Le monde à l’épreuve nord-malienne

La gravité du bourbier nord-malien s’accentue de jour en jour. Les peines que rencontrent les autorités de la transition et leurs partenaires internationaux – notamment Cedeao, Union Africaine, ONU et France – dans leurs efforts de libérer les régions occupées par des groupes armés ne cessent de croître. La 67ème session de l'Assemblée générale de l’ONU a été l’occasion pour les uns et les autres d’exprimer leur position par rapport à une éventuelle intervention militaire pour sortir le Nord-Mali, mais également l’ensemble du Sahel, du joug islamiste. S’il semble désormais acquis que cette option est envisagée de plus en plus sérieusement par les différents dirigeants concernés, il s’avère néanmoins indéniable qu’elle sera extrêmement difficile à mettre en œuvre.

Accord de violons à la tribune des Nations Unies

Suite à la demande formelle effectuée par l’exécutif malien – le Président Diocounda Traoré et le Premier Ministre Modibo Diarra – conjointement à la Cedeao et à l’Onu, d’une aide pour débouter les groupes armés des régions septentrionales du Mali, les deux institutions internationales ont exprimé leur accord de principe pour une telle intervention militaire. Après quelques réticences à accueillir des soldats étrangers sur leur sol – toujours présentes au sein de la junte putschiste amenée par le Capitaine Amadou Haya Sanogo – les autorités de la transition ont donc compris la nécessité de bénéficier d’un soutien extérieur pour sécuriser les territoires non encore conquis et dérouler une attaque armée au Nord. Lors de l’ouverture de l’Assemblée Générale de l’ONU, certaines personnalités politiques importantes concernées par cette crise se sont exprimées favorablement à la perspective d’une intervention militaire. Le Président béninois, Yayi Boni, par ailleurs Président en exercice de l’Union Africaine, le Président sénégalais, Macky Sall, proche voisin, et le Président français, François Hollande, partenaire important, sont allés de concert dans leurs déclarations en faveur d’une action armée internationale. Il semble donc globalement admis qu’une intervention militaire internationale, permise par l’ONU et menée par la Cedeao, soit devenue sinon imminente, du moins nécessaire. Reste à étudier ses modalités pratiques. Utile.

La base légale résidant dans la résolution 2056 du Conseil de Sécurité de l’ONU adoptée début juillet pourra être utilisée pour donner mandat à la Cedeao pour engager une campagne militaire au Nord-Mali. L’institution universelle requiert cependant la présentation par les autorités africaines d’une feuille de route précise où soient clairement mentionnés une évaluation des moyens financiers et logistiques qui seraient employés et un calendrier d’intervention armée. Pour sa part, Ban Ki-Moon, a d’emblée évoqué le besoin de prendre en compte la dimension humanitaire que revêt une telle solution, lors de l’ouverture d’une conférence sur la crise sahélienne qu’il présidait en marge de l’Assemblée Générale. C’est essentiellement là que le bât de l’intervention tant prônée blesse. Les grandes puissances ne sont pas particulièrement réputées pour leur respect scrupuleux du droit international et leur souci du sort des populations civiles lors de telles opérations armées. 

Difficultés pratiques persistantes

Toute campagne militaire au Nord-Mali, à l’heure actuelle, comporterait inéluctablement des conséquences tragiques pour les populations civiles des zones concernées. Les autorités politiques qui ont fait part de leur préférence pour une intervention internationale armée ont-elles suffisamment mesuré les répercussions dramatiques qu’elle engendrerait sur place ? Cette interrogation n’est pas dénuée d’intérêt car il est inconcevable de ne pas considérer les innombrables pertes en vies humaines que causerait inévitablement une guerre de cette ampleur, en balayant ce paramètre d’un revers de la main pour le ranger dans le lot de dégâts collatéraux. Ils ne seraient certainement pas collatéraux, car ces individus qui y resteraient sont ceux-là mêmes dont les autorités ont l’obligation de préserver la vie avant toute chose, en ne s’aventurant pas dans une intervention hasardeuse qui deviendrait alors contre-productive. L’installation d’un régime islamique usant de procédés violents à l’encontre de populations civiles ne l’ayant pas souhaité est en soi inacceptable pour la communauté internationale ; tenter d’y mettre fin en assumant le risque d’ôter purement et simplement la vie à on ne sait encore quelle proportion de ces populations l’est encore plus. Comme l’a bien décrit un fonctionnaire malien à la retraite interrogé par un média européen, « quand les éléphants se battent, c’est l’herbe qui souffre. Les éléphants, ce sont les combattants d’ici et l’armée de Bamako avec ses soutiens extérieurs. L’herbe, ce sont les pauvres civils, nous ». Indéniable.

En outre, même dans le cas où une telle intervention serait décidée, il serait aberrant de ne pas prendre en compte les réticences encore formulées par une frange importante de l’armée malienne qui est parvenue à conquérir le cœur d’une bonne partie du peuple malien. En effet, ainsi que l’admettent certains diplomates et experts en sécurité, les troupes étrangères ne sauraient agir qu’en parfaite intelligence avec l’armée malienne, qui reste tout de même concernée au premier chef par la libération du Nord de son pays. Comme l’a estimé Djibril Bassolé, ministre burkinabé des affaires étrangères qui eut à s’impliquer activement dans les négociations post-coup d’état : « si la confiance ne s’établit pas entre l’armée malienne et les forces de la Cedeao, la mission d’intervention sera quasiment impossible ». Impasse majeure.
De plus, les difficultés pratiques sont multipliées, de manière presque exponentielle, par l’hostilité géographique qui caractérise les régions nord-maliennes, du point de vue du climat comme de celui du relief ; du moins pour des troupes qui n’y sont pas habituées et qui devront faire face à des combattants venant de tous les foyers djihadistes du monde, et rigoureusement endoctrinés par rapport à la défense des terres qu’ils considèrent désormais comme leurs. Cette confrontation sera d’autant plus hasardeuse que les puissances étrangères qui devront appuyer les forces africaines se trouvent déjà profondément engagées dans des batailles autrement difficiles, où l’essentiel de leurs moyens logistiques, notamment aériens comme les hélicoptères et les avions, ou d’assaut terrestre comme les chars appropriés à ces terrains, sont mobilisés de manière permanente. La Cedeao ne dispose évidemment pas de ces moyens.

Que faire ?

Une fois la difficulté d’aller en guerre admise, l’inertie n’est pas pour autant une option viable pour sortir les régions septentrionales du Mali du joug islamiste. Dans cet esprit, l’omission de l’évocation de l’attitude à adopter dans la crise malienne par le Président du pays hôte de l’ONU, Barack Obama – lors de son passage à la tribune de l’Assemblée Générale – est à plus d’un titre déplorable et indécente. Les Etats-Unis sont bien entendu profondément engagés dans d’autres théâtres d’opération au Moyen-Orient, et le Président américain est sans doute plus préoccupé par les équations de sa réélection que par celles qui se posent au monde dans la crise malienne ; mais un appui financier ou humanitaire américain, même dans le cadre de l’ONU, demeure indispensable à l’atteinte d’une solution durable. Il est indéniable que la Cedeao ne pourra mener seule une intervention militaire au Nord-Mali, même avec 3300 soldats, sans l’appui indéfectible des puissances internationales qui hélas, pour la plupart, se trouvent engagées sur d’autres fronts militaires et font face à une grave crise économique et financière. 

Difficile de comprendre l’attitude va-t-en guerre de Cheik Modibo Diarra. Pourquoi écarte-t-il toute possibilité de négociation avec les groupes armés en la considérant comme dépassée ? L’option militaire, rappelons-le, n’est ni infondée ni totalement à exclure. Elle n’est cependant pas la meilleure à l’heure actuelle. Octroyer à un gouvernement de transition – dont la durée de vie constitutionnelle de 40 jours a été rallongée à 12 mois par les autorités de la Cedeao – la possibilité d’initier une guerre qui s’étendra inévitablement sur la durée, c’est ouvrir la voie à toutes les formes de tentatives de coup d’état dans une région qui en fait suffisamment l’objet. Bien entendu, laisser le Nord-Mali sous ce qu’il est convenu d’appeler la coupe islamiste viendrait également encourager les tentations sécessionnistes un peu partout dans le continent.
Devant cette impasse, il serait à notre sens plus judicieux de poursuivre les efforts onusiens en faveur de l’aide humanitaire indispensable, et d’employer le contingent international qui serait mobilisé à la sécurisation des zones non encore conquises et des frontières des pays voisins pour faire comprendre dans un premier temps aux groupes islamistes armés qu’ils ne sont pas les bienvenus au Sahel. Dans un second temps, une solution politique globale, telle qu’initialement préconisée par l’Onu et que Ban Ki-Moon appelle de ses vœux, pourrait consister en la désignation d’un émissaire spécial pour le Mali, comme l’a évoqué le Secrétaire Général lors de la conférence sur le Sahel tenue en marge de l’Assemblée Générale. Son cahier de charges devrait comprendre la consultation de l’ensemble des acteurs prêts à s’engager dans la recherche d’un règlement pacifique qui incluse les revendications socio-économiques, allant du tissu associatif aux autorités de la transition. Ces dernières devraient également s’atteler à étudier les voies de mise en œuvre de l’autre mandat qui leur a été donné par la Cedeao, à savoir l’organisation des scrutins présidentiel et législatifs qui devaient avoir lieu juste avant que la junte du Capitaine Sanogo n’eût l’idée de déposer le Président Amadou Toumani Touré qui n’allait pas y participer. Les institutions qui en seront issues bénéficieraient de la légitimité nécessaire pour décider, dans les cadres légaux prévus à cet effet, de l’opportunité d’une action armée dans leur pays ainsi que de ses modalités pratiques. Quoi qu’il en soit, elle ne doit pas faire plus de mal que de bien et doit être un dernier recours. L’attitude mesurée du Secrétaire Général de l’Onu dans cette crise pour tempérer les exigences belliqueuses des autorités de transition, notamment le Premier ministre – alors que le Président intérimaire avait lui-même appelé les groupes armés au dialogue – est très appréciable et encourageante quant à la suite des évènements. Elle pourra se révéler assurément utile dans l’atteinte d’un dénouement global de la crise qui évite la précipitation.
C'est d'ailleurs en ce sens qu'il faut comprendre la déclaration du Général Carter Ham, à la tête du Commandement des forces armées américaines en Afrique (Africom), lors d'une visite à Alger, privilégiant « une solution politique et diplomatique à la crise qui secoue le nord du Mali depuis plusieurs mois ».

 

Mouhamadou Moustapha Mbengue