Pourquoi les firmes transfrontalières réussissent-elles ?

La création d’espaces transfrontaliers d’échanges intercommunautaires a été depuis longtemps les prémices du commerce international.  A l’exemple de la région genevoise entre la France et la suisse, ces espaces transfrontaliers sont convoitées par des firmes qui s’y installent pour se développer. Mais qu’est ce qui pourrait expliquer la réussite de ces firmes ? La réponse se trouve sans doute dans les opportunités que pourrait offrir une frontière. Ceci nous ramène à la question de savoir comment est-ce qu’une frontière peut-elle se transformer en zone de développement pour les firmes et le commerce ? Et aussi, comment l’Afrique peut-elle construire ce type d’environnement ?

Les firmes transfrontalières se caractérisent par leur implantation le long ou près des frontières séparant un ou plusieurs pays. Dans la théorie économique, les débats sont très florissants en ce qui s’agit du lien entre frontière et développement économique. Pour certain comme Mac Callum et Helliwell, la frontière est une ligne de démarcation entre Etats qui limite et réduit les échanges. Pour d’autres comme Judet et Courlet, les frontières représentent une opportunité de développement et d’intégration pour les pays. Bien que cela ne soit exclusif, nombreux sont les exemples dans le monde qui prouvent que les frontières peuvent apporter des éléments catalyseurs pour la réussite des firmes installées près de cette dernière et faciliter le processus d’intégration par le brassage culturel des populations qu’elle induit et ce en dépit des relations parfois eratiques des pays. Le constat est que la frontière sera d’autant plus exploitable que les firmes et les pays développeront des activités complémentaires de part et d’autre, que les firmes ne seront pas susceptibles de se concurrencer sur un même marché (exploitation d’oranges dans le MERCOSUR[1] en Amérique latine) et que les informations stratégiques circuleront. 

Les facteurs de réussite des firmes transfrontalières reposent donc sur les avantages que peut offrir la frontière et qui sont souvent liés les uns aux autres (les avantages comparatifs ; les effets de réseaux ; les effets d’agglomération ; les accords institutionnels).

Dans le contexte africain, les problèmes de pauvreté, d’enclavement des zones de production agricole, de fragilité des PME[2] et de porosité des frontières pourrait trouver solution, ou du moins en partie, à travers l’exploitation des frontières à des fins de développement économique. En effet, avec la mondialisation, la facilitation du commerce entre les pays devient un enjeu de plus en plus important pour les entreprises africaines. Selon Douillet (2012), une exploitation des frontières dans le cadre d’une intégration régionale ambitieuse apporterait autant à l'Afrique subsaharienne qu’une intégration multilatérale au commerce mondial, en termes de croissance du produit intérieur brut, du bien-être économique et du volume des exportations agricoles. En 1986, Courlet et Tiberghien notaient que la majorité des PME efficientes d'Afrique subsaharienne se trouvaient près de frontières. Par ailleurs, d’après les travaux de Judet en 1988 sur le décollage des pays émergents d’Asie, les frontières représentent une base de lancement pour les firmes car ils  limitent leur exposition aux aléas des transactions internationales et représentent un incubateur idéal pour affronter plus tard le marché international.

Pourtant,  la volonté de création d’espaces sous régionaux intégrés existe depuis les années 60. Orientés vers le libre-échange, la circulation du facteur travail, l’union monétaire, douanière et la conciliation des politiques monétaires,  ces tentatives  n’ont pas très souvent envisagé l’exploitation des opportunités qu’offrent les frontières pour un développement local qui puisse se diffuser à la nation toute entière. Associé au protectionnisme des états, ceci n’a produit que des résultats mitigés et souvent décevants en termes de création de commerce et d’accélération de la croissance économique. A partir du début des années 90, les pays africains (ceux d'Afrique sub-saharienne notamment) ont relancé le processus d’intégration régionale et des avancés majeures en termes de création d’espaces transfrontaliers qui insufflent une dynamique de développement sont en voie de voir le jour.

Pour la réussite de ces projets ambitieux, les frontières doivent être capables de créer un contexte générateur d’informations stratégiques différentes échangeables. Les communautés sous régionales africaines devront axer leurs efforts sur le développement en agglomération des localités situées près des frontières par : la construction des infrastructures de transports, le développement des activités agricoles, l’exploitation de la diversité culturelle des populations[3] vivant aux frontières, l’accélération du processus d’institutionnalisation de l’intégration régionale par des accords forts et l’exploitation des avantages comparatifs. 

Ivan Mebodo

Bibliographie

CHASSIGNET DANIEL : L'intégration transfrontalière et ses conséquences spatiales dans le Sud-Alsace. Dans : Revue Géographique de l'Est, tome 36, n°2,1996. Réseaux et espaces transfrontaliers. pp. 113-131.

COMMISSION DE L’UNION AFRICAINE : Etat de l’intégration en Afrique Juillet 2011

COURLET, CL.; TIBERGHIEN, R. (1986): « Le développement décentralisé des petites entreprises industrielles au Cameroun ». Dans : Revue Tiers Monde, XVIII, n. 107.

DOUILLET, M. 2012 «Trade policy reforms in the new agricultural context: Is regional integration a priority for Subsaharan African countries agricultural-led industrialization? Insights from a global computable general », Conference de l’International Association of Agricultural Economists, 18-24 août 2012, Foz do Iguacu, Brésil.

HELLIWELL, J. (2002): La mondialisation et le bien-être – l’effet frontière, le rôle de l’État nation et les relations économiques canado-américaines. Dans : UBC Press.

JUDET, P. (1988): « Les pays intermédiaires: des expériences à l'appui d'une réflexion moins pessimiste sur le développement », Revue Tiers-Monde, n. 115.

MAC CALLUM, J. (1995): «National Borders Matter: Canada-US Regional Trade Patterns». Dans: American Economic Review, 85, pp. 615-623.

RUFFIER JEAN : « Utiliser une frontière comme un avantage compétitif: les oranges des berges de l’Uruguay », Revista Galega de Economía, vol. 14, núm. 1-2 (2005), pp. 1-20

SCHULZ CHRISTIAN : L'agglomération transfrontalière du Pôle Européen de Développement (P.E.D.) Longwy-Rodange-Athus. Expériences et perspectives d'un programme trinational de restructuration économique. Dans: Revue Géographique de l'Est, tome 36, n°2,1996. Réseaux et espaces transfrontaliers. pp. 133-150.

WACKERMANN GABRIEL : La mobilité des firmes et ses effets sur la population active. L'exemple de l'espace transfrontalier du Rhin supérieur. Dans: Bulletin de l'Association de géographes français, 66e année, 1989-2 (avril). pp. 103-109.


[1] Le Mercosur est une communauté économique née le 26 mars 1991 avec la signature du Traité d’Asunción. Il regroupe les pays d’Amérique latine.

[2] Les petites et moyennes entreprises sont les plus grands pourvoyeurs d’emplois dans les pays de l’ASS

[3] En Afrique, de part et d’autre des frontières communes des pays, il est très commun de retrouver des populations qui partagent de nombreuses similarités ethniques, des liens sociaux plus forts qu’avec le reste des populations des pays.