François le malien

hollande_MaliEn juillet dernier, dans mon premier papier sur Terangaweb, je disais que la terreur que les djihadistes imposaient au Nord du Mali dépassait une guerre contre l’Etat malien. C’était un défi lancé contre une civilisation.

Pis, ces terroristes qui ont pris en otage et détruit des pans entiers de notre mémoire collective seraient aujourd’hui sur Bamako si rien n’avait été tenté. Ils auraient alors, non pas une partie d’un territoire, mais un pays de 1 200 000 km2 entre les mains à partir duquel ils mettraient en œuvre un projet totalitaire. Je vous laisse imaginer le danger dans un contexte où il est dorénavant établi que des cellules dormantes de terroristes pullulent dans toute l’Afrique de l’Ouest.

L’éternelle rengaine de la Francafrique

Quitte à voir dressé mon « portrait du colonisé », je dis que l’intervention de la France, qui a anéanti la marche résolue des islamistes vers Bamako est salutaire. Dans le fond, elle est légitime. Dans la forme, elle est légale. François Hollande a répondu à l’appel du président par intérim du Mali. En outre, cette intervention a comme base juridique la résolution 2085 de l’ONU qui autorise le déploiement d’une force internationale dans le pays.

Hélas, l’opération « Serval » fera une nouvelle fois le lit des pseudos nationalistes africains ou « amis » du continent qui vont encore verser cette intervention dans leur déjà très longue liste de résidus du néocolonialisme. La persistance de la Francafrique sera scandée, notamment sur internet, véritable zone d’expression de ce discours plutôt bon enfant, mais qui résiste souvent très mal à une analyse sérieuse.

Véhiculer ces gamineries, c’est prendre encore le débat par le mauvais bout. C’est ignorer les blessures affreuses que les combattants d’Ansar Dine, du Mujao et d’Aqmi ont infligé à un peuple et à ce qui constitue un élément fondamental de son histoire : sa mémoire.

Si des individus préfèrent voir des bandits barbus ravir un pays, humilier ses populations, saper le fonctionnement de ses institutions et asseoir un leadership fondé sur la terreur sans qu’aucune réaction ne suive, soit. Ce n’est pas mon avis. Ce n’est pas l’idée que je me fais de l’Etat de droit, de la pratique religieuse et de la place qui doit être la sienne dans un Etat moderne.

Certains fustigent le fait que ce soit des soldats de « l’Empire colonial » qui viennent libérer le Mali. Je le leur concède. Et cela me procure un sentiment bizarre que les communicants appellent le double bind. Il s’agit de cette joie de voir l’avancée des barbus anéantie et en même temps de cette peine de nous voir encore perdre une parcelle de souveraineté ; au moins au plan de la fierté.

Il est vrai que pour concilier le désir de ne pas exposer la France et celui de mettre en avant les armées de la sous-région, l’idée initiale était de concevoir une force exclusivement africaine au Mali. La subite conquête de Bamako a chamboulé tous les plans établis. Le lead from behind auquel tenait la France pour éviter de se mettre en tête et d’accroitre les risques d’accusations colonialistes n’a pas résisté au bouleversement de la situation sur place.

hollande au Mali 2Une autre issue était-t-elle possible ?

Au moment où le plan d’intervention sous l’égide de la Cedeao ne cessait de susciter des atermoiements de part et d’autre, les islamistes continuaient eux à asseoir leur présence sur le sol malien, en s’équipant pour aller à l’assaut de Bamako et mettre tout le Mali sous coupe réglée.

En quittant la posture de l’anticolonialiste à deux sous, l’on ne peut nier une évidence : l’armée malienne n’a ni les capacités ni la logistique ni le leadership nécessaire pour affronter ces djihadistes dont la surprenante puissance de feu a été soulignée par les autorités françaises.

Cette armée, dont le pitre capitaine Sanogo est devenu hélas – à tort ou à raison – le triste visage, a besoin d’être réorganisée pour jouer son rôle de défense et de protection du Mali et des Maliens. Cela dans un contexte qui voit des menaces multiformes gagner toute l’Afrique de l’Ouest.

Je reconnais que l’appel à l’aide formulée par Dioncounda Traoré est un échec pour toute la sous-région et au delà pour tout le continent qui montre ainsi que les citoyens africains sont dépourvus d’une puissance publique capable de les protéger face à un danger de cette ampleur. Toutefois, je n’y suis pas opposé, car il traduit la détresse d’un homme qui savait qu’il présidait aux destinées d’un pays risquant de quitter le cercle des nations civilisées. Non, le Mali ne devait, ne pouvait être une copie conforme de l’Afghanistan des Talibans.

L’intervention de la France, dont un soldat est déjà mort pour le Mali, rappelle tristement aux Africains que les discours volontaristes sur la fin de la persistance de la domination coloniale sont un leurre tant qu’ils n’auront pas pris leur responsabilité pour assurer leur destin sans recourir à l’aide au moindre soubresaut. En couchant ces lignes, une question me vient à l’esprit : où est l’Union Africaine ?

Répondant à une question d’un ami récemment, je lui disais n’être nullement choqué de voir des armes françaises tuer des meurtriers à la solde d’une idéologie basée sur l’intolérance, la division et la terreur. Fussent-ils africains. Je le répète afin qu’il n’y ait point d’ambiguïté : cela ne me choque pas.

Cette guerre au Mali est un mal nécessaire. Il fallait y aller car au pays des Askia se joue un destin de notre civilisation. 

 

Hamidou Anne

 

Post scriptum : je n’ai pas résisté à la tentation de m’arrêter sur le nom de la Mission internationale de soutien au Mali (Misma). Je trouve les diplomates à l’ONU pour une fois plutôt bien inspirés, car Misma ferait une excellente contraction de « Miss Mali ». Enfin, un peu de tendresse dans ce monde de brutes…

Le monde à l’épreuve nord-malienne

La gravité du bourbier nord-malien s’accentue de jour en jour. Les peines que rencontrent les autorités de la transition et leurs partenaires internationaux – notamment Cedeao, Union Africaine, ONU et France – dans leurs efforts de libérer les régions occupées par des groupes armés ne cessent de croître. La 67ème session de l'Assemblée générale de l’ONU a été l’occasion pour les uns et les autres d’exprimer leur position par rapport à une éventuelle intervention militaire pour sortir le Nord-Mali, mais également l’ensemble du Sahel, du joug islamiste. S’il semble désormais acquis que cette option est envisagée de plus en plus sérieusement par les différents dirigeants concernés, il s’avère néanmoins indéniable qu’elle sera extrêmement difficile à mettre en œuvre.

Accord de violons à la tribune des Nations Unies

Suite à la demande formelle effectuée par l’exécutif malien – le Président Diocounda Traoré et le Premier Ministre Modibo Diarra – conjointement à la Cedeao et à l’Onu, d’une aide pour débouter les groupes armés des régions septentrionales du Mali, les deux institutions internationales ont exprimé leur accord de principe pour une telle intervention militaire. Après quelques réticences à accueillir des soldats étrangers sur leur sol – toujours présentes au sein de la junte putschiste amenée par le Capitaine Amadou Haya Sanogo – les autorités de la transition ont donc compris la nécessité de bénéficier d’un soutien extérieur pour sécuriser les territoires non encore conquis et dérouler une attaque armée au Nord. Lors de l’ouverture de l’Assemblée Générale de l’ONU, certaines personnalités politiques importantes concernées par cette crise se sont exprimées favorablement à la perspective d’une intervention militaire. Le Président béninois, Yayi Boni, par ailleurs Président en exercice de l’Union Africaine, le Président sénégalais, Macky Sall, proche voisin, et le Président français, François Hollande, partenaire important, sont allés de concert dans leurs déclarations en faveur d’une action armée internationale. Il semble donc globalement admis qu’une intervention militaire internationale, permise par l’ONU et menée par la Cedeao, soit devenue sinon imminente, du moins nécessaire. Reste à étudier ses modalités pratiques. Utile.

La base légale résidant dans la résolution 2056 du Conseil de Sécurité de l’ONU adoptée début juillet pourra être utilisée pour donner mandat à la Cedeao pour engager une campagne militaire au Nord-Mali. L’institution universelle requiert cependant la présentation par les autorités africaines d’une feuille de route précise où soient clairement mentionnés une évaluation des moyens financiers et logistiques qui seraient employés et un calendrier d’intervention armée. Pour sa part, Ban Ki-Moon, a d’emblée évoqué le besoin de prendre en compte la dimension humanitaire que revêt une telle solution, lors de l’ouverture d’une conférence sur la crise sahélienne qu’il présidait en marge de l’Assemblée Générale. C’est essentiellement là que le bât de l’intervention tant prônée blesse. Les grandes puissances ne sont pas particulièrement réputées pour leur respect scrupuleux du droit international et leur souci du sort des populations civiles lors de telles opérations armées. 

Difficultés pratiques persistantes

Toute campagne militaire au Nord-Mali, à l’heure actuelle, comporterait inéluctablement des conséquences tragiques pour les populations civiles des zones concernées. Les autorités politiques qui ont fait part de leur préférence pour une intervention internationale armée ont-elles suffisamment mesuré les répercussions dramatiques qu’elle engendrerait sur place ? Cette interrogation n’est pas dénuée d’intérêt car il est inconcevable de ne pas considérer les innombrables pertes en vies humaines que causerait inévitablement une guerre de cette ampleur, en balayant ce paramètre d’un revers de la main pour le ranger dans le lot de dégâts collatéraux. Ils ne seraient certainement pas collatéraux, car ces individus qui y resteraient sont ceux-là mêmes dont les autorités ont l’obligation de préserver la vie avant toute chose, en ne s’aventurant pas dans une intervention hasardeuse qui deviendrait alors contre-productive. L’installation d’un régime islamique usant de procédés violents à l’encontre de populations civiles ne l’ayant pas souhaité est en soi inacceptable pour la communauté internationale ; tenter d’y mettre fin en assumant le risque d’ôter purement et simplement la vie à on ne sait encore quelle proportion de ces populations l’est encore plus. Comme l’a bien décrit un fonctionnaire malien à la retraite interrogé par un média européen, « quand les éléphants se battent, c’est l’herbe qui souffre. Les éléphants, ce sont les combattants d’ici et l’armée de Bamako avec ses soutiens extérieurs. L’herbe, ce sont les pauvres civils, nous ». Indéniable.

En outre, même dans le cas où une telle intervention serait décidée, il serait aberrant de ne pas prendre en compte les réticences encore formulées par une frange importante de l’armée malienne qui est parvenue à conquérir le cœur d’une bonne partie du peuple malien. En effet, ainsi que l’admettent certains diplomates et experts en sécurité, les troupes étrangères ne sauraient agir qu’en parfaite intelligence avec l’armée malienne, qui reste tout de même concernée au premier chef par la libération du Nord de son pays. Comme l’a estimé Djibril Bassolé, ministre burkinabé des affaires étrangères qui eut à s’impliquer activement dans les négociations post-coup d’état : « si la confiance ne s’établit pas entre l’armée malienne et les forces de la Cedeao, la mission d’intervention sera quasiment impossible ». Impasse majeure.
De plus, les difficultés pratiques sont multipliées, de manière presque exponentielle, par l’hostilité géographique qui caractérise les régions nord-maliennes, du point de vue du climat comme de celui du relief ; du moins pour des troupes qui n’y sont pas habituées et qui devront faire face à des combattants venant de tous les foyers djihadistes du monde, et rigoureusement endoctrinés par rapport à la défense des terres qu’ils considèrent désormais comme leurs. Cette confrontation sera d’autant plus hasardeuse que les puissances étrangères qui devront appuyer les forces africaines se trouvent déjà profondément engagées dans des batailles autrement difficiles, où l’essentiel de leurs moyens logistiques, notamment aériens comme les hélicoptères et les avions, ou d’assaut terrestre comme les chars appropriés à ces terrains, sont mobilisés de manière permanente. La Cedeao ne dispose évidemment pas de ces moyens.

Que faire ?

Une fois la difficulté d’aller en guerre admise, l’inertie n’est pas pour autant une option viable pour sortir les régions septentrionales du Mali du joug islamiste. Dans cet esprit, l’omission de l’évocation de l’attitude à adopter dans la crise malienne par le Président du pays hôte de l’ONU, Barack Obama – lors de son passage à la tribune de l’Assemblée Générale – est à plus d’un titre déplorable et indécente. Les Etats-Unis sont bien entendu profondément engagés dans d’autres théâtres d’opération au Moyen-Orient, et le Président américain est sans doute plus préoccupé par les équations de sa réélection que par celles qui se posent au monde dans la crise malienne ; mais un appui financier ou humanitaire américain, même dans le cadre de l’ONU, demeure indispensable à l’atteinte d’une solution durable. Il est indéniable que la Cedeao ne pourra mener seule une intervention militaire au Nord-Mali, même avec 3300 soldats, sans l’appui indéfectible des puissances internationales qui hélas, pour la plupart, se trouvent engagées sur d’autres fronts militaires et font face à une grave crise économique et financière. 

Difficile de comprendre l’attitude va-t-en guerre de Cheik Modibo Diarra. Pourquoi écarte-t-il toute possibilité de négociation avec les groupes armés en la considérant comme dépassée ? L’option militaire, rappelons-le, n’est ni infondée ni totalement à exclure. Elle n’est cependant pas la meilleure à l’heure actuelle. Octroyer à un gouvernement de transition – dont la durée de vie constitutionnelle de 40 jours a été rallongée à 12 mois par les autorités de la Cedeao – la possibilité d’initier une guerre qui s’étendra inévitablement sur la durée, c’est ouvrir la voie à toutes les formes de tentatives de coup d’état dans une région qui en fait suffisamment l’objet. Bien entendu, laisser le Nord-Mali sous ce qu’il est convenu d’appeler la coupe islamiste viendrait également encourager les tentations sécessionnistes un peu partout dans le continent.
Devant cette impasse, il serait à notre sens plus judicieux de poursuivre les efforts onusiens en faveur de l’aide humanitaire indispensable, et d’employer le contingent international qui serait mobilisé à la sécurisation des zones non encore conquises et des frontières des pays voisins pour faire comprendre dans un premier temps aux groupes islamistes armés qu’ils ne sont pas les bienvenus au Sahel. Dans un second temps, une solution politique globale, telle qu’initialement préconisée par l’Onu et que Ban Ki-Moon appelle de ses vœux, pourrait consister en la désignation d’un émissaire spécial pour le Mali, comme l’a évoqué le Secrétaire Général lors de la conférence sur le Sahel tenue en marge de l’Assemblée Générale. Son cahier de charges devrait comprendre la consultation de l’ensemble des acteurs prêts à s’engager dans la recherche d’un règlement pacifique qui incluse les revendications socio-économiques, allant du tissu associatif aux autorités de la transition. Ces dernières devraient également s’atteler à étudier les voies de mise en œuvre de l’autre mandat qui leur a été donné par la Cedeao, à savoir l’organisation des scrutins présidentiel et législatifs qui devaient avoir lieu juste avant que la junte du Capitaine Sanogo n’eût l’idée de déposer le Président Amadou Toumani Touré qui n’allait pas y participer. Les institutions qui en seront issues bénéficieraient de la légitimité nécessaire pour décider, dans les cadres légaux prévus à cet effet, de l’opportunité d’une action armée dans leur pays ainsi que de ses modalités pratiques. Quoi qu’il en soit, elle ne doit pas faire plus de mal que de bien et doit être un dernier recours. L’attitude mesurée du Secrétaire Général de l’Onu dans cette crise pour tempérer les exigences belliqueuses des autorités de transition, notamment le Premier ministre – alors que le Président intérimaire avait lui-même appelé les groupes armés au dialogue – est très appréciable et encourageante quant à la suite des évènements. Elle pourra se révéler assurément utile dans l’atteinte d’un dénouement global de la crise qui évite la précipitation.
C'est d'ailleurs en ce sens qu'il faut comprendre la déclaration du Général Carter Ham, à la tête du Commandement des forces armées américaines en Afrique (Africom), lors d'une visite à Alger, privilégiant « une solution politique et diplomatique à la crise qui secoue le nord du Mali depuis plusieurs mois ».

 

Mouhamadou Moustapha Mbengue