Beta Israel : entre Israël et l’Ethiopie

« ቤተ እስራኤል » ou « Beta Israel », ceux de la maison d’Israël, ainsi se désignent les Juifs d’Ethiopie, se répartissant aujourd’hui en grande partie entre l’Ethiopie (surtout la région au nord de Gondar) et Israël. L'ouverture de leur droit à l'émigration vers la terre sainte dans les années 1970-90 a eu pour effet d'accroître leur nombre en Israël croître.

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Origine

Mais d’où viennent-ils ? Trois théories sont retenues.  Il pourrait s'agir des descendants des compagnons du roi d’Axum, Ménélik I° lorsque ce dernier revint d’Israël. Il serait selon la légende, le fils du roi Salomon et de la reine de Saba qui régnait à l’époque sur Axum et rapporta la tablette des 10 commandements de Moise vers Axum – où elle se trouverait encore. Les dynasties royales se sont par la suite approprié cette légende, se faisant appeler entre autres «ሞአ አንበሳ ዘምነገደ ይሁዳ » – « moa anbessa zemnegede yihuda » traduisible par « conquérant du lion de Juda ».   

La seconde théorie se détache légèrement de l’histoire de ce que devint par la suite, l’empire d’Ethiopie. Ils seraient des descendants de juifs venus d’Egypte, fuyant la persécution par l’Empire Romain suite à la défaite de Cléopâtre qu’ils soutenaient. Ils se seraient ensuite installés vers Kwara, petite ville près de la frontière Soudanaise. 

D’après la troisième théorie, cette fois s’inscrivant plus dans la tradition Juive, ils feraient partie d’une des douze tribus perdues d’Israël : celle de Dan. Fuyant l’instabilité suite à la guerre civile en Israël au X°siècle av. JC. Ils se seraient par la suite installés en Egypte et seraient progressivement descendus le long du Nil ce qui expliquerait leur concentration importante autour de la ville de Gondar.  

Traitement et Intégration

Il y a eu deux tendances au cours des siècles, allant parfois de manière simultanée. Il y a eu un brassage avec les populations locales dont les Beta Israel adoptèrent certains modes de vie.  Nous constatons cependant qu’ils ont également subi une marginalisation à la fois culturelle et politique. En effet, leurs pratiques religieuses (dont le sacrifice) s’opposant radicalement aux populations chrétiennes sur place, ainsi que par les métiers qu’ils occupaient (potier…) souvent associés à la sorcellerie, ils ont longtemps étés stigmatisés d’où l’appellation péjorative « ፈላሻ » – « Falasha », «  les exilés ». Malgré cette stigmatisation et dans une certaine mesure ce rejet, les juifs Ethiopiens ont adopté certaines pratiques chrétiennes tel que le fait de se faire tatouer une croix sur le front pour les femmes.

Le politique, surtout récemment n’a pas été favorable à leur intégration.  Durant les campagnes de repeuplement de certaines régions, et donc de déplacements forcés lors des années 1980 par le régime communiste en place. Les juifs vivant en communauté se voyaient obligés de partager leurs terres et des lopins de terre leurs étaient attribués dans des communautés non-juives. Il y eut donc des tensions pour un partage de ressources équitable et un certain antisémitisme par la suite. 

La dégradation progressive de la condition des Ethiopiens sous le joug brutal  du régime communiste (1974-1991) et donc de celle des juifs,  commença à susciter un intérêt de la part d’Israël pour les faire émigrer  vers Tel Aviv.

Missions Moise, Joshua, Solomon

airliftLes liens entre l’Ethiopie et Israël étaient devenus de plus en plus soutenus lors du règne de l’empereur Haile Selassie I° malgré l’abstention de ce dernier lors du vote à l’ONU pour le plan de partage de la Palestine. Il y eut plus tard un rompt des relations diplomatiques face à la menace d’un embargo pétrolier de la part des pays Arabes lors de la guerre du Yom Kippour (1973). Liens qui se sont refroidis encore plus lors de la mise en place du régime communiste et par la même occasion de la dictature de Colonel Menguistu Hailemariam jusqu’en 1991. Malgré les tensions, le gouvernement Israélien commença à porter un intérêt tout particulier à la cause des juifs Ethiopiens. La situation se fit encore plus alarmante d 1983-1985 suite à la grande famine qui toucha le nord du pays (région du Gojjam) et fit environ 400 000 morts. 

Les communautés juives étaient parmi les victimes. L’Etat Israélien réussit donc, en vendant des armes en contrepartie, à obtenir la permission du régime en place afin de pouvoir transporter en transporter un certain nombre vers Tel Aviv et éventuellement en faire des citoyens d’Israël comme il est le droit de chaque juif. Ainsi furent conduites deux missions « mission Moïse » en 1984 et « mission Joshua » l’année suivante avec l’aide de la CIA  et réussirent à transporter 15 500 juifs hors d’Ethiopie. La première mission fut possible avec un avion utilisé pour la livraison d’armes qui retournait vers Israël. La deuxième mission en particulier se fit également par voie aérienne suite à un rassemblement sur la frontière Soudanaise.  Le Soudan fut dénoncé par les pays arabes dont il essayait de se rapprocher pour avoir aidé Israël. Suite à cet évènement et les pressions aussi bien externes que l’indignation interne que suscitât cette action vue comme une « vente » de citoyens par un Etait incapable de répondre de manière efficace à la famine, Menguistu se fit lui aussi plus réticent. 

Malgré l’argument humanitaire avancé par Israël, et qui reste légitime, il y a également l’argument économique qui est à prendre en compte. Israël avait besoin de main d’œuvre et de d’une population dynamique. L’abus récent des immigrés et leur mauvais traitement croissant tend à appuyer ce propos puisqu’Israël a actuellement une population jeune.

Suite à l’instabilité du régime communiste et l’instauration d’un nouveau gouvernement en 1991 avec la montée au pouvoir des rebelles du FDRPE (Front Démocratique et Révolutionnaire du Peuple Ethiopien) que combattait Menguistu pendant 17 ans, Israël complétât sa mission avec la mission « Solomon ». 14,324 juifs furent « sauvés » en un jour.

Ces missions ne furent pas sans problèmes avec beaucoup de morts au cours du séjour périlleux vers la frontière Soudanaise, de nombreux enfants se retrouvèrent seuls face à un encadrement parfois défaillant. Les immigrés furent placés en centre d’éducation parfois pour plusieurs années afin d’assurer une intégration souple  dans la société Israélienne. Ceci reste une mesure valable avec une part importante de ces juifs qui venaient de villages où l’électricité et l’eau potable n’étaient pas toujours présentes. 

Aujourd'hui il est estimé qu'un peu de moins de 80.000 Beta Israel ont été transportés en Israël [PDF].

La maison d'Israël : le porche et la cour

De plus, les juifs Ethiopiens étant constitués de plusieurs communautés, les classifications de certaines comme non-juives ne leur ont pas permis d’émigrer comme les Falasha Mura. Ces derniers, sont des communautés juives qui se sont installés dans la capitale Addis Abeba, croyant accroître leurs chances d’émigrer lors de la mission Solomon. Il y a également eu une grève de la faim au sein de cette communauté à Addis en 2011 avec peu d’effets. En effet, le sujet de leur appartenance à la religion juive a été longtemps mise en question par Israël parce que leurs ancêtres s’étaient convertis au christianisme au XIXème siècle afin de ne pas être persécutés et parce qu’ils avaient adopté un mode devoe semblable à celui de leurs voisins chrétiens. La tendance inverse, de non-juifs accédant au droit d’émigration de manière frauduleuse  peut également être observée avec des non-juifs se faisant passer pour tel afin d’avoir une vie meilleure en Israël. Nous remarquons donc un plus grand scrupule quant à la quantité de preuves qui doivent être avancées pour démontrer l’appartenance à la religion juive.

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La réelle intégration des juifs au sein de la société Israélienne reste ambigüe face à un certain racisme croissant pouvant être expliqué de manière plus récente, par l’arrivée de réfugiés Soudanais et Erythréens et la précarité de leur situation. Le gouvernement israélien alla même jusqu'à imposer la contraception aux Juis d'Ethiopie

Les juifs d’Ethiopie, malgré leur spécificité religieuse, restent imprégnés de la culture Ethiopienne. Il est vrai qu’il n y a rien de plus normal que de vouloir quitter un pays où il y a moins de chances d’utiliser son potentiel, il est vrai qu’il n y a aucun sens à vouloir rester dans un lieu où l’on a subi des persécutions. Mais il ne faut pas oublier que cette souffrance est commune aux Ethiopiens et à bien d’autres pays sous-développés et plus récemment, en voie de développement. L’émigration des juifs d’autres pays ne s’est pas faite dans des avions cargo. Il faut pouvoir garantir, dans le cas où certains souhaiteraient émigrer, un minimum de dignité. Si elle n’a pas été possible dans leur pays, alors au moins faire l’effort d’en faire le dernier souvenir qu’ils gardent de l’Ethiopie.

L’Afrique et ses minorités (III) : les Lembas d’Afrique du Sud – Diaspora « Israélite » en Afrique subsaharienne

« Et je les ai dispersés parmi les nations, et ils ont été répandus en divers pays »
Ézéchiel 36:19
« Et l'Éternel te dispersera parmi tous les peuples, d'un bout de la terre jusqu'à l'autre bout de la terre; et là tu serviras d'autres dieux que ni toi ni tes pères n'avez connus, le bois et la pierre. »
Deutéronome 28:64
La reconnaissance de la judéité des « Falasha » ou Beta Israël d’Éthiopie est très récente et les polémiques l’ayant entourée sont loin d’être entièrement éteintes. Ce n’est qu’en 1974 que le Grand rabbin Ashkénaze d’Israël Shlomo Goren, rejoint avec beaucoup de réticence la décision prise l’année précédente par le Grand rabbin Séfarade Ovadia Yossef. C’est en 1975 seulement que le Gouvernement d’Yitzhak Rabin leur accorde officiellement le droit du retour (droit qu’a tout juif d’émigrer en Israël). Les Beta Israël sont ainsi officiellement la seule communauté Juive d’ascendance non-occidentale située en Afrique Subsaharienne. Pourtant, et c’est le but de cet article, d’autres communautés ethno-religieuses existent, dispersées, dans cette partie du continent, qui gardent certaines pratiques religieuses, rituelles et sociales proches de certains courants (disparus, anciens ou minoritaires) israélites. Il ne s’agira pas ici de trancher le débat sur leur appartenance ou non à la diaspora israélite, mais simplement de les faire découvrir, notamment la plus emblématique et énigmatique, celle des Lemba d’Afrique Australe. L’objectif étant comme dans les précédents articles de cette série, d’insister sur l’appartenance et l’intégration de l’Afrique subsaharienne aux grands mouvements historiques, culturels et sociaux mondiaux, en allant à contre courant de l’exceptionnalisme séparatiste africain.
Les Lembas d’Afrique du Sud
Il existe en Afrique du Sud aujourd’hui deux communautés « Israélites » : celle reconnue, officielle de Juifs prépondéramment orthodoxes et sionistes, descendants de Juifs Lituaniens1, installés en Afrique du Sud par vagues successives depuis le XVIème siècle et forte d’environ 180.000 membres et les Lembas ou « Juifs de Kruger »2 – groupe tribal Bantou fort de quelques 70.000 membres, installés au Zimbabwe, en Namibie et majoritairement au Venda, territoire situé au Nord du Transvaal, en Afrique du sud, dont l’emblème est l’éléphant de Judée entouré d’une étoile de David, s’autoproclamant d’ascendance israélite et vénérant un Dieu unique « Mwali »3 .
« Nous sommes venus de Senna, nous avons traversé Pusela et nous avons reconstruit Senna. A Senna ils moururent comme des mouches. Nous sommes venus de Hundji à Shilimani, de Shilimani à Wedza. Nos tribus partirent à Zimbabwe. (…) Nous sommes arrivés à Venda, menés par Salomon. Baramina était notre ancêtre »4 Ndinda – chant traditionnel lemba
Selon leur tradition orale les Lemba auraient quitté la Judée, comme beaucoup de juifs à l’époque du roi Salomon et de la reine de Saba, il y a de 2500 ans. Ils se seraient installés à Senna (Sanāw, dans la région de l’Hadramaout- Yémen), vallée paradisiaque « irriguée et riche grâce à un barrage qui aurait cédé il y a un millier d'années, inondant le pays et obligeant ses habitants à partir. Les exilés traversèrent Wadi Al Maslah', puis s'embarquèrent au port de Sayhout, avant de débarquer sur la côte orientale africaine5». Certains partirent vers le Nord en Éthiopie (Falashas); d'autres vers le Sud (Lembas)6.
Les Lembas observent des règles assez similaires au judaïsme : interdiction de la consommation de porc, de poisson sans écailles et autres animaux « impurs » ; les femmes doivent subir un rite de purification pendant leur période menstruelle et après l’accouchement ; ils procèdent à un abattage rituel et vident l'animal de son sang ; viande et lait ne sont pas mélangés; leurs garçons sont circoncis le huitième jour ; Ils enterrent leurs morts allongés la tête vers le Nord ; Ils observent un repos hebdomadaire et célèbrent le premier jour de la nouvelle lune en se rasant la tête; les mariages extra-tribaux sont extrêmement contrôlés ; une étoile de David est gravée sur leurs pierres tombales. Même les noms des différents clans ont des intonations sémitiques : Sadiki, Hasane, Hamisi, Haji, Bakeri, Sharifo, Saidi…
Bien que se considérant eux-mêmes comme « Juifs », et ayant toujours été identifié par leurs voisins comme « différents » ou possédant des aptitudes (médicales, artistiques, artisanales) spécifiques, le statut des Lemba comme « Juifs » au sens Halachique (normes juridiques, sociales rituelles Juives) n’est pas du tout reconnu. Et un fort syncrétisme rituel a bien évidemment eu lieu au fil des siècles (excision) séparant les pratiques « religieuses » Lembas de ce qui constitue aujourd’hui le cœur du judaïsme officiel. Des tests ADN effectués au cours de la dernière décennie plaident néanmoins en faveur de l’hypothèse sémitique…
Une étude effectuée en 1996 – et confirmée par d’autres dans les quinze années suivantes – par le Dr. Karl Skorecki, spécialiste en génétique des populations, montra qu’une mutation particulière du chromosome Y, très répandue chez les Cohen, membres du clergé hébreu (chez environ 80% des Conahim rassemblés pour la prière rituelle sur l’esplanade du Mur du Temple), descendants supposés en ligne patrilinéaire de Aaron, frère de Moïse, servant aujourd’hui comme « marqueur génétique » israélite, est présente chez les Lemba7. Ce marqueur présent chez environ 56% des Cohen Séfarades, contre 5% dans la population israélienne, se retrouve chez 9% des Lembas et 54% du clan Buba, considéré comme celui des « prêtres » de la tribu8
Si cela ne constitue, bien évidemment, en rien, une preuve absolue du caractère « israélite » de la Tribu Lemba, il n’en demeure pas moins, que cet écheveau d’indices place les Lembas parmi les membres putatifs des Tribus perdus d’Israël.
D’autres communautés existent sur le sous-continent qui mériteraient un intérêt plus soutenus :
Les descendants supposés des juifs de Tombouctou (Rabbi Mordechai Aby Serour sur la photo);
Les Juifs Abayudaya vivant près de Mbale en Ouganda, héritiers d’Ougandais convertis à la suite de leur chef tribal Semei Kakungulu en 1919 et qui pratiquent aujourd’hui un judaïsme proche de celui des orthodoxes9.
Tous ajoutant leur pierre autant à l’étonnante mosaïque qu’est l’Afrique contemporaine qu’à l’incroyablement complexe histoire du peuple Juif.
 
Joël Té Léssia


1: http://www.scatteredamongthenations.org/pages/nations/africa/southaf.html
2 Appelés ainsi à la suite de l’ancien président du Transvaal Paul Kruger, premier à identifier des « traits » israélites dans les coutumes de ce peuple.
5:Idem.