Quelle serait l’incidence économique du virus Ebola ?

UntitledL’Afrique de l’ouest est en proie depuis fin 2013 à une épidémie mortelle d’Ebola qui, d’ores et déjà aurait provoqué la mort d’un millier de personnes. Quatre pays de la zone sont sévèrement touchés : la Guinée Conakry – foyer de cette épidémie, la Sierra Léone, le Libéria et le Nigéria. L’Afrique retient son souffle maintenant que la République D. du Congo est également touchée. Les experts estiment que sa propagation devrait  se poursuivre. Les craintes qu’elle suscite et la difficulté qu’éprouvent les pays concernés et leurs voisins (soit la CEDEAO tout entière) à contenir la situation, a obligé nombreux d’entre eux et d’autres pays dans le monde à prendre des dispositions, parfois extrêmes (fermeture de frontières, contrôle systématique des voyageurs, etc.) pour éviter toute contamination. Ces mesures, bien que justifiées pour les raisons préalablement évoquées, soulèvent la question relative à l’impact de ce fléau sur les économies des pays affectés. Loin de stigmatiser les efforts des autorités de la zone pour contenir cette épidémie d’Ebola, cet article se propose d’analyser le coût économique de cette épidémie pour les pays touchés – et plus généralement pour l’Afrique.

Il serait assez utopique de penser à chiffrer les retombées de cette épidémie sur l’économie d’un pays ou d’une zone. De fait, une épidémie est capable d’affecter tous les secteurs de l’économie d’un pays. Ce genre de choc peut provoquer une suite d’évènements qui peuvent à leur tour provoquer d’autres chocs qui vont exacerber la situation économique. Il est toutefois possible d’identifier les différents secteurs qui seront affectés par cette épidémie.

Pour assurer la prise en charge des personnes infectées et lutter contre la propagation de la maladie, les pays affectés ont été amenés à faire des dépenses supplémentaires non prévues au budget. En Sierra Léone, une dizaine de millions de dollars USD ont déjà été dépensés au deuxième trimestre et d’autres sont à prévoir pour le reste de l’année. Ce qui est certainement le cas dans les autres pays touchés mais aussi chez leurs voisins, qui ont mis en place des mesures diverses pour éviter ou prendre en charge assez rapidement tout cas de maladie déclarée. Ces dépenses supplémentaires affecteront, sans nul doute, les équilibres budgétaires quel que soit le moyen de financement adopté. De nombreux programmes d’investissement public ou de développement ont été mis à l’arrêt et certaines entreprises,  notamment celles des secteurs extractif ou minier ou de l’agro-alimentaire ont dû suspendre leurs activités. En Guinée, Arcelor Mittal a suspendu les travaux d’expansion d’un minerai de fer parce qu’une partie de la main d’œuvre travaillant sur ce chantier a été évacuée. En Sierra Léone, aussi, London Mining a fait évacuer une partie de son personnel « non essentiel ».  Par ailleurs, le secteur touristique est aussi affecté de pleins fouets. La destination étant compromise avec l’épidémie, les touristes préfèrent ne pas se rendre dans ces pays.

Pour les voisins, l’impact sur le secteur touristique est aussi éminent. La crainte de la maladie amènera les touristes à ne pas s’intéresser à la destination. Aussi, les mesures comme la fermeture de frontières ou les contrôles médicales systématiques limitent les échanges économiques avec les voisins mais aussi contraignent certains touristes à préférer des destinations moins contraignantes et présentant moins de risques de contamination. Le Sénégal a interdit toutes importations de produits agricoles en provenance de la Guinée ; une mesure qui pourrait concerner tous les pays touchés et adoptée sans doute par de nombreux partenaires commerciaux de ces pays, notamment ceux importants de la viande et des produits agricoles. La croissance se trouve ainsi limitée, tout au moins cette année. Selon des travaux de l’agence Moody’s, du FMI et de la Banque Mondiale, la Guinée-Conakry pourrait perdre un point de croissance en 2014 : 3,5% au lieu de 4,5% initialement estimé. Les autres pays touchés pourraient aussi voir leur croissance atteindre des niveaux plus bas que celle prévue. Les objectifs de recettes, fiscales notamment, de l’Etat ne seront pas atteints, contribuant ainsi à accentuer les déséquilibres budgétaires et à tenir en échec les programmes de développement des autorités. En effet, les dépenses supplémentaires de santé causées par cette épidémie, seront financées en réduisant certaines dépenses d’investissement ou courantes, avec l’aide financière ou à travers des emprunts. Ce faisant, l’Etat augmente ses arriérés auprès de certains de ses fournisseurs et crée ainsi une entorse à ses propres programmes de développement en retardant l’avancement des travaux d’infrastructures qui sont essentiels pour pérenniser les performances économiques.

Les déséquilibres budgétaires provoqués par cette épidémie en cours, affecteront à moyen terme la qualité de la signature du pays touché. De fait, le respect des critères notamment en matière de gestion budgétaire, sous la surveillance du Fmi sont des préalables à l’action des partenaires financiers et garantissent aussi la réussite des interventions sur le marché financier international. Si les incursions des pays africains ces dernières années (surtout en 2014) sur le marché financier international, ont été des réussites, c’est en partie parce que les indicateurs produits par le Fonds en matière de gestion de ressources publiques rassurent les investisseurs. Si ces indicateurs se dégradent, bien qu’indépendant d’une mauvaise gestion des ressources mais en lien avec un choc, les investisseurs seront moins aptes à investir et ce d’autant que les moteurs de la croissance ont été mis à mal. Pour preuve, un simple coup d’état militaire (bien que non assimilable à une épidémie), suffit pour entacher l’image d’un pays auprès de ces partenaires, quel que soient les efforts fournis pour revenir à l’ordre constitutionnel. Au moins dans ce cas, l’activité économique se poursuit, garantissant au moins des recettes budgétaires pour l’Etat. Avec une épidémie, le retour des entreprises n’est pas imminent. Il peut s’avérer lent quand des garanties solides ne sont pas données quant à la capacité du pays à contenir l’épidémie, ce qui se traduirait par une croissance plus molle et donc par une incapacité de l’Etat à honorer ses engagements financiers, retardant ainsi la mise en œuvre des programmes de développement et contribuant à accentuer le poids de la dette sur l’économie à moyen termes.

Dans tous les cas de figure, l’incidence économique d’une épidémie, telle qu’Ebola, sur les pays africains est et sera majeure. S’il est difficile de chiffrer ses conséquences sur l’agriculture, la production industrielle, la sécurité alimentaire et plus encore sur les inévitables conséquences sociales de l’épidémie (destruction des familles et des structures sociales, millions d’orphelins livrés à eux-mêmes, réduction à néant des réseaux communautaires) ; une évidence est qu’elle limitera les performances économiques des pays et des zones qui sont affectées. En effet, si l’on considère que la croissance économique d’un pays est habituellement corrélée à l’espérance de vie (selon les estimations de l’OMS, 0,5 % de croissance économique est gagnée pour chaque 5 ans d’espérance de vie supplémentaire), une épidémie mortelle comme celle d’Ebola constitue une entrave considérable à la croissance économique à court et à moyen terme, surtout si elle n’est pas rapidement maitrisée. Les dépenses en infrastructures, en personnel qualifié et en formation que nécessite ce genre de maladie obèrent sérieusement le développement économique des pays africains qui ont déjà bien de mal à rendre leur croissance inclusive. Une situation qui met à nu une Afrique encore assez fragile dont les performances peuvent être remises en cause par des chocs tels une épidémie, un coup d’état, une catastrophe naturelle, etc. Si l’on ne peut prévoir la survenue de tels évènements, il est tout au moins possible de pouvoir prendre les précautions nécessaires pour limiter leurs impacts, notamment en ce qui concerne la santé et la vie politique.

Comme le rappelle Georges, dans une démocratie (ou du moins quand on veut en construire une), des moyens moins onéreux pour l’économie existent ; de même, quand il s’agit de la santé, il est tout à fait possible d’éviter des situations qui freineront le développement du continent. En effet, si l’Ebola ou toutes maladies mortelles (comme le Sida) se propage aussi rapidement en Afrique, c’est parce que le système de santé est assez obsolète et ne permet pas de prendre en charge ces types de fléau. De plus, le comportement des populations en lien avec certaines pratiques culturelles – toutefois non maîtrisables en lien avec le niveau d’éducation – accentuent les risques de contamination. Les 260  millions de dollar US promis par la Banque Mondiale et la BAD, pour lutter contre l’épidémie actuelle d’Ebola ne suffiront pas à contenir la situation actuellement et à préparer les 54 pays du continent à d’autres situations similaires. Il serait convenable dès lors que les pays africains puissent déterminer des moyens permettant le renforcement du système de santé, avec la mise en place de systèmes d’informations adéquats et un investissement plus conséquent dans ce secteur[1] mais aussi dans l’éducation. Une équation qui peut paraître complexe, dans la mesure où l’Afrique veut accélérer son rattrapage et qui se reflète à travers les divers plans de développement adoptés par les pays ; alors que les financements pour leur exécution ne sont pas généralement mobilisés à l’interne. Ces différentes contraintes appellent les pays africains à penser à un modèle de développement, qui s’adapte à ses capacités et prend en compte les différents défis. Après tout, la Chine ou la Corée du sud ne sont pas devenues émergentes en quelques plans d’émergence exécutés en une dizaine d’années.

Foly Ananou

Références : 

http://www.rfi.fr/afrique/20140828-ebola-epidemie-experts-inquiets-consequences-economiques-accra/ 

http://economie.jeuneafrique.com/index.php?option=com_content&view=article&id=22893 

http://economie.jeuneafrique.com/regions/afrique-subsaharienne/22853-ebola-les-consequences-economiques-de-lepidemie-sannoncent-severes.html 

OMS, Rapport sur la Santé dans le Monde, 2004 – Chapitre 1 : Conséquences humaines, sociales et économiques 


[1] Un article de Nelly Agbokou propose des pistes de réflexion sur la question.