Retour d’Abdoulaye Wade au Sénégal: essoufflement ou second souffle?

wadeSous-couvert de patriotisme et de la volonté de sauver son parti, Abdoulaye Wade est rentré au Sénégal. Après avoir disparu de la scène politique pendant 2 ans, il a fait un retour remarqué au Sénégal le vendredi 25 avril 2014. L’ancien Président sénégalais avait quitté son pays pour la France après avoir perdu l’élection présidentielle du 25 mars 2012 face à son ancien Premier Ministre Macky Sall. Son retour a été marqué par quelques péripéties lors de son escale à Casablanca, puisque son arrivée à Dakar a été reportée à plusieurs reprises sans fondement à l’en croire, et pour défaut d’autorisations selon les autorités sénégalaises. Quoi qu’il en soit, le Pape du Sopi a encore accompli, à 88 ans, une démonstration de sa capacité de mobilisation, et surtout de sa position centrale au Parti Démocratique Sénégalais (PDS).

Volontairement ou involontairement, il a revêtu le manteau de la victime lors de son escale de 48 heures à Casablanca, en faisant croire à l’opinion publique que les autorités sénégalaises ont tenté d’empêcher son retour. Ces dernières ont pour leur part évoqué des questions de procédures pour expliquer le report de son vol. Il aurait ainsi modifié le personnel qui avait été initialement annoncé et changé d’appareil entre autres manœuvres, entraînant alors des vérifications supplémentaires pour l’autoriser à atterrir à Dakar.  L’opinion la mieux partagée sur cet épisode est que quelqu’un, du côté de Wade ou du pouvoir, a délibérément provoqué ce retard. Tout étant bien qui finit bien, Wade a été accueilli par une importante foule de partisans et de sympathisants dans la capitale sénégalaise. Dans un élan d’enthousiasme, il a déclaré que le régime actuel était incapable de satisfaire les aspirations des Sénégalais et que son fils, Karim Wade, en détention préventive dans le cadre d’une enquête pour enrichissement illicite, en est le seul capable. Mais au-delà de ces aspects épisodiques, deux grands enseignements peuvent être tirés de son come-back :

1)      Le Parti démocratique sénégalais est en essoufflement

Selon ses propres termes, Abdoulaye Wade est revenu pour sauver le PDS, qu’il a fondé il y a 40 ans. Le PDS connaît en effet une importante saignée depuis deux ans car beaucoup de ténors du parti l’ont quitté : Pape Diop, qui fut Maire de Dakar, Président de l’Assemblée Nationale ainsi que Président du Sénat sous sa bannière, a quitté le navire pour créer la Convergence démocratique Bokk Gis Gis ; Abdoulaye Baldé, Maire de Ziguinchor (Sud) et plusieurs fois Ministre sous Wade a fait de même en créant l’Union des Centristes du Sénégal (UCS) ;  Aida Mbodj, Maire de Bambey (Centre) et plusieurs fois Ministre sous Wade a créé un courant politique et a brillé par son absence à l’accueil de l’ancien Président ; tandis que d’autres anciens responsables du parti ont simplement rejoint le pouvoir actuel, comme Kalidou Diallo, Awa Ndiaye, Ousmane Seye, etc.

Tous ces départs témoignent d’une grande désaffection à l’égard du PDS et, in fine, de sa perte de vitalité depuis la défaite de 2012. Cela est probablement dû au fait qu’Abdoulaye Wade, comme les membres du PDS le disent souvent, est la seule constante dans ce parti.  En d’autres termes, il y décide de tout et le parti ne peut pas fonctionner sans lui, du fait du centralisme qui y a prévalu depuis toujours. Ainsi, il semble que personne d’autre n’est apte à diriger le parti à part lui, puisque son leadership est le seul qui y prévaut. La volonté de Wade de sauver le PDS, à deux mois des élections locales prévues en juin 2014, est consécutive à un essoufflement de son parti qui s’est émietté.

2)      Wade cherche un second souffle

Abdoulaye Wade est conscient du désamour que les Sénégalais lui ont exprimé le 25 mars 2012. Il a fait 26 ans d’opposition, dirigé le Sénégal pendant 12 ans, et aura certainement été l’un des personnages les plus marquants de la vie politique sénégalaise. Mais il lui reste un ultime combat : Karim Wade, son fils. En prison depuis près d’un an dans le cadre d’une enquête pour enrichissement illicite, Karim Wade a été l’une des principales causes de sa défaite, du fait des lourds soupçons sur Abdoulaye Wade de vouloir lui transmettre le pouvoir. L’ancien Président sénégalais ne semble pas pour autant avoir renoncé à l’idée de voir son fils occuper le fauteuil présidentiel, comme il l’a lui-même laissé entendre dans sa déclaration au siège du PDS le soir de son retour. Il souhaite en fait le positionner comme le seul adversaire crédible contre Macky Sall. Et pour ce faire, Abdoulaye Wade cherche un second souffle. Il souhaite remettre sur pied le Parti démocratique sénégalais en faisant revenir les responsables qui l’ont quitté, et surtout en réunifiant la famille libérale. Dans son esprit, Idrissa Seck (Maire de Thiès, Président du Rewmi, et ancien Premier Ministre sous Wade), Pape Diop, Abdoulaye Baldé et… Macky Sall peuvent tous se retrouver pour reconstituer le PDS. Il considère qu’ils proviennent de la même famille libérale qu’il a fondée et doivent pouvoir revenir dans ce parti. Cette réunification servirait bien entendu la cause de son fils biologique, Karim Wade, qu’il rêve de voir diriger le Sénégal. Pour lui, personne d’autre n’en est capable.

Il faut reconnaître à Wade le mérite de vouloir sauver son parti et son fils à un moment aussi difficile. Il faut cependant le faire revenir à la raison : ce rêve est purement utopique. Le PDS a fait sous son règne une gestion calamiteuse des ressources publiques en multipliant les scandales financiers. Ses responsables faisaient preuve d’une grande arrogance vis-à-vis des Sénégalais. Karim Wade a été traité de tous les noms d’oiseaux par les Sénégalais qui lui reprochaient d’avoir été trop associé à la gestion du pouvoir. Il a été à la tête de plusieurs ministères importants et a provoqué beaucoup de frustration dans les rangs du PDS même. Il est de plus soupçonné d’avoir détourné des centaines de milliards de francs CFA par une bonne frange du peuple. Peut-il dès lors prétendre être un martyr du simple fait que la justice de son pays le poursuit ? La réponse est non ! Son père peut-il lui servir tout le PDS sur un plateau ? Même réponse négative ! Karim Wade, à son corps défendant, doit rendre compte de la gestion des deniers publics qu’il a effectuée, et expliquer la provenance de son patrimoine. Cela prendra le temps qu’une bonne administration de la justice nécessite. Pour l’heure, il est utopique de vouloir rassembler la famille libérale : les courants idéologiques ne sont pas déterminants dans la vie politique sénégalaise. Ce qui peut paraître comme un retour en héros du Pape du Sopi, et qu’Abdoulaye Wade regarde avec un zeste d’aveuglement comme une occasion de sauver son parti et son fils, témoigne en réalité d'un essoufflement du PDS.

Mouhamadou Moustapha MBENGUE

Macky Sall, deux ans après: beaucoup de réformes, peu de satisfaction

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Deux ans après son élection à la tête de l’Etat sénégalais, Macky Sall fait face à un certain mécontentement social. Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir mis en place d’importantes réformes dans beaucoup de secteurs.

Beaucoup de réformes mises en places

En effet, le régime a enclenché un certain nombre de mesures visant à satisfaire la demande sociale, allant de la réduction des prix des denrées de première nécessité à la baisse des loyers, en passant par la création de bourses de sécurité familiale et celle d’une couverture maladie universelle. De plus, certains instruments importants destinés à stimuler et à soutenir l’activité économique ont été adoptés : le FONSIS (Fonds de soutien aux investissements stratégiques), le FONGIP (Fonds de garantie des investissements prioritaires), et la BNDE (Banque nationale de développement économique). De même, dans la continuité de la Stratégie de croissance accélérée, des Documents de stratégie de réduction de la pauvreté, et de la Stratégie nationale de développement économique et social, le Plan Sénégal émergent a été adopté et suit son cours. Ce dernier a enregistré un succès au groupe consultatif de Paris, où il a mobilisé la somme de 3729 milliards de F CFA auprès des bailleurs de fonds multilatéraux du Sénégal, après les 2200 milliards de F CFA obtenus auprès de la Chine pour le financer.  Tous ces programmes visent à atteindre une forte croissance via des réformes macro-économiques financées en partie par les partenaires internationaux du Sénégal. Parallèlement, certains chantiers ouverts par le régime précédent, concernant en particulier les infrastructures (routes, hôpitaux, chemin de fer, port, etc.) ont été maintenus ou améliorés. Plusieurs autres grandes mesures dans les domaines de l’agriculture, de l’élevage, de la pêche, de l’environnement, de l’énergie, de l’éducation, de l’enseignement supérieur, du travail, de la sécurité, de la fiscalité (pour ne citer que ceux-là) sont en train d’être mises en œuvre.

C’est ainsi qu’une nette amélioration de la distribution d’électricité a été notée. Un vaste programme de recrutement de plus de 5500 nouveaux agents dans la fonction publique a été effectué. 10 000 autres ont été enrôlés dans une agence dédiée à la sécurité de proximité pour prévenir la petite délinquance et rapprocher la police des citoyens. Il y a eu également une baisse importante de la fiscalité sur les salaires, qui vise à relever le pouvoir d’achat. En outre, l’Acte 3 de la décentralisation est venu modifier la carte administrative en matière de décentralisation, en supprimant des régions, créant des conseils généraux au niveau départemental, et surtout opérant une communalisation générale qui consiste à octroyer aux collectivités locales de base le même statut et les mêmes moyens financiers. Cette réforme qui vise la territorialisation des politiques publiques devrait permettre aux entités locales d’être plus autonomes vis-à-vis de l’Etat central. Par ailleurs, un programme d’audit de la fonction publique a été mené afin de déceler les erreurs et doublons qui s’y trouvent, ce qui permet de les corriger et d’avoir une plus grande transparence dans la gestion des agents publics. De même, la traque dite des biens mal acquis a été déclenchée dès le début du mandat pour obliger les personnes ayant occupé de hautes fonctions dans le régime précédent à restituer les biens qu’elles auraient acquis de manière illicite. Elle a fait passer devant les tribunaux plusieurs personnalités du Parti démocratique sénégalais telles que Karim Wade (fils de l’ancien Président Abdoulaye Wade qui était à la tête de plusieurs ministères importants), Bara Sady (ancien Directeur Général du Port autonome de Dakar), Tahibou Ndiaye (ancien Directeur du cadastre) et Aida Ndiongue (ancienne sénatrice et responsable du PDS). Enfin, un travail de réflexion sur les institutions a été fourni par la commission nationale chargée de la réforme des institutions (CNRI).  Ce dernier point mérite d’être examiné un tant soit peu.

Dans l’avant-projet de Constitution remis au Président Sall par le Pr Amadou Mahtar Mbow, ancien Directeur Général de l’Unesco, figurent des mesures-clés : le renforcement des pouvoirs du Premier ministre et du Parlement, le monocaméralisme à travers la suppression du Sénat, l’interdiction pour le chef de l’Etat d’être chef de parti, ainsi que les devoirs des citoyens relatifs au respect de l’ordre et de la sécurité publics, etc. Il propose également la création d’une Cour Constitutionnelle en lieu et place de l’actuel Conseil Constitutionnel, ce qui devrait permettre l’émergence d’une véritable justice constitutionnelle, plus indépendante et reflétant la diversité de la société sénégalaise. Ces propositions de réformes divisent la classe politique, et n’agréent pas en particulier le camp présidentiel, mais elles peuvent améliorer la vie démocratique sénégalaise. Il pourrait s’enrichir de la diminution des pouvoirs de nomination du Président de la République qui, actuellement, nomme à tous les emplois civils et militaires. Moult griefs ont été faits à l’encontre des propositions faites par la CNRI, mais ils ne s’avèrent pas fondés. La démocratie sénégalaise est certes dotée d’institutions fortes et stables, mais elle peut sans doute gagner en  progrès et en réformes. Le Sénégal doit adopter l’avant-projet de Constitution de la CNRI sans n’y changer aucune virgule, pour reprendre la formule du Président Diouf lorsqu'un Code électoral consensuel lui avait été soumis en 1992.

Du mécontentement social subsistant

Cependant, malgré tous ces efforts entrepris par l’actuel régime, force est de constater que le mécontentement social ne s’est pas encore éteint et que les Sénégalais ne sont pas encore sortis de l’auberge de la demande sociale. Il n’est besoin pour s’en convaincre que de se promener dans les rues dakaroises en prêtant attention aux discussions des gens, qui entonnent la même chanson : « Deuk bi dafa Macky ». Cette expression, répétée à longueur de journée, explique suffisamment que la demande sociale, pour laquelle le Président Sall a été élu, n’a pas encore été satisfaite. Malgré la baisse considérable des prix des denrées de première nécessité telles que le riz, l’huile, le lait et le sucre ainsi que celle des loyers, les Sénégalais rencontrent toujours de réelles difficultés pour se nourrir et se loger décemment. Malgré le recrutement de  milliers de nouveaux agents publics, le problème du chômage des jeunes n’a pas encore été résolu. Malgré les dispositifs de soutien à l’activité économique, notamment ceux de soutien aux PME, l’embellie économique n’est pas encore au rendez-vous.

En outre, l’Acte 3 de la décentralisation n’a pas été mené sur une base très consensuelle, vu que tous les acteurs concernés (élus locaux, organisations communautaires de base)  n’y ont pas été associés. Malgré les efforts de modernisation des secteurs agricole et silvo-pastoral, le milieu rural est confronté à d’énormes difficultés de commercialisation de ses produits comme l’arachide. Quant aux acteurs de la pêche, ils dénoncent la rareté de certains produits halieutiques du fait de la présence de gros navires étrangers dans les eaux sénégalaises. En plus de ces insatisfactions, d’autres facteurs de mécontentement sont nés. L’audit général de la fonction publique a généré un bras de fer avec les enseignants des lycées et collèges qui protestent contre la rétention des salaires qui a été effectuée pour certains d’entre eux. Les étudiants des universités publiques protestent contre une réforme du système de l’enseignement supérieur qui a instauré de nouveaux tarifs relatifs aux droits d’inscription annuels… En gros, un certain mécontement social subsiste.

L’opinion publique est impatiente

Du point de vue supérieur de l’opinion publique, les grandes réformes entreprises et les nombreux efforts déployés par les autorités publiques ne sont que du vent, tant et aussi longtemps que le Sénégalais moyen ne pourra satisfaire ses préoccupations primaires. La croissance économique affichée et les nouveaux plans de développement brandis sont de l’optimisme qui se vend sur les places internationales, mais ne produisent pas des effets immédiats sur son vécu quotidien. Et pour cause : le temps de l’opinion publique n’est pas celui d’une stratégie d’émergence à moyen ou long terme, telle que planifiée par le gouvernement. Les populations sénégalaises aspirent à une amélioration immédiate de leurs conditions de vie, avec une grande impatience. Or, le développement est une affaire de long terme pour un pays pauvre comme le Sénégal. Les sous-jacents économiques fondamentaux ne sont pas entièrement réunis pour permettre une émergence rapide. L’environnement des affaires n’a pas encore connu cette amélioration que les pouvoirs publics sénégalais appellent de leurs vœux. Les démarches et les coûts liés à la création d’une entreprise ou à l’obtention d’un permis de construire sont encore d’importants freins à l’investissement.

L’investissement est le maître-mot !

Le Sénégal est dans une phase de transition consécutive à la gabegie générale dont ont souffert les finances publiques lors du régime précédent. Cette situation transitoire devrait permettre d’assainir les finances publiques et remettre l’Etat sur les rails de la bonne gouvernance. Le Sénégal doit impérativement garder ce cap de réformes pour atteindre le palier de l’émergence, en s’appuyant aussi bien sur son secteur privé que sur les investissements directs étrangers même s'il y aura des moments difficiles avant qu'elles ne fassent leurs effets.

Une option pragmatique voudrait que les autorités publiques se concentrent sur les priorités économiques : agriculture (parvenir à écouler les productions agricoles), industries (piliers incontournables du développement ; en particulier celles minières et extractives, dont le Sénégal peut encore beaucoup profiter), infrastructures (l’état d’une route comme celle de Fatick-Kaolack est inacceptable), énergie (les coupures de courant freinent l’activité économique), emploi (un des plus grands défis des pouvoirs publics car une jeunesse désœuvrée est un facteur d’instabilité), assainissement et environnement (l’insalubrité publique est une bombe à retardement), etc. Bien entendu, l’éducation et la santé demeurent des secteurs prioritaires pour améliorer le capital humain. Le Sénégal doit poursuivre les efforts qui y ont été fournis. Le maître-mot des politiques publiques, dans les années à venir, devra être l’investissement. Le Sénégal a une certaine facilité pour en mobiliser grâce à sa stabilité politique et à l’efficacité de sa diplomatie économique ; c’est pourquoi il faudra poursuivre les efforts qui sont fournis pour augmenter l’attractivité du pays ainsi que sa compétitivité. L’investissement doit profiter aux productions où le Sénégal a un avantage comparatif (comme l’arachide, le mil, le sel, le coton, les poissons, les phosphates). Il doit également bénéficier aux secteurs à haut potentiel de rendement comme l’agro-business (surtout dans la vallée du fleuve Sénégal et dans les Niayes), les TIC, les énergies renouvelables (solaires, hydrauliques, éoliennes). La conclusion de PPP pourrait être un grand levier car ils facilitent la mobilisation de capitaux pour le financement des services publics. L’investissement (public comme privé) reste une condition sine qua non du développement pour un pays parce que lorsqu’il est bien organisé, toutes les portes lui sont ouvertes. 

                                                      Mouhamadou Moustapha Mbengue

Entretien avec Mamadou Cissokho, président du CNCR et du ROPPA

mama cissokhoMamadou Cissokho est Président du Conseil National de Concertation et de Coopération des Ruraux du Sénégal (CNCR) et du Réseau des Organisations Paysannes et de Producteurs d’Afrique de l’Ouest (ROPPA).

Comment est né le CNCR et quelles sont ses missions ?

Agriculteur, exploitant paysan à Koumpentoum (Est du Sénégal), j’ai formé le CNCR avec plusieurs autres leaders du milieu paysan sénégalais en 1983. Notre volonté était de construire un véritable réseau de solidarité et de défense des intérêts des agricultures familiales sénégalaises. Après l’échec des politiques d’ajustements structurels menées par l’Etat, sur les préconisations du FMI et de la Banque Mondiale, les agriculteurs ont donc décidé de porter eux-mêmes le combat pour la défense de leurs intérêts auprès de ces bailleurs de fonds et institutions internationales. Plusieurs fédérations agricoles, notamment la FONGS (Fédération des Organisations Non Gouvernementales du Sénégal) et l’UNCEFS (l’Union Nationale des Coopératives d’Exploitants Forestiers) y ont pris part.

Quel est le niveau de coordination des organisations paysannes en Afrique ?

A l’instar des Etats qui ont décidé de se regrouper au sein d’instances communautaires, les organisations paysannes ont pris conscience de la nécessité de coordonner leurs actions afin d’accompagner voire de suppléer les actions des institutions internationales.

Cela s’inscrit dans l’intérêt croissant acquis par les questions politiques dans l’action des ONG.Par exemple, la présence des ONG aux négociations avec l’OMC sur les Accords de Partenariat économiques (APE) a été très utile. Malheureusement, les coûts de participation aux réunions internationales sont élevés et handicapent les efforts des organisations paysannes du Sud à ce niveau.

Quels sont les obstacles rencontrés par les organisations paysannes ?

Le poids des procédures publiques demeure entier pour les fédérations paysannes. L’Etat veut garder une mainmise sur les activités de production de manière légitime, mais il devrait laisser le monde paysan, constitué de maraîchers, d’éleveurs, d’aviculteurs etc., fonctionner selon ses propres principes.  Les gouvernements préfèrent souvent contrôler leurs activités de manière trop large. C’est pourquoi les concertations entre fédérations paysannes et structures étatiques sont positives. L’insuffisance des ressources financières des organisations paysannes est un très grand handicap. C’est pourquoi elles se regroupent à l’échelle régionale et continentale, pour mieux défendre leurs intérêts auprès des gouvernements et organisations communautaires.

Quels sont les défis du ROPPA ?

Il faudra tout d’abord assurer une sécurité et une souveraineté alimentaires dans le marché régional. Il faudra ensuite renforcer la protection des produits car la seule coopération ne favorise pas la souveraineté alimentaire. Il faudra également assurer des productions de qualité car elles ne connaîtront pas de risque de mévente. Les quantités de riz, de manioc ou de blé disponibles sont insuffisantes par exemple.  Enfin, il faudra mieux aider les jeunes à s’installer dans le marché, à travers la chaîne de production.

Interview réalisée par Mouhamadou Moustapha Mbengue, et publiée avec l’accord de CONCORD, 

Haro sur le dysfonctionnement chronique des armées africaines

 

 

 

 

armées africaines

Inefficaces, incompétentes, peu organisées, mal équipées, mal aimées… Les maux qui gangrènent les armées africaines sont légion depuis plusieurs décennies.  Rares sont celles qui sont parvenues à bâtir une bonne réputation à travers leur comportement dans des missions de maintien de la paix et autres théâtres d’opération : le Tchad, le Ghana, le Nigéria, l’Afrique du Sud, et le Sénégal parmi peu d’autres. Mais la plupart des armées africaines souffrent d’une profonde maladie relative à leur opérationnalité et à leur efficacité. Si bien qu’elles se font surprendre naïvement par des groupes rebelles sous le regard impuissant des autorités politiques qui les gouvernent.

Au Mali, en Guinée Bissau, en Centrafrique, en République Démocratique du Congo, pour ne citer que ces pays, elles se sont révélées incapables d’assurer le rôle traditionnel qui leur est dévolu : la défense et la sécurité nationales. Pis, elles sont redoutées par les pouvoirs publics et craintes par les populations qu’elles sont censées défendre. Il faut donc absolument chercher, trouver, et guérir le mal qui empêche les armées africaines de remplir leurs missions.

Communément admises comme les grandes muettes, les armées sont confinées à un rôle de sécurisation des territoires dans le strict respect de la hiérarchie interne et des autorités politiques.  Ces dernières conservent un droit de commandement indiscutable sur elles et, inversement, les militaires sont emmurés dans un devoir de réserve et de neutralité par rapport à la chose politique. Il est nécessaire de s’interroger sur la pertinence de tels principes. Le bon soldat, toujours prêt à exécuter les ordres de ses supérieurs, sans hésitation ni murmure, n’a aucun droit de cité dans la gestion des affaires publiques. A peine lui reconnaît-on parfois un droit de vote distillé au compte-goutte et il le rend bien : il reste poliment chez lui lors des consultations électorales.

Dans l’acception commune, les hommes de troupe doivent rester dans les casernes. Ils n’en sortent que pour faire face à l’ennemi extérieur qui menacerait l’intégrité nationale. Mais il est temps de sortir de ces carcans de pensée ! Pourquoi confiner le militaire à un rôle d’exécution pur et simple, alors qu’on lui demande dans le même temps d’abandonner famille et amis pour servir la Nation ? Risquer sa vie. Tomber au front. Aider les citoyens et se taire. Ne jamais broncher. Veiller nuit et jour sur les autres…

Il est impossible d’énumérer le nombre de dysfonctionnements dont souffrent la majeure partie des hommes en tenue. Malgré le semblant d’hiérarchie et de discipline qui les caractérise, ils subissent dans un silence intenable les rugosités de l’organisation administrative. Les maigres indemnités dont ils doivent bénéficier sont accordées à ceux qui connaissent les bonnes personnes dans l’administration. Les dossiers de demande d’affectation ou de prise de congé par exemple dorment pendant une éternité dans les tiroirs de ces administrations. Il ne faut surtout pas qu’ils lèvent le plus petit doigt ou qu’ils interpellent leurs chefs sur ces dysfonctionnements innombrables. Jusqu’à quand faut-il accepter cet état des choses ? Combien de temps peut-on docilement rester subordonné aux injonctions parfois irrespectueuses des chefs, subir les lenteurs administratives, et veiller scrupuleusement à la sécurité des citoyens ?

Les dysfonctionnements tuent les armées africaines. De Dakar à Abidjan, de Bissau à Bangui, de Lagos à Kinshasa. Elles souffrent d’un manque criard de ressources financières, de matériels d’équipement, d’efficacité organisationnelle. De plus, elles ne doivent jamais s’encombrer de débats publics sur leurs tares.  Elles doivent se maintenir dans les rangs pour mériter la confiance des autorités politiques qui décident de leurs lignes budgétaires et de l’opportunité de leurs interventions au front. La discipline est inscrite au fronton des camps militaires. Leurs conditions de restauration, de logement, de transport et de combat laissent beaucoup à désirer.

Quant à la dichotomie entre les unités de gendarmerie et de police, elle reste incomprise et inutile. Les unes civiles, les autres militaires. Dans cet imbroglio indicible, la plupart des citoyens font mal la part des choses entre les rôles des unes et des autres. L’autre inconnue réside dans le cheminement des dossiers de plainte selon qu’il s’agisse d’un circuit militaire ou policier. La relation avec les autorités judiciaires est difficile à établir. Rien n’empêche les services du procureur de la République ou du juge d’instruction de classer ces dossiers sans suite, surtout lorsqu’une connaissance bien placée ne les accélère pas. Le reste est affaire de copinage. Et de corruption en veux-tu, en voilà !

Les militaires donnent beaucoup et reçoivent peu, lorsqu’ils ne font pas partie du petit nombre bridé par le pouvoir politique. Ils exercent l’un des métiers les plus ingrats au monde, et l’un des plus nécessaires.

Ceux qui sont préposés à la circulation urbaine parviennent rarement à la fluidifier. Ceux qui se trouvent aux frontières, même parmi les officiers, ont peu de prise sur le commandement de leurs propres unités. Il faut toujours un ordre qui vienne d’en haut. A quoi bon les responsabiliser dans ce cas ? Ceux qui se trouvent sur les théâtres d’opération manquent de moyens logistiques qu’ils pourraient mobiliser de manière immédiate face à un danger. Ils servent de chair à canon et doivent prouver en permanence leur bravoure et leur aptitude au combat. Il faut réviser en profondeur le mode de fonctionnement des armées ainsi que leur traitement salarial. Il faut leur doter de moyens financiers et logistiques conséquents. Beaucoup de services de gendarmerie et d’infanterie ne disposent pas des moyens de travail les plus basiques. Et après on s’étonne que les armées soient divisées, inefficaces, et qu’elles déguerpissent à la moindre menace ! Les autorités politiques africaines doivent s’occuper de leurs armées avant que le mal ne s’installe de manière irréversible.

 Mouhamadou Moustapha Mbengue

Macky Sall, un an après: Le temps des cafouillages

 

Le pouvoir de Macky Sall, un an après, connaît d’importants cafouillages qui sont autant de facteurs d’inquiétude. Aux dissensions internes dans la coalition politique au pouvoir, Bennoo Bokk Yaakar, s’est ajouté un impressionnant tumulte au sein du gouvernement au sujet de la traque des biens mal acquis. Enfin, une fois de plus, un sérieux débat juridique sur la réduction du mandat présidentiel se fait jour.

Des élections locales en rangs dispersés

Les élections locales prévues en mars 2014 constituent de plus en plus un sujet de discorde pour les différents partis de la coalition majoritaire Bennoo Bokk Yaakar. Suite à la victoire de Macky Sall au second tour du scrutin présidentiel de mars 2012, un gouvernement de coalition, qui a intégré presque toute l’ancienne opposition, a été formé. Cette coalition, reconduite aux élections législatives tenues en juillet 2012, risque cependant de ne pas survivre jusqu’aux prochaines joutes électorales. En effet, les alliés de Bennoo Bokk Yaakar  iront certainement en rangs dispersés aux élections locales de mars 2014. Le renouvellement des instances politiques issues de la décentralisation fait l’objet de vives concurrences entre les responsables de l’APR (Alliance pour la République), du PS (Parti socialiste), de l’AFP (Alliance des Forces du Progrès) et du Rewmi.

Ainsi, Mbaye Ndiaye, éminence grise de l’APR, a récemment lancé un appel du pied à Khalifa Sall, Maire PS de Dakar, à rejoindre les rangs du parti présidentiel s’il tenait à conserver son fauteuil à la tête de la capitale du pays. De même, le Président Macky Sall et le député Abdou Mbow, responsable des jeunes de l’APR, ont clairement fait savoir que leur parti pourrait confectionner ses propres listes dans certaines circonscriptions électorales. Quant à l’AFP, parti du Président de l’Assemblée Nationale Moustapha Niasse, elle a jusque là observé un certain mutisme sur cette question. Son leader compte vraisemblablement rester aux côtés de l’APR autant que faire se pourra, mais rien ne garantit que les responsables du parti s’alignent sur cette volonté. Le Rewmi d’Idrissa Seck, Maire de Thiès et ancien Premier Ministre sous Wade, est pour sa part dans une posture d’indépendance par rapport à l’alliance Bennoo Bokk Yaakar. Idrissa Seck prend souvent ses distances, en menant par exemple une grande tournée en solitaire dans plusieurs localités du Sénégal. En somme, de véritables fissures risquent d’éclater au grand jour, à mesure qu’approchent les élections locales.

L’épisode malheureux de la médiation pénale

Par ailleurs, la coalition au pouvoir peine à affirmer une réelle cohésion d’ensemble dans la communication gouvernementale. Un épisode ahurissant a été la question de la médiation pénale dans l’affaire dite des biens mal acquis. Cette proposition faite par l’avocat de l’Etat, Me El Hadji Diouf, et défendue par le Ministre en charge de la promotion de la bonne gouvernance et Porte-parole du gouvernement, Abdou Latif Coulibaly, a fait long feu. La médiation pénale aurait consisté à convaincre les responsables du régime de Wade soupçonnés d’enrichissement illicite à rembourser 80% des sommes détournées pour éviter la prison. Mais très rapidement, Madame Aminata Touré, Ministre de la Justice, s’est inscrite contre cette idée de son collègue. Ce qui est regrettable, c’est qu’il puisse exister une telle mésentente parmi les membres du gouvernement. Ce défaut de cohérence dans la communication est décrié comme une cacophonie au sommet de l’Etat.

 La réduction du mandat présidentiel en questions

Enfin, la question de la réduction du mandat présidentiel de sept à cinq ans, promise par Macky Sall lors de la campagne présidentielle, divise au sein de la classe politique. Certains juristes, dont l’éminent Ismaila Madior Fall, défendent l’idée d’un référendum pour l’opérer. Selon eux, une loi adoptée par l’Assemblée Nationale pour y arriver, ainsi que le préconisent certains hommes politiques,  violerait la Constitution du Sénégal. En effet, l’article 27 de la loi fondamentale stipule que la durée du mandat présidentiel « ne peut être révisée que par une loi référendaire ». Ainsi, si l’on s’en tient à cette analyse, seule une loi référendaire permettrait de la modifier. Mais le juridisme serait alors poussé à son bout, et le jeu n’en vaudrait pas la chandelle. Car l’organisation d’un référendum prendrait beaucoup de temps et d’argent. Les ressources budgétaires de l’Etat sénégalais sont déjà assez maigres. Le gouvernement peine à satisfaire la demande sociale pour laquelle le président de la République a été élu il y a un an. Des élections locales pointent à l’horizon. S’y ajoutent les redoutables inondations et montées des prix des denrées alimentaires. Est-il raisonnable de privilégier l’organisation d’un référendum sur d’autres solutions plus pragmatiques ? Si l’on tient vaille que vaille à respecter la Constitution, il reste une dernière solution qui peut faire consensus. Elle consisterait en la démission du Président de la République à l’issue des cinq premières années de son mandat. Dans ce cas de figure, le Conseil Constitutionnel constaterait la vacance du pouvoir, avant de désigner le Président de l’Assemblée Nationale pour assurer l’intérim et organiser l’élection présidentielle. Cette solution aurait le mérite de préserver les sommes importantes que coûterait un référendum, tout en conférant une grande sagesse à Macky Sall, qui respecterait un engagement électoral sans précédent dans l’histoire politique du Sénégal.

Mouhamadou Moustapha Mbengue

La justice de Macky Sall traque les dignitaires de l’ancien parti démocratique sénégalais

imagesLa plupart des barons du PDS sont empêtrés dans de beaux draps avec la décision des autorités sénégalaises de les poursuivre en justice. Ainsi, après la mise sous mandat de dépôt de Ndèye Khady Gueye, certains d’entre eux sont-ils montés au créneau pour dénoncer un énième épisode de ces traques. Mais la manière dont ces enquêtes sont décriées laisse à désirer, car elle fait fi de ce qu’elles représentent des moments-clé dans la vie d’une Nation.

Par exemple, Monsieur Babacar Gaye, ancien Ministre des Affaires Politiques sous Wade, actuellement Président du Conseil Régional de Kaffrine (Centre), est intervenu dans quelques médias dakarois pour fustiger les décisions des autorités politiques et judiciaires du Sénégal. De même, Me Ousmane Ngom, ancien Ministre de l’Intérieur et ancien Ministre de la Justice, estime qu’aucune juridiction sénégalaise ne devrait statuer sur le cas des anciens Ministres de Wade, excepté la Haute Cour de Justice de la République.

Pour leur propre information, les cours spéciales du Sénégal, y compris la Cour de Répression de l’Enrichissement Illicite (CREI), sont organisées par des textes adoptés par le Parlement du pays, avec des missions claires et précises. De ce fait, sauf à ne plus faire confiance à la justice de ce pays et à ses lois, Ousmane Ngom, au vu des fonctions qu’il a occupées, se devrait de laisser libre cours à cette justice.

L’Etat du Sénégal ne se perd pas en conjectures en mettant en place un dispositif de répression des crimes économiques. Que les anciens caciques du PDS se rassurent donc, la volonté de faire rendre des comptes et/ou de rapatrier les fonds publics mal utilisés n’est pas une perte de temps. D’ailleurs, le Sénégal est un pays dont les hommes de droit sont réputés intègres et les institutions politiques et judiciaires fiables. Les récriminations dont ces procédures de reddition des comptes font l’objet pèchent par trop de juridisme. Bien entendu, il incombe aux magistrats d’en décider. Mais encore faut-il qu’on leur accorde, et par la même occasion à la justice sénégalaise, l’occasion de rendre leurs décisions. Et cela passera inévitablement par le crédit qu’on accordera aux institutions judiciaires du Sénégal.

téléchargementLe billet d’écrou délivré à Ndeye Khady Gueye, ancienne Directrice du Fonds de Promotion économique, par le Doyen des Juges d’instruction, Mahawa Sémou Diouf, n’est qu’une page de la longue liste d’auditions et mandats de dépôt dont les anciens barons du PDS font l’objet. Sur rapport de la Cellule Nationale de traitement des informations financières (Centif), le magistrat a décidé de placer sous mandat de dépôt la dame de la Gueule-Tapée pour escroquerie portant sur des deniers publics, détournement de deniers publics, complicité de détournement et de blanchiment de capitaux. La gravité des chefs d’accusation, portant sur près de 3 milliards, démontre à elle seule qu’il s’agit, pour cette affaire comme pour les autres, de moments-clé de la vie d’une Nation.

Seul l’avenir nous édifiera sur la réalité des faits incriminés, envers elle comme envers les autres. Mais nul n’a le droit de faire obstacle à la justice sénégalaise. Car c’est bien l’avenir de cette dernière qui est en jeu, qu’il s’agisse de la CREI, de la CENTIF, de la Haute Cour de Justice, ou des tribunaux ordinaires.

 

Mouhamadou Moustapha Mbengue

La réforme de l’Etat au Mozambique (2)

 

mozambique

Dans la deuxième partie de cet article sur la réforme de l'Etat au Mozambique, Mouhamadou Mbengue présente les premières mesures de réforme déterminantes et propose une explication à leurs résultats insatisfaisants.

II L’adoption des premières réformes publiques déterminantes au Mozambique


Un plan décennal de réforme de l’Etat, intitulé Stratégie globale en faveur de la réforme du secteur public (EGRSP), fut adopté en 2001 sous l’égide des bailleurs de fonds. Ce nouveau programme avait pour but d’amener de véritables changements dans l’exécution des services publics, en passant par : « la décentralisation, la gestion des ressources humaines, la politique publique, la gestion financière publique et la lutte contre la corruption ». (1)

Les éléments du NPM inspirent fortement les politiques publiques : « guichets uniques », gouvernement électronique, mise en concurrence pour les marchés publics dans la prestation de service et le recrutement des hauts fonctionnaires, nouveau régime salarial, systèmes de gestion du rendement, responsabilité financière, entre autres. (2) 

Les finances publiques en particulier subirent une véritable cure d’assainissement, et la lutte contre la corruption est rapidement devenue un sacerdoce. Dans le même temps, une simplification des procédures se mit en place dans la plupart des services publics contre les lenteurs bureaucratiques. Cependant, les formalités n’ont pas atteint le degré de standardisation souhaité, malgré la création de « guichets uniques », du fait du manque de formation des agents. Idem pour l’e-gouvernement.

Il faut en déduire que la plupart des fonctionnaires n’ont pas eu les compétences nécessaires pour atteindre les objectifs des réformes passant par les méthodes administratives modernes. Le poids de la culture politique et des réflexes habituels a beaucoup galvaudé l’élan de changement. Plus de la moitié des cadres publics ne possèdent pas un diplôme d’enseignement supérieur (3) et ignorent les principes les plus basiques du fonctionnement de l’Etat. Pour palier ce déficit, le gouvernement créa en 2004 des formations destinées aux agents de l’Etat. L’institut Supérieur d’Administration Publique (ISAP) fut ouvert pour offrir ces nouvelles formations.

III Améliorer les programmes de réforme par le capital humain

La plus grosse erreur commise par les dirigeants politiques mozambicains, comme la plupart de leurs collègues africains, a été de croire qu’il suffisait d’adopter les programmes issus du NMP pour parvenir à un Etat moderne en un temps record. L’application immédiate des recettes et préceptes des bailleurs de fonds n’ont pas suffi.

Ces derniers ont complètement fait table rase du degré de culture démocratique nécessaire dans tout pays avant l’introduction d’éléments du Nouveau Management Public. Pour remplacer l’etat wéberien, encore faut-il qu’il existe. Les techniques administratives modernes n’ont pas pu avoir le résultat escompté du fait de l’absence d’Etat solide. Les agents responsables de leur exécution n’avaient pas reçu les notions de base en matière de service public et de gestion, non même celles wébériennes. L’efficacité n’a donc pas été au rendez-vous.

Ainsi, malgré le grand nombre de mesures entreprises pour améliorer la gestion publique, les résultats escomptés ne sont pas venus. La multiplication des programmes, écoles, et procédures modernes n’y a donc pas fait grand chose. L’une des raisons principales en est que les fonctionnaires mozambicains n’ont pas de formation de base sur le fonctionnement de l’Etat classique, de type wébérien. Cette carence est imputable à la brutalité de la libération nationale.

Comme Harry Taylor, spécialiste reconnu du Management Public dans les pays en développement, l’a si bien décrit, les administrations publiques doivent « apprendre à marcher avant de courir ». (4) La plupart des programmes de réforme ont brûlé les étapes rudimentaires de la gestion publique. L’inclusion de techniques modernes visant à améliorer le rendement et l’efficacité du service public est bien entendu inévitable au Mozambique. Mais à l’heure actuelle, la priorité doit être la formation des agents de l’Etat aux concepts de base de la gestion des affaires publiques.

De manière générale, l’administration publique africaine souffre du niveau de ses fonctionnaires. Ceux-ci, même lorsqu’ils ont acquis des enseignements orientés vers la gestion publique, ne se soucient pas beaucoup des impacts de leurs décisions pour l’intérêt général. Or, ce dernier doit être au début et à la fin de toute politique publique, pour que le vouloir-vivre commun demeure. Il est en effet irrationnel d’oublier cette notion qui fonde le contrat social, dont les fonctionnaires sont censés garantir la pérennité. Il faut bannir la gestion publique épicière à tout prix.

Les Etats africains pourront difficilement se perpétuer sans la prise en compte de cette exigence. A tous les niveaux de l’administration, la formation en droit, en histoire, en économie, en expression écrite et orale, ainsi que dans d’autres disciplines liées aux départements techniques, doit absolument être revisitée, tout en tenant compte des exigences de modernisation. L’ignorance de ces paramètres essentiels a beaucoup réduit l’élan réformateur et novateur au Mozambique. La standardisation, la simplification, et la modernisation des procédures suivront.

Cependant, il existe aussi peu d’incitation financière en particulier au profit des agents de l’Etat. Il est effectivement difficile de mener à bien des réformes novatrices, ou même d’assurer le fonctionnement régulier des services publics, sans une véritable politique globale en leur faveur. Les fonctionnaires voient parfois défiler des sommes colossales qu’ils doivent utiliser pour leurs institutions, mais sont souvent tentés d’y puiser pour régler des préoccupations personnelles. 

Mouhamadou Moustapha Mbengue

 

 [1] Awortwi, Nicholas : « Doter les administrateurs et gestionnaires publics de nouvelles compétences à l'époque des réformes du secteur public : le cas du Mozambique » , Revue Internationale des Sciences Administratives, 2010/4 Vol. 76, p. 767.

[2] République du Mozambique (2006).

[3] Awortwi Nicholas, Op. Cit. p.771.

Le monde à l’épreuve nord-malienne

La gravité du bourbier nord-malien s’accentue de jour en jour. Les peines que rencontrent les autorités de la transition et leurs partenaires internationaux – notamment Cedeao, Union Africaine, ONU et France – dans leurs efforts de libérer les régions occupées par des groupes armés ne cessent de croître. La 67ème session de l'Assemblée générale de l’ONU a été l’occasion pour les uns et les autres d’exprimer leur position par rapport à une éventuelle intervention militaire pour sortir le Nord-Mali, mais également l’ensemble du Sahel, du joug islamiste. S’il semble désormais acquis que cette option est envisagée de plus en plus sérieusement par les différents dirigeants concernés, il s’avère néanmoins indéniable qu’elle sera extrêmement difficile à mettre en œuvre.

Accord de violons à la tribune des Nations Unies

Suite à la demande formelle effectuée par l’exécutif malien – le Président Diocounda Traoré et le Premier Ministre Modibo Diarra – conjointement à la Cedeao et à l’Onu, d’une aide pour débouter les groupes armés des régions septentrionales du Mali, les deux institutions internationales ont exprimé leur accord de principe pour une telle intervention militaire. Après quelques réticences à accueillir des soldats étrangers sur leur sol – toujours présentes au sein de la junte putschiste amenée par le Capitaine Amadou Haya Sanogo – les autorités de la transition ont donc compris la nécessité de bénéficier d’un soutien extérieur pour sécuriser les territoires non encore conquis et dérouler une attaque armée au Nord. Lors de l’ouverture de l’Assemblée Générale de l’ONU, certaines personnalités politiques importantes concernées par cette crise se sont exprimées favorablement à la perspective d’une intervention militaire. Le Président béninois, Yayi Boni, par ailleurs Président en exercice de l’Union Africaine, le Président sénégalais, Macky Sall, proche voisin, et le Président français, François Hollande, partenaire important, sont allés de concert dans leurs déclarations en faveur d’une action armée internationale. Il semble donc globalement admis qu’une intervention militaire internationale, permise par l’ONU et menée par la Cedeao, soit devenue sinon imminente, du moins nécessaire. Reste à étudier ses modalités pratiques. Utile.

La base légale résidant dans la résolution 2056 du Conseil de Sécurité de l’ONU adoptée début juillet pourra être utilisée pour donner mandat à la Cedeao pour engager une campagne militaire au Nord-Mali. L’institution universelle requiert cependant la présentation par les autorités africaines d’une feuille de route précise où soient clairement mentionnés une évaluation des moyens financiers et logistiques qui seraient employés et un calendrier d’intervention armée. Pour sa part, Ban Ki-Moon, a d’emblée évoqué le besoin de prendre en compte la dimension humanitaire que revêt une telle solution, lors de l’ouverture d’une conférence sur la crise sahélienne qu’il présidait en marge de l’Assemblée Générale. C’est essentiellement là que le bât de l’intervention tant prônée blesse. Les grandes puissances ne sont pas particulièrement réputées pour leur respect scrupuleux du droit international et leur souci du sort des populations civiles lors de telles opérations armées. 

Difficultés pratiques persistantes

Toute campagne militaire au Nord-Mali, à l’heure actuelle, comporterait inéluctablement des conséquences tragiques pour les populations civiles des zones concernées. Les autorités politiques qui ont fait part de leur préférence pour une intervention internationale armée ont-elles suffisamment mesuré les répercussions dramatiques qu’elle engendrerait sur place ? Cette interrogation n’est pas dénuée d’intérêt car il est inconcevable de ne pas considérer les innombrables pertes en vies humaines que causerait inévitablement une guerre de cette ampleur, en balayant ce paramètre d’un revers de la main pour le ranger dans le lot de dégâts collatéraux. Ils ne seraient certainement pas collatéraux, car ces individus qui y resteraient sont ceux-là mêmes dont les autorités ont l’obligation de préserver la vie avant toute chose, en ne s’aventurant pas dans une intervention hasardeuse qui deviendrait alors contre-productive. L’installation d’un régime islamique usant de procédés violents à l’encontre de populations civiles ne l’ayant pas souhaité est en soi inacceptable pour la communauté internationale ; tenter d’y mettre fin en assumant le risque d’ôter purement et simplement la vie à on ne sait encore quelle proportion de ces populations l’est encore plus. Comme l’a bien décrit un fonctionnaire malien à la retraite interrogé par un média européen, « quand les éléphants se battent, c’est l’herbe qui souffre. Les éléphants, ce sont les combattants d’ici et l’armée de Bamako avec ses soutiens extérieurs. L’herbe, ce sont les pauvres civils, nous ». Indéniable.

En outre, même dans le cas où une telle intervention serait décidée, il serait aberrant de ne pas prendre en compte les réticences encore formulées par une frange importante de l’armée malienne qui est parvenue à conquérir le cœur d’une bonne partie du peuple malien. En effet, ainsi que l’admettent certains diplomates et experts en sécurité, les troupes étrangères ne sauraient agir qu’en parfaite intelligence avec l’armée malienne, qui reste tout de même concernée au premier chef par la libération du Nord de son pays. Comme l’a estimé Djibril Bassolé, ministre burkinabé des affaires étrangères qui eut à s’impliquer activement dans les négociations post-coup d’état : « si la confiance ne s’établit pas entre l’armée malienne et les forces de la Cedeao, la mission d’intervention sera quasiment impossible ». Impasse majeure.
De plus, les difficultés pratiques sont multipliées, de manière presque exponentielle, par l’hostilité géographique qui caractérise les régions nord-maliennes, du point de vue du climat comme de celui du relief ; du moins pour des troupes qui n’y sont pas habituées et qui devront faire face à des combattants venant de tous les foyers djihadistes du monde, et rigoureusement endoctrinés par rapport à la défense des terres qu’ils considèrent désormais comme leurs. Cette confrontation sera d’autant plus hasardeuse que les puissances étrangères qui devront appuyer les forces africaines se trouvent déjà profondément engagées dans des batailles autrement difficiles, où l’essentiel de leurs moyens logistiques, notamment aériens comme les hélicoptères et les avions, ou d’assaut terrestre comme les chars appropriés à ces terrains, sont mobilisés de manière permanente. La Cedeao ne dispose évidemment pas de ces moyens.

Que faire ?

Une fois la difficulté d’aller en guerre admise, l’inertie n’est pas pour autant une option viable pour sortir les régions septentrionales du Mali du joug islamiste. Dans cet esprit, l’omission de l’évocation de l’attitude à adopter dans la crise malienne par le Président du pays hôte de l’ONU, Barack Obama – lors de son passage à la tribune de l’Assemblée Générale – est à plus d’un titre déplorable et indécente. Les Etats-Unis sont bien entendu profondément engagés dans d’autres théâtres d’opération au Moyen-Orient, et le Président américain est sans doute plus préoccupé par les équations de sa réélection que par celles qui se posent au monde dans la crise malienne ; mais un appui financier ou humanitaire américain, même dans le cadre de l’ONU, demeure indispensable à l’atteinte d’une solution durable. Il est indéniable que la Cedeao ne pourra mener seule une intervention militaire au Nord-Mali, même avec 3300 soldats, sans l’appui indéfectible des puissances internationales qui hélas, pour la plupart, se trouvent engagées sur d’autres fronts militaires et font face à une grave crise économique et financière. 

Difficile de comprendre l’attitude va-t-en guerre de Cheik Modibo Diarra. Pourquoi écarte-t-il toute possibilité de négociation avec les groupes armés en la considérant comme dépassée ? L’option militaire, rappelons-le, n’est ni infondée ni totalement à exclure. Elle n’est cependant pas la meilleure à l’heure actuelle. Octroyer à un gouvernement de transition – dont la durée de vie constitutionnelle de 40 jours a été rallongée à 12 mois par les autorités de la Cedeao – la possibilité d’initier une guerre qui s’étendra inévitablement sur la durée, c’est ouvrir la voie à toutes les formes de tentatives de coup d’état dans une région qui en fait suffisamment l’objet. Bien entendu, laisser le Nord-Mali sous ce qu’il est convenu d’appeler la coupe islamiste viendrait également encourager les tentations sécessionnistes un peu partout dans le continent.
Devant cette impasse, il serait à notre sens plus judicieux de poursuivre les efforts onusiens en faveur de l’aide humanitaire indispensable, et d’employer le contingent international qui serait mobilisé à la sécurisation des zones non encore conquises et des frontières des pays voisins pour faire comprendre dans un premier temps aux groupes islamistes armés qu’ils ne sont pas les bienvenus au Sahel. Dans un second temps, une solution politique globale, telle qu’initialement préconisée par l’Onu et que Ban Ki-Moon appelle de ses vœux, pourrait consister en la désignation d’un émissaire spécial pour le Mali, comme l’a évoqué le Secrétaire Général lors de la conférence sur le Sahel tenue en marge de l’Assemblée Générale. Son cahier de charges devrait comprendre la consultation de l’ensemble des acteurs prêts à s’engager dans la recherche d’un règlement pacifique qui incluse les revendications socio-économiques, allant du tissu associatif aux autorités de la transition. Ces dernières devraient également s’atteler à étudier les voies de mise en œuvre de l’autre mandat qui leur a été donné par la Cedeao, à savoir l’organisation des scrutins présidentiel et législatifs qui devaient avoir lieu juste avant que la junte du Capitaine Sanogo n’eût l’idée de déposer le Président Amadou Toumani Touré qui n’allait pas y participer. Les institutions qui en seront issues bénéficieraient de la légitimité nécessaire pour décider, dans les cadres légaux prévus à cet effet, de l’opportunité d’une action armée dans leur pays ainsi que de ses modalités pratiques. Quoi qu’il en soit, elle ne doit pas faire plus de mal que de bien et doit être un dernier recours. L’attitude mesurée du Secrétaire Général de l’Onu dans cette crise pour tempérer les exigences belliqueuses des autorités de transition, notamment le Premier ministre – alors que le Président intérimaire avait lui-même appelé les groupes armés au dialogue – est très appréciable et encourageante quant à la suite des évènements. Elle pourra se révéler assurément utile dans l’atteinte d’un dénouement global de la crise qui évite la précipitation.
C'est d'ailleurs en ce sens qu'il faut comprendre la déclaration du Général Carter Ham, à la tête du Commandement des forces armées américaines en Afrique (Africom), lors d'une visite à Alger, privilégiant « une solution politique et diplomatique à la crise qui secoue le nord du Mali depuis plusieurs mois ».

 

Mouhamadou Moustapha Mbengue

Wade n’est pas obligé…

“La constitution est la charte, l’ensemble des textes de loi fondamentaux qui déterminent la forme de gouvernement du Sénégal, le régime et les institutions de l’Etat.” (examen.sn)

Le débat sur la recevabilité de la candidature de Me Abdoulaye Wade, Président de la République du Sénégal, à un troisième mandat, a pris une certaine ampleur qui mérite attention. Tout d’abord du point de vue politique: les Sénégalais sont fiers de la maturité de leurs institutions et de leur avancée démocratique, notamment depuis l’alternance pacifique de 2000. Ensuite sous un angle juridique: le texte adopté par le peuple et en vigueur depuis le 7 janvier 2001 semble pour le moins ambigu sur une question aussi cruciale que la limitation du nombre de mandats du Chef de l’Etat. Enfin sur le plan social: la question oppose avec virulence les tenants de la candidature de l’intéressé et ceux de son impossibilité.

Le 19 mars 2000, Abdoulaye Wade est élu au second tour avec une large coalition de partis politiques, devant le président PS sortant, Abdou Diouf, au pouvoir depuis 1981. Il prit sur lui de convoquer les Sénégalais à un référendum proposant une nouvelle constitution, adopté à une majorité historique, avec l’acquiescement de l’opposition. La nouvelle constitution a survécu, il est vrai avec moult retouches législatives selon les calculs du moment, pendant une décennie. Elle réorganise le régime en conférant plus de pouvoirs au Parlement par-ci et créant de nouvelles institutions de surveillance par-là. La démocratie sénégalaise semble renforcée et remise sur des rails plus solides. Continue reading « Wade n’est pas obligé… »