Au cours des dix dernières années, la situation économique de l’Afrique s’est caractérisée par un paradoxe : la croissance a été forte ; mais la pauvreté et les inégalités n’ont pas baissé. Entre 2003 et 2011, le taux de croissance économique a été en moyenne de 5%, avec une dizaine de pays au-dessus de 7% ; alors que la part de la population vivant avec moins de $2 US par jours est passée de 68,7% en 1990 à 60,8% en 2010, soit une réduction de 8 points en 20 ans. De même, l’indice de Gini reste élevé et la santé et l’éducation des enfants demeurent intimement liées au niveau de vie de leurs parents.
La situation n’est bien sûr pas similaire d’un pays à un autre. Même si elle est meilleure dans certains pays, d’autres affichent un décalage encore plus prononcé entre la croissance et la réduction de la pauvreté et des inégalités. La Guinée-Equatoriale exemplifie bien cette situation. Suite à la découverte puis l’exploitation de ressources pétrolières, le Produit Intérieur Brut de ce pays est passé de 455 millions de dollars en 1998 à 19,7 milliards en 2011 (à taux constant), soit une croissance de 4230%… Dotée d’une population d’environ 650 000 habitants en 2011, la Guinée-Equatoriale présente une PIB/habitant en PPA de 35 792 $ en 2011, ce qui représente un montant supérieur à la moyenne de l’Union européenne. Toutefois, les dernières enquêtes sur le niveau de vie réel des habitants révèlent que 2/3 de la population vivent dans les faits avec moins de 2$ par jour, soit en dessous du seuil de pauvreté.
Plusieurs facteurs peuvent expliquer la situation paradoxale dans laquelle se trouve ce pays ainsi que nombre d’autres pays africains :
- L’exclusion d’une large partie de la population des pôles de création de richesse. Les secteurs qui contribuent le plus à la croissance (industries extractives, télécoms) sont fortement intensifs en capital et peu en main d’oeuvre. En Guinée-Equatoriale, le secteur pétrolier, qui représente 78% du PIB, n’embauche que 4% de la main d’oeuvre locale.
- L’absence de politiques de redistribution par des allocations (revenus minimaux, allocations familiales, bourses d’études) ou des avantages sociaux (éducation gratuite, couverturemaladie, accès au foncier et à l’habitat facilités).
- Cette situation peut s’expliquer pour des raisons politiques (nature des régimes gouvernementaux et degré de corruption des élites) ou techniques (difficulté à intégrer à un système de protection sociale des travailleurs informels, faiblesse de la capacité de taxation de l’Etat).
Le constat qui se dresse au regard de ces différents éléments est celui d’une croissance non-inclusive dans la plupart des pays africains. Cette croissance non-inclusive n’est pas soutenable. En effet, les flux de créations de richesses actuels se font au détriment du stock de ressources naturelles, sans pour autant augmenter les revenus des consommateurs locaux. Ces derniers ne pourront soutenir le dynamisme de leur marché intérieur, condition nécessaire au développement endogène et pérenne de ces économies et de ces sociétés.
Il convient donc de pointer le curseur de l’analyse sur les conditions de l’inclusion économique des ménages dans la dynamique actuelle de croissance du continent africain. L'objectif étant d’appréhender le développement économique à travers une mesure qui fasse la synthèse entre la croissance économique, la réduction de la pauvreté et des inégalités. Si la croissance économique est indispensable à l’augmentation du niveau de vie des populations, il n’en demeure pas moins que son incidence sur la pauvreté et les inégalités est déterminante pour sa soutenabilité à long terme. Autrement dit, combien de temps un pays pourra t-il faire de la croissance économique alors que la majeure partie de sa population continue de manquer du minimum pour vivre ?
C’est pour participer à la réponse à ce défi que Terangaweb – l'Afrique des idées se propose de suivre l’incidence de la croissance sur la réduction de la pauvreté et des inégalités dans chaque pays Africains. L’objectif final étant de dire si la croissance économique mesurée au cours d’une année a été « inclusive ». Notre démarche consistera à suivre l’évolution des revenus d’un panel représentatif de la population dans différents pays africains. Chaque population nationale sera subdivisée en tranches de revenus selon les lieux d’habitat (campagne/ville, différentes régions d’un pays). L’analyse de l’évolution des revenus dans chacune de ces catégories permettra de dire si les résultats de l’activité économique ont permis de réduire la pauvreté et les inégalités, et d’augmenter le pouvoir d’achat réel des populations. Elle permettra également d’identifier les leviers sur lesquels les gouvernements pourront agir directement sur le niveau de revenu et le niveau de vie des populations.
En plus de ces informations, ce projet permettra aussi de répondre à des questions intéressantes, mais qui manquent actuellement de réponses faute de données adéquates et d’analyses. Quelques unes de ces questions sont par exemple :
· L’impact de la croissance sur le pouvoir d’achat des différentes catégories de population
· Le nombre de ménages appartenant à la « classe moyenne » et le nombre de ménages destinés à rejoindre cette catégorie,
· Comment évoluent les inégalités sociales : est-ce que les revenus des plus riches augmentent beaucoup plus vite que ceux des plus pauvres ?
· La différence entre la part de la croissance du PIB d’un pays qui alimente l’augmentation des revenus des populations et celle qui est exfiltrée à l’extérieur du pays ?
Si vous êtes économistes et/ou statisticiens et que vous souhaitez prendre part à ce projet de recherche, n'hésitez pas à nous contacter !
Georges-Vivien Houngbonon, Emmanuel Leroueil