Que peut espérer l’Afrique de la présidence Macron?

 Le 07 mai 2017, la France a élu un nouveau président, en la personne d’Emmanuel MACRON.

Le nouveau président coche toutes les cases de l’atypisme en politique[1].  Il y a environ une année qu’il a créé son mouvement politique. Personne ou presque au sein de la classe politique, ne lui donnait une chance de réussir son pari, celui de remporter les élections présidentielles. Quelques mois après, il est non seulement le 8ème président de la Ve République mais a également obtenu la majorité absolue aux dernières élections législatives. Actant au passage la définitive désintégration du Parti socialiste, le président Macron a également fortement affaibli la droite républicaine.

Affirmer que le succès d’Emmanuel MACRON a modifié l’échiquier politique français n’est qu’un euphémisme. Ses premières sorties sur le plan international sont venues confirmer cette impression. Entre la symbolique poignée de main avec le président Trump et la réception du président russe Vladimir Poutine, le jeune président a pris ses marques et a fait taire les premières critiques visant son inexpérience pour conduire une bonne politique étrangère de la France.  Si pragmatisme et opportunisme peuvent qualifier ses premières sorties face aux géants russe et américain, sa politique africaine reste plus difficile à décrypter. La longue et sulfureuse histoire de la françafrique n’aide pas le nouveau président en ce sens. En effet, durant les dernières décennies, les politiques africaines des exécutifs français se suivent et se ressemblent.  Le président Sarkozy avait, dès son arrivée au pouvoir, affirmé sa volonté de mettre fin à ce réseau d’amis et d’intérêts privés priorisés au détriment des intérêts des populations. Il n’en a pourtant été rien. La présidence Hollande, quant à elle, a très timidement tourné le dos à certains gouvernements africains considérés comme peu enclins à la valorisation de la culture démocratique. Le nouvel homme fort de la France pourra-t-il abonder dans le même sens en incarnant un tout autre postulat des relations entre la France et l’Afrique ? Quelles conséquences pourraient avoir l’élection d’un président, non rompu aux codes des relations France Afrique sur la politique africaine de la France ?

Macron, président d’une autre époque

Emmanuel Macron est né en 1977, 32 ans après la fin de la seconde guerre mondiale. Ce détail a une importance capitale. Il met en exergue sa jeunesse. Mais au-delà de son jeune âge, il est le seul président de la Ve République à ne pas avoir véritablement vécu la guerre froide. Il avait 12 ans lors de la chute du mur du Berlin.  Il ne porte donc pas l’héritage des nébuleuses relations liées à la « françafrique » qui ont brillamment porté leur fruit lors de la période de la guerre froide. Comme le résumait très excellemment Lionel Zinsou lors d’une interview sur les chaines de France 24, « il n’est pas pris dans des héritages liés à d’autres relations entre la France et l’Afrique. Il a dépassé les clivages gauche et droite, la gauche pour la décolonisation, la droite qui assume l’héritage colonial ». L’ancien premier ministre du Bénin poursuivit en affirmant qu’Emmanuel Macron a pris des risques politiques en France en qualifiant la colonisation de « crime contre l’humanité. ».

Loin d’une posture à visée électoraliste, les prises de position du président Macron vis-à-vis de la colonisation peuvent être interprétées comme la résultante de son époque. Il s’agit là d’une chance inouïe pour l’Afrique et sa société civile, en quête d’interlocuteurs qui ne les analyseraient ni sous le prisme du néocolonialisme ni sous celui de menaces aux intérêts français en Afrique. Cette lecture des relations franco-africaine a été dominante durant ces trente dernières années. Elle pourra peut-être changer avec la présente mandature.

La jeunesse du président Macron, une chance pour la jeunesse africaine ?

L’Afrique est un continent jeune.  D’après les chiffres de l’Unesco, 70% de la population a moins de 30 ans[2]. Paradoxalement, c’est le continent sur lequel les jeunes sont les moins représentés aux postes de responsabilité.  Ceci s’explique en partie par la longévité au pouvoir de certains chefs d’Etat qui ne créent pas forcément les conditions idoines pouvant permettre à la jeunesse de faire ses preuves.

Ces règnes ont souvent été possible grâce à la bénédiction de gouvernements occidentaux, notamment français. La jeunesse du nouveau président français pourrait radicalement rompre avec cet état de fait. Elle pourrait en conséquence constituer une chance pour une jeunesse africaine qui cherche à prendre en main son destin.

Le président Macron croit en l’avenir de l’Afrique et en à la « créativité » de sa jeunesse. Lors d’une interview au journal Le monde, il a déclaré vouloir être à côté « des ONG, de la diaspora africaine et des entreprises »[3]. En un mot, le président Macron promet de soutenir les sociétés civiles africaines et forcément au détriment des pouvoirs politiques souvent décriés par les populations. L’aide au développement qu’il souhaite doubler devrait donc principalement bénéficier à ces sociétés civiles qui mènent le combat de la bonne gouvernance et de la vulgarisation des bonnes pratiques démocratiques sur le continent.

Les certitudes de sa politique

Pour son premier voyage sur le continent africain, Emmanuel Macron s’est rendu au Mali, pour saluer les troupes françaises de l’opération « Barkhane ». Par ce déplacement, il a donné un signe de ce que constituera l’un des piliers de sa politique africaine. La lutte contre le terrorisme en Afrique de l’ouest sera certainement l’une de ses priorités.

Les intérêts français dans la zone sahélo-sahélienne sont nombreux. L’énergie nucléaire est la principale source d’électricité utilisée en France avec l’uranium en provenance du Niger constituant, à elle seule, un tiers de la production énergétique du pays[4]. C’est dire à quelle point la sécurisation de cette zone peut avoir des conséquences directes sur le quotidien des populations françaises.

Toute la question qui se pose à ce propos est relative à la stratégie politique et militaire qu’adoptera le nouvel exécutif. Si un départ des troupes françaises n’est pas à l’ordre du jour, un renforcement de la présence française n’est pas non plus évoquée. Le nouvel homme fort français espère convaincre l’Allemagne à participer d’une manière plus pérenne à l’effort de guerre dans le Sahel. Le président compte également mettre l’accent sur la formation et l’équipement des troupes africaines.  Alors que l’armée malienne et ses alliés de l’Union Africaine et de la CEDAO[5] peinent à sécuriser le nord du pays, le soutien de la France à la région est plus que jamais nécessaire.

Il faudrait, somme toute, rester prudent quant aux déclarations d’intention du président élu et aux différentes analyses qui peuvent être faites sur la base de son parcours politique. Lorsque les promesses électorales rencontrent la réalité du pouvoir, l’expérience a montré que les déceptions ont assez souvent triomphé.

                                                                                                                                                                 Giani GNASSOUNOU

 


[1] Avant son élection à la magistrature suprême, il n’avait jamais exercé de mandat électoral. Son mouvement politique est devenu le premier parti politique avec seulement une année d’existence. A côté, le parti socialiste a dû attendre 12 années après sa création pour voir son candidat accéder au poste de président de la république.

[2] http://www.unesco.org/new/fr/unesco/events/prizes-and-celebrations/celebrations/international-days/world-radio-day-2013/statistics-on-youth/

[3] http://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/04/12/emmanuel-macron-son-programme-afrique-je-veux-mobiliser-plus-de-financements-pour-les-pme-locales_5110340_3212.html

[4] http://www.atlantico.fr/decryptage/combien-couterait-vraiment-prise-stocks-uranium-niger-groupes-islamistes-florent-detroy-614999.html

[5] Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest.

 

 

 

Le Maroc dans la Cédéao ?

Jeune Afrique informait en février dernier sur la demande d’adhésion du Maroc à la Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao). Surprenante démarche, qui n’a finalement surpris que les citoyens. Lors de son sommet du 04 juin dernier, les chefs d’Etat de ladite communauté ont exprimé « un soutien général pour la demande du royaume du Maroc, compte tenu des liens forts et multidimensionnels qu’il entretient avec les Etats membres ». Un accord de principe, qui va certainement aboutir à une adhésion formelle du Maroc à la Cédéao.  Sur le principe, les chefs d’Etat ont demandé à la Commission « d’examiner les implications de cette adhésion, conformément aux dispositions du traité révisé ». Ces conclusions ne devraient pas être défavorables ; la volonté affichée des différentes parties devrait permettre de lever les différents obstacles juridiques ou institutionnelles pouvant exister. Si l’adhésion du Maroc parait opportune d’un point de vue économique, elle ne parait pas forcément bienfaisante pour les autres économies de la zone.

Le Maroc est déjà fortement présent dans la région avec ses investissements – public et privé – et les différents accords bilatéraux avec les pays de la Communauté. Il est aujourd’hui le premier investisseur africain dans la région. Le pays participe à plusieurs projets majeurs en Afrique de l’ouest : réhabilitation de la lagune de Cocody, à Abidjan, ou le projet de gazoduc Maroc-Nigeria, construction de logements sociaux ou d’un port de pêche à Dakar. Ses échanges commerciaux avec la zone qui souffrent encore de quelques barrières (douanières) ont atteint 14,1 Mds USD en 2016, soit 22% de ses échanges mondiaux.  Son intégration dans la zone lui ouvre davantage l’accès au marché ouest africain fort de 300 millions d’habitants, où la libre circulation des biens et des capitaux devient de plus en plus une réalité. Il pourra davantage s’imposer dans la zone sur le plan politique et diplomatique, voir même modifier les orientations de la Communauté. Puissance économique, politique et diplomatique, le Maroc n’aura aucun mal à s’imposer dans la région devant le Nigéria qui doit encore faire face à des difficultés internes. La volonté affichée du Maroc de renforcer sa coopération avec les pays d’Afrique sub-saharienne commencera donc certainement par l’Afrique de l’ouest. La coopération « sud-sud » ainsi prônée par le Maroc et justifiant sa démarche auprès de la Cédéao, pourrait n’être qu’une démarche visant à se constituer une base de partenaires africains solide pour asseoir son intégration (domination) continentale.

Ce nouveau voisin donnera certainement une nouvelle impulsion à la zone, sur le plan économique et social. Les investissements marocains devraient se multiplier dans la région, favorisée par la mobilité des capitaux – on rappellera que les banques marocaines sont premières dans la région ouest africaines francophones notamment – et le fort potentiel inexploité des pays de la zone, créant ainsi de nouveaux emplois et de nouveaux débouchés pour ces pays. Les pays pourraient éventuellement réduire leurs factures d’importations, ayant avec l’intégration du Maroc dans la Communauté, l’occasion d’acheter auprès de leur nouveau voisin des produits alimentaires et/ou manufacturés de qualité et à coûts réduits. Aussi, les citoyens pourraient avoir accès à de meilleures infrastructures, notamment dans les domaines de la santé et de l’éducation.

Cependant, il faut craindre que cette situation fragilise davantage les pays de la région. Les exportations de la région vers le Maroc se situent aujourd’hui à moins de 100 MUSD et portent essentiellement sur des matières premières dont la moitié sont des produits agricoles. L’intégration du Maroc pourrait déséquilibrer davantage la balance commerciale au profit de ce dernier. Les pays de la région, économiquement fragiles et peu compétitifs, ne sont pas préparés à un tel scénario, contrairement au Maroc qui depuis des années peaufine sa stratégie. Ils ne pourraient, dans ce contexte, profiter pleinement des opportunités pouvant émerger avec l’intégration du Maroc à la Communauté.

Le Maroc pourrait en outre devenir la terre d’accueil des investissements pour la zone. Apparaissant comme un pays politiquement stable, avec une main d’œuvre de qualité ; les investisseurs pourraient préférer s’installer au Maroc l’utilisant comme base de production et exporter leurs produits vers les autres pays. Situation qui serait dommageable pour les pays de la Communauté qui ont placé le renforcement de leur attractivité comme objectif stratégique dans leur plan de développement, pour un rayonnement régional.

Certains projets majeurs de la Cédéao pourraient être remis en question. L’intégration des citoyens que souhaite la Commission de la Cédéao, par exemple, pourra se heurter à des obstacles culturels. L’histoire des peuples de la région ouest africaine s’entremêle, ce qui n’est pas forcément le cas avec le Maroc. D’ailleurs, certains marocains ont à plusieurs reprises démontré leur hostilité vis-à-vis des immigrés africains (légaux ou pas). Slate Afrique rapporte dans un article les actions racistes que subissent les étudiants d’Afrique subsaharienne au Maroc et la réponse plutôt molle des autorités vis-à-vis de cette situation[1]. Le projet de monnaie commune pourrait aussi perdre en pertinence. Le Maroc a sa propre monnaie et rien ne garantit qu’elle s’en délaisserait pour adopter celle que voudrait mettre en place la Commission de la Cédéao.

Si le rapprochement entre le Maroc et la région ouest africaine est à saluer car porteur d’opportunités, il aurait pu se faire sous d’autres formes. Déjà membre observateur de la Communauté, le pays a su tisser des relations économiques fortes avec les pays de la zone. On ne peut donc qu’être d’avis avec le fondateur de Wathi, Gilles Yabi, qui pense qu’il aurait été plus sage de donner au Maroc un « statut de partenaire stratégique. Du recul et un apprentissage auraient été préférables, pour permettre une adhésion sur quelques années et non sur quelques mois. »

Foly Ananou


[1] Cet exemple ne stipule pas que tous les marocains sont racistes ou sont hostiles envers les subsahariens. Il illustre simplement qu’il existe de fortes hétérogénéités culturelles entre les peuples qui pourraient remettre en question les ambitions de la Communauté.

Article mis en ligne le 17 juin 2017

Gambie : une démonstration du « loup et l’agneau » de la Fontaine

La Cédéao et l’Union Africaine, soutenues dans une certaine mesure par la Communauté internationale, ont contraint Jammeh à céder le pouvoir après de longues négociations menées par les présidents guinéen et mauritanien et sous la menace d’une intervention militaire. Si cette manœuvre a permis de se débarrasser d’un pouvoir autocratique qui a plongé ce petit pays dans une crise socio-économique sévère et un isolement international quasi-complet ; il convient toutefois de s’interroger sur le signal qu’elle donne, notamment pour l’instauration d’une démocratie véritable en Afrique, mais aussi quant au fonctionnement des institutions régionales africaines.

Cette crise est la résultante de l’entêtement de Yahya Jammeh à s’accrocher au pouvoir alors qu’il l’aurait perdu dans les urnes. Une défaite, qu’il a concédé dans un premier temps, avant de faire volte-face contestant la légitimité du président élu en évoquant les irrégularités entachant le scrutin et révélées par l’IEC (Independent Electoral Commission).[1] Une volte-face que certains considèrent comme une manœuvre de Jammeh afin d’éviter des poursuites judiciaires pour les exactions commises durant ses 22 années au pouvoir.

Cependant, dans une Afrique en quête de stabilité démocratique, les arguments avancés par les détracteurs de Jammeh seraient-ils pertinents vis-à-vis de ceux du président sortant dénonçant les irrégularités ? D’autant plus que ces irrégularités ont été confirmées par le président de l’IEC lui-même, tout en précisant qu’elles ne sont pas de nature à modifier l’issue du scrutin.

Alors qu’à l’annonce des résultats, Jammeh aurait pu les rejeter en bloc pour diverses raisons, s’accrocher au pouvoir en s’appuyant sur l’armée comme certains de ses pairs, il les a acceptés à la surprise générale. Il a démontré sa volonté de respecter les principes de la démocratie et à ce titre, il aurait fallu user des voies de recours légales pour régler ce différend politique. La médiation de la CEDEAO, conduite par sa présidente Ellen Johnson Sirleaf, ne s’est pas attachée à amener les protagonistes à user de telles voies, même si on estime que le contexte ne s’y prête pas avec une cour suprême dont les membres n’ont pas été nommés. Elle avait une seule ambition : négocier le départ de Jammeh. L’échec d’une telle médiation était donc prévisible et n’a laissé à Jammeh que des options qui ont envenimé la crise de sorte à lui donner l’image d’ennemi de la démocratie pouvant justifier cette intervention militaire.

Jammeh n’est certes pas un agneau et son départ contraint – dans la mesure où le président élu de la Gambie, Adama Barrow, a prêté serment à Dakar (dans un flou juridique total que seul comprend la communauté Internationale) et vu l’imminence d’une intervention militaire que Jammeh ne peut contenir ; l’armée gambienne ne voulant d’ailleurs pas se battre, selon cet article du "Monde" – offre à la Gambie un nouveau souffle. Cependant, cette situation suscite plusieurs interrogations, notamment sur la gestion des crises par les institutions régionales africaines.

Le constat est qu’à situation similaire, les traitements ne sont pas les mêmes. La balance régionale tend à pencher d’un côté de sorte que l’intervention de ces institutions ne sert qu’à appuyer l’une des parties impliquées dans la crise et non à les renforcer, foulant au passage les principes démocratiques. Alors qu’en 2005 et 2015, le Togo était au bord d’une crise après les élections, la CEDEAO n’a fait qu’avaliser l’élection de Faure Gnassingbé au grand désarroi du peuple. Plus récemment, alors que tout indiquait qu’Ali Bongo a forcé sa réélection en tant que président du Gabon, l’Union Africaine a fait mine de laisser les Gabonais régler leur différend politique. Au Congo, les manœuvres de Sassou Nguesso pour se maintenir au pouvoir n’ont pas suscité une quelconque intervention de l’Union Africaine et celles de Kabila en RDC n’amèneront certainement pas cette dernière à décider d’une intervention militaire ou à en appuyer une visant à déloger ce dernier.  Si le conflit électoral en Gambie n’est pas une première sur le continent, il n’en est pas de même de la réaction de la communauté internationale. Cette dernière ne s’est en effet jamais autant impliquée pour le respect du choix populaire. Mais à y regarder de près, cette prise de position tient davantage à la personnalité de Jammeh plutôt qu’à une intention véritable de l’institution de renforcer la démocratie dans ce pays et dans la région de façon globale. Très peu apprécié par ses pairs, Jammeh a fait les frais de cette crise post-électorale qui constitue un ultime instrument entre les mains de ses détracteurs pour le forcer à quitter le pouvoir. La gestion des crises par les institutions africaines se ferait donc à la tête du client ? Cela s’y apparente. Aussi détestable que Jammeh puisse être, cette intervention musclée pour le déloger du pouvoir n’était pas forcément nécessaire, surtout qu’il était dans son droit de contester les résultats d’une élection dont la crédibilité a été remise en cause par les organisateurs.

Au final, Jammeh a quitté le pouvoir (chacun pourra l’apprécier selon sa conviction) mais il ne faudrait surtout pas y lire une victoire de la démocratie sur la dictature mais plutôt une persistance de l’application de la loi du plus fort dans la conquête du pouvoir politique en Afrique et reconnaître que les institutions africaines ne sont qu’à leur solde. Dans ce contexte, elles ne pourraient permettre d’atteindre l’intégration tant souhaitée et de construire cette Afrique que nous voulons.

Dans tous les cas, on attendra l’Union Africaine et les autres institutions régionales sur d’autres scènes … tant l’Afrique compte des accros au pouvoir, qui, comme Jammeh, dirigent leur pays d’une main de fer depuis bien longtemps et violent ouvertement les principes démocratiques, sans être inquiétés. Espérons que nous nous trompons et que ces institutions réitéreront ce genre d’actions dans d’autres cas, qui ne manqueront certainement pas de se présenter sur le continent.

La coopération internationale est-elle suffisante pour les opérations de maintien de la paix en Afrique ?

maintien-de-la-paixL’Afrique et les opérations de maintien de la paix ont une longue histoire à narrer. Si, sur l’échiquier mondial, un total de 175 opérations de maintien de la paix peut être dénombré, le continent africain compte à lui seul plus de 90 opérations de ce type entre 1947 et 2013[1].

Ces opérations déployées sous la coupe d’organisations internationales telles que l’ONU, l’Union Africaine (UA) et l’Union Européenne (entre autres missions menées par des organisations sous-régionales ou de simples Etats) se heurtent à plusieurs difficultés de mise en œuvre.

Ce sont des opérations qui se déroulent généralement sur des territoires dont la situation sécuritaire est souvent complexe et où la recherche de la paix n’est pas aisée.  La trentaine de pays africains[2] ayant connu ce type d’opérations – après environ 50 conflits qui ont eu lieu sur le continent depuis 1955 – ont témoigné de résistances considérables sur le terrain. A ces difficultés initiales, s’est ajouté un manque notoire de coordination et de gestion harmonieuse entre les entités qui ont déployé des missions de maintien de la paix (ONU, UA, UE, Organisations régionales).

Du point de vue du droit international, les interventions armées ne peuvent avoir lieu que dans le cadre du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies, du moins pour les pays signataires.  De ce fait, elles interviennent soit sous la bannière des Nations Unies, soit sous son autorité, soit sous sa permission. Parallèlement, l’Union Africaine et les Organisations de coopération sous-régionales[3] se sont dotées de mécanismes et de documents stratégiques de maintien de la paix ou de recherche de la stabilité. Ces dispositifs juridiques, alliés aux organes institutionnels[4] n’ont pas favorisé un niveau de réactivité acceptable face aux défis sécuritaires engendrés par les conflits de plus en plus multiformes et imprévisibles.  

La situation du Mali durant l’offensive des rebelles de l’AZAWAD et des Islamistes suite au coup d’Etat en 2012 est une illustration récente de l’échec desdits dispositifs.  Malgré la formation de l’AFISMA, – dont l’objectif était d’endiguer l’avancée des rebelles dans le nord du pays et des islamistes vers Bamako, – les forces non loyalistes n’ont eu aucun mal à gagner jour après jour les territoires désertées par l’armée loyaliste. Il a fallu le déclenchement de l’opération française Serval pour neutraliser les différents groupes armés qui ont mis l’Etat à terre, avant la création de la MINUSMA. Cette absence de réactivité – malgré l’existence de la Force Africaine en Attente, un Système continental d’alerte précoce et une Capacité de déploiement rapide – des organes et mécanismes institutionnels de maintien de la paix montre l’urgence pour l’Afrique et ses partenaires de se doter d’outils de coopération cohérents, rapides et coordonnés pour faire face à des situations sécuritaires de plus en plus complexes dans des pays en construction.

Des efforts soutenus dans la résolution des conflits et la recherche de la paix en Afrique

On remarque cependant que les pays africains, l’UA et leurs partenaires (ONU, UE, France, Royaume-Uni, OTAN) ont déployé des efforts considérables en faveur de la résolution des conflits sur le continent[5], contrairement à la pratique de l’OUA (Organisation de l’Unité Africaine), qui consistait à s’impliquer le moins possible dans les affaires internes des Etats, en application du principe de non-ingérence. Ce volontarisme remarqué, a permis de mettre en place des opérations telles que, UNAMID au Soudan, MISCA/MINUSCA en Centrafrique, AMISOM en Somalie, ECOMICI/MINUCI en Côte d’Ivoire, AFISMA/MINUSMA au Mali ainsi qu’AMIB au Burundi.

Sur la scène continentale, L’UA et les organisations régionales se sont également dotées de mécanismes juridiques et institutionnels destinés à répondre efficacement aux conflits. Le Conseil de Paix et de Sécurité de l’UA (CPS), , la Capacité africaine de déploiement rapide de la Force Africaine en Attente, la Capacité Africaine de réponse immédiate aux crises (CARIC) ou encore le Mécanisme de gestion, de prévention et de résolution des conflits de la CEDEAO, et l’Architecture de Paix et de Sécurité dont s’est doté le COPAX (Conseil Paix et Sécurité de l’Afrique Centrale) de la CEEAC, sont autant d’indicateurs de la volonté des Etats de répondre aux crises sécuritaires qui surviennent sur le continent. Depuis 2008, l’UA a signé un Protocole d’Accord sur la coopération pour la paix et la sécurité avec les organisations d’intégration africaines qui s’appuie sur le principe de subsidiarité pour opérer une division du travail entre acteurs internationaux. Dans plusieurs foyers de tension, l’UA a su faire prévaloir un avantage comparatif certain dans le cadre de la réponse aux conflits. C’est le cas avec l’AMIS en 2004, l’AFISMA en 2012 et la MISCA en 2013. La CEDEAO avec l’ECOMOG, avait par le passé démontré sa volonté d’intervenir dans les pays membres secoués par des conflits, comme ce fut le cas notamment au Libéria et en Sierra Leone, dans les années 1990.

Lorsqu’elles ne s’éternisaient pas comme en Somalie (AMISOM), les missions de maintien de la paix de l’UA préparent le terrain à celles de l’ONU, après qu’une relative stabilité ait été atteinte[6].  L’Union Africaine a ainsi gagné en expertise dans le cadre des missions de stabilisation ; le respect des accords de cessez-le-feu étant de l’apanage de l’ONU. La doctrine de l’organisation continentale se révèle donc plus offensive que celle des Nations-Unies. L’UA a également développé des partenariats à l’instar de l’Accord-cadre pour un Partenariat renforcé pour la paix et la sécurité signé avec l’ONU en 2014.  Le dialogue s’est accru entre le Conseil de sécurité de l’ONU et celui de l’UA en ce qui concerne les zones de conflit (Le Mali est un bon exemple). La présence d’un Représentant spécial du Secrétaire Général de l’ONU au siège de l’UA en Ethiopie témoigne de ce besoin de coordonner les actions. Cette collaboration s’est illustrée lors de la transition entre différentes missions en Centrafrique, où la MINUSMA (ONU) a remplacé la MISCA (UA), elle-même ayant pris le relai de la MICOPAX (EEAC) dans de bonnes conditions de coopération.

Cependant, dans des environnements sécuritaires difficiles, des insuffisances sérieuses sont nées dans la mise en œuvre des opérations de maintien de la paix par les différents acteurs. Ces insuffisances tiennent principalement au manque de collaboration, de coopération, et de division du travail entre les parties prenantes. Une étude approfondie sera consacrée à ce fait dans une seconde partie.

                                                                                                                             

                                                                                                                                                                                        Mouhamadou Moustapha Mbengue

Article mis en ligne le 10 novembre 2016


[1] Paul D. Williams, Peace Operations in Africa. Patterns, Problems and Prospects. George Washington University.

 

[2] Afrique du Sud, Angola, Burkina-Faso, Burundi, Comores, Côte d’Ivoire, Egypte, Erythrée, Ethiopie, Guinée, Guinée-Bissau, Libéria, Libye, Mali, Maroc/Sahara Occidental, Mozambique, Namibie, Nigéria, Ouganda, République Centrafricaine, République Démocratique du Congo, Rwanda, Sierra Leone, Somalie, Soudan/Soudan du Sud, Tanzanie, Tchad, Zimbabwe. 

 

[3] La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) ; la Communauté économique des États d’Afrique centrale (CEEAC) ; la Communauté des États sahélo-sahariens (CENSAD) ; le Marché commun pour l’Afrique australe et orientale (COMESA) ; la Communauté est-africaine (EAC) ; l’Autorité inter-gouvernementale pour le développement (IGAD) ; la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC) ; et l’Union du Maghreb arabe (UMA).  

 

[4] tels que la Commission Paix et Sécurité de l’UA, le Conseil de Sécurité de l’ONU, le Mécanisme de prévention, de gestion et de résolution des conflits de l’UA ou encore l’Architecture Africaine de Paix et de Sécurité,

 

[5] Plus de 40 000 troupes ont été envoyées par les Etats dans les opérations de maintien de la paix, hors Soudan.

 

[6] NUPI (2015), Options stratégiques pour l’avenir des opérations de paix africaines, 2015-2025.

 

Création de la monnaie unique de la CEDEAO : entre fantasmes et réalités

CEDEAOLongtemps évoqué dans les débats publics, le projet de création de la monnaie unique de la  CEDEAO semble se préciser de plus en plus. Après avoir dressé les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre de cet ambitieux projet, cet article lance une réflexion sur les conditions à réunir pour la construction d’une solide zone monétaire ouest africaine à même de booster le développement de la région.

1. La monnaie unique de la CEDEAO : un vieux projet qui peine à se concrétiser

Dès la création de l’institution en 1975, l’idée de la mise en place d’une monnaie unique était déjà inscrite dans la vision des pères fondateurs de la CEDEAO (Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest)[1]. Les premières véritables initiatives n’ont été prises qu’à partir de 1996 avec la création de l’Agence monétaire de l’Afrique de l’Ouest (AMAO). Regroupant les huit banques centrales de la CEDEAO (la BCEAO et les sept banques centrales des pays non membres de la zone franc d’Afrique de l’ouest), l’AMAO qui avait pour mission de piloter la conception et la mise en œuvre opérationnelle de l’ambitieux projet est malheureusement restée inactive pendant les trois premières années suivant sa création. Dans ce contexte, réaffirmant  fermement leur volonté de doter l’Afrique de l’Ouest d’une monnaie unique, les Chefs d’Etat et de gouvernement de la CEDEAO réunis à Lomé en 1999 ont défini une stratégie dite « approche accélérée de l’intégration » qui vise justement à donner un coup d’accélérateur à ce projet qui commençait à s’enliser. Avec l’adoption de cette nouvelle stratégie, la feuille de route de la création de la monnaie CEDEAO prévoyait deux grandes étapes. Dans un premier temps, les pays non membres[2] de la « zone franc » doivent créer une zone monétaire unique qui fusionnera par la suite avec la zone UMOA (Union Monétaire Ouest Africaine)[3] déjà existante. Ainsi, en 2000, cinq pays (Gambie, Ghana, Guinée, Nigéria, Sierra Leone) non membres de l’UMOA ont défini les bases d’un projet de zone monétaire commune dénommée ZMAO (Zone monétaire d’Afrique de l’Ouest). Depuis cette date, malgré l’appui apporté par les institutions sous-régionales, ce projet n’a pas connu d’avancée majeure. Face à cet immobilisme, et compte tenu du fait que l’avènement de la zone monétaire unique CEDEAO est subordonné à la mise en place de la ZMAO, le conseil des ministres de la CEDEAO réuni en cession extraordinaire à Abidjan en septembre 2013 a exhorté les cinq pays concernés à prendre les dispositions nécessaires en vue de déployer leur projet avant la fin de l’année 2015. En dépit de cette pression supplémentaire, le projet semble encore en gestation à cinq mois de l’échéance fixée ; ce qui amène certains observateurs à proposer de créer la monnaie unique de la CEDEAO sans passer par l’étape intermédiaire de la ZMAO qui alourdit finalement le processus. En tout état de cause, au regard des balbutiements qu’a connu cette initiative depuis son lancement au milieu des années 1990, il est difficile à ce jour d’affirmer que le calendrier initial qui était d’aboutir à la mise en circulation de la monnaie unique de la CEDEAO à l’horizon 2020 sera respecté.

2. D’importants défis restent encore à relever avant le lancement du projet

Le rappel historique présenté dans le paragraphe précédent montre bien que les pays membres de la CEDEAO ont du mal à observer une discipline minimale pour décliner opérationnellement le projet de création de la zone monétaire. Au delà de ces difficultés administratives et techniques qui plombent le démarrage du projet, d’importants défis stratégiques et politiques préalables à la mise en œuvre réussie d’une zone monétaire n’ont jusqu’à présent pas été sérieusement traités, laissant ainsi de nombreuses questions fondamentales sans réponses concrètes dont les plus importantes sont présenté ci-dessous.

  • Un contexte socio-économique peu favorable au succès d’une monnaie commune : à quelques années seulement de la date buttoir prévue pour le lancement de la monnaie, une analyse rapide du contexte économique et social de la région permet de s’apercevoir que les conditions minimales pour le succès d’une zone monétaire restent à construire. En effet, presqu’aucun des quatre critères[4] d’une zone monétaire optimale définis par le prix Nobel d’économie Robert Mundell, ne semble rempli au sein de la CEDEAO. Dans ce contexte, la communauté a défini un ensemble de critères de convergences[5] à respecter par les Etats membres avant la mise en place de la monnaie unique. Ces critères essentiellement composés d’objectifs économiques, que les pays ont d’ailleurs du mal à respecter, devraient être renforcés par des indicateurs sociaux afin d’aboutir à une zone monétaire plus optimale (voir cet article de Georges).
  • La suppression de la zone franc, une question en suspens : la création de la zone monétaire de la CEDEAO implique la disparition du Francs CFA, une monnaie que se partagent des anciennes colonies de la France depuis plus de 70 ans sous le contrôle de la métropole. Au regard du rôle important que joue la zone francs dans sa stratégie de conquête des économies africaines, il est évident que la France opposera une farouche résistance quand il sera question de supprimer cette monnaie. Et paradoxalement, bien qu’étant conscients de cette réalité, les pays membres de l’UMOA restent inactifs et ne se sont  visiblement pas encore décidés à mettre en place une feuille de route claire pour une sortie réussie du système du FCFA.
  • Aucune visibilité sur le régime de change envisagé : Enfin,mais pas des moindres, alors que la CEDEAO semble impatiente de mettre en circulation sa future monnaie unique, la question fondamentale du régime de change (fixe, flottant ou mixte) n’est pas encore clairement tranchée.

3. Le rationnel de la création de la zone monétaire devrait être guidé par la « raison » plutôt que la « passion »

Que la CEDEAO exprime un vif intérêt pour une monnaie régionale au moment où la zone Euro affiche un bilan mitigé près de quinze ans après le lancement de sa monnaie commune (l’Euro) est une bien curieuse coïncidence qui suscite réflexion. Quelles sont alors les motivations d’une telle initiative et que peut-elle apporter à la région ? De fait, au delà d’une simple expression des velléités souverainistes et révolutionnaires, pour qu’elle soit porteuse de synergies positives, la décision de  création de la zone monétaire doit avant tout être fondée par une volonté d’accélérer et d’améliorer l’intégration économique de la sous-région. En effet, les revendications de souveraineté bien qu’étant nobles, relèvent du politique et donc de l’émotionnel, ce qui peut parfois conduire à la déraison. Ainsi, le projet de création de la monnaie unique doit être considéré comme un processus normal de l’intégration des peuples d’Afrique de l’Ouest et non pas un quelconque défi lancé à des puissances étrangères. Cela suppose de traiter la question avec toute la rigueur qui s’impose en abordant avec minutie et intelligence l’ensemble des défis techniques et stratégiques préalables au succès de toute zone monétaire. C’est uniquement à ce prix que l’avènement de la zone monétaire de la CEDEAO pourrait catalyser le développement des pays membres en produisant des avantages tels que  l’accroissement du commerce intra-régional, la réduction des coûts de transaction, la maitrise de l’inflation, la protection contre la dévaluation etc.

En définitive, si elle parvient à surmonter les obstacles se dressant sur le chemin de la mise en place de sa monnaie unique, la CEDEAO qui reste d’ailleurs un modèle d’intégration réussi en Afrique notamment avec son passeport unique garantissant une libre circulation des personnes, marquera un grand pas dans le processus d’émergence de ses pays membres. Toutefois, pour éviter un effet de massue, il est important de dépassionner les débats en mettant l’accent sur les aspects économiques de sorte à pouvoir construire sereinement une zone monétaire solide reposant sur des fondamentaux inébranlables.

Lagassane Ouattara


[1] La CEDEAO comprend 15 pays : Nigéria, Ghana, Sierra Leone, Guinée, Libéria, Cap Vert, Gambie, Côte d’Ivoire, Sénégal, Burkina Faso, Niger, Mali, Togo, Benin, Guinée Bissau

[2] Les pays ouest africain non membres de la zone francs (Nigéria, Ghana, Siera Leone, Guinée, Libéria, Cap Vert, Gambie) possèdent chacun une monnaie, soit un total de 7 différentes monnaies.

[3] L’UMOA (Union et Monétaire de l’Afrique de l’Ouest) est une organisation sous-régionale qui regroupent huit pays (Côte d’Ivoire, Sénégal, Burkina Faso, Niger, Mali, Togo, Benin, Guinée Bissau) de l’Afrique de l’Ouest ayant en commun une monnaie dénommée « Francs CFA » héritée de la colonisation française. Cette monnaie est gérée par la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO)

[4] Les critères d’une zone monétaire optimale selon Robert Mundell : une parfaite mobilité des travailleurs, un mouvement libre des flux de capitaux, une économie suffisamment diversifiée et un système fiscale commun facilitant le transfert des capitaux d’un pays à un autre

[5] Les 4 principaux critères de convergences de la CEDEAO : Equilibre budgétaire/PIB >= -4% ; taux d’inflation<=5% ; Réserves brutes >=6 mois ; Financement du déficit budgétaire par la Banque centrale par rapport aux recettes fiscales de l’année précédente <=10%

Boko Haram au Cameroun : plaidoyer pour une architecture de sécurité régionale

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Boko Haram au Cameroun, ce n’est pas nouveau. Les incursions du mouvement terroriste dans le Nord du pays existent depuis un moment ; bien que leurs actions spectaculaires de ce mois de janvier attirent un peu plus notre regard. Il est certain qu’il ne saurait y avoir de hiérarchie pour les atrocités commises par la bande d’Abubakar Shekau, mais il est des actes à la puissance symbolique. Une puissance telle que la situation du Cameroun requiert l’attention de la CEEAC et de la CEDEAO en priorité, de l’Union africaine (UA) en second et de la communauté internationale globalement.

Au cœur de l’été dernier, « BH » comme les moque si bien l’humour camerounais (en référence au plat très apprécié Beignets Haricots) tentait d’enlever le Vice-Premier Ministre du Cameroun Amadou Ali dans sa localité de Kolofata où il séjournait pour la fête de la Tabaski. Tentative doublement symbolique puisque l’homme est à la fois un haut personnage de l’Etat et un notable de cette province frontalière du Nigéria. Ayant revêtu des uniformes de l’armée camerounaise et camouflé leurs voitures en véhicules officielles, les combattants de BH capturèrent le sultan de Kolofata et la femme d’Ali (libérés plus tard) et tuèrent le frère du sultan.

Aussi donc l’opération de déstabilisation par Boko Haram est-elle allée crescendo dans ses objectifs et dans ses cibles. Mais qu’est-ce qui motive Boko Haram au Cameroun ?  L’objectif est double. Dans un premier temps il s’agit de s’offrir une base arrière pouvant servir de repli en cas de regain des forces armées nigérianes. Dans un deuxième temps, le Cameroun permettrait de faire la liaison avec les extrémistes qui sévissent déjà en Centrafrique et au Tchad. Ce dernier objectif accréditerait la thèse selon laquelle, la convergence doctrinaire des mouvements sévissant dans les quatre pays que nous avons cités – s’il n’est pas encore totalement avéré – viserait à créer un bastion islamique en plein milieu de l’Afrique centrale.

L’obtention d’un bastion stratégique dans les Nord respectifs du Cameroun et du Nigéria n’est cependant pas chose aisée tant combattre sur deux fronts est déjà difficile pour une armée de métier. C’est sans compter sur le repli de l’armée nigériane ; repli provoqué par les revers infligés par Boko Haram et précipité entre autres par les considérations électorales qui saisissent le Président nigérian Goodluck Jonathan.

On mentionne beaucoup lesdites considérations comme cause principale de ce repli arguant qu’une autre déconvenue de l’armée enterrerait les espoirs de réélection du président sortant. Certes, c’est un facteur non négligeable  mais qui paraitrait presque secondaire tant les difficultés du pouvoir fédéral nigérian à pacifier et intégrer le Nord du pays sont anciennes. Il est honnête de préciser que ces difficultés ne sont pas particulières au Nord puisqu’au Sud, le Biafra des années 1970, le MOSOP des années 90 ou encore  le MEND d’aujourd’hui témoignent de difficultés qui touchent aussi le sud du pays et la région pétrolifère du delta du Niger. Boko Haram a fleuri sur un terreau fertile et il serait dommage de prendre les conséquences pour des causes.

Il n’en demeure pas moins que depuis que les militaires nigérians ont quelque peu baissé pavillon et semblent avoir abandonné à Boko Haram l’Etat du Borno frontalier du Cameroun, les militants ont pu se concentrer sur un seul front. Avec les conséquences malheureuses que nous connaissons.

Ces attaques en terre camerounaise s’accompagnent de tentatives de subversion propres à ces mouvements, dont le manuel de combat mêle guerre conventionnelle et guérilla. Avérée ou pas, cette subversion est un danger que les autorités camerounaises prennent au sérieux, vis-à-vis d’un mouvement qui souhaite couper du reste du pays le Nord à majorité musulmane. C’est ainsi qu’il faudrait interpréter l’arrestation en début janvier de 13 chefs traditionnels du Mayo-Tsanaga (département frontalier du Nigéria) pour complicité présumée de terrorisme avec Boko Haram. Il est encore trop tôt pour condamner ces hommes à qui la présomption d’innocence doit bénéficier mais au vu de la tentative de kidnapping évoqué plus haut, il n’est pas à exclure que Boko Haram dispose de « sympathisants » locaux.

Depuis ce kidnapping de juillet dernier qui causa la mort du frère du sultan de Kolofata, les incursions se sont multipliées, les combats intensifiés et les enjeux clarifiés. Le formidable renfort de 7 000 hommes décidé par le président camerounais Paul Biya répond à la prégnance de la menace. L’engagement camerounais dispense des enseignements à plus d’un égard. Tout d’abord il confirme la sensibilité des pays africains d’Afrique de l’Ouest et du Centre à la contamination des conflits révélant une fois de plus le problème des frontières. Mais plus que leur porosité, c’est le manque de coopération des États frontaliers qui est une nouvelle fois sur le banc des accusés. A cette culpabilité se rajoute une autre qui ne peut plus être ignorée tant les événements la mettent en évidence : le manque de coopération des organisations de sécurité régionale dans la prévention et la gestion des conflits.

Cette nécessaire architecture interrégionale est un défi que la situation actuelle doit permettre de développer ; car les conflits sont les malheureuses mais parfois nécessaires opportunités qui peuvent révéler d’heureuses entreprises. 

A l’heure où ces lignes sont écrites, la question nigériano-camerounaise de Boko Haram –  puisqu’il ne faut plus séparer les deux – fait l’objet d’une proposition de création d’une force multinationale, reste à savoir si le mandat se fera sous l’égide de l’UA et quels rôles joueraient la CEDEAO et la CEEAC.

Bien entendu, nous nous garderons d’un optimisme béat ou même trop prononcé puisque le souverainisme des Etats – celui du Nigéria dans le cas en l’espèce – tend à s’exacerber au fur et à mesure que la crise s’aggrave, sempiternel obstacle de l’intégration continentale… Ainsi le président Jonathan réitère-t-il le principe de non-ingérence et souhaite régler le problème en s’associant au Cameroun, à la République Centrafricaine et  au Tchad qui a décidé de prêter main forte aux deux premiers.

Quoi qu’il en soit, ce qui se passe aujourd’hui à la frontière du Cameroun et du Nigéria fustige la rigidité  coupable des frontières de nos espaces régionaux. Le temps de  l’intégration par cercles se passe de mode car les menaces que posent Boko Haram (ou encore Ansar Dine dans la bande sahélienne) la rendent obsolète – en matière de sécurité du moins. Les agissements de ces derniers et leurs « succès » témoignent qu’eux ont compris que la « transfrontalisation » des enjeux est un atout. A nos États de comprendre que l’inter-régionalisme est le nôtre.

Enfin dernier point et non des moindres : celui de la circulation des Armes Légères et de Petit Calibre (ALPC). Aujourd’hui plus d’un milliard d’armes légères et de petit calibre circuleraient dans le monde entier selon les estimations du Graduate Institute Studies de Genève. Une portion considérable de ce milliard alimente des groupes comme Boko Haram ou encore Ansar Dine. Malheureusement à cette prolifération des ALPC se rajoute maintenant le danger des armes lourdes qui essaiment davantage depuis la crise libyenne. A tel point qu’aujourd’hui certaines armées africaines déjà si peu bien dotées doivent faire face à des ennemis qui font plus que rivaliser par leur puissance de feu. Mais là il faudrait aussi évoquer l’autre immense écueil qu’est le manque de ressources et de professionnalisation des forces de défense et de sécurité en Afrique. Mais ça c’est un autre débat, un autre article…                              

Cheikh GUEYE

 

 

Quel bilan pour l’intégration régionale en Afrique ?

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Depuis les années 1990, à la faveur d’un nouveau contexte international marqué par la fin de la Guerre froide et l’avènement d’une économie mondialisée, la régionalisation est en vogue sur le continent africain. Les chefs d’État africains, prenant conscience de l’intérêt de se réunir au sein d’entités économiques plus grandes, ont multiplié leurs efforts pour créer des communautés régionales. Des organisations régionales moribondes ont été revitalisées par de nouveaux traités plus ambitieux, comme la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) en 1993 ; d’autres ont vu le jour, comme l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD) dans la Corne de l’Afrique en 1996.  

Aujourd’hui, les avancées de l’intégration régionale alimentent le discours sur une Afrique émergente, en plein éveil. Quelles formes prennent la régionalisation en Afrique, et quelle est sa portée réelle, à la fois sur le plan économique et sur le plan politique ?

Les formes de la régionalisation

L’Union africaine (UA) supervise le processus d’intégration régionale au niveau continental, avec pour ambition de former une Communauté économique africaine à l’horizon 2028. Les communautés économiques régionales (CER) ont un rôle fondamental à jouer: huit d’entre elles ont été identifiées par l’UA comme les piliers de l’intégration régionale. 

Aujourd’hui, l’intégration au-delà du domaine économique et la création d’une union politique restent un horizon lointain. C’est par le marché que les États africains cherchent à réaliser l’intégration : la formation d’ensembles économiques plus puissants et la réduction du coût des échanges transfrontaliers sont les priorités des communautés régionales. La régionalisation en Afrique est avant tout une régionalisation économique. Elle vise la libéralisation du commerce des biens, avec un modèle d’intégration largement inspiré de l’expérience européenne : l’intégration est envisagée comme une progression pas à pas, de la création d’une zone de libre-échange à la formation, à terme, d’une union économique et monétaire. Si certaines organisations accordent une plus grande attention aux questions politiques, c’est souvent parce qu’elles y ont été contraintes : la CEDEAO a dû faire face à de nombreuses crises politiques et a développé en réponse à celles-ci des mécanismes innovants de prévention des conflits et de promotion de la bonne gouvernance.

Quels résultats ?

Plusieurs initiatives prometteuses ont été mises en œuvre depuis le début des années 2000, mais les progrès sont disparates. À l’heure actuelle, la Communauté d’Afrique de l’Est est l’organisation régionale la plus avancée, avec un marché commun établi depuis juillet 2010. La CEDEAO est plus en retard sur le plan économique : l’union douanière n’est envisagée que pour 2015, et l’objectif de lancer une monnaie unique en 2020 paraît difficilement tenable. En Afrique centrale, l’intégration économique en est encore à ses balbutiements. Des avancées ont également été enregistrées dans le sens d’une plus grande liberté de circulation des personnes : la CEDEAO délivre désormais un passeport commun pour faciliter les voyages intra-régionaux. Les États africains progressent aussi dans le sens d’une meilleure coordination de leurs politiques sectorielles (électricité, eau, transports…). Enfin, certaines organisations ont initié des projets d’infrastructure majeurs: un exemple phare est la construction du port de Lamu, au Kenya, et du corridor de transport Lamu-Sud-Soudan-Éthiopie avec le soutien de la Communauté d’Afrique de l’Est. 

Le bilan économique de l’intégration reste mitigé. Le volume du commerce intra-africain a constamment augmenté au cours des vingt dernières années, mais ne représente toujours que  12% du commerce total en Afrique (contre 60% pour l’Union européenne). Au sein de la CEEAC, les exportations intra-régionales ne dépassent pas 0,8%, ce qui témoigne d’une intégration quasi-inexistante. Plusieurs obstacles, comme le manque d’infrastructures, la lourdeur des procédures administratives et des contrôles aux frontières ainsi que la corruption continuent de s’opposer à une meilleure intégration des économies africaines, et méritent plus d’attention de la part des communautés régionales.

L’intégration politique : la longue marche vers la supranationalité…

La politique en Afrique se joue désormais, plus qu’auparavant, à un niveau régional. Mais l’impact des organisations régionales sur l’exercice du pouvoir et l’organisation politique du continent africain reste relativement limité. Certaines organisations ont fait preuve de volontarisme pour s’attaquer aux crises politiques dans leurs régions. La CEDEAO s’est ainsi distinguée par son activisme face aux conflits armés et aux coups d’État en Afrique de l’Ouest. Elle fait régulièrement appel à des hautes personnalités ouest-africaines comme Blaise Compaoré ou Olusegun Obasanjo pour  des missions de médiation, et  dispose même d’une composante militaire (l’ECOMOG, devenue Force en attente), qu’elle a déployé au Libéria et en Sierra Leone dans les années 1990, ou plus récemment au Mali. 

Au fil des interventions, les communautés régionales et l’Union africaine ont progressivement rompu avec la norme de non-ingérence qui régulait les relations entre États africains depuis les indépendances. Les organisations régionales revendiquent maintenant un droit d’intervention dans les affaires politiques intérieures. La CEDEAO ou la SADC n’ont pas hésité à brandir la menace de sanctions contre les juntes militaires au Mali, en Guinée ou à Madagascar. Des textes régionaux, comme le Protocole de la CEDEAO sur la démocratie et la bonne gouvernance, contribuent également à diffuser un ensemble de normes, qui délimitent les contours de l’acceptable et orientent l’exercice du pouvoir. La contribution des organisations régionales à la démocratisation doit cependant être nuancée : comme les dirigeants nationaux conservent la main haute dans les instances de décision, elles restent très timides lorsqu’il s’agit de dénoncer des cas de fraude électorale ou de répression policière organisée par les États. 

La régionalisation, dans sa forme actuelle, ne représente pas un tournant majeur dans l’organisation politique du continent. La supranationalité est encore embryonnaire: les intérêts des États – voire même des régimes en place – restent prédominants, et les organisations régionales ne sont pas encore perçues comme des entités légitimes pour imposer leurs propres règles. L’intégration régionale en Afrique continue aussi de souffrir de la fragilité des États et de leur hétérogénéité. L’Afrique de l’Ouest qui veut s’unir, c’est aussi bien le Ghana anglophone, aux  alternances démocratiques réussies, que la Guinée-Bissau lusophone, où les coups d’État sont récurrents. La SADC, c’est aussi bien le Botswana, cinquante ans de développement économique, et démocratique, que le Zimbabwe, à peine remis d’une grave crise économique provoquée par un régime décadent. Le dynamisme économique du Kenya et de l’Ouganda a favorisé l’intégration est-africaine, mais généralement les organisations régionales africaines manquent de pays moteurs, capables d’insuffler une véritable dynamique d‘intégration, à l’instar du « couple franco-allemand » dans l’Union européenne. La régionalisation en Afrique centrale pâtit du manque de stabilité en République démocratique du Congo. Au sein de la CEDEAO, le poids lourd démographique, politique et militaire qu’est le Nigeria doit faire face à des défis internes importants, qui l’empêchent de jouer un rôle moteur au niveau régional. La région compte certes des États stables et économiquement performants (comme le Cap-Vert ou le Ghana), mais ceux-ci sont soit trop faibles soit pas assez volontaristes pour dynamiser et orienter le processus d’intégration.  

Vers une régionalisation par le bas ? 

Si l’idéal panafricain continue d’avoir un appel certain, il peine à se manifester dans la configuration actuelle des organisations régionales, construites sans engouement populaire. Aucune organisation régionale n’est aujourd’hui le vecteur d’un projet populaire d’union politique africaine, puisqu’elles se focalisent en premier lieu sur l’intégration économique. Le régionalisme en Afrique souffre également d’une absence de personnalités d’envergure régionale, capables de donner corps et voix au projet d’intégration. Les commissaires de la CEDEAO ou de la CEEAC sont des anonymes, qui n’existent qu’à l’arrière-plan de chefs d’États dominants. Ces organisations ont pris conscience de leur manque de légitimité, et tentent aujourd’hui de se rapprocher des populations africaines en adoptant un message plus populaire. La Vision 2020 de la CEDEAO prévoit ainsi de faire évoluer l’organisation en une « CEDEAO des peuples ». 

Au-delà des initiatives d’intégration formelles, la régionalisation informelle est une réalité trop souvent négligée. Les échanges transfrontaliers informels jouent un rôle majeur et sont porteurs d’une régionalisation « par le bas ».  Qu’il s’agisse de la région des Grands Lacs ou de la frontière Niger/Nigeria/Bénin, ces flux informels de marchandises, d’hommes et de  capitaux créent des bassins économiques intégrés, et donnent naissance à des micro-régionalismes transfrontaliers. Les organisations régionales doivent reconnaître cette régionalisation par le bas et à lui faire une place dans leurs stratégies d’intégration. Sa prise en compte est la clé d’une régionalisation inclusive, productrice de richesses et de sécurité.

 

Le tarif extérieur commun de la CEDEAO : un nouveau pas vers l’intégration ?

La prochaine adoption par la communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) d’un règlement visant à mettre en place un tarif extérieur commun (TEC) à partir du 1er janvier 2014 sera sans doute une avancée majeure vers l’intégration économique et politique de l’espace Cedeao.
 


CEDEAO

Cependant, l’adoption d’un TEC peut avoir des conséquences sur le pouvoir d’achat des consommateurs et sur la productivité des entreprises locales qu’il convient d’examiner au regard de ses avantages.

Qu'est-ce que le TEC-Cedeao ?

Initialement en vigueur au sein de l’Uemoa depuis le 1er janvier 2000, le TEC sera étendu à l’espace Cedeao qui, en plus des huit pays membres de l’Uemoa, regroupe les sept pays d’Afrique de l’Ouest ne partageant pas la monnaie commune, le franc CFA.

Le TEC consiste à appliquer le mêmes droits et taxes aux marchandises entrant dans l’espace Cedeao indépendamment de leurs points d’entrée et de leur destination.

Par exemple, l’importation de volailles surgelées sera taxée de 20% qu’elle soit à destination du Bénin ou du Nigéria alors que ce taux est actuellement de 20% pour le Bénin et 10% pour le Nigéria. La construction du TEC répond au double objectif de favoriser la transformation des produits agricoles et l’importation de produits « sociaux » dits essentiels comme les médicaments, livres, etc. 

Ainsi, les produits ont été regroupés en quatre catégories suivant leur niveau de transformation industrielle et leur importance dans la consommation des ménages pauvres. A priori, la structure du nouveau TEC devrait être similaire à celle de l’Uemoa présentée dans le tableau ci-après. 

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Source : Présentation LARES

Cette structure est complétée par des mesures de sauvegarde dont la Taxe Dégressive de Protection destinée à protéger les productions locales d’une concurrence déloyale et la Taxe de Sauvegarde destinée à protéger la production locale contre les fluctuations des prix internationaux. En dépit de ces mesures, l’uniformisation des droits et taxes est un changement significatif dans la fiscalité en Afrique de l’Ouest qui engendrera des gains et des pertes aux niveaux national et régional.

Qu’est ce qui va changer ?

Source : Repris d&rsquo;un article du European Centre for Development Policy Management, 2013. Ce graphique pr&eacute;sente la moyenne non pond&eacute;r&eacute;e des droits de douane en fonction des cat&eacute;gories de produits (chapitres). La liste des produits inclus dans un chapitre peut &ecirc;tre trouv&eacute;e en suivant ce lien.

Source : Repris d’un article du European Centre for Development Policy Management, 2013. Ce graphique présente la moyenne non pondérée des droits de douane en fonction des catégories de produits (chapitres). La liste des produits inclus dans un chapitre peut être trouvée en suivant ce lien.

L’une des spécificités du TEC actuellement en vigueur dans l’Uemoa est que les droits de douanes sont très bas par rapport aux tarifs en cours dans d’autres pays ou communautés économiques. Typiquement, le taux moyen dans l’Uemoa est de 8,8% avec un maximum de 20% alors qu’il atteint jusqu’à 50% au Nigéria voisin. L’objectif est d’étendre cette spécificité à l’ensemble des pays de la Cedeao à travers l’instauration du TEC-Cedeao.

Toutefois, compte tenu des objectifs de politique sectorielle spécifiques à chaque pays, le TEC-Cedeao a subi une légère augmentation par rapport au TEC-Uemoa. Comme le montre le graphique ci-contre, cette augmentation est plus prononcée pour la viande et le cacao (chapitres 2 et 18 respectivement). Par ailleurs, on note également une baisse importante des tarifs pour les produits des chapitres 1 et 9 constitués respectivement des animaux vivants d’une part et du café, thé et épices d’autre part. Les effets de ces changements vont se refléter dans les économies nationales de même qu’à l’échelle de la Cedeao

Quels sont les effets à l’échelle nationale ?

A court terme, on devrait s’attendre à une baisse des recettes douanières pour les pays importateurs des produits dont les tarifs ont été réduits. Cependant, cette baisse est susceptible d’être compensée par une hausse du volume des importations de ces produits si la baisse du droit de douane se traduit dans les prix de détail. Cet effet de neutralisation dépend aussi de l’ampleur de la réaction des consommateurs face à une baisse éventuelle des prix de détail. Dans le cas d’espèce, ces effets sont à craindre par les pays importateurs d’animaux vivants, de café, de thé ou d’épices. Dans le cas où la baisse des droits de douane entraînerait une baisse nette des recettes douanières, certains pays peuvent envisager de la compenser par une augmentation de la TVA ou des droits d’accises (ex. taxes sur l’alcool et le tabac). Cela conduirait donc à une augmentation des prix de détail, surtout sur les produits de grande consommation. A revenu constant, cela correspond à une baisse du pouvoir d’achat des populations. A long terme, l’uniformité des droits de douane devrait entraîner un gain de productivité à cause d’une meilleure réallocation des facteurs de production, i.e. dans les pays où ils sont les plus compétitifs. Par exemple, avec le TEC-Cedeao, une entreprise de fabrication de meubles préférerait s’installer dans un pays où la main d’œuvre est le moins cher puisqu’il n’a plus d’arbitrage à faire sur l’importation du bois. Cependant, cet effet de long terme est conditionné par l’existence d’infrastructure de transports et de communication permettant de vendre n’importe où dans l’espace Cedeao indépendamment du pays de production.

Quels sont les effets à l’échelle régionale ?

Le bilan de cette réforme à l’échelle régionale est mitigé parce qu’elle comporte des effets bénéfiques sur le court terme ; mais potentiellement néfastes sur le long terme. L’ampleur de ces effets dépend surtout du degré d’ouverture de l’espace Cedeao par rapport au reste du monde. Comme le montre le tableau ci-dessus, en s’alignant sur la structure tarifaire du TEC-Uemoa, la Cedeao sera l’espace économique le plus ouvert au monde avec des taux compris entre 0 et 20%.

 

Source : Note d&rsquo;Analyse de la Platforme ANE du S&eacute;n&eacute;gal, 2009.

Source : Note d’Analyse de la Platforme ANE du Sénégal, 2009.

Une telle ouverture économique dans un marché d’environ 300 millions de consommateurs (presque la taille du marché USA) et dans un contexte d’adoption des accords de partenariat économique avec l’Union Européenne est à la fois source d’opportunités et de pauvreté. En effet, la mise en œuvre du TEC-Cedeao constitue un élargissement du marché pour les importateurs étrangers. Ceux-ci seront donc inciter à entrer sur le marché Cedeao compte tenu des économies d’échelle induites par cet élargissement du marché. Ils seront plus compétitifs que les producteurs locaux. Il devrait s’en suivre une baisse des prix et une diversité des produits pour le consommateur.

Cependant, cette concurrence est de nature à évincer les producteurs locaux des marchés nationaux et même à décourager le développement agricole et industriel. Cette conséquence se traduira par une augmentation du chômage dans une population majoritairement jeune et une persistance du secteur informel. Dès lors, il en résulte que la mise en place d’un TEC-Cedeao aussi décalé par rapport à la moyenne mondiale est potentiellement source de pauvreté.

Par ailleurs, l’absence de développement industriel est susceptible de freiner la mobilité des travailleurs et des capitaux à travers l’espace, gage d’une intégration économique effective. Au regard de ces effets potentiels du TEC-Cedeao, il s’avère nécessaire d’évaluer précisément à travers une étude empirique l’impact de cette mesure sur l’économie de la Cedeao. A notre connaissance, une telle étude n’avait pas été faite pour l’Uemoa. Il importe de ne pas l’occulter dans le cadre de la Cedeao compte tenu des enjeux de développement que la mise en place d’un tarif extérieur commun représente.

L’Adieu aux (hommes en) armes

Dans l'introduction du 18 Brumaire de Louis Bonaparte (1852), Karl Marx écrit : "Hegel fait quelque part cette remarque que tous les grands événements et personnages historiques se répètent pour ainsi dire deux fois. Il a oublié d'ajouter : la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce"

(Cette phrase est ressortie depuis, pour un oui, pour un non, qu'il s'agisse des "deux François, socialistes Français" ou des deux "Bush"; même si dans dans ce dernier cas, les termes ont probablement été inversés)

On pourrait aisément appliquer le même adage à l'Afrique contemporaine. Dans la catégorie prisonnier politique, leader de la lutte contre le suprématisme racial en Afrique australe devenu président de la République, Nelson Mandela et Robert Mugabe sautent directement à l'esprit. Dans le sous-genre leader pan-arabe et pan-africain, les images de Nasser et Khadafi s'imposent douloureusement en tête.

rawlingsandthomassankaraMais s'il y a une tradition solidement ancrée dans l'histoire du continent qui aujourd'hui s'affaisse rapidement dans la farce, c'est celle du capitaine-président. Malgré leurs défauts, les capitaines Thomas Sankara et Jerry Rawlings ont laissé dans l'imaginaire africain – ou à tout le moins, ouest-africain – de belles caricatures de jeunes hommes en colère, révoltés et superbement idéalistes, debout contre les rentes et l'exploitation des pauvres. Sankara a été sauvé par la mort. Rawlings bénéficie cahin-caha de cette image de réformateur, mais s'évertue avec une incroyable persévérance à affiner son image de vieux grognon. C'est la tragédie.

 

sanogoPour la farce, l'histoire nous a offert d'autres capitaines : Moussa Dadis Camara en Guinée et Amadou Haya Sanogo au Mali. A la tête du Conseil national pour la démocratie et le développement qui prit le pouvoir à la mort de Lansana Conté en décembre 2008, Dadis Camara se fit remarquer par sa volonté initiale de lutter contre le trafic de drogue, par l'intempérance de ces décisions et ses discours-fleuves, à la Chavez, mais surtout par le massacre de septembre 2009 où sous (ou malgré?) ses ordres, les forces armées guinéennes exécutent plus de 150 manifestants et organisent le viol d'un centaine de femmes.

On connaît la suite, Dadis Camara essaiera d'arrêter son aide-de-camp Aboubacar Diakité, accusé d'avoir supervisé ces crimes. Diakité tirera sur Camara. Camara sera expédié d'urgence au Maroc, d'où il rejoindra le Burkina, sous la protection d'un autre capitaine, Blaise Compaoré. Puis Moussa Dadis Camara rencontrera le Dieu des Chrétiens. Et Moïse Dadis Camara devint exilé au pays des hommes intègres.

L'épopée de Sanogo est, pour elle, probablement terminée. Une partie des journalistes maliens continue de lui servir du "mon capitaine", avec une servilité jamais vue depuis Michel Droit. Et si Sanogo continue de bénéficier d'un véritable pouvoir de nuisance au Mali, son aventure est terminée. Il restera quelque part, comme une note de bas de page dans la grande histoire de l'insurrection islamiste au Sahel.

Mais l'analyse de Marx allait au delà du contraste tragédie/farce. Il écrivit également que "la tradition de toutes les générations mortes pès[ait] d'un poids très lourd sur le cerveau des vivants."

Je crois que cette conception de la tradition, de son poids dans l'histoire se-faisant est l'aspect le plus important. Il y a quelque chose d'inéluctable dans l'établissement d'une forme de tradition démocratique en Afrique subsaharienne. Je me rend peut-être otage du hasard en écrivant ceci, mais j'y crois fermement : le temps des capitaines-présidents est révolu.

Plus jamais. Plus jamais l'Afrique subsaharienne ne connaîtra ce type d'épopée. L'anachronisme de ce recours est évident. Sanogo et Camara n'ont bénéficié de "l'engouement des foules" que suite à une crise exceptionnelle : la mort de Condé, leader éternel et éternellement agonisant de la Guinée, et la foudroyante percée du MNLA dans le Nord-Mali. Et même dans ces circonstances originales, le retour à une sorte de légalité constitutionnelle se fit en moins de deux ans.

Quelque chose dans l'air du temps, certainement. Le poids de l'histoire et le souvenir des expériences catastrophiques du passé, probablement. L'aspiration profonde des "peuples" et des hommes à la liberté, aussi. Ce que Saul Bellow dans les "aventures d'Augie March" appelle "l'éligibilité universelle à être noble".

Mais bien plus que cela : le rôle joué par cette maudite "communauté internationale".

C'est son assentiment et sa réprobation, sa puissance militaire, économique et financière, le pouvoir qu'elle possède aujourd'hui d'ostraciser et détruire les régimes récalcitrants, ses cours criminelles et ses droits fondamentaux. C'est toute cette architecture internationale, le rêve de Wilson en voie de réalisation, qui a finalement gagné. C'est la hantise de la Haye qui a vaincu Dadis, c'est la grogne de la CEDEAO et le risque d'une banqueroute financière qui ont éloigné Sanogo du pouvoir.

L'Afrique a dit adieu aux hommes en armes. Sankara est mort. Le Franc CFA l'a probablement tué.

Diplomatie et hégémonie régionale en Afrique subsaharienne (1)

Comprendre les mécanismes de la diplomatie en Afrique subsaharienne exige une flexibilité dont sont dépourvus les prismes classiques de lecture : rapports de force et jeux d’intérêts. Les relations diplomatiques en Afrique dépendent du politique, de l'économie, de la religion et des relations interethniques autant qu’elles répondent aux rapports de force entre entités étrangères qui trouvent en Afrique leur théâtre d'application.

Appréhender le continent comme un bloc monolithique ne concevant ses rapports diplomatiques que vis-à-vis d'autres ensembles géopolitiques comme l'UE, les USA ou l'Asie serait une erreur. Il existe une diplomatie intra africaine avec ses rapports de forces, ses luttes d'influence et ses alliances de circonstance résultats intense compétition économique, politique et militaire dans laquelle aucun cadeau n'est permis.

L'Afrique australe tirée par un arc en ciel géant

Afrique du Sud

Deux décennies après la fin de l'Apartheid, l'Afrique du Sud assume un leadership certain au sein de la South African Development Community (SADC) ; une position acquise et maintenue grâce à sa superficie, sa démographie et surtout une puissance économique associée à une grande stabilité politique. Compte tenu du rôle central de ce pays par rapport aux problématiques de la zone, il est peu probable que cette situation soit amenée à évoluer.

Mais assez étonnamment, ce leadership tarde à se matérialiser par des actes concrets et de grande incidence sur la zone d'influence naturelle de ce pays. En effet, l'Afrique du Sud, à la différence de plusieurs autres “Etats pivots”, selon le concept de Kissinger, n 'a toujours pas réussi à imposer une influence définitive sur ses voisins immédiats.

Plus encore, la crise politique qui a sanctionné la fin du second mandat de Thabo Mbeki et la rupture qui a frappé l'ANC avec la naissance du COP (mouvement fondé par des dissidents proches de Mbeki) ont laissé apparaître un début de fissure au sein du parti qui règne sans partage depuis la fin de l'apartheid. Cette crise est essentiellement d'ordre idéologique, car elle met en exergue une timide ligne de fracture entre l'aile gauche de l'ANC, radicale dans son approche et ses méthodes (Zuma, Malema) et l'aile droite, plus modérée, que symbolisaient Mbeki et Lekota. Si, à l'avenir, cette divergence idéologique se creuse , elle peut déboucher sur une crise interne de plus grande envergure qui peut remettre en cause le leadership diplomatique de l'Afrique du Sud dans la région et en Afrique de façon globale.

Zimbabwe
Au Zimbabwe, Robert Mugabe demeure encore au pouvoir malgré son attitude continue de défiance vis-à-vis de la communauté internationale. Dans ce dossier, le géant sud-africain, qui pour des raisons historiques liées à un passé commun, accorde un soutien indéfectible à son encombrant allié, est très mal à l'aise. Sa position allant bien évidemment en contresens de la réprobation que le régime de Mugabe inspire depuis la réforme agraire qui a plongé le pays dans un profond chaos social, depuis le milieu des années 1990.

Namibie
Dans un autre registre, la Namibie confirme son ancrage démocratique malgré l’hyper domination du parti au pouvoir, la SWAPO (South West Africa People's Organisation), avec la réélection de Hifikepunye Pohamba – élu une première fois en 2004, confortablement reconduit en 2009 – qui marche doctement dans les pas de Sam Nujoma, le « Père de la nation ». Mais le pays continue résolument une trajectoire isolationniste symptomatique d'un fort désintérêt pour les questions d'intégration ou même d'unité africaine.

Angola
Contrairement à ces deux cas, l'Angola a amorcé depuis quelques années un grand virage qui pourrait en faire un géant diplomatique, à même de rivaliser avec l’Afrique du Sud, et sur lequel il faudra naturellement compter dans les toutes prochaines années. Ce pays sorti d'une guerre civile qui dura près de trois décennies (1975-2002), a vécu sa convalescence d'une façon relativement positive. Profitant de la rente du pétrole et de son ouverture aux capitaux étrangers, l'Angola a su aussi profiter de l'arrivée massive de la Chine sur le continent. La bonne santé économique s'accompagnant, souvent d'une ambition militaire croissante, l'armée angolaise est de plus en plus présente dans certains théâtres d'opérations, parfois bien éloignés. Ainsi, de nombreux observateurs ont été surpris de voir les soldats angolais investir la Guinée Bissau après le coup d'Etat de 2012 qui a encore rompu le fonctionnement des institutions bissau-guinéennes. Luanda dispute t-il le leadership en Afrique australe à Pretoria ?

A quand le tour du Nigéria ?

Nigéria
Toutes les circonstances géographiques, économiques et humaines concourent à accorder au Nigeria un rôle hégémonique en Afrique de l'Ouest. La nation fédérale est le pays le plus peuplé d’Afrique et membre du cercle très fermé des pays producteurs de pétrole. Le Nigéria aurait naturellement dû s'arroger le titre de géant de la région. Il n'en est rien compte tenu de plusieurs facteurs endogènes.
Premièrement, l'instabilité institutionnelle marquée par la multitude des coups d'Etat et des régimes autoritaires a longtemps privé ce pays de la reconnaissance généralement accordée aux pays démocratiques et d’état de droit. En outre, la situation ethnico-religieuse extrêmement tendue, avec des affrontements meurtriers réguliers entre communautés musulmane et chrétienne, pose la question d’une unité nationale incomplète, accentuée par le fédéralisme, gangrenée par la violence et la corruption. La stabilité interne est une des conditions indispensables à toute diplomatie. Les capacités de projection du Nigéria sont aussi réelles (vu la force de frappe militaire et l'importance de son armée) qu’elles sont hypothétiques, du fait des instabilités internes et de la fragilité des institutions. Un pays peut difficilement espérer s'imposer sur la scène internationale sans au préalable avoir pu trouver une solution pacifique à des difficultés ethniques ou religieuses, avec la violence en toile de fond. D’autres questions se posent, en filigrane : le Nigeria prétend-il réellement à une place prépondérante sur la scène ouest-africaine ? Sa supériorité militaire est telle suffisamment solide pour en faire la tête de file d'une armée ouest africaine ? L'exemple de l'ECOMOG semble être pour le moment le seul haut fait de l'armée nigériane dans la région. Dans ce contexte où les crises multiformes se multiplient en Afrique de l'Ouest, la voix du Nigeria n’est pas aussi prépondérante qu’elle le devrait. A la seule exception du conflit post-électoral Ivoirien , où l’intervention de Goodluck Jonathan, agissant dans son rôle de président de la conférence des chefs d’états de la CEDEAO, fut déterminante.

L'islamisme radical a pour la première fois, en Afrique de l’Ouest, un territoire où décliner son ambition totalitaire. Le Mali a perdu le nord sous les assauts variés des milices touaregs et d'Ansar dine. La Guinée Bissau ne parvient décidément pas à clore son cycle des coups de force consubstantiel à la naissance de l'Etat. La Mauritanie montre de plus en plus de signes de nervosité avec récemment « l'accident » ubuesque du général Aziz. Sur toutes ces questions, l'on ressent plus l'implication d'autres Etats de la région comme le Burkina Faso, la Côte d'Ivoire (qui est encore convalescente) et le Sénégal. Le Nigeria reste, résolument… inconstant. Cela peut être compris comme un refus d'Abuja de s'impliquer. L'ambition hégémonique est aussi une question de volonté qui rencontre des circonstances favorables. Les circonstances sont certes présentes, mais le Nigeria préfère faire fi du potentiel dont il dispose pour asseoir un leadership régional. En effet, même la présidence la Commission de la Cedeao ne fait pas courir Abuja contrairement à des pays comme le Ghana ou le Burkina Faso. 

Hamidou Anne

Le monde à l’épreuve nord-malienne

La gravité du bourbier nord-malien s’accentue de jour en jour. Les peines que rencontrent les autorités de la transition et leurs partenaires internationaux – notamment Cedeao, Union Africaine, ONU et France – dans leurs efforts de libérer les régions occupées par des groupes armés ne cessent de croître. La 67ème session de l'Assemblée générale de l’ONU a été l’occasion pour les uns et les autres d’exprimer leur position par rapport à une éventuelle intervention militaire pour sortir le Nord-Mali, mais également l’ensemble du Sahel, du joug islamiste. S’il semble désormais acquis que cette option est envisagée de plus en plus sérieusement par les différents dirigeants concernés, il s’avère néanmoins indéniable qu’elle sera extrêmement difficile à mettre en œuvre.

Accord de violons à la tribune des Nations Unies

Suite à la demande formelle effectuée par l’exécutif malien – le Président Diocounda Traoré et le Premier Ministre Modibo Diarra – conjointement à la Cedeao et à l’Onu, d’une aide pour débouter les groupes armés des régions septentrionales du Mali, les deux institutions internationales ont exprimé leur accord de principe pour une telle intervention militaire. Après quelques réticences à accueillir des soldats étrangers sur leur sol – toujours présentes au sein de la junte putschiste amenée par le Capitaine Amadou Haya Sanogo – les autorités de la transition ont donc compris la nécessité de bénéficier d’un soutien extérieur pour sécuriser les territoires non encore conquis et dérouler une attaque armée au Nord. Lors de l’ouverture de l’Assemblée Générale de l’ONU, certaines personnalités politiques importantes concernées par cette crise se sont exprimées favorablement à la perspective d’une intervention militaire. Le Président béninois, Yayi Boni, par ailleurs Président en exercice de l’Union Africaine, le Président sénégalais, Macky Sall, proche voisin, et le Président français, François Hollande, partenaire important, sont allés de concert dans leurs déclarations en faveur d’une action armée internationale. Il semble donc globalement admis qu’une intervention militaire internationale, permise par l’ONU et menée par la Cedeao, soit devenue sinon imminente, du moins nécessaire. Reste à étudier ses modalités pratiques. Utile.

La base légale résidant dans la résolution 2056 du Conseil de Sécurité de l’ONU adoptée début juillet pourra être utilisée pour donner mandat à la Cedeao pour engager une campagne militaire au Nord-Mali. L’institution universelle requiert cependant la présentation par les autorités africaines d’une feuille de route précise où soient clairement mentionnés une évaluation des moyens financiers et logistiques qui seraient employés et un calendrier d’intervention armée. Pour sa part, Ban Ki-Moon, a d’emblée évoqué le besoin de prendre en compte la dimension humanitaire que revêt une telle solution, lors de l’ouverture d’une conférence sur la crise sahélienne qu’il présidait en marge de l’Assemblée Générale. C’est essentiellement là que le bât de l’intervention tant prônée blesse. Les grandes puissances ne sont pas particulièrement réputées pour leur respect scrupuleux du droit international et leur souci du sort des populations civiles lors de telles opérations armées. 

Difficultés pratiques persistantes

Toute campagne militaire au Nord-Mali, à l’heure actuelle, comporterait inéluctablement des conséquences tragiques pour les populations civiles des zones concernées. Les autorités politiques qui ont fait part de leur préférence pour une intervention internationale armée ont-elles suffisamment mesuré les répercussions dramatiques qu’elle engendrerait sur place ? Cette interrogation n’est pas dénuée d’intérêt car il est inconcevable de ne pas considérer les innombrables pertes en vies humaines que causerait inévitablement une guerre de cette ampleur, en balayant ce paramètre d’un revers de la main pour le ranger dans le lot de dégâts collatéraux. Ils ne seraient certainement pas collatéraux, car ces individus qui y resteraient sont ceux-là mêmes dont les autorités ont l’obligation de préserver la vie avant toute chose, en ne s’aventurant pas dans une intervention hasardeuse qui deviendrait alors contre-productive. L’installation d’un régime islamique usant de procédés violents à l’encontre de populations civiles ne l’ayant pas souhaité est en soi inacceptable pour la communauté internationale ; tenter d’y mettre fin en assumant le risque d’ôter purement et simplement la vie à on ne sait encore quelle proportion de ces populations l’est encore plus. Comme l’a bien décrit un fonctionnaire malien à la retraite interrogé par un média européen, « quand les éléphants se battent, c’est l’herbe qui souffre. Les éléphants, ce sont les combattants d’ici et l’armée de Bamako avec ses soutiens extérieurs. L’herbe, ce sont les pauvres civils, nous ». Indéniable.

En outre, même dans le cas où une telle intervention serait décidée, il serait aberrant de ne pas prendre en compte les réticences encore formulées par une frange importante de l’armée malienne qui est parvenue à conquérir le cœur d’une bonne partie du peuple malien. En effet, ainsi que l’admettent certains diplomates et experts en sécurité, les troupes étrangères ne sauraient agir qu’en parfaite intelligence avec l’armée malienne, qui reste tout de même concernée au premier chef par la libération du Nord de son pays. Comme l’a estimé Djibril Bassolé, ministre burkinabé des affaires étrangères qui eut à s’impliquer activement dans les négociations post-coup d’état : « si la confiance ne s’établit pas entre l’armée malienne et les forces de la Cedeao, la mission d’intervention sera quasiment impossible ». Impasse majeure.
De plus, les difficultés pratiques sont multipliées, de manière presque exponentielle, par l’hostilité géographique qui caractérise les régions nord-maliennes, du point de vue du climat comme de celui du relief ; du moins pour des troupes qui n’y sont pas habituées et qui devront faire face à des combattants venant de tous les foyers djihadistes du monde, et rigoureusement endoctrinés par rapport à la défense des terres qu’ils considèrent désormais comme leurs. Cette confrontation sera d’autant plus hasardeuse que les puissances étrangères qui devront appuyer les forces africaines se trouvent déjà profondément engagées dans des batailles autrement difficiles, où l’essentiel de leurs moyens logistiques, notamment aériens comme les hélicoptères et les avions, ou d’assaut terrestre comme les chars appropriés à ces terrains, sont mobilisés de manière permanente. La Cedeao ne dispose évidemment pas de ces moyens.

Que faire ?

Une fois la difficulté d’aller en guerre admise, l’inertie n’est pas pour autant une option viable pour sortir les régions septentrionales du Mali du joug islamiste. Dans cet esprit, l’omission de l’évocation de l’attitude à adopter dans la crise malienne par le Président du pays hôte de l’ONU, Barack Obama – lors de son passage à la tribune de l’Assemblée Générale – est à plus d’un titre déplorable et indécente. Les Etats-Unis sont bien entendu profondément engagés dans d’autres théâtres d’opération au Moyen-Orient, et le Président américain est sans doute plus préoccupé par les équations de sa réélection que par celles qui se posent au monde dans la crise malienne ; mais un appui financier ou humanitaire américain, même dans le cadre de l’ONU, demeure indispensable à l’atteinte d’une solution durable. Il est indéniable que la Cedeao ne pourra mener seule une intervention militaire au Nord-Mali, même avec 3300 soldats, sans l’appui indéfectible des puissances internationales qui hélas, pour la plupart, se trouvent engagées sur d’autres fronts militaires et font face à une grave crise économique et financière. 

Difficile de comprendre l’attitude va-t-en guerre de Cheik Modibo Diarra. Pourquoi écarte-t-il toute possibilité de négociation avec les groupes armés en la considérant comme dépassée ? L’option militaire, rappelons-le, n’est ni infondée ni totalement à exclure. Elle n’est cependant pas la meilleure à l’heure actuelle. Octroyer à un gouvernement de transition – dont la durée de vie constitutionnelle de 40 jours a été rallongée à 12 mois par les autorités de la Cedeao – la possibilité d’initier une guerre qui s’étendra inévitablement sur la durée, c’est ouvrir la voie à toutes les formes de tentatives de coup d’état dans une région qui en fait suffisamment l’objet. Bien entendu, laisser le Nord-Mali sous ce qu’il est convenu d’appeler la coupe islamiste viendrait également encourager les tentations sécessionnistes un peu partout dans le continent.
Devant cette impasse, il serait à notre sens plus judicieux de poursuivre les efforts onusiens en faveur de l’aide humanitaire indispensable, et d’employer le contingent international qui serait mobilisé à la sécurisation des zones non encore conquises et des frontières des pays voisins pour faire comprendre dans un premier temps aux groupes islamistes armés qu’ils ne sont pas les bienvenus au Sahel. Dans un second temps, une solution politique globale, telle qu’initialement préconisée par l’Onu et que Ban Ki-Moon appelle de ses vœux, pourrait consister en la désignation d’un émissaire spécial pour le Mali, comme l’a évoqué le Secrétaire Général lors de la conférence sur le Sahel tenue en marge de l’Assemblée Générale. Son cahier de charges devrait comprendre la consultation de l’ensemble des acteurs prêts à s’engager dans la recherche d’un règlement pacifique qui incluse les revendications socio-économiques, allant du tissu associatif aux autorités de la transition. Ces dernières devraient également s’atteler à étudier les voies de mise en œuvre de l’autre mandat qui leur a été donné par la Cedeao, à savoir l’organisation des scrutins présidentiel et législatifs qui devaient avoir lieu juste avant que la junte du Capitaine Sanogo n’eût l’idée de déposer le Président Amadou Toumani Touré qui n’allait pas y participer. Les institutions qui en seront issues bénéficieraient de la légitimité nécessaire pour décider, dans les cadres légaux prévus à cet effet, de l’opportunité d’une action armée dans leur pays ainsi que de ses modalités pratiques. Quoi qu’il en soit, elle ne doit pas faire plus de mal que de bien et doit être un dernier recours. L’attitude mesurée du Secrétaire Général de l’Onu dans cette crise pour tempérer les exigences belliqueuses des autorités de transition, notamment le Premier ministre – alors que le Président intérimaire avait lui-même appelé les groupes armés au dialogue – est très appréciable et encourageante quant à la suite des évènements. Elle pourra se révéler assurément utile dans l’atteinte d’un dénouement global de la crise qui évite la précipitation.
C'est d'ailleurs en ce sens qu'il faut comprendre la déclaration du Général Carter Ham, à la tête du Commandement des forces armées américaines en Afrique (Africom), lors d'une visite à Alger, privilégiant « une solution politique et diplomatique à la crise qui secoue le nord du Mali depuis plusieurs mois ».

 

Mouhamadou Moustapha Mbengue

Quel chemin vers l’Union Africaine ? (2)

Quel serait l’intérêt d’une union africaine structurée ? Trois objectifs semblent aujourd’hui primordiaux : construire un vaste marché intérieur réglementé, à même de produire la richesse nécessaire pour sortir l’Afrique du sous-développement économique ; pacifier les relations entre Etats et consolider les liens entre les différentes sociétés internes au continent africain, à travers des institutions politiques représentatives et intégrantes ; ancrer l’Afrique dans l’espace mondial et le processus de globalisation.

Pour répondre à ces défis, l’espace continental africain est pertinent à plusieurs égards : en plus de sa cohérence géographique, il existe une communauté de destin historique que l’on ne peut ignorer. Encore plus qu’au passé, l’Histoire africaine se conjugue au présent et au futur : le défi du développement socio-économique et du vivre-ensemble s’impose à l’ensemble des pays du continent.

Ceci étant dit, quel chemin vers l’union africaine ? J’ai déjà indiqué ma préférence pour la stratégie « gradualiste » par rapport à la vision « maximaliste » de l’unité africaine ; j’en expliquerai les raisons en me référant aux trois objectifs identifiés précédemment. Continue reading « Quel chemin vers l’Union Africaine ? (2) »