Quel est l’état de l’intégration en Afrique ?

drapeau-union-africaineAprès la 2ème guerre mondiale, les États africains en revendiquant leur souveraineté politique, économique et culturelle développent un nationalisme[1] virulent fondé sur le mythe dit de « l’autosuffisance[2] ». Soutenu entre autres par les tiers-mondistes du développement autocentré, il est considéré tout d’abord comme un facteur positif contribuant à l’unité des peuples, mais aussi comme une théorie du développement et de la croissance économiques dans un monde volatile, instable et non sécuritaire (Boulanger, 2002). L’essor de la mondialisation et du régionalisme à la fin des années 1980 le présente plutôt comme un élément redoutable de dissociation. Le nationalisme se dresse ainsi en obstacle[3] à l’intégration[4] qui elle permettrait d’amorcer un véritable processus de développement économique. En soulignant l’incapacité de la communauté internationale à créer des conditions favorables au développement de l’Afrique, René Kouassi affirme lors du 10ème anniversaire de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) en 1973 que l’Afrique doit d’abord pouvoir compter sur elle-même. D’où l’importance de la solidarité africaine mise en avant comme fondement de l’intégration lors de l’entrée en vigueur du Traité d’Abuja – instituant la Communauté Économique Africaine (CEA) en 1994 – et plus récemment lors de la création de l’Union Africaine (UA) en 2003.

Principal objectif des États africains depuis les indépendances, l’intégration régionale que l’UA doit renforcer et accélérer permettra à l’Afrique de jouer le rôle qui lui revient dans l’économie mondiale tout en faisant face par la mutualisation de ses capacités, de ses ressources et par la mobilisation des énergies aux problèmes économiques et sociaux multiformes aggravés par les effets négatifs de la mondialisation. Ainsi, d’un point de vue théorique, l’intégration régionale en Afrique est supposée apporter des avantages économiques et sociaux plus larges. Plus particulièrement, elle est supposée générer, sur les fondamentaux des économies, des effets :

  • Statiques : création d’opportunités commerciales, intensification des échanges intra zones, baisse des prix des produits originaires, modification de la structure des recettes fiscales, etc.
  • Dynamiques : économies d’échelle, meilleures dotations factorielles, opportunités d’emploi, emprunt[5] de capitaux à des taux d’intérêt concessionnels, suppression des monopoles locaux existants, augmentation des IDE, convergence économique réelle, stratégie essentielle pour la solution des problèmes d’instabilité politique, etc.

Dans le souci de réaliser son objectif d’intégration et de mettre en place un ordre socioéconomique, l’Afrique s’est définie un modèle de développement basé sur l’intensification de la coopération régionale et sous régionale. Plusieurs programmes et instruments conséquents se sont alors succédés du Plan d’action de Lagos au Programme Minimal d’Intégration en passant par le NEPAD[6] pour ne citer que ceux-là.

Le processus d’intégration prévoyait que la CEA soit mise en place en 6 étapes[7] et, conformément au traité d’Abuja, les États membres de l’UA devaient prioritairement s’efforcer de renforcer les Communautés économiques régionales en y assurant la coordination, l’harmonisation et l’intégration progressive de leurs activités. Actuellement, la CEA se trouve à la 3ème étape, celle de la mise en place d’une zone de libre-échange et d’une union douanière au sein de chaque bloc régional exigeant la mise en place d’un tarif extérieur commun (TEC). A ces jours, certaines CER s’efforcent toujours de mettre en place leurs zones de libre-échange, tandis que d’autres sont partiellement des zones de libre-échange ou partiellement des unions douanières. Les progrès dans ce domaine varient considérablement selon les régions. Si le COMESA et la CAE ont lancé leurs unions douanières avec succès (CUA, 2011), les progrès de la CEN-SAD et de l’IGAD sont au point mort. Ils avancent lentement pour la CEDEAO et, la CEEAC et la SADC en sont encore à une étape préliminaire. Toutefois, les échanges entre pays ont connu dans l’ensemble une croissance plus rapide en Afrique que dans les pays développés et dans les autres pays en développement avec une progression à un rythme soutenu de 8,2 % par an depuis 1996 (CUA, 2011). Il faut de même souligner que ces échanges sont plus élevés dans les CER à pays non-exportateurs de combustibles que dans les CER à pays exportateurs de combustibles. En dépit de ces avancées, ce niveau reste faible pour créer des emplois,  stimuler l’investissement et encourager la croissance en Afrique.

D’autres progrès[8] ont été faits par les CER notamment en ce qui concerne les infrastructures, la gestion de l’énergie et de l’eau, la santé, la libre circulation des personnes, la promotion de la paix et de la sécurité, l’agriculture et la sécurité alimentaire, les transactions financières, la convertibilité des monnaies, etc. Toutefois l’approche pratique de l’intégration africaine diffère de ce qui a été pensé et synthétisé dans les protocoles d’accord. On note d’une part un retard par rapport au calendrier pré défini et d’autre part une incohérence dans le processus d’intégration. À titre illustratif, la CEEAC consent des efforts importants en vue de l’harmonisation, de la coordination des politiques économiques et de sa transformation en une zone monétaire unique ; mais dans cette CER, l’union douanière, la libre circulation des personnes et le marché commun sont encore loin d’être réalisés.

L’exemple africain montre qu’en réalité certaines CER sont plus proches de l’union économique et monétaire, même si elles n’ont pas encore réalisé l’union douanière ou le marché commun. Contrairement aux attentes, il n’y a donc eu que peu d’avancées significatives dans le processus d’intégration en Afrique. Malgré les améliorations dans certaines CER, la création de la CEA reste fortement entravée par les conflits, les défis relatifs à la gouvernance,et par le trop grand nationalisme – juridique, politique et économique – des États. En effet, nonobstant la signature des traités, on note toujours une absence de mise en œuvre des protocoles par certains États membres et, les textes internes à chaque pays expriment toujours un repli sur soi. Les rivalités stratégiques entre pays perdurent  avec les États économiquement plus avancés voulant imposer un certain nombre de choses aux autres.  Les déséquilibres économiques et sociaux entre pays[9], les priorités différentes en matière d’intégration sous régionale[10], la faible industrialisation, la xénophobie et la persistance des barrières tarifaires et non tarifaires, sont autant d’autres éléments qui freinent l’intégration sous régionale et régionale.

Pourtant, les économies africaines sont plus intégrées et ouvertes aux pays occidentaux, américains ou asiatiques. Ce qui ne leur est pas profitable puisqu’ils ne sont pas suffisamment efficaces pour affronter la concurrence étrangère. Enfin, malgré le principe de rationalisation[11] des CER adopté par l’Union Africaine en 2006, on constate toujours la coexistence de plusieurs communautés économiques et l’appartenance  des États à plusieurs CER dans une même région. Cette situation est un handicap pour l’intégration dans la mesure où ces CER ont recours aux mêmes partenaires pour le financement des projets similaires et que leurs programmes se chevauchent. À titre illustratif, la CAE est déjà un marché commun qui a cependant quatre États membres en commun avec le COMESA et un en commun avec la SADC. Cinq États membres de la SADC sont membres de l’union douanière d’Afrique australe (SACU). Dix pays de la région appartiennent déjà à des unions douanières mais sont toutes engagées dans des négociations visant à créer des unions douanières différentes de celle dont elles sont actuellement membres.

En somme, beaucoup de progrès restent encore à faire pour aboutir à une Afrique à la fois efficace et influente par l’intégration. Il devient donc impératif de promouvoir le développement d’une intelligence politique[12], économique[13], sociale, scientifique, technologique, ainsi que le développement d’une culture humaine de l’intégration plus perspicaces et plus actives et des espaces communs d’action pour l’industrialisation pour réussir le processus d’intégration en Afrique.

Claudine Aline Zobo


[1] Principe politique né à la fin du 18ème siècle et qui met l’accent sur le contrôle interne de l’économie.

[2] Chacun revendique ses industries nationales et la couverture de ses besoins vivriers par l’offre nationale.

[3] Le nationalisme africain est considéré comme un facteur de promotion de l’autarcie; de la guerre militaire et/ou commerciale; de la richesse de l’État au détriment du bien-être individuel et des libertés fondamentales; du collectivisme et du totalitarisme; du protectionnisme et du contrôle du commerce extérieur (Eric Boulanger, 2002).

[4] L’intégration économique dont il sera question dans cette note est définie par Jacques Pelkmans comme étant la suppression des frontières économiques entre pays

[5] Les liquidités des marchés de capitaux élargis augmentent et la diversification qui en résulte réduit les risques qui accompagnent les investissements intensifs.

[6] Instrument de planification du développement chargé de mobiliser les fonds pour la réalisation des projets continentaux ou régionaux.

[7] i: (qui doit s’achever en 1999) Création de blocs dans les régions qui n’en ont pas encore ; ii: (qui doit s’achever en 2007) Renforcement de l’intégration à l’intérieur des CER et harmonisation entre les CER ;  iii: (qui doit s’achever en 2017) Mise en place d’une Zone de Libre échange et d’une Union Douanière au sein de chacun des blocs régionaux ; iv: (qui doit s’achever en 2019) Coordination et  harmonisation des systèmes tarifaires et non tarifaires au sein des CER en vue de la mise en place d’une zone de libre échange, devant déboucher sur une union douanière continentale ;  v. Cinquième étape : (qui doit s’achever en 2023) Création d’un Marché Commun Continental Africain MCA) ; vi: (qui doit s’achever en 2028) Mise en place d’une Union Économique et Monétaire continentale et d’un Parlement.

[8] Pour une présentation plus détaillée de ceux-ci, voir le rapport de la CUA « Etat de l’intégration en Afrique ».

[9] Certains pays sont très endettés tandis que d’autres souffrent de déstabilisation sécuritaire, d’absence de démocratie, d’épidémies, etc.

[10] Paix et sécurité pour la CEEAC, le développement et la croissance pour la SADC, intégration économique pour la CEDEAO, etc.

[11] Par ce principe, l’Union Africaine a officiellement réduit le nombre des CER de 15 à 8.

[12] Capacités des autorités à gérer les situations globales de leurs pays pour le bien être des peuples.

[13] Capacité de produire ensemble des richesses, de les vendre, de les consommer ou de les faire consommer dans le cadre de l’économie de marché.

L’intégration financière en Afrique: encore un long chemin à parcourir!

mf2L’intégration financière désigne l’ensemble des processus liant les marchés financiers d’un pays à ceux d’autres pays de la même région ou de reste du monde.  Le fonctionnement optimal des marchés financiers est la condition préalable à l’accroissement des échanges, à la répartition efficace des facteurs de production et à la diversification du risque.  Sur le continent africain, le marché des capitaux souffre pour l’heure d’un manque de liquidité et d’une faible capitalisation. De plus, la vision à court terme qui prévaut en matière d’instruments financiers et de financement bancaire nuit à la stabilisation du marché financier continental. En outre, le manque d’intégration des marchés financiers ne permet pas aux autorités bancaires régionales de disposer d’instruments de politiques monétaire et budgétaire efficaces de régulation des marchés.

S’il est admis que les marchés financiers contribuent positivement à la croissance économique comme le montre les travaux de Rousseau et Sylla (2001), ils restent encore très peu développés en Afrique. Pour y remédier, les communautés économiques régionales (CER) en Afrique ont ainsi fait de la consolidation des marchés financiers et de la mise en commun des ressources financières le fer de lance de leur action. Dans le cadre d’un marché régional africain parfaitement intégré, les réseaux bancaires nationaux et les places boursières seraient constamment interconnectés, ce qui favoriserait une meilleure allocation régionale du crédit et de l’épargne en faveur des investissements les plus performants. Cela suppose un desserrement des contraintes liées à la libre circulation des capitaux ainsi qu’une harmonisation des règles financières et fiscales au sein d’un même sous-groupe régional. Une telle intégration permettrait aux pays africains  les moins compétitifs d’accéder aux marchés financiers des communautés économiques régionales et de financer leur développement économique.

Lors de la conférence “Réussir l’intégration financière de l’Afrique” organisée par la Banque de France  en mai 2014, Ronald Mc Kinnon a souligné la volatilité des mouvements de capitaux récemment investis dans les pays émergents. Cette volatilité peut fragiliser les états africains particulièrement sensibles à l’évolution du niveau général des prix des matières premières.

Pour Richard Agenor, chercheur associé à l’Université de Manchester, le principal enjeu de l’intégration financière de l’Afrique est de parvenir à faire converger les économies régionales afin de permettre une mobilisation de l’épargne internationale vers des investissements de développement économique.  En palliant à l’insuffisance de l’épargne interne,  l’intégration financière permettra de rendre plus efficace l’allocation des financements et de renforcer le cadre de l’accès aux services financiers.

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Dans ce contexte le développement des banques transfrontières incitera à une meilleure coordination des superviseurs ainsi qu’à une plus grande convergence des règlementations financières. Le renforcement des cadres règlementaires régionaux et nationaux reposera sur une modernisation structurelle et le développement des innovations financières telles que la finance islamique, la microfinance ou le mobile banking.

La Bourse régionale des Valeurs Mobilières: un pas vers l’intégration financière de l’Afrique ?

On dénombre aujourd’hui plus de vingt bourses des valeurs sur le continent africain. La région ouest-africaine fait d’ailleurs figure de pionnière avec la création de la Bourse Régionale des Valeurs Mobilières (BRVM) constituée de huit pays d’Afrique de l’Ouest. Ces groupements permettent aux places boursières africaines d’atteindre une masse de flux financiers importants et d’attirer les investissements privés tout en gagnant en visibilité sur le marché financier mondial. En outre, une telle fusion pose les jalons pour la mise en place d’une Autorité de régulation boursière régionale et ainsi une harmonisation de la règlementation en matière de cotation et d’échanges.

Plusieurs pays – dont le Botswana, le Ghana et le Nigeria – se sont ainsi engagés dans la voie des privatisations d’entreprises publiques et des reformes structurelles afin de stimuler leurs marchés boursiers. L’étude publiée par Magnusson et Wydick en 2002 démontrait  ainsi, grâce à une analyse économétrique portant sur l’incidence des prix sur les données disponibles relatives aux entreprises et à l’environnement financier, que l’efficacité des marchés financiers du Nigeria et du Botswana est actuellement comparable à celles des pays émergents d’Asie et d’Amérique latine.

Par ailleurs, parallèlement à la performance de la bourse sud-africaine qui se classe au premier rang en Afrique en terme de capitalisation de montant des échanges et de nombre de sociétés cotées[1], la BRVM créée à Abidjan en 1998 permet aux États membres (Benin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal, Togo) et aux opérateurs étrangers d’échanger des titres financiers. Cette place boursière permet aussi la cotation des entreprises transfrontalières.  En effet, il faudrait dans les années à venir multiplier les cotations croisées permettant aux États membres de multiplier les cotations multilatérales au sein d’une même CER sans toutefois renoncer aux organismes de régulation nationaux.  Grâce aux cotations croisées, des introductions en bourse hors du cadre strict des frontières nationales seraient possibles. De même, les entreprises transnationales pourraient développer simultanément des cotations de leurs titres sur toutes les places boursières du continent. Enfin, les investisseurs privés tireraient également profit de ce système transnational qui leur permettrait de mobiliser des ressources hors des frontières de leur pays de résidence.  L’acte constitutif de l’Union Africaine (2000) a ainsi fait de la mise en place d’un marché boursier panafricain, l’un de ses principaux objectifs.

Daphnée Sétondji


[1] CEA African Security Exchange Association Year Book 20014, African Stock Market Review PNUD

 

Stimuler le commerce intra-africain

ob_923c49_d-commerce-intermaghrebin-que-de-barriCompte tenu de la situation économique mondiale, le développement des échanges entre les pays africains devient un enjeu majeur. La structure du commerce mondial, « oblige » les pays africains à traiter entre eux. Les partenaires principaux de l’Afrique, sur le plan économique, sont les Etats-Unis et surtout l’Union Européenne. Deux zones géographiques gravement touchées par la crise, qui sévit depuis plus de quatre ans maintenant, mais qui ravagé leur économie tout particulièrement en 2011. Maxwell Mkwezambala, Commissaire aux Affaires économique de l’Union Africaine, estime que les 5,2% de croissance moyenne (2011) sur le continent sont intéressants, compte tenu de la crise. Néanmoins, commercer essentiellement avec des économies en récession doit pousser, selon lui, les pays africains à revoir leurs prévisions de croissance, à la baisse pour 2012. Par ailleurs, la croissance appelant la croissance, la combinaison d’économies en bonne santé permettrait de connaître un développement plus rapide. L’UA escompte donc une intensification des échanges intra-africains pour réduire le recours à la solution exogène pour régler les problèmes économique internes au continent noir.

Comment faire ?

Les politiques macroéconomiques doivent être orientées vers l’attraction d’investisseurs étrangers, selon Cyril Enweze, ex-vice président de la Banque Africaine de Développement, interrogé pour l’occasion par Afrique Relance. L’attraction de grands groupes du continent, ou étrangers à celui-ci, sont indispensables pour donner de la consistance à ce projet. En complément de cela, il est nécessaire pour les différents gouvernements, de créer des conditions favorables à l’entreprise privée locale. Les TPE et PME sont trop peu développées sur le continent et le caractère dirigiste des économies africaines ne facilite en rien ce développement. Pour Jean Ping, Président de la Commission de l’Union Africaine, il faut se servir des fruits des échanges avec le reste du monde pour intensifier le commerce intra-africain. Pour exemple, en 2010, les produits miniers, qui représentent 66% des exportations des pays africains, ont rapporté 500 milliards de dollars au total. L’objectif 2012 de l’UA est d’augmenter la part des échanges intra-africains dans les échanges globaux des pays d’Afrique, la faisant passer de 12,5% à 25%.

Quelles barrières au projet ?

Les freins à l’intensification des échanges intra-africains sont nombreux et de natures différentes. Le poids de l’Histoire est un premier blocage au développement du projet. La colonisation a habitué les pays africains à traiter en premier lieu avec leurs ex-colonies avant de commercer ensemble. Le premier partenaire du Sénégal est la France. Celui de la Gambie : la Grande-Bretagne. Or, les échanges entre Sénégal et Gambie sont très faibles alors même qui le second est enclavé dans le premier. Des raisons économiques et politiques viennent également remettre en cause le projet. Du fait des nombreuses contraintes douanières, engendrées en grande partie par la corruption, les coûts de transports des matières et produits manufacturés sont en moyenne 63 fois plus élévés lors des échanges intra-africains que lors d’échanges Afrique-Union Européenne. De plus, si la libre circulation des biens et des personnes est officiellement acceptée, elle ne se vérifie pas dans la réalité ; la faute notamment aux pots de vin et à la faiblesse des infrastructures.

C’est précisément ce dernier point qui suscite le plus de questionnement. En effet, si les villes côtières sont très bien aménagées, les infrastructures restent très largement insuffisantes en ce qui concerne l’intérieur des terres. Que l’on parle de la jonction entre villes d’un même pays ou la liaison entre deux pays limitrophes. Selon la Banque mondiale, 75% du commerce intra-africain est assuré par 5 pays : Ghana, Côte-d’Ivoire, Nigéria, Kenya, Zimbabwe. C’est également ce déséquilibre que le continent doit s’attacher à résoudre. Faire de tous les pays africains des acteurs et des partenaires du développement du continent. La régionalisation économique est la clef de la réussite. L’extension des prérogatives pour des organisations telles que la CEDEAO ou encore la Coopération de l’Afrique de l’Est, peut être la solution.

Giovanni Djossou

L’Afrique dans le monde : regard sur les accords de partenariat des pays africains

1186312_omc-les-ministres-du-commerce-accouchent-dune-souris-web-0215713872161. De la diversité des accords internationaux sur le continent 

Accord de l’OMC sur la facilitation des échanges (AFE) : accord de Bali

La Conférence ministérielle de Bali de décembre 2013 a vu les membres de l’OMC adopter par consensus, le premier accord multilatéral conclu depuis la création de l’OMC. Il s’agit de l’accord sur la facilitation des échanges (AFE) qui n’entrera en vigueur qu’à sa ratification par les deux tiers des membres de l’OMC. Au 16 décembre 2015, 63 ratifications sur 162 avaient été obtenues. Sept pays africains ont ratifié l’accord : le Botswana, la Côte d’Ivoire, le Kenya, la Mauritanie, le Niger, le Togo et la Zambie.  L’accord est organisé en trois sections et aborde entre autres, la mainlevée et le dédouanement des marchandises, la coopération entre les organismes présents aux frontières et la coopération douanière en générale. Il prévoit en outre, des mesures relatives à un traitement spécial et différencié (TSD) qui permettrait aux pays en développement (PED) et aux pays les moins avancés (PMA) de déterminer leur rythme de mise en œuvre des dispositions et de notifier tout éventuel renfort extérieur dont ils auraient besoin. De plus, il prévoit des comités de la facilitation des échanges. Un mécanisme lancé le 22 juillet 2014 par le Directeur général de l'OMC Roberto Azevêdo, et devenu opérationnel le 27 novembre 2014, a pour objectif d’accompagner les PED et les PMA dans le processus de mise en application de cet accord.

Le rapport sur le commerce mondial 2015 entièrement consacré à l’analyse de l’AFE, estime que la mise en œuvre de l’accord aurait notamment pour effets, une hausse annuelle des exportations mondiales de l’ordre de 1000 milliards de dollar et une réduction des coûts du commerce entre 9,6% et 23,1%. Les PED et les PMA sont pressentis comme les plus bénéfiques de l’AFE. En effet, au-delà d’une réduction des coûts du commerce d’environ 16% (18 % pour les produits manufacturés et de 10,4 % pour les produits agricoles), ces pays pourront tirer un avantage significatif d’une diversification de leurs exportations en termes de produits et de partenaires, favorisée par l’accord.

Les accords commerciaux régionaux (ACR) africains

Les ACR sont des accords commerciaux réciproques entre deux partenaires ou plus. Selon les statistiques de l’OMC, les accords de libre-échange (ALE) et les accords de portée partielle représentent 90% de ces ACR, contre 10% pour les unions douanières. Les huit CER africains reconnus par l’OMC sont enregistrées et notifiées sous la forme d’ACR.

Certains Etats ou régions de l’Afrique ont conclu des accords inter régionaux avec d’autres Etats ou régions inscris à l’OMC. Ainsi, l’Union Européenne (UE) et l’Afrique du sud ont signé le 11 octobre 1999, un accord bilatéral de libre-échange portant sur les marchandises. Cet ACR reconnu par l’OMC qui est entré en vigueur le 1er janvier 2000, couvre entre autres les contingents tarifaires, les procédures douanières et les mesures relatives à la balance des paiements. La Côte d’Ivoire a également conclu avec l’UE, un ALE dont la portée et le champ sont similaires à ceux de l’accord UE-Afrique du Sud. Cet accord signé le 26 novembre 2008 est entré en vigueur le 1er janvier 2009. Il en de même pour l’accord UE – Etats de l'Afrique orientale et australe signé le 29 août 2009.

Les arrangements commerciaux préférentiels (ACPr) visant l’Afrique 

Les ACPr sont des préférences commerciales unilatérales. Les états africains bénéficient de plusieurs ACPr sous la forme d’arrangements au profit des PMA.  Entre 2002 et 2012, les PMA africains ont exporté au moins 72% de leurs produits vers des partenaires avec lesquels ils ont conclu un ACPr[1]. Ceux-ci étaient, par ordre décroissant, l’Union européenne (UE), les États-Unis, la Chine,  l’Inde et le Japon. L’UE accorde un accès de près de 100 % à son marché en franchise de droits et hors quota à tous les PMA depuis 2001. La Chine offre depuis 2010, l’accès en franchise de droits et hors quota à 60 % des lignes tarifaires à quarante PMA. L’Inde accorde un accès progressif en franchise de droits et hors quota pour arriver à 85 % des lignes tarifaires en 2012. Le Japon quant à lui, accorde depuis 2008, une admissibilité en franchise et hors quota à près de 98 % des lignes tarifaires.

Si les Etats-Unis n’ont pas conclu d’ACPr visant particulièrement les PMA, ils ont mis en place un régime unilatéral au profit des Etats de l’Afrique sub-saharienne à travers l’ « African Growth and Opportunity Act » (AGOA), loi sur la croissance et les et les possibilités économiques de l’Afrique. Cet acte promulgué le 18 mai 2000 et notifié au GATT/'OMC le 10 janvier 2001, accorde l'admission en franchise de droits aux produits relevant du code "D" dans la colonne "Spécial" du Tarif douanier harmonisé des États‑Unis, pour autant qu'ils respectent la règle d'origine applicable. 

Alors que l’AGOA venait à expiration le 30 septembre 2015, le Conseil général de l’OMC  en a autorisé la prorogation. Il s’agit de l’AGOA 2.0 dont les défis pour sa réussite, sont multiples[2].

2. Les conflits éventuels entres accords et les défis de l’Afrique face aux accords internationaux

Contradictions entre les ACR fondements des CER africains

Les accords régionaux donnent naissance à des règlements, notamment dans le domaine du commerce régional, censés s’appliquer à tous les pays les ayant signés, mais il est constaté dans la pratique que la multiplication de régimes commerciaux peut soulever des incohérences ou constituer un frein à leur efficacité. Ainsi, en 2011, la SADC, l’EAC et le COMESA avaient des Etats membres qui appartenaient aux trois organisations, mais ils appliquaient le régime commercial de l’une, aux dépens de ceux des autres. 14 membres du COMESA sur 19 obéissaient aux règles du traité de libre-échange, 4 membres sont restés au stade du droit précédent la zone de commerce préférentielle[3].  Au niveau de l’EAC, les 5 Etats membres évoluaient dans l’union douanière du CER dans le but de mettre en place un marché commun. Enfin, 12 des 15 membres de la SADC appliquaient les conditions de l'accord de libre-échange, lancé en 2008. La reconnaissance de ces chevauchements va pousser les trois CER à lancer des discussions en vue de créer une zone de libre-échange commune.

De manière générale, les traités régissant les organisations régionales montrent comment les différents régimes de droits pourraient entrer en contradiction, comme l’illustre le cas de l’UEMOA et de l’OHADA qui regroupe 17 Etats, dont 7 de l’UEMOA. Les traités de ces 2 organisations considèrent en effet que les actes arrêtés dans chaque organisation a primauté sur le droit national (article 6 du traité de l’UEMOA et art 10 du traité de l’OHADA), sans qu’il n’existe aucune mention de la primauté de l’un des deux traités sur l’autre[4]. Or, certains de leurs domaines de compétences se recoupent : l’OHADA est censé régir le droit des affaires, mais le traité de l’UEMOA autorise également celle-ci à adopter des règles lui permettant d’atteindre ses objectifs, dans le domaine des politiques économiques monétaires, sectorielles, ou le marché commun, domaines qui peuvent toucher le droit des affaires[5].

Des incompatibilités avec les systèmes internationaux

Si les organisations régionales sont encouragées par l’OMC car vues comme un moyen d’atteindre les objectifs de développement, elles doivent néanmoins respecter ses règles. En théorie, tous les Etats membres doivent appliquer le même traitement en matière commerciale aux autres Etats membres, même si en pratique les ACPr dérogent à ce principe.

La mise en place du Tarif Extérieur Commun (TEC) de la CEDEAO en 2015, a révélé comment il peut être difficile d’articuler engagements communautaires et internationaux. En effet, avant la mise en place du TEC, chaque pays membre de l’OMC s’était engagé à ne pas relever ses taux de droit de douane au-dessus d’un certain niveau, ce qu’on appelle le taux consolidé[6]. Les taux appliqués en réalité étaient souvent moindres, notamment en matière agricole. Ainsi le Nigeria avait un taux consolidé de 150% pour les produits agricoles, contre un taux appliqué de 33,6% ; le taux consolidé du Sénégal était de 29,8%, tandis que celui de la Côte d’Ivoire était à 14,9%. En appliquant le nouveau TEC de la CEDEAO fixé à 35% sur les produits agricoles, ces derniers pays se retrouvaient automatiquement au-dessus du taux qu’ils se sont engagés à ne pas dépasser[7]. Même s’ils existent des mécanismes comme le versement de compensation qui rendent possible la cohabitation des deux normes, l’on se rend compte aisément que les engagements régionaux  peuvent entrer en contradiction avec les engagements au sein d’autres systèmes.

Par ailleurs, dans la négociation des APE, l’Union Européenne semble à première vue, avoir fait preuve de plus de logique en négociant avec des groupes régionaux: Afrique centrale, Afrique de l’Est et australe, Afrique de l’Ouest, SADC et EAC. Cette multiplicité des interlocuteurs  soulève d'importantes limites : les membres du COMESA par exemple, sont répartis entre 3 groupes régionaux qui négocient séparément les termes de l’APE qui les concernent, alors que les pays du COMESA partagent un même objectif de marché commun. De plus, l’APE étant un accord réciproque (bien qu’asymétrique) entre l’UE et les pays africains, il vise à favoriser le commerce entre les deux zones en réduisant au maximum les barrières tarifaires. Même si les pays africains continuent de bénéficier de dérogations devant protéger leurs économies encore peu solides, d’une concurrence trop forte de l’Europe, l’on comprend qu’à termes, des droits de douane bas pourraient d’une part entrer en contradiction avec des règles telles que le TEC décidées par certaines régions, mais aussi être inférieurs aux tarifs pratiqués au sein d’une même organisation régionale, favorisant les échanges Afrique-Europe aux dépens des échanges intra régionaux.

Quel défi pour l'Afrique face à cette diversité d'accords ? 

Dans son rapport économique 2015 portant sur l’industrialisation par le commerce, la Commission Economique pour l’Afrique (Nations Unies), évoque l’importance voire l’urgence de la mise en œuvre des accords méga-régionaux propres à l’Afrique, pour booster son positionnement économique. En effet, les études de la Commission montrent qu’une application effective des accords commerciaux méga-régionaux non africains par nature, comme le Partenariat Transatlantique de Commerce et d’Investissement (PTCI), le Partenariat Transpacifique (PTP) et Partenariat Economique Global Régional (RCEP), aurait pour conséquence une augmentation d’un millier de milliards de dollars d’ici à 2020, des exportations des pays membres. A contrario, cela entrainerait une chute des exportations africaines de l’ordre de 2,7 milliards de dollars en raison de l’intensité de la concurrence et d’un attrait pour les marchés couverts par ces accords méga-régionaux. Toutefois, cette tendance pourrait radicalement s’inverser si l’Afrique se dotait de sa zone de libre-échange continentale (ZLEC), car elle verrait alors accroître ses exportations d’environ 40 milliards de dollars, ce qui s’expliquerait par une accélération du commerce intra-africain. La mise en place de la ZLEC est un projet actuel, les chefs d’Etat et de gouvernement africains se sont engagés en janvier 2012 pour l’accélération de sa mise en place à l’horizon 2017. 

Le 10 juin 2015, les chefs d’Etat et de gouvernement de la COMESA, de l’EAC et de la SADC, réunis à Sharm El Sheikh en Egypte, ont lancé la zone de libre-échange tripartite (ZLET) instaurant ainsi un marché intégré de 26 pays, d’une population de 632 millions d’habitants qui représentent 57% de la population africaine. Cette ZLET qui constitue à coup sûr une étape déterminante du processus de mise en place de la ZLEC africaine, représente aussi un PIB de 1,3 billion de dollars (2014) soit 58 % du PIB de l'Afrique. 

L'engagement des pays africains dans ces différents accords témoignent avant tout de la volonté manifeste de ces derniers de s'intégrer davantage dans le commerce mondiale et d'en tirer partie pour accélérer leur développement. Cependant, ils ne suffisent pas pour produire les effets escomptés, se constituant parfois en contraintes pour le continent. Le défi de l’Afrique désireux de bénéficier pleinement de cette ouverture sur le monde consiste notamment dans le renforcement de ses capacités de production, qui passe par la modernisation les infrastructures du commerce et la mobilisation des ressources financières.

MC


[1] Commission Economique pour l’Afrique, 2015,  « L’Industrialisation par le commerce », Rapport économique sur l’Afrique

[2] Nations Unis., Union Africaine., 2014, « Ce qui va être différent avec ‘AGOA 2.0’ »

[3] TradeMark Southern Africa, 2011, « Aid For Trade Case Story : Negotiating the COMESA ‐ EAC ‐ SADC Tripartite FTA », Pretoria

[4] IBRIGA (LM), 2006, « La juridictionnalisation des processus d’intégration en Afrique de l’Ouest », Université de Ouagadougou

[5] KONATE (IM), 2010, « L’OHADA et les autres législations communautaires : UEMOA, CEMAC , CIMA, OAPI, CIPRES etc. ».

[6] DIOUF (EHA), 2012, « Nouveau tarif extérieur commun de la CEDEAO et engagements individuels de ses membres à l’OMC: des incompatibilités surmontables », Passerelles, Volume 13 – number 3.

[7] Ibid

Le cadre juridique des activités transfrontalières en Afrique

La naissance de l’Union Africaine au tournant des annees 2000

Le 11 juillet 2000 à Lomé (Togo), 53 Chefs d’Etat et de Gouvernement des Etats membres de l’Organisation de l’Unité Africaine (OUA) résolus à relever les défis multiformes auxquels sont confrontés le continent et les peuples africains ; convaincus de la nécessité d’accélérer le processus de mise en œuvre du Traité instituant la Communauté économique africaine afin de promouvoir le développement socio-économique de l’Afrique et guidés par une vision commune d’une Afrique unie et forte, ont adopté l’acte, instituant l’Union Africaine (UA) en son article 2.

De par ses objectifs originels, l’UA s’emploie dans l’intégration africaine sur la base de fondements juridiques solides. Toutefois, ses actions sont progressistes et sont souvent portées par des visions ou programmes à long-terme, comme en témoigne l’agenda 2063. Parmi les objectifs généraux de l’UA énumérés à l’article 3 de son acte constitutif, certains se distinguent par leur fort lien avec l’intégration africaine. Ainsi, l’UA vise à :

  • accélérer l’intégration politique et socio-économique du continent ;
  • promouvoir la coopération et le développement dans tous les domaines de l’activité humaine en vue de relever le niveau de vie des peuples africains ;
  • coordonner et harmoniser les politiques entre les Communautés économiques régionales existantes et futures en vue de la réalisation graduelle des objectifs de l’Union.

Les chefs d’État et de Gouvernement de l’Union Africaine, réunis à Addis-Abeba (Ethiopie), lors de la vingt-quatrième session ordinaire de la Conférence de l’Union, en janvier 2015, ont adopté l’Agenda 2063 « l’Afrique que nous voulons », en tant que vision et feuille de route collectives pour les cinquante prochaines années. Sept aspirations ont été exprimées et vient en second rang la volonté d’« un continent intégré, politiquement uni, basé sur les idéaux du panafricanisme et sur la vision de la renaissance de l’Afrique ».

Réaffirmant que l’Agenda 2063 se fonde sur les réalisations et les défis du passé et prend en compte le contexte et les tendances aux niveaux continental et mondial, ils se sont engagés à accélérer les actions dans plusieurs domaines notamment:

  • la création rapide d’une Zone de libre-échange continentale d’ici 2017, d’un programme visant à multiplier par deux le commerce intra-africain d’ici 2022, à renforcer la position commune et l’espace politique de l’Afrique dans les négociations commerciales internationales et à établir les institutions financières dans les délais impartis : la Banque africaine d’investissement et la Bourse d’échange panafricaine (2016), le Fonds monétaire africain (2018), et la Banque centrale africaine (2028/34).
  • l’introduction un passeport africain, délivré par les États membres, en capitalisant sur la migration dans le monde par l’émission de passeports électroniques, avec la suppression de l’obligation de visa pour tous les citoyens africains dans tous les pays africains d’ici 2018.

Le role primordial des CER

Le 3 juin 1991, les chefs d’Etat et de gouvernements de l’Organisation de l’Unité Africaine (devenue UA) ont adopté le traité instituant la communauté économique africaine (CEA). Aux termes de l’article 4 dudit traité, la CEA devra assurer par étapes « le renforcement des communautés économiques régionales existantes et la création d’autres là où il n’en existe pas » et « la conclusion d’accords en vue d’harmoniser et de coordonner les politiques entres les communautés économiques sous régionales et régionales existantes et futures ». Un protocole d’accord signé en 2008 pose le contexte et le cade de la relation entre les CER et l’UA en vue de l’intégration continentale progressive. L’UA reconnaît et collabore avec les huit CER ci-après :

  • le Marché Commun pour l’Afrique de l’Est et l’Afrique Australe (COMESA),
  • la Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC),
  • la Communauté de Développement de l’Afrique Australe (SADC),
  • l’Autorité Intergouvernementale pour le Développement (IGAD),
  • la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO),
  • la Communauté Économique des États de l’Afrique Centrale (CEEAC),
  • l’Union du Maghreb Arabe (UMA) et,
  • la Communauté des États Sahélo sahariens (CEN-SAD)

Concernant l’objectif capital de la libre circulation des personnes dans les CER, les dispositifs du droit primitif ne sont pas très avancés et se présentent comme suit :

i
Source : Groupe de la banque africaine de developpement (2014), Rapport sur le developpement en Afrique 2014, p69.

Les activites financières et bancaires, connaissent une expansion transfrontalière importante sur le continent africain. Toutefois comme souligné dans un article publié par L’Afrique des Idées, il n’existe pas encore une réelle politique régionale encore moins continentale d’encadrement règlementaire et de supervision du secteur bancaire panafricain. La création prochaine de la Banque centrale africaine pourrait s’avérer un levier pour pallier ce vide règlementaire. L’Acte constitutif de l’UA a en effet, prévu en son article 19, la création de trois institutions financières suivantes, dont les statuts seraient définis par les protocoles y afférents :

CaptureDe façon globale, la régularisation des activités transfrontalières n'est pas encore inscrite comme un point prioritaire dans l'agenda des travaux de l'Union Africaine ; situation qui ralentit l'expansion de certaines entreprises sur le continent d'une part et qui n'offre pas d'outils aux pays face à des pratiques délictueuses de certaines entreprises d'autre part. L'intégration des pays, en favorisant les activités transfrontalières ne devrait pas engendrer des inégalités spatiales. Il urge donc que réflexion soit faite pour définir un cadre favorable au développement des entreprises à l'échelle du continent et qui s'attache à préserver les efforts des pays en matière de développement.

Pourquoi les firmes transfrontalières réussissent-elles ?

La création d’espaces transfrontaliers d’échanges intercommunautaires a été depuis longtemps les prémices du commerce international.  A l’exemple de la région genevoise entre la France et la suisse, ces espaces transfrontaliers sont convoitées par des firmes qui s’y installent pour se développer. Mais qu’est ce qui pourrait expliquer la réussite de ces firmes ? La réponse se trouve sans doute dans les opportunités que pourrait offrir une frontière. Ceci nous ramène à la question de savoir comment est-ce qu’une frontière peut-elle se transformer en zone de développement pour les firmes et le commerce ? Et aussi, comment l’Afrique peut-elle construire ce type d’environnement ?

Les firmes transfrontalières se caractérisent par leur implantation le long ou près des frontières séparant un ou plusieurs pays. Dans la théorie économique, les débats sont très florissants en ce qui s’agit du lien entre frontière et développement économique. Pour certain comme Mac Callum et Helliwell, la frontière est une ligne de démarcation entre Etats qui limite et réduit les échanges. Pour d’autres comme Judet et Courlet, les frontières représentent une opportunité de développement et d’intégration pour les pays. Bien que cela ne soit exclusif, nombreux sont les exemples dans le monde qui prouvent que les frontières peuvent apporter des éléments catalyseurs pour la réussite des firmes installées près de cette dernière et faciliter le processus d’intégration par le brassage culturel des populations qu’elle induit et ce en dépit des relations parfois eratiques des pays. Le constat est que la frontière sera d’autant plus exploitable que les firmes et les pays développeront des activités complémentaires de part et d’autre, que les firmes ne seront pas susceptibles de se concurrencer sur un même marché (exploitation d’oranges dans le MERCOSUR[1] en Amérique latine) et que les informations stratégiques circuleront. 

Les facteurs de réussite des firmes transfrontalières reposent donc sur les avantages que peut offrir la frontière et qui sont souvent liés les uns aux autres (les avantages comparatifs ; les effets de réseaux ; les effets d’agglomération ; les accords institutionnels).

Dans le contexte africain, les problèmes de pauvreté, d’enclavement des zones de production agricole, de fragilité des PME[2] et de porosité des frontières pourrait trouver solution, ou du moins en partie, à travers l’exploitation des frontières à des fins de développement économique. En effet, avec la mondialisation, la facilitation du commerce entre les pays devient un enjeu de plus en plus important pour les entreprises africaines. Selon Douillet (2012), une exploitation des frontières dans le cadre d’une intégration régionale ambitieuse apporterait autant à l'Afrique subsaharienne qu’une intégration multilatérale au commerce mondial, en termes de croissance du produit intérieur brut, du bien-être économique et du volume des exportations agricoles. En 1986, Courlet et Tiberghien notaient que la majorité des PME efficientes d'Afrique subsaharienne se trouvaient près de frontières. Par ailleurs, d’après les travaux de Judet en 1988 sur le décollage des pays émergents d’Asie, les frontières représentent une base de lancement pour les firmes car ils  limitent leur exposition aux aléas des transactions internationales et représentent un incubateur idéal pour affronter plus tard le marché international.

Pourtant,  la volonté de création d’espaces sous régionaux intégrés existe depuis les années 60. Orientés vers le libre-échange, la circulation du facteur travail, l’union monétaire, douanière et la conciliation des politiques monétaires,  ces tentatives  n’ont pas très souvent envisagé l’exploitation des opportunités qu’offrent les frontières pour un développement local qui puisse se diffuser à la nation toute entière. Associé au protectionnisme des états, ceci n’a produit que des résultats mitigés et souvent décevants en termes de création de commerce et d’accélération de la croissance économique. A partir du début des années 90, les pays africains (ceux d'Afrique sub-saharienne notamment) ont relancé le processus d’intégration régionale et des avancés majeures en termes de création d’espaces transfrontaliers qui insufflent une dynamique de développement sont en voie de voir le jour.

Pour la réussite de ces projets ambitieux, les frontières doivent être capables de créer un contexte générateur d’informations stratégiques différentes échangeables. Les communautés sous régionales africaines devront axer leurs efforts sur le développement en agglomération des localités situées près des frontières par : la construction des infrastructures de transports, le développement des activités agricoles, l’exploitation de la diversité culturelle des populations[3] vivant aux frontières, l’accélération du processus d’institutionnalisation de l’intégration régionale par des accords forts et l’exploitation des avantages comparatifs. 

Ivan Mebodo

Bibliographie

CHASSIGNET DANIEL : L'intégration transfrontalière et ses conséquences spatiales dans le Sud-Alsace. Dans : Revue Géographique de l'Est, tome 36, n°2,1996. Réseaux et espaces transfrontaliers. pp. 113-131.

COMMISSION DE L’UNION AFRICAINE : Etat de l’intégration en Afrique Juillet 2011

COURLET, CL.; TIBERGHIEN, R. (1986): « Le développement décentralisé des petites entreprises industrielles au Cameroun ». Dans : Revue Tiers Monde, XVIII, n. 107.

DOUILLET, M. 2012 «Trade policy reforms in the new agricultural context: Is regional integration a priority for Subsaharan African countries agricultural-led industrialization? Insights from a global computable general », Conference de l’International Association of Agricultural Economists, 18-24 août 2012, Foz do Iguacu, Brésil.

HELLIWELL, J. (2002): La mondialisation et le bien-être – l’effet frontière, le rôle de l’État nation et les relations économiques canado-américaines. Dans : UBC Press.

JUDET, P. (1988): « Les pays intermédiaires: des expériences à l'appui d'une réflexion moins pessimiste sur le développement », Revue Tiers-Monde, n. 115.

MAC CALLUM, J. (1995): «National Borders Matter: Canada-US Regional Trade Patterns». Dans: American Economic Review, 85, pp. 615-623.

RUFFIER JEAN : « Utiliser une frontière comme un avantage compétitif: les oranges des berges de l’Uruguay », Revista Galega de Economía, vol. 14, núm. 1-2 (2005), pp. 1-20

SCHULZ CHRISTIAN : L'agglomération transfrontalière du Pôle Européen de Développement (P.E.D.) Longwy-Rodange-Athus. Expériences et perspectives d'un programme trinational de restructuration économique. Dans: Revue Géographique de l'Est, tome 36, n°2,1996. Réseaux et espaces transfrontaliers. pp. 133-150.

WACKERMANN GABRIEL : La mobilité des firmes et ses effets sur la population active. L'exemple de l'espace transfrontalier du Rhin supérieur. Dans: Bulletin de l'Association de géographes français, 66e année, 1989-2 (avril). pp. 103-109.


[1] Le Mercosur est une communauté économique née le 26 mars 1991 avec la signature du Traité d’Asunción. Il regroupe les pays d’Amérique latine.

[2] Les petites et moyennes entreprises sont les plus grands pourvoyeurs d’emplois dans les pays de l’ASS

[3] En Afrique, de part et d’autre des frontières communes des pays, il est très commun de retrouver des populations qui partagent de nombreuses similarités ethniques, des liens sociaux plus forts qu’avec le reste des populations des pays.