si dangereusement répandue sur le continent et au sein des diasporas noires,  a vu  sa popularité s'accroître. Mais tout cela n’est que logorrhée. George Bush dont on ne recense aucun grand discours sur l’Afrique est pourtant, de tous les chefs d’États occidentaux, celui qui aura le plus fait pour aider réellement cette partie du monde, sans fanfares et alors que s’abattaient sur lui la pluie des quolibets – bien mérités – suscités par son action sur d’autres fronts (un article que j’ai en tête depuis trois mois et que je n’ai pas encore eu le temps d’écrire). Les vrais amis de l’Afrique ne sont pas toujours ceux qu’on croit.

Logos et logocrates (I) : Sarkozy et Obama discourent sur l’Afrique…

L’enthousiasme suscité par le voyage de Barack Obama au Ghana et par l’allocution prononcée à l’Assemblée Nationale ghanéenne n’ont pas manqué de m’interpeller. Ils sont nombreux à penser le « discours de Dakar » mauvais et insultant qui trouvent celui « d’Accra » brillant et constructif. Avec le recul, je considère, pour ma part, ces deux discours comme complémentairement inutiles, à la seule différence que le premier mêlait l’inutilité à la médiocrité et à l’ennui, tandis que le second la dissimule sous une éloquence claire et didactique, c’est-à-dire malhonnête.
 
Dakar

Le scribe du Président Français, n’avait pu résister à la tentation de glisser, à intervalles réguliers, de petits signaux, adressés à l’électorat UMP, censés rappeler les « positions de la droite » sur l’Afrique, c’est-à-dire, le salmigondis  concocté par les nostalgiques des armées coloniales et les héritiers de Foccart. Pour ce faire, il a alterné références littéraires explicites (Rimbaud, Senghor, Césaire, Camara Laye et Birago Diop entre autres) et sous-bassement philosophique suranné et colonialiste.

Et encore, le terme « discours » est ici usurpé. Aucune construction, aucune structure cohérente, mais une logique bien claire : exprimer l’ouverture de la France sans tomber dans la « repentance ».
 
Pour chaque paragraphe intéressant, trois autres renvoient à la mythologie et aux traditions africaines, alors même que les jeunes Africains les ont oubliées, les méprisent ou essaient de s’en éloigner. Après chaque « pour le meilleur comme pour le pire, la colonisation a transformé l’homme africain et l’homme européen », suivaient une dizaine de « le paysan africain, qui depuis des millénaires, vit avec les saisons, dont l’idéal de vie est d’être en harmonie avec la nature, ne connaît que l’éternel recommencement du temps rythmé par la répétition sans fin des mêmes gestes et des mêmes paroles ».
 
On excusera, je l’espère, les nombreuses citations si l’on veut bien prendre en compte le fait que dans ce cas, la forme est aussi importante que le fond, et que les critiques adressées à notre compréhension du « Discours de Dakar » renvoyaient toutes au fait que nous l’aurions mal ou incomplètement lu.
 
J’ai fait le compte : l’homme noir (six fois) l’homme africain (huit fois) et deux fois en complément de l’homme européen, Drame de l’Afrique (une fois), problème de l’Afrique (sept fois), défi de l’Afrique (quatre fois). Je n’ai toujours pas compris les sens donnés à « homme noir » et à « homme africain ». Et je reste ouvert à toute explication autre que celle qui voudrait que ces périphrases ne cachent qu’une répugnance à employer le terme « négro-africains » – à considérer d’ailleurs que cette utilisation fut indispensable.
 
Aucune donnée chiffrée, aucune indication temporelle.
 
Il y aurait beaucoup à redire sur la forme même de ce discours. Contentons-nous de ces quelques évidences :
 
D’abord la flatterie : « m’adresser à l’élite de la jeunesse africaine ». Si l’Université de Dakar comptait parmi ses étudiants "l’élite de la jeunesse Africaine", cela se saurait et il n’y aurait pas tant de lauréats de Concours Général Sénégalais en train d’errer dans les universités françaises aujourd’hui. Ou encore « Je suis venu vous dire que l’homme moderne qui éprouve le besoin de se réconcilier avec la nature a beaucoup à apprendre de l’homme africain qui vit en symbiose avec la nature depuis des millénaires »… En symbiose avec la nature ? Le mythe du bon sauvage actualisé.
 
Puis les insidieuses banalités : « m’adresser à tous les Africains qui sont si différents les uns des autres, n’ont pas la même langue, qui n’ont pas la même religion, qui n’ont pas les mêmes coutumes, qui n’ont pas la même culture, qui n’ont pas la même histoire et qui pourtant se reconnaissent les uns les autres comme des Africains ». Si ces « handicaps » surmontés par les Africains méritent d’être célébrés, alors la suite logique est que les Européens qui construisent l’Union Européenne et se considèrent comme Européens, ont donc tous la même langue, la même religion, la même histoire, les mêmes coutumes, la même culture… Aussi : « car l’homme africain est aussi logique et raisonnable que l’homme européen». Il fallait vraiment le rappeler?
 
L’entrée en « mystère » : ce terme revient quatre fois dans le discours. Un exemple : « là réside le premier mystère de l’Afrique (…) frères à travers cette foi mystérieuse qui vous rattache à la terre africaine, foi qui se transmet de génération en génération et que l’exil lui même ne peut effacer » (le clin d’œil aux « Afro-Français » est ici évident). Comme s’il était impossible de parler de l’Afrique sans se sentir obligé de retourner aux légendes africaines. Et même là,  il est évident qu’Henri Guaino n’est pas Birago Diop, car il n’y a rien de commun entre « ceux qui sont morts ne sont jamais partis/ Ils sont dans l’ombre qui s’éclaire/ Et dans l’ombre qui s’épaissit» et « des poèmes qui leur faisaient entendre les voix des morts du village et des ancêtres »
 
Les palinodies. Dire dans un premier temps « le problème de l ‘Afrique, c’est de prendre conscience que l’âge d’or qu’elle ne cesse de regretter, ne reviendra pas pour la raison qu’il n’a jamais existé » puis oser ensuite « la faiblesse de l’Afrique qui a connu sur son sol tant de civilisations brillantes, ce fut longtemps de ne pas participer assez à ce grand métissage »… De deux choses l’une, ou l’Afrique a connu des civilisations brillantes ou elle n’a jamais connu d’Âge d’Or. On pardonnera l’absence au « grand métissage », l’Egypte pharaonique, nous le savons tous, était blanche, l’Empire du Mali n’est jamais entré en contact avec la civilisation musulmane, le débat sur l’expédition de Bakary II en Amérique est clos, les travaux de Cheikh Anta Diop et Niangoran Boua sur la filiation des peuples Wolof ou Akan avec l’Egypte antique n’ont aucun intérêt.
 
Les lapalissades : « un avenir singulier qui ne ressemblera à aucun autre »; définition du Littré « Singulier : (…) qui ne ressemble point aux autres »…
 
L’estocade brutale : « Jeunes d ‘Afrique, vous voulez le développement, vous voulez la croissance, vous voulez la hausse du niveau de vie. Mais le voulez-vous vraiment ? » Passons sur les bizarreries syntaxiques, au fond, le Président Français doute de la volonté des jeunes Africains d’avoir un avenir meilleur… On retourne à l’infantilisation : les références aux contes, aux légendes et aux mystères africains font partie d’un tout logique et lexical à la fois : « le royaume de l’enfance ».
 
Et comme toujours, dans ces cas-là, on recourt à Senghor – il serait inutile d’insister encore sur la pauvreté de sa pensée, reconnaissons en tout cas au poète le mérite d’avoir fourni à la France toute une flopée de citations utiles au moment de ridiculiser l’Afrique, sa philosophie, sa sensualité, ses langues et sa culture – «Chez nous les mots sont naturellement nimbés d’un halo de sève et de sang ; les mots du français eux rayonnent de mille feux, comme des diamants. Des fusées qui éclairent notre nuit »…  (Dieu, l’amour, la mort, la peur, le désir n’existent évidemment pas dans les langues Africaines – Senghor n'aurait-il pas confondu Malinké et Créole martiniquais ?)
 
Refus de la « repentance », exaltation des aspects positifs de la colonisation, exhortation à la construction d’un avenir meilleur qui ne peut se construire sans l’Afrique, d’autant plus que l’avenir est la seule option pour un continent qui n’a pas de passé, incitation d’autant plus utile que l’homme africain, de lui-même, ne sait pas se projeter vers l’avenir. Lui tendre la main, tenir la sienne et l’aider à traverser la route… Tel est le fond du discours de Dakar.
 
Ce discours a une certaine utilité, malgré tout. Comme je le pensais à l’époque, il montre toute l’arrogance qu’une partie de l’intelligentsia française a envers l’Afrique. Il a fait apparaître aux yeux du public, la vérité que les réunions Afrique-France et la bonhomie de Chirac avaient si longtemps occulté. Ce discours était médiocre parce que vengeur et déconstruit. Qu’il aurait été différent si tout son fond avait été basé sur cette idée hélas vite engloutie sous les fanfaronnades : « Jeunes d'Afrique, ne cédez pas à la tentation de la pureté parce qu’elle est une maladie, une maladie de l’intelligence (…) ne vous amputez pas d’une part de vous-même. (..) La pureté est un fantasme qui conduit au fanatisme »
 
Le discours d’Accra peut-être parce que postérieur ou simplement porté par un orateur moins vindicatif ou plus intelligent, échappe à cet écueil pour aussitôt donner dans un autre : « la leçon de progrès ».