A la recherche d’une justice internationale : l’Afrique et la CPI

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Cette « cour pénale africaine », qui est voulue comme une réponse au biais de la CPI en Afrique, souffre des mêmes manquements et restera comme celle-ci sous l’influence des intérêts politiques des États. Le Sommet de l’Union africaine à Malabo (juillet 2014) a entériné la mise en place d’une Cour africaine de justice et des droits de l’homme. La création de cette Cour termine un processus enclenché par le Protocole sur la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, adopté en juin 1998 à Ouagadougou et entré en vigueur en 2004. Mais elle  intervient dans le cadre d’une opposition de plus en plus vive entre certains dirigeants politiques africains, l’UA et la Cour pénale internationale (CPI).

L’idée que la CPI ne s’intéresse qu’aux Africains se retrouve dans plusieurs discours. Depuis sa mise en œuvre en 2002, la CPI a inculpé une trentaine de personnes, toutes africaines. A cet égard, elle est régulièrement accusée d’être un instrument néocolonial, ayant un biais envers l’Afrique et les leaders politiques africains. Ce sentiment aurait pu être considéré comme marginal et relevant de la partisannerie politique si l’UA et nombre de leaders politiques n’avaient tenu des propos illustrant cette perspective. En 2013,l’inculpation du président kenyan Uhuru Kenyatta et de son vice-président William Ruto pour crimes contre l’humanité à cause de leur appui financier aux violences postélectorales de 2007-2008 semble avoir ravivé les tensions latentes entre l’UA et la CPI. En effet, l’organisation panafricaine avait déjà déclaré qu’elle ne collaborerait pas avec la CPI suite à l’inculpation du président soudanais, Omar el-Bechir en 2009. Le  sommet d’Addis-Abeba d’octobre 2013 a constitué un épisode de plus dans le divorce entre les deux institutions puisque l’ordre du jour était marqué par un éventuel retrait collectif des États africains de la CPI. Même si un retrait massif n’a finalement pas eu lieu, la mise en œuvre de la nouvelle Cour de justice, qui sera compétente pour juger les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et les crimes d’agression, vient couper l’herbe sous le pied de la CPI.

Il est vrai que le poids des pays occidentaux sur le financement de l’organisation (60% du budget provient de l’Union européenne) et sur la nomination des juges peut leur donner une influence plus que raisonnable sur ses activités. C’est l’opinion du professeur ougandais Mahmood Mamdani qui considère que la CPI est trop sous influence de l’Occident et qu’on assiste à du « déjà-vu » avec la place qu’occupe le continent noir dans les travaux de ladite cour, au vu des relations historiques entre l’Europe et l’Afrique. Toutefois, cette vision négative ne résiste pas à une analyse plus poussée. Il est vrai que la CPI est défaillante sur plusieurs points. Le Conseil de sécurité de l’ONU peut lui demander de se pencher sur les activités qui peuvent être qualifiées de « crimes de guerre, contre l’humanité et d’agression » alors que trois de ses cinq membres permanents n’ont pas signé ou ratifié son traité fondateur, le Statut de Rome. Ainsi, les États-Unis, la Chine et la Russie influencent ou entravent, selon leurs intérêts politiques, l’activité de la CPI, sans pour autant la reconnaître légalement. Les récentes joutes au sein de ce Conseil a propos de l’implication de la CPI dans le conflit syrien montrent assez bien la dimension politique que l’institution a acquise en étant un instrument passif de ces États.

Mais dans le contexte africain, les critiques oublient souvent que la CPI ne s’est autosaisie que dans le cas du Kenya. L’ancien procureur, Luis Moreno Ocampo, avait décidé d’enquêter sur l’implication d’Uhuru Kenyatta et de William Ruto dans les violences postélectorales de son propre chef. Il est vrai que Kenyatta et Ruto ne sont pas les seuls hommes politiques au monde sur qui pèsent des soupçons d’incitations à des violences de masse. Dans la grande majorité des autres procès contre des citoyens africains, ce sont les États du continent qui ont eux-mêmes référé ces individus au tribunal de la Haye parce que leurs juridictions nationales sont incompétentes pour juger les crimes en question. Laurent Gbagbo a été inculpé par la CPI parce que le gouvernement ivoirien a transmis son dossier d’accusation à cette cour.  Il en est de  même pour la multitude de chefs rebelles congolais traduits dans cette instance. Sans une collaboration des États africains et de ces mêmes leaders qui vilipendent la CPI, cela n’aurait pas été possible.

Le maintien des charges contre Kenyatta et Ruto est problématique étant donné qu’ils constituent les deux plus hautes autorités étatiques du Kenya.  Où s’arrête la souveraineté nationale et où commence le droit à la justice ? Comme dans le cas de Laurent Gbagbo, les procès de ces deux hommes d’État sont fortement politisés et divisent bien souvent les citoyens de leurs pays respectifs. Ces trois personnalités sont ainsi bien différentes de celles dont la CPI avait jusqu’ici l’habitude : les premières personnes inculpées avaient rarement le même capital politique pour combattre une instance de justice internationale, plus axée sur les principes que sur le monopole de la violence, trop dépendante de la volonté des États et de leurs intérêts stratégiques pour rendre une justice véritablement impartiale.

La Cour africaine pour la justice et les droits de l’homme nouvellement créée semble répondre à ce contexte de tensions entre les chefs d’État africains et la CPI. Cette cour pénale ne devrait être opérationnelle que dans quelques années, mais le fait qu’elle ait été votée presque à l’unanimité (seul le Botswana a voté contre) est un signal assez fort envers la CPI. Le principe de subsidiarité fait de la CPI une cour de dernière instance qui ne s’occupe que des crimes pour lesquelles les justices nationales sont incompétentes. L’UA coupe ainsi l’herbe sous le pied de la CPI ; mais d’ores et déjà, on peut douter de l’engagement des États d’Afrique envers une justice continentale transparente et  vraiment juste. Une clause de ce nouveau Protocole accorde l’immunité aux chefs d’État durant leur mandat et aux « hauts fonctionnaires » en exercice. Uhuru Kenyatta, William Ruto et Omar el-Bechir ne seraient pas poursuivis par cette Cour, en dépit des sérieuses accusations de crimes contre l’humanité qui pèsent sur leurs têtes.

De plus, vu la propension des chefs d’État du continent à ne céder le pouvoir que lorsqu’on leur force la main, il est à craindre que cette clause ne soit une incitation à s’accrocher encore plus au pouvoir. Cette clause et cette cour constitueraient ainsi des obstacles à la consolidation démocratique que l’Afrique connaît depuis le début des années 1990. De plus, les États africains ne se sont pas distingués par leur engouement pour une justice africaine internationale. Le Protocole sur la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples a été signé en 1998, mais n’a été ratifié que par 15 pays sur les 53 membres de l’UA.

Toute cette controverse nous renvoie au débat sur la possibilité d’une vraie justice internationale. Tiraillée entre les considérations juridiques et la morale, elle dépend au final de la bonne volonté politique des États et de leur puissance pour sa mise en œuvre.  La Cour africaine de justice et des droits de l’homme sera confrontée aux mêmes problèmes et aux mêmes critiques que la CPI, à laquelle elle semble se substituer en ce qui concerne l’Afrique. Le poids politique des États et des leaders déterminera toujours leur position face à cette cour. Au final, les États africains vont reproduire les mêmes attitudes que celles qu’ils reprochaient à la CPI. Apres tout, la partialité est inhérente à tout mécanisme qui se base sur des considérations politiques et sur des intérêts nationaux.

Ousmane Aly Diallo

Seeking international justice in Africa with the ICC

JPG_AfricanUnion060814-e1407316301744The African Union Summit held in July 2014 in Malabo has endorsed the establishment of an African court of justice and human rights. This Court was created in June 1998 following the Protocol on the African Charter of Human and Peoples' rights in Ouagadougou, which entered into force in 2004. Nevertheless, it takes place in a context of strong opposition between African political leaders, the African Union and the ICC. This « African criminal court » is seen as an answer to the ICC bias in Africa. However it suffers from the same shortcomings and will stay, just like this institution, under the influence of the political interests of the states.


Many people think that the ICC cares only about Africans. Since its implementation in 2002, the ICC has indicted about 30 people who were all African. As a matter of fact, the institution has often been accused of being an instrument of neo-colonialization used against Africa and its political leaders. This idea could have been considered as marginal and related to political partisanship. But, the African Union and many political leaders seem to go down this path in the past few months.
The indictment of Kenyan President Uhuru Kenyatta and his Vice-president William Ruto for crimes against humanity because of their financial support to 2007-2008 post electoral violence, seems to have reignited the latent tensions between the African Union and the ICC.
Actually, in 2009 after the indictment of the Sudanese President, Omar el Bechir, the pan-African organization had already declared that it would not collaborate with the ICC.
The Addis-Ababa Summit of October 2013 was yet another step towards the separation of these two institutions, since an eventual collective withdrawal of African States was on the agenda. And even if it did not happen, the implementation of the new Court of Justice, created to prosecute war crimes, crimes against humanity and crimes of aggression, is pulling the rug out from the ICC.


It is true that the weight of western countries on the organization funding (with 60% of the budget coming from the European Union) and on nomination of judges can give them a great influence on its activities. It is the opinion of Mahomood Mamdani, an Ugandan professor who considers that western countries have way too much influence on the ICC and that, in the light of historical relations between Europe and Africa, the place occupied by the black continent in this court gives an impression of « deja vu ».


However, this negative view cannot resist an advanced analysis. It is true that the ICC has several downfalls. The UN Security Council can ask the institution to address activities such as « war or aggression crimes and crime against humanity » although 3 out of 5 permanent members have not signed or ratified its founding treaty: the Rome Statute.
Thus, the United States, China and Russia influence or hinder, according to their political interests, the ICC's work, without acknowledging it legally. The recent struggles about the involvement of the ICC in the Syrian conflict within this Council shows the political importance of the institution as it is a passive instrument of these States.


In the African context, it is often forgetten that the ICC only took the Kenya case at its own initiative. The former prosecutor, Luis Moreno Ocampo, decided to investigate the implication of Uhuru Kenyatta and William Ruto in the post electoral violence on his own initiative. It is true that Kenyatta and Ruto are not the only politicians in the world who are suspected of mass incitment to violence. For the vast majority of other trials against African citizens, individuals have been referred to the Hague Court by states themselves, because local jurisdictions are incompetent to prosecute these crimes.  Laurent Gbagbo has been charged by the ICC because the Ivorian government had transfered his case to the Court. The same goes for all the Congolese rebel leaders tried by this court. This would not have been possible without the collaboration of African states and leaders who vilify the ICC.


Besides, the ongoing charges against Kenyatta and Ruto is problematic since they are two of the highest state authorities in Kenya. Where does national sovereignty end and where does the right to justice start?
Just like the case of Laurent Gbagbo, the trials of these two statesmen are highly politicised and divide the citizens of their own countries. These three personalities are very different from what the ICC is used to handle. The first ones to be tried by the Court rarely had the same political capital to defend themselves against an international Court. The Court was more focused on principles than on the monopoly of violence because it depended too much on the states' will and their strategic interests to be able to genuinely deliver an impartial justice.


The recent creation of an African Court for justice and human rights seems to respond to this context of tensions between African state leaders and the ICC. This criminal court will become operational in a couple of years. The simple fact that it was voted almost unanimously (apart from Botswana) is a strong signal in favor of the ICC.
The ICC is, by virtue of the subsidiarity principle, the highest court for crimes for which national jurisdictions are incompetent. Thus, the African Union pulls the rug out from the ICC, but the commitment of African states towards a transparent and truthful continental justice can already be questioned.
A clause of this new Protocol gives immunity to Heads of states during their mandate and “High officials" in duty. Uhuru Kenyatta, William Ruto and Omar el Bechir shall not be prosecuted by this court, despite the serious allegations of crime against humanity they are facing. Moreover, given the Heads of States' tendency to hand over power only when they are forced to do so, it is feared that this clause will encourage them to stay in power longer.
This clause and this court could become obstacles to the democratic consolidation that started in Africa since the early nineties. Plus, African States did not stand out by their enthusiasm for an African international justice. The protocol on the African Charter on Human and Peoples' Rights was signed in 1998, but was ratified by only 15 out of 53 members of the African Union.


All this controversy brings us back to the debate on the possibility of a genuine international justice. Torn between legal considerations and morality, it finally depends on the political willingness of states and their power to implement it. The African Court of justice and human rights will face the same issues and criticisms as the ICC, to which it seems to be a substitute for Africa.
The political weight of states and leaders will always determine their position with this court. Ultimately, African states will repeat the same attitude that they reproached to the ICC. After all, partiality is inherent to any mechanism based on political considerations and national interests. 


Ousmane Aly Diallo
(Translated by: Olivia Gandzion)