L’homophobie africaine

Terangaweb_Homosexualité Afrique

Jeudi 27 juin 2013, date cruciale dans la tournée de Barack Obama sur le continent africain. Lors d’une conférence de presse à Dakar, où il a à ses côtés son homologue sénégalais, Macky Sall, de nombreuses questions touchant notamment les domaines économique et politique sont abordées. Cependant, le président le plus puissant au monde mettra le doigt sur un sujet tout particulièrement délicat sur le continent tout entier : l’homosexualité.  Ainsi, le sujet s’invite encore sur la table et il devient de plus en plus épineux de déterminer quel sera le futur de la communauté LGBTI en Afrique.

L’homosexualité ne peut être africaine ? Balivernes !

Cet argument est soulevé sans relâche par une majorité de pays africains et pourtant, la vérité est loin de s’y trouver. Avant d’aller plus loin, il convient de s’accorder sur un point : l’homosexualité n’est propre à aucun territoire. Elle s’est manifestée à travers le monde à des échelles différentes et dans des contextes variés. Il est donc incongru d’accuser les Occidentaux d’être à l’origine de l’arrivée de cette « perversion » en Afrique.  Et plutôt que de le fuir, les Africains devraient mieux se pencher sur leur passé. Le concept trouve certes ses origines en Grèce et en Rome antiques mais ceci constituerait un argument peu pertinent dans cette analyse. En effet, si on s’intéresse aux différentes langues parlées autrefois ou présentement sur le continent, on remarquera que le concept d’homosexualité y était présent depuis bien avant l’arrivée des missionnaires et colonisateurs. Les rites initiatiques et pratiques ethniques n’en sont que plus démonstratifs. Dans son article intitulé « L'homosexualité en Afrique : sens et variations d'hier à nos jours », le sociologue Camerounais, Charles Guebogo nous apprend que les pratiques homosexuelles étaient courantes au sein de l’ethnie des Quimbandas, en Angola et que les individus de même sexe qui entretenaient des rapports sexuels étaient également désignés sous ce nom. Toujours en Angola, dans la tribu des Wawihé, l’homosexualité et la bisexualité se traduisaient par « omututa » et le terme « okulikoweka », signifiant littéralement les actes sexuels entre femme-femme et homme-homme, continue encore  d’être utilisé. Au Nord du Nigéria, les Hausa désignent l’homosexualité masculine par le terme « dan kashili » et une autre appellation populaire, « dan daudu », veut dire « les hommes qui agissent comme des femmes et couchent avec des hommes ». En outre, en Afrique de l’Est, le « basha », en kiswahili, est considéré comme « l’homme qui rentre dans ses partenaires/amis » tandis que le terme « haji » désigne le vrai homme, l’homme puissant. Qui plus est, en Tanzanie, il a été découvert qu’à Zanzibar, les pratiques lesbiennes étaient désignées par le terme « kulamba » ou « kulambana » et qu’elles traduisaient la pratique du cunnilingus. Une autre appellation dite « kusagana » était considérée comme le fait de se frotter les parties intimes. Et la liste est longue. Comment ignorer ces preuves linguistiques ? Du Nigéria, en passant par le Cameroun, l’Afrique de l’Est et l’Afrique du Sud, l’histoire elle-même et le langage ne trompent pas. Ces deux reflets de l’identité d’une communauté nous prouvent que l’homosexualité a bel et bien un vécu sur le continent et, ce qui est plus frappant est qu’elle a fait partie intégrante des coutumes de plusieurs tribus présentes sur ces terres. Alors pourquoi afficher un tel rejet aujourd’hui ?

Après leur prise d’indépendance, de nombreux pays africains adoptèrent des textes de lois copiant ceux des puissances coloniales. Ces textes condamnaient toutes les pratiques sexuelles entre individus de même sexe, les considérant comme des crimes passibles d’emprisonnement (et pourtant les prisons sont un lieu privilégié pour les homosexuels en Afrique) ou d’une lourde amende. Sans mentionner les pressions sociales qui mettent les homosexuels au pied du mur : un homosexuel doit désormais se cacher.

Le combat persiste …

Ainsi, une véritable chasse aux homosexuels a débuté en Afrique. Aujourd’hui, ce sont 38 pays sur 53 qui condamnent cette orientation sexuelle. Les peines vont d’une forte amende, à un emprisonnement ou encore à la peine capitale.  Le procès de deux Camerounais avait notamment défrayé les chroniques en 2012. Ces derniers avaient dénoncé les conditions de détention et les examens rectaux humiliants auxquels ils devaient faire face mais ils avaient finalement été acquittés, après une forte mobilisation internationale. En Ouganda, un pays fortement influencé par les évangélistes américains ayant échoué à obtenir gain de cause chez eux face aux nombreuses lois en faveur de la communauté LGBTI, le chemin des homosexuels est tout particulièrement semé d’embûches. Les parlementaires s’acharnent à instaurer des lois plus draconiennes à l’encontre de cette communauté et le gouvernement a indiqué à ONUSIDA que les programmes d’éducation destinés aux homosexuels seraient considérés comme une infraction pénale, tout en menaçant d’expulser l’organisme. Par ailleurs, un Ougandais étant au courant des faits et actes d’un homosexuel sans pour autant le dénoncer peut aussi faire face à une condamnation. Pour protéger ce qu’ils appellent la morale publique, certains gouvernements sont prêts à tout. Ainsi, dans des pays comme la Mauritanie, le Soudan ou la Somalie, une personne  ayant des rapports sexuels avec une autre de même sexe doit être exécutée sans préavis. Cependant, quelques espoirs naissent tout de même dans certaines parties du continent.

… des deux côtés !

Sans aucun doute, l’Afrique du Sud est une étoile montante en termes de tolérance et de respect de l’identité sexuelle des LGBTI. Malgré les « viols correctifs » relevés de certaines lesbiennes, il faut considérer le fait que le pays fournit des efforts colossaux pour soutenir cette minorité. Ainsi, c’est en 2002 que la loi sud-africaine ouvre l’adoption aux couples homosexuels et en 2006, elle ouvre le mariage aux couples de même sexe. Dans cette lancée, l’Afrique du Sud est suivie par le Cap-Vert, Sao Tomé et Principe, l’Ile Maurice et les Seychelles qui se sont engagés à abandonner toute peine à l’encontre des LGBTI. Aussi, des pays tels que le Botswana et le Mozambique ont supprimé leurs textes de lois discriminatoires relatifs au droit du travail et fondés sur l’orientation sexuelle des individus. En outre, il faut noter que de nombreux pays d’Afrique subsaharienne n’ont encore instauré aucune disposition législative officielle par rapport aux homosexuels. Il est donc difficile de déterminer s’ils y sont les bienvenus ou non et si leur identité y est reconnue. Il s’agit de la République Démocratique du Congo, de la République Centrafricaine, de la Côte d’Ivoire, du Gabon, de Madagascar, du Burkina Faso, du Niger, du Tchad et du Rwanda. Une très faible lueur se fait donc voir pour la communauté LGBTI mais leur lutte n’est évidemment pas près de finir.

L’Afrique n’est pas encore prête à accepter les LGBTI

Considérés comme étant foncièrement pervers dans la majorité des pays africains, les homosexuels ne peuvent pas s’afficher au grand jour. Quand bien même, il y aurait des textes de lois les protégeant, c’est parfois la police elle-même qui les transgresse. Les individus ayant des rapports sexuels avec d’autres de même sexe font face à des menaces ou de nombreux chantages et ne bénéficient d’aucune autonomie financière ni d’accès aux soins médicaux. Beaucoup de LGBTI africains ont ainsi décidé d’émigrer, clandestinement ou non. Laissant derrière eux leurs familles et leurs amis les ayant reniés, ils courent se réfugier dans les pays occidentaux, dans la majorité des cas. Ces pays, où l’émancipation et le respect des droits des homosexuels sont en train d’évoluer, représentent un havre de paix pour eux. Cependant, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a décrété qu’à moins d’être victime d’une persécution grave dans leur pays d’origine ou qu’une condamnation soit effectivement appliquée à leur encontre, les homosexuels africains ne bénéficieraient pas du statut de réfugié dans l’Union. Cette décision a été fortement déplorée par l’organisation Amnesty International, luttant farouchement pour le respect des droits des personnes LGBTI. Ainsi, les homosexuels africains sont obligés de fuir constamment même si certains d’entre eux bénéficient toutefois d’aide et de soutien provenant d’associations de protection des droits de l’homme, de lobbyings, de groupements gays locaux et de certains proches tenant leur identité secrète. Par ailleurs, de nombreuses voix se sont élevées au sein de la communauté internationale, particulièrement dans les pays du Nord comme la France ou les Etats-Unis, incitant les Etats africains à remettre en question leur jugement et le statut juridique de cette minorité.

Mais alors, quel avenir pour les homosexuels africains ?

Donner une réponse à cette question serait impossible face à l’incertitude et la précarité de la situation actuelle. Néanmoins, les Etats africains devraient cesser de considérer l’homosexualité tel un « héritage occidental » et accepter le fait que la présence de cette identité sexuelle sur le continent a précédé l’avènement des lois coloniales. Avant tout, il est important d’admettre que les textes juridiques discriminatoires vis-à-vis des LGBTI africains trahissent la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH) et il est déplacé et illogique de prétendre le contraire. Cependant, chaque pays a certes un héritage culturel – et religieux, concernant par exemple, les pays influencés par la charia ou les autorités religieuses – ce qui implique forcément que chaque Etat ne peut qu’évoluer à son propre rythme. Des discussions doivent donc nécessairement avoir lieu afin de respecter les droits fondamentaux de chacun tout en essayant de pérenniser les relations au sein de la société civile africaine. Bien évidemment, aucun choix n’est facile à prendre dans un cas pareil et les enjeux non-négligeables ne facilitent pas la tâche aux Etats de ce continent. L’Afrique doit néanmoins sortir de son coin et tenter de parvenir à un point d’accord satisfaisant pour chaque partie. Le ciel semble tout de même se dégager peu à peu, lorsque des pays comme le Kenya se mettent lentement à réévaluer leurs textes juridiques et réfléchir à une nouvelle approche pour mieux intégrer les LGBTI. Il serait fort prématuré de prononcer un futur favorable à cette communauté en Afrique, spécialement au Maghreb, en Mauritanie, ou au Soudan du Sud, mais le processus de tolérance et de respect de ces « nouveaux » genres et identités sexuels est définitivement en marche. C’est une autre étape que l’Afrique doit affronter et tous les yeux sont rivés sur elle.