Burundi : Une situation explosive

En Juin dernier, alors que la Commission d’enquête internationale ad-hoc des Nations Unies pour le Burundi rendait un bilan accablant de la situation des droits de l’Homme dans le pays, la Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH)publiait  quant à elle ,le 4 juillet dernier, un rapport inquiétant, établissant le bilan de la crise des Droits de l’Homme depuis le début du conflit politique en avril 2015.Quelques mois après la publication d’un premier rapport situationnel, la Fédération internationale basée à Genève décrit l’instauration d’un véritable régime dictatorial dans son nouveau rapport : Le Burundi au bord du gouffre, retour sur deux années de terreur[1].

Contexte général

Le rapport publié par la FIDH offre une mise en perspective impressionnante du conflit de basse-intensité qui sévit depuis deux ans au Burundi. L’origine de la crise politique est liée à la volonté du président sortant de briguer un troisième mandat présidentiel, violant par la même occasion un accord politique qui le lui interdit.[2]

Le président, au pouvoir depuis fin 2005, est aux commandes d’une répression sanglante et systématique contre l’opposition, à travers la mobilisation des forces de sécurité nationales. En riposte, un mouvement populaire de résistance s’est formé, s’attaquant aux individus considérés comme affiliés au parti au pouvoir, le Conseil National Pour la Défense de la Démocratie–Forces pour la Défense de la Démocratie, CNDD–FDD. Considéré comme parti unique par une partie l’opposition, ce parti cultive le culte de la personnalité, la propagande et l’incitation à la haine contre les membres de l’opposition, ou tout individu refusant de prendre part aux activités de propagande organisée par le pouvoir.

Des violations des droits de l’homme ayant poussant les organismes à l’exil

La situation des défenseurs des droits de l’homme est préoccupante à l’heure actuelle. Il est quasiment impossible pour toute organisation de défenses de droits de l’homme d’opérer sur le territoire burundais depuis la fin de l’année 2016[3]. La plupart des ONGs burundaises ayant collaboré à la préparation du rapport publié par le FIDH sont aujourd’hui en situation d’exil. Entre-temps le bureau du Haut-commissariat aux droits de l’Homme des Nations-Unies s’était déjà vu contraint par le gouvernement de quitter le territoire en octobre de la même année,presque concomitamment au retrait de Bujumbura de la Cour Pénale Internationale. Ce départ contraint de la CPI trouve ses germes dans la mise en place par le conseil de sécurité des Nations-Unies d’une commission d’enquête internationale sur le Burundi. Le Gouvernement, avait en effet eu l’occasion de sentir le vent tourné suite à d’innombrables dénonciations provenant de la Communauté Internationale. Quelques mois auparavant, le gouvernement a été informé de l’ouverture d’une enquête qui sera conduite par une commission internationale d’enquête crée par la commission des droits de l’homme de l’ONU suite aux nombreuses dénonciations des organisations de société civile locales[4]. En 2015, alors que les Nations-Unies venaient de se voir confier la responsabilité de conduire une mission spéciale d’observation électorale dans le pays, le gouvernement de  Pierre Nkurunziza avait déjà montré des signes de tensions[5]. Une année plus tard, plusieurs décisions restrictives adoptées par l’Assemblée nationale viennent mettre à mal l’action des ONGs locales et étrangères. Diverses lois suspendant ou radiant les activités de ces organisations ont été adoptées, en parallèle à la conduite de campagnes de diffamations, menaces et agressions[6]. Les organes de presse, quant à eux, continuent de subir des contrôles abusifs de la part des autorités[7].

En milieu d’année 2016, le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme, ZeidRa’ad Al Hussein, mettait en garde contre « une forte augmentation du recours à la torture et aux mauvais traitements au Burundi » et exprimait sa préoccupation face à des informations sur des lieux de détention illégaux dans la capitale et dans le reste du pays[8].

Les dynamiques de genre liées au conflit sont également particulièrement préoccupantes depuis le début de la répression, puisque les infrastructures en charge de la protection des femmes ne sont plus en mesure d’assurer leur service et ce, en raison de l’effondrement du système judiciaire. Dans l’ensemble, les experts ayant participé au rapport rapportent de nombreuses allégations de violences sexuelles, notamment par les forces de l’ordre et d’autres acteurs étatiques, et décrivent un grave problème d’exploitation des femmes burundaises suite à la survenance du conflit[9].

Bilan humanitaire désastreux  suite à la crise

En raison de son isolement et des réductions de l’aide au développement, le Brundi vit une situation humanitaire extrêmement préoccupante, aggravée par la détérioration des conditions sociales et économiques suite aux coupures budgétaires. Au vu des relations politiques complexes entre les organismes d’aide humanitaire et le gouvernement Burundais, les espoirs en vue de l’amélioration de la situation actuelle sont minimes. Le Burundi fait aujourd’hui partie de l’une des urgences humanitaires les moins financées de la planète[10].

Depuis le début de la crise, le bilan des personnes ayant fui le pays ne cesse d’augmenter. On dénombre actuellement plus de 400.000 réfugiés répartis principalement entre la République Démocratique du Congo, la Tanzanie, et le Rwanda[11].

Et pour ne rien arranger, les populations du nord, du centre et de l’est du pays souffrent d’une épidémie de malaria qui ne cesse d’empirer depuis mars 2017[12], alors que le virus avait déjà été diagnostiqué dans plus 70% de la population à fin 2016[13].

Un avenir inquiétant ?

Le gouvernement burundais a lancé de grands chantiers sur le plan législatif. En février de cette année, le Gouvernement a fait passer une loi créant une commission en charge de la réforme de la Constitution, qui permettrait au président de se représenter d’une manière illimitée. Nkurunziza n’a d’ailleurs jamais caché ses intentions de se représenter aux élections de 2020, avec ou sans modification de la Constitution.

 Une sortie de crise par voie diplomatique semble peu probable dans la conjoncture politique actuelle. Les perspectives de retrouver la stabilité dans un avenir proche sont assez restreintes. Pour l’opposition politique, le recours à des forces armées constitue malheureusement le moyen de résistance le plus pertinent dans l’état actuel de la situation.

Les auteurs du rapport présenté par la FIDH craignent d’ailleurs une recrudescence des violences allant jusqu’à la reprise de la guerre civile, d’autant plus que la militarisation de l’Etat ne cesse de croître, allant de paire avec une idéologie de plus en plus radicale.

En parallèle, la branche des jeunes partisans du parti leader, les Imbonerakure, a vu ses capacités belligérantes se renforcer jusqu’à prendre une ampleur affolante, ayant réussi à faire fuir des milliers de civils hors des frontières du pays[14].

Les dynamiques du conflit ne cessent, somme toute, de se complexifier, en raison de l’augmentation d’acteurs se rebellant contre cette situation tragique. Rappelons également que les dynamiques régionales sont particulièrement complexes, ce qui pourrait éventuellement jouer en faveur du Burundi par une prise de conscience sur la répression intolérable qui sévit dans le pays. Il ne reste plus qu’à espérer que le rapport publié par la Fédération Internationale des Droits de l’Homme alerte les acteurs internationaux de cette crise, et ce, bien avant 2020.

                                                                                                                                                                                                       Nadège Porta

[1] Disponible à https://www.fidh.org/fr/regions/afrique/burundi/le-burundi-au-bord-du-gouffre-retour-sur-deux-annees-de-terreur

[2] A compléter

[3]Ibidem

[4] http://www.rfi.fr/emission/20161013-burundi-sort-cpi-justice-onu-pierre-nkurunziza

[5]https://mali-web.org/afrique/burundi-ouverture-de-la-mission-dobservation-electorale-de-lonu

[6] Disponible à https://www.fidh.org/fr/regions/afrique/burundi/le-burundi-au-bord-du-gouffre-retour-sur-deux-annees-de-terreur

[7]Ibidem

[8] http://www.un.org/apps/newsFr/storyF.asp?NewsID=37041#.Wd464lu0N1s

[9]Office des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires, « Burundi : Aperçu des besoins humanitaires 2017 »,

octobre 2016, p. 18., http://reliefweb.int/sites/reliefweb.int/files/resources/hno_burundi_2017_fr_small.pdf

[10]Ibid.

[11] http://reliefweb.int/report/burundi/unhcr-regional-update-burundi-situation-may-2017

[12]Health Organization, Fact finding Mission on malaria spreading in Burundi, http://www.afro.who.int/fr/burundi/pressmaterials/

item/9345-mission-dinvestigation-des-flambees-de-cas-de-paludisme-sevissant-au-burundi.html

[13]http://www.rfi.fr/afrique/20170314-epidemie-malaria-est-declaree-burundipaludisme-

oms

[14]http://www.irinnews.org/report/101418/who-are-imbonerakure-and-burundi-unravelling

MONUSCO :Un bilan en demi-teinte

Les opérations de maintien de la paix de l’ONU sont destinées à aider des pays ravagés par des conflits en vue d’un retour de la paix et d’une consolidation ultérieure de celle-ci.

À la suite du déclenchement de la deuxième guerre du Congo (1998-2002) et de ses nombreuses conséquences tragiques, l’ONU avait décidé d’envoyer une mission en RDC, la Monuc en 1999. Depuis 2010, elle est devenue Monusco, mission des Nations-Unies pour la stabilisation du Congo. La Monusco est la plus vaste et la plus couteuse des opérations de maintien de la paix dans le monde.[1]

 Cet exposé vise à analyser les forces et les faiblesses de cette mission.

En dépit de vives critiques dont elle est l’objet, on ne doit pas occulter les réalisations de la Monusco pour favoriser la paix et la stabilité en République démocratique du Congo.

   Contribution aux efforts pour le retour de la paix

La Monusco a joué un rôle majeur dans les négociations pour favoriser autant le dialogue inter-congolais que le dialogue avec les pays voisins, impliqués dans les différents conflits en RDC. En 2001, lorsque le président Laurent Désiré Kabila fut assassiné et remplacé par son fils, Joseph Kabila, le gouvernement congolais n’avait pas le contrôle sur toute l’étendue du territoire national. Les groupes armés, notamment le MLC (Mouvement de Libération du Congo) et le RCD (Rassemblement congolais pour la démocratie) contrôlaient le nord-est et le sud-est de la RDC, le gouvernement ne contrôlant plus que la moitié ouest En plus de l’emprise de ces groupes armés sur d’importants pans du territoire national, de nombreux groupes rebelles et milices venus de l’étranger comme les FDLR du Rwanda, la LRA d’Ouganda, le CNDD-FDD du Burundi, le Parti pour la libération du peuple Hutu et l’Unita d’Angola étaient toujours dans le pays. Tous ces mouvements armés commettaient sans coup férir des exactions sur les populations civiles et s’enrichissaient sur l’exploitation illicite et effrénée de nombreuses richesses du sous-sol congolais. Même si nombre de ces groupes armés sont encore présents et actifs, il faut dire que leur capacité de nuisance est beaucoup moins considérable. En effet, la mission de l’ONU en RDC a joué un rôle important de facilitateur et de médiateur pour le retour de l’autorité de l’État sur tout le territoire.

La Monusco a joué un rôle de médiateur lors du dialogue inter-congolais de Sun City qui  donna lieu à l’Accord global et inclusif de Pretoria le 17 décembre 2002 (à Pretoria), mettant fin à la deuxième guerre du Congo (1998-2002). Cet accord de Pretoria, corollaire du dialogue placé sous les auspices de la mission onusienne a permis la réunification du pays et l’avènement d’un gouvernement d’union nationale.

Suite à la résurgence de nouvelles rébellions, notamment le M23 (Mouvement du 23 Mars) qui a occupé la ville stratégique de Goma durant plusieurs mois en 2012 et fait de nombreuses victimes, la Monusco a encouragé et facilité la tenue d’un dialogue entre la RDC, les pays voisins (Rwanda et Ouganda notamment) et le M23 afin de stabiliser la paix et de mettre en place un programme de DDR (Démobilisation, Désarmement et Réinsertion) des anciens rebelles. Ce dialogue a abouti à l’accord cadre d’Addis Abbeba qui enjoint aux pays voisins de cesser d’apporter leur soutien aux groupes rebelles, propose l’amnistie pour les responsables des « violations mineures » mais aussi des poursuites pour les auteurs des crimes contre l’humanité et demande au gouvernement congolais d’améliorer sa gouvernance. Ceci dit, au-delà de l’aspect positif du dialogue prôné par la Monusco, l’innovation majeure avec l’accord cadre d’Addis Abbeba est qu’il va permettre la mise en place d’une brigade d’intervention de la Monusco composée de 3000 soldats, conformément à la résolution 2098 du Conseil de Sécurité de l’Onu. En effet, alors qu’avant l’usage de la force était subsidiaire, désormais l’utilisation de la force fait partie intégrante du mandat de la mission.

 Appui logistique et institutionnel au gouvernement congolais

La mission de l’Onu en RDC offre un appui logistique et institutionnel au gouvernement congolais pour la stabilisation et la consolidation de la paix ainsi que la reconstruction du pays.

D’abord, notons que la Monusco a joué un rôle important dans la réforme du secteur de sécurité en RDC. Elle a joué un rôle de premier plan dans le désarmement et la démobilisation des anciens combattants et conjointement avec le gouvernement congolais et d’autres partenaires de la RDC (USA, UK, Chine, Belgique et Afrique du Sud), elle a œuvré activement pour la formation d’une nouvelle armée nationale inclusive et bien formée. De même, en ce qui concerne la police, la Monusco s’est-elle aussi ingéniée à réformer la police nationale congolaise (PNC) notamment en créant et coordonnant des centres de formation à travers le pays. En effet, il est estimé que la Monusco a directement contribué à la formation de 10000 officiers congolais dans des domaines aussi variés que les unités anti-émeutes, les instructeurs de police, les bataillons d’intervention rapide et les brigades de détective.

En outre, la Monusco a apporté un appui important au gouvernement congolais lors des premières élections démocratiques organisées en 2006. Le soutien  technique et opérationnel qu’elle a apporté a été déterminant dans la réussite du processus électoral. Par ailleurs, notons qu’un autre succès important de la Monusco concerne la protection des droits de l’homme et le renforcement du système judiciaire. La Monusco comporte en son sein une division des droits de l’homme qui est l’une des plus importantes unités civiles de la mission. Enfin, l’action de la Monusco, en partenariat avec les forces armées congolaises a permis d’appréhender et de traduire en justice des « seigneurs de guerre » comme Thomas Lubanga, Uzele Ubeme, Mathieu Ngudjolo, ou Germain Katanga.

Comme toutes les missions onusiennes à travers le monde, la Monusco n’est pas exempte de critiques, loin s’en faut. La Monusco a été vilipendée par nombre d’observateurs qui estiment qu’elle a simplement failli à sa tâche car 18 ans après sa mise en place, la RDC est toujours dans une situation précaire, avec la présence d’un ramassis de groupes rebelles étrangers et locaux qui sèment la terreur, parfois en toute impunité.

 Violations des droits humains par les casques bleus

La problématique des violations des droits humains par les casques bleus fait florès dans la littérature et dans les débats portant sur les missions onusiennes. En effet, les exemples illustratifs de ces violations sont légion et ne laissent guère d’incertitude.

On dénombre de nombreux cas de pédophilie, de prostitution à grande échelle, y compris avec des mineurs congolais des deux sexes, d’abus d’autorité, de harcèlement sexuel, viols ou tentatives de viols attribués au personnel de la Monusco. Les populations sont particulièrement  exaspérées et accusent ces  « émissaires de la paix qui se traînent au bras de nymphettes, les poches bourrées de dollars ».[2] Dans ce même ordre d’idées, il s’avère que dans le cadre d’enquêtes menées par le Bureau des services de contrôle interne de l’ONU (BSCI-OIOS), pas moins de 296 dossiers d’abus sexuels sur mineurs ont été ouverts concernant la période 2004-2006 et 140 cas avérés ont été recensés, essentiellement parmi les Casques bleus déployés en RDC.[3]

Ces abus et manquements aux droits humains ont fortement écorné l’image de la Monusco en RDC même si les viols et autres violations au Congo ne sont pas l’apanage du personnel de la Monusco mais sont aussi le fait des rebelles ou même des militaires congolais. De plus, en RDC « la MONUSCO a failli à son rôle en se montrant incapable d’empêcher des viols de masse perpétrés dans plusieurs villages», ainsi que le reconnaissait en 2008, le Sous-Secrétaire général de l’ONU chargé des OMP (opérations de maintien de la paix) de l’époque Alain le Roy.

 Situation toujours précaire à l’Est de la RDC 18 ans après

En dépit de la présence de la Monusco depuis 1999, la situation en RDC demeure toujours très volatile et instable. Certes, ce serait un leurre de penser que la Monusco peut à elle seule résoudre les problèmes  structurels et profonds à l’origine de la situation. Cependant, on ne peut  passer outre le fait qu’à plusieurs reprises, des massacres ont été commis dans des zones où la Monusco  était présente sans qu’elle n’intervienne efficacement alors qu’elle est dotée d’un mandat offensif pour la protection des civils. De nombreux exemples corroborent cette assertion. En 2003, par exemple, des populations civiles ont été tuées par des milices dans la ville de Bunia alors que le contingent uruguayen de la Monusco campait à l’aéroport, qui n’est pas à plus de 20 kilomètres de là. De même en 2004, les casques bleus n’ont pas pu empêcher les rebelles du général Nkunda  de commettre quatre jours durant des actes de viol, de pillage, et de meurtres dans la ville de Bukavu. En novembre 2008, les forces rebelles du même général Nkunda ont exécuté près de 150 civils dans la ville de Kiwanja pendant que les troupes de la Monusco étaient stationnées à quelques encablures de là. Aujourd’hui encore, les rebelles ougandais ADF continuent d’accomplir leur macabre besogne dans la ville de Beni. On peut, à bien des égards se poser des questions sur cette culture de « dissuasion passive » dont font montre les casques bleus de la Monusco face à certaines situations alors que leur mandat permet des actions offensives.

En définitive, disons qu’il est impérieux que le gouvernement congolais restaure son autorité sur toute l’étendue du territoire et que ses forces armées soient aptes à assurer seules la protection des civils avant d’envisager un départ définitif de la Monusco.

 

                                                                                                                                                                              Thierry SANTIME

 

 

 

 

[1] La Monusco est la plus grande en termes d’effectifs (22000 hommes) et la plus coûteuse (1.4 milliard de budget) des missions de maintien de la paix des Nations-Unies. Voir « Réflexions sur 17 ans de présence de l’ONU en RDC ». 2016. Afrique décryptage-blog du programme Afrique Subsaharienne de l’Institut français des relations internationales(IFRI)- https://afriquedecryptages.wordpress.com/2016/05/11/reflexions-sur-17-ans-de-presence-de-lonu-en-rdc/

[2] Kpatindé, Francis. 2004 « Scandale à la Monuc » Jeune Afrique. Paris. Juin 2004

 

 

 

 

 

 

[3] Zeebroek, Xavier, Marc Memier et Pamphile Sebahara. 2011 « La mission des Nations Unies en RD Congo : bilan d’une décennie de maintien de la paix et perspectives » p.24

 

 

 

 

 

 

L’Etat de droit a-t-il régressé en 2016 ?

L’Afrique a connu une année 2016 mouvementée sur le plan politique. Entre l’organisation de plusieurs scrutins électoraux et la lutte contre le terrorisme, la solidité des institutions des pays concernés a été testée. L’état de droit a-t-il été impacté par ces différents évènements ? En fonction des situations prévalant dans chaque pays, le sort réservé aux droits humains et au respect de la constitution n’a pas été le même. Le rapport annuel de Human Right Watch (HRW) nous donne des éléments intéressants à analyser.

Le Burundi et l’enlisement de la crise.

Au Burundi, la crise politique, qui a débuté en 2015 suite au refus du président sortant Pierre Nkurunziza de ne pas briguer un nouveau mandat, s’est poursuivie en 2016. A la suite de sa réélection, des affrontements meurtriers se sont déroulés entre les partisans de l’opposition et les forces de sécurité soutenues par des regroupements de jeunes proches du pouvoir en place.

Le régime en place n’a pas hésité à instrumentaliser les voies de droit afin d’arrêter le maximum de partisans de l’opposition. Plusieurs procédures judiciaires ont été enclenchées sur la base d’éléments peu fiables. D’autres procédures ouvertes contre les forces de l’ordre ou les agents de renseignement proches du pouvoir, ont été bafouées ou biaisées afin de disculper les éventuels responsables.

Selon le rapport annuel de HRW, plus de 325000 burundais ont fui le pays vers les pays voisins depuis le début de la crise.

La situation dans ce pays de l’Afrique de l’est est de plus en plus inquiétante. Ces dernières semaines, des propos flirtant avec des intentions génocidaires, émanant d’éminentes personnalités du pouvoir ont ramené le pays à la tragique nostalgie des heures les plus sombres qu’a connues cette région en 1994.

Le Nigéria, entre justice et lutte contre le terrorisme

Le Nigéria est loué par l’ONG HRW pour sa société civile et ses médias puissants et influents, qui jouent un rôle majeur dans la responsabilisation de la fonction publique du pays face au cancer qu’est la corruption. Cependant, HRW dénonce la rédaction de certains projets de loi qui pourraient porter un frein à l’activité des organismes de la société civile ; ces dernières constituant une menace pour le gouvernement. C’est le cas par exemple du projet de loi (. Bill to Prohibit Frivolous Petitions and Other Matters Connected Therewith .) introduit au Sénat en décembre 2015  et qui vise spécifiquement les utilisateurs des réseaux sociaux et médias électroniques.

Sur le plan sécuritaire, un rapport des autorités dénonce la recrudescence des exécutions arbitraires commises par les forces de sécurité. Une commission publique instituée par le gouvernement a, par exemple, demandé que les soldats responsables du meurtre de plus de 300 membres du mouvement islamique du Nigéria dans l’Etat de Kaduna soient déférés devant la justice. La lutte contre le terrorisme islamiste incarnée par la secte Boko Haram est la principale raison de l’utilisation de plus en plus importante de moyens illégaux par les forces de sécurité. Le gouvernement pourrait-il dans ce contexte enclencher un combat judiciaire à l’encontre de ces hommes et femmes en uniforme, censés affaiblir Boko Haram ? Avoir de l’optimisme pour la poursuite objective de ces enquêtes, relèverait d’une relative naïveté.

La RDC et son président « sortant par intérim »

Le mandat constitutionnel du président Kabila est arrivé à terme le 16 décembre 2016 sans que son remplaçant ne soit connu, faute d’organisation d’élections présidentielles. Le président sortant s’est donc maintenu au pouvoir malgré l’opposition de la majeure partie de la classe politique. Des affrontements ont eu lieu entre les forces de l’ordre et de jeunes congolais demandant le départ du président Kabila. Mais pouvait-il réellement partir ?

L’opposant historique Etienne Tshisekedi avait appelé les populations à une « résistance pacifique » sans pour autant expliquer ce qu’il voulait dire en ces termes. Un accord a finalement été conclu après d’âpres négociations entre le pouvoir et l’opposition sous la supervision du clergé catholique. Les acteurs se sont mis d’accord sur un certain nombre de points clés. D’autres points, bien que faisant partie de l’accord, posent toujours problème. C’est le cas de la date des échéances électorales que l’opposition voudrait organiser au plus tôt. Au niveau de la mouvance présidentielle, on persiste à dire que des élections libres et transparentes ne peuvent être organisées avant 2018. Nous ne sommes donc pas à l’abri de nouveaux rebondissements.

Le clergé catholique a quand même le mérite d’avoir pu réunir la classe politique autour de la table avec, à la clé, une solution à l’impasse juridique et constitutionnelle causée par la non tenue des élections. Malgré ses lacunes, l’accord trouvé sous l’égide des hommes de Dieu a permis une certaine décrispation de la situation dans le pays.

La Cote d’Ivoire et le Ghana, des exemples d’avancées démocratiques

D’après le rapport de l’ONG américaine, l’impressionnant redressement économique de la Cote d’Ivoire – qui a connu plus de dix ans de conflit armé –  a favorisé « une amélioration progressive de l’état de droit et de la réalisation des droits économiques et sociaux ».

L’événement symbolique de cette avancée reste sans ambages l’adoption d’une nouvelle constitution et le passage à la 3ème République. Cette nouvelle constitution, bien que critiquée par l’ONG pour sa vocation « hyper présidentielle », a supprimé la fameuse disposition relative à la nationalité. Disposition de la discorde qui a porté les germes des dix années de conflits ayant secoué ce pays.

Cependant, ces derniers jours, des mutineries d’une partie des corps habillés ont mis sur la scène publique l’une des faiblesses institutionnelles du pays. Il s’agit de la place réservée au pouvoir militaire dans la structure institutionnelle. Cette mutinerie pose un problème plus général en Afrique qui est celui du pouvoir effectif des forces armées dans nos institutions ; sujet traité par l’Afrique Des Idées au cours de l’année écoulée.

Enfin, la dernière élection présidentielle au Ghana a abouti à une alternance. Le président sortant John Mahama a été battu par l’historique opposant au NDC[1] ( National democratic congress), le chef du New Patriotic Party( NPP), Nana Akufo Addo. Ces élections, qui se sont déroulées dans la plus grande transparence, ont démontré encore une fois la solidité institutionnelle de ce pays. Le Ghana se hisse de plus en plus dans la lignée des grandes nations africaines réussissant l’épreuve de la sempiternelle équation de l’alternance pacifique en Afrique.

                                                                                                                                   Giani GNASSOUNOU

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


[1] Le parti du président sortant John Mahama qui avait lui-même succédé à John Attah Mills après son décès.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’homophobie africaine

Terangaweb_Homosexualité Afrique

Jeudi 27 juin 2013, date cruciale dans la tournée de Barack Obama sur le continent africain. Lors d’une conférence de presse à Dakar, où il a à ses côtés son homologue sénégalais, Macky Sall, de nombreuses questions touchant notamment les domaines économique et politique sont abordées. Cependant, le président le plus puissant au monde mettra le doigt sur un sujet tout particulièrement délicat sur le continent tout entier : l’homosexualité.  Ainsi, le sujet s’invite encore sur la table et il devient de plus en plus épineux de déterminer quel sera le futur de la communauté LGBTI en Afrique.

L’homosexualité ne peut être africaine ? Balivernes !

Cet argument est soulevé sans relâche par une majorité de pays africains et pourtant, la vérité est loin de s’y trouver. Avant d’aller plus loin, il convient de s’accorder sur un point : l’homosexualité n’est propre à aucun territoire. Elle s’est manifestée à travers le monde à des échelles différentes et dans des contextes variés. Il est donc incongru d’accuser les Occidentaux d’être à l’origine de l’arrivée de cette « perversion » en Afrique.  Et plutôt que de le fuir, les Africains devraient mieux se pencher sur leur passé. Le concept trouve certes ses origines en Grèce et en Rome antiques mais ceci constituerait un argument peu pertinent dans cette analyse. En effet, si on s’intéresse aux différentes langues parlées autrefois ou présentement sur le continent, on remarquera que le concept d’homosexualité y était présent depuis bien avant l’arrivée des missionnaires et colonisateurs. Les rites initiatiques et pratiques ethniques n’en sont que plus démonstratifs. Dans son article intitulé « L'homosexualité en Afrique : sens et variations d'hier à nos jours », le sociologue Camerounais, Charles Guebogo nous apprend que les pratiques homosexuelles étaient courantes au sein de l’ethnie des Quimbandas, en Angola et que les individus de même sexe qui entretenaient des rapports sexuels étaient également désignés sous ce nom. Toujours en Angola, dans la tribu des Wawihé, l’homosexualité et la bisexualité se traduisaient par « omututa » et le terme « okulikoweka », signifiant littéralement les actes sexuels entre femme-femme et homme-homme, continue encore  d’être utilisé. Au Nord du Nigéria, les Hausa désignent l’homosexualité masculine par le terme « dan kashili » et une autre appellation populaire, « dan daudu », veut dire « les hommes qui agissent comme des femmes et couchent avec des hommes ». En outre, en Afrique de l’Est, le « basha », en kiswahili, est considéré comme « l’homme qui rentre dans ses partenaires/amis » tandis que le terme « haji » désigne le vrai homme, l’homme puissant. Qui plus est, en Tanzanie, il a été découvert qu’à Zanzibar, les pratiques lesbiennes étaient désignées par le terme « kulamba » ou « kulambana » et qu’elles traduisaient la pratique du cunnilingus. Une autre appellation dite « kusagana » était considérée comme le fait de se frotter les parties intimes. Et la liste est longue. Comment ignorer ces preuves linguistiques ? Du Nigéria, en passant par le Cameroun, l’Afrique de l’Est et l’Afrique du Sud, l’histoire elle-même et le langage ne trompent pas. Ces deux reflets de l’identité d’une communauté nous prouvent que l’homosexualité a bel et bien un vécu sur le continent et, ce qui est plus frappant est qu’elle a fait partie intégrante des coutumes de plusieurs tribus présentes sur ces terres. Alors pourquoi afficher un tel rejet aujourd’hui ?

Après leur prise d’indépendance, de nombreux pays africains adoptèrent des textes de lois copiant ceux des puissances coloniales. Ces textes condamnaient toutes les pratiques sexuelles entre individus de même sexe, les considérant comme des crimes passibles d’emprisonnement (et pourtant les prisons sont un lieu privilégié pour les homosexuels en Afrique) ou d’une lourde amende. Sans mentionner les pressions sociales qui mettent les homosexuels au pied du mur : un homosexuel doit désormais se cacher.

Le combat persiste …

Ainsi, une véritable chasse aux homosexuels a débuté en Afrique. Aujourd’hui, ce sont 38 pays sur 53 qui condamnent cette orientation sexuelle. Les peines vont d’une forte amende, à un emprisonnement ou encore à la peine capitale.  Le procès de deux Camerounais avait notamment défrayé les chroniques en 2012. Ces derniers avaient dénoncé les conditions de détention et les examens rectaux humiliants auxquels ils devaient faire face mais ils avaient finalement été acquittés, après une forte mobilisation internationale. En Ouganda, un pays fortement influencé par les évangélistes américains ayant échoué à obtenir gain de cause chez eux face aux nombreuses lois en faveur de la communauté LGBTI, le chemin des homosexuels est tout particulièrement semé d’embûches. Les parlementaires s’acharnent à instaurer des lois plus draconiennes à l’encontre de cette communauté et le gouvernement a indiqué à ONUSIDA que les programmes d’éducation destinés aux homosexuels seraient considérés comme une infraction pénale, tout en menaçant d’expulser l’organisme. Par ailleurs, un Ougandais étant au courant des faits et actes d’un homosexuel sans pour autant le dénoncer peut aussi faire face à une condamnation. Pour protéger ce qu’ils appellent la morale publique, certains gouvernements sont prêts à tout. Ainsi, dans des pays comme la Mauritanie, le Soudan ou la Somalie, une personne  ayant des rapports sexuels avec une autre de même sexe doit être exécutée sans préavis. Cependant, quelques espoirs naissent tout de même dans certaines parties du continent.

… des deux côtés !

Sans aucun doute, l’Afrique du Sud est une étoile montante en termes de tolérance et de respect de l’identité sexuelle des LGBTI. Malgré les « viols correctifs » relevés de certaines lesbiennes, il faut considérer le fait que le pays fournit des efforts colossaux pour soutenir cette minorité. Ainsi, c’est en 2002 que la loi sud-africaine ouvre l’adoption aux couples homosexuels et en 2006, elle ouvre le mariage aux couples de même sexe. Dans cette lancée, l’Afrique du Sud est suivie par le Cap-Vert, Sao Tomé et Principe, l’Ile Maurice et les Seychelles qui se sont engagés à abandonner toute peine à l’encontre des LGBTI. Aussi, des pays tels que le Botswana et le Mozambique ont supprimé leurs textes de lois discriminatoires relatifs au droit du travail et fondés sur l’orientation sexuelle des individus. En outre, il faut noter que de nombreux pays d’Afrique subsaharienne n’ont encore instauré aucune disposition législative officielle par rapport aux homosexuels. Il est donc difficile de déterminer s’ils y sont les bienvenus ou non et si leur identité y est reconnue. Il s’agit de la République Démocratique du Congo, de la République Centrafricaine, de la Côte d’Ivoire, du Gabon, de Madagascar, du Burkina Faso, du Niger, du Tchad et du Rwanda. Une très faible lueur se fait donc voir pour la communauté LGBTI mais leur lutte n’est évidemment pas près de finir.

L’Afrique n’est pas encore prête à accepter les LGBTI

Considérés comme étant foncièrement pervers dans la majorité des pays africains, les homosexuels ne peuvent pas s’afficher au grand jour. Quand bien même, il y aurait des textes de lois les protégeant, c’est parfois la police elle-même qui les transgresse. Les individus ayant des rapports sexuels avec d’autres de même sexe font face à des menaces ou de nombreux chantages et ne bénéficient d’aucune autonomie financière ni d’accès aux soins médicaux. Beaucoup de LGBTI africains ont ainsi décidé d’émigrer, clandestinement ou non. Laissant derrière eux leurs familles et leurs amis les ayant reniés, ils courent se réfugier dans les pays occidentaux, dans la majorité des cas. Ces pays, où l’émancipation et le respect des droits des homosexuels sont en train d’évoluer, représentent un havre de paix pour eux. Cependant, la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a décrété qu’à moins d’être victime d’une persécution grave dans leur pays d’origine ou qu’une condamnation soit effectivement appliquée à leur encontre, les homosexuels africains ne bénéficieraient pas du statut de réfugié dans l’Union. Cette décision a été fortement déplorée par l’organisation Amnesty International, luttant farouchement pour le respect des droits des personnes LGBTI. Ainsi, les homosexuels africains sont obligés de fuir constamment même si certains d’entre eux bénéficient toutefois d’aide et de soutien provenant d’associations de protection des droits de l’homme, de lobbyings, de groupements gays locaux et de certains proches tenant leur identité secrète. Par ailleurs, de nombreuses voix se sont élevées au sein de la communauté internationale, particulièrement dans les pays du Nord comme la France ou les Etats-Unis, incitant les Etats africains à remettre en question leur jugement et le statut juridique de cette minorité.

Mais alors, quel avenir pour les homosexuels africains ?

Donner une réponse à cette question serait impossible face à l’incertitude et la précarité de la situation actuelle. Néanmoins, les Etats africains devraient cesser de considérer l’homosexualité tel un « héritage occidental » et accepter le fait que la présence de cette identité sexuelle sur le continent a précédé l’avènement des lois coloniales. Avant tout, il est important d’admettre que les textes juridiques discriminatoires vis-à-vis des LGBTI africains trahissent la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH) et il est déplacé et illogique de prétendre le contraire. Cependant, chaque pays a certes un héritage culturel – et religieux, concernant par exemple, les pays influencés par la charia ou les autorités religieuses – ce qui implique forcément que chaque Etat ne peut qu’évoluer à son propre rythme. Des discussions doivent donc nécessairement avoir lieu afin de respecter les droits fondamentaux de chacun tout en essayant de pérenniser les relations au sein de la société civile africaine. Bien évidemment, aucun choix n’est facile à prendre dans un cas pareil et les enjeux non-négligeables ne facilitent pas la tâche aux Etats de ce continent. L’Afrique doit néanmoins sortir de son coin et tenter de parvenir à un point d’accord satisfaisant pour chaque partie. Le ciel semble tout de même se dégager peu à peu, lorsque des pays comme le Kenya se mettent lentement à réévaluer leurs textes juridiques et réfléchir à une nouvelle approche pour mieux intégrer les LGBTI. Il serait fort prématuré de prononcer un futur favorable à cette communauté en Afrique, spécialement au Maghreb, en Mauritanie, ou au Soudan du Sud, mais le processus de tolérance et de respect de ces « nouveaux » genres et identités sexuels est définitivement en marche. C’est une autre étape que l’Afrique doit affronter et tous les yeux sont rivés sur elle. 

Au nom de la mère…

avortementDes grossesses qui surviennent chaque année en Afrique, 13% (les chiffres les plus récents datent de 2008) aboutissement à un avortement :  soit plus de 6 millions d’interruptions volontaires de grossesses provoquées sur le continent [PDF]. De ces avortements, 3% à peine ont lieu en milieu hospitalisé. Ce n’est pas une coquille, juste 3% et encore, « milieu hospitalisé » ici est un euphémisme de l’OMS pour signaler qu’au moins quelqu'un s'y connaissant se trouvait sur place : un garagiste fan de Grey's Anatomy ne ferait pas l'affaire, mais c'est juste juste…

Le plus souvent, d'ailleurs, il s’agit de sages-femmes sous-qualifiées, débordées et pas particulièrement amènes. Déjà qu’en Occident, le traitement que reçoivent les femmes souhaitant exercer leur droit à l’avortement, en centre hospitalier est parfois très limite – regards condescendants et interrogatoires agressifs, quand ce n’est pas leur équilibre mental même qui est remis en question – il est peu probable que la situation soit meilleure en Afrique subsaharienne.

Je me souviens personnellement de l’incroyable désinvolture et des jugements de valeur que les sages-femmes s’étaient senties le droit d’adopter et d’émettre devant ma propre mère, durant les mois précédant ma perte du statut de benjamin. Je n’ose imaginer ce que doivent affronter les jeunes filles et les femmes de situation plus modestes qui désireraient, elles, avorter… Ou plutôt j’imagine très bien : en Côte d’Ivoire, l’avortement n’est possible que… « pour sauver la vie de la femme ». Elles n'ont juste qu'à convaincre les matrones qu'elles risquent de mourir – ou opter pour la voie clandestine.Et encore, elles ont cette alternative…

Les interruptions volontaires de grossesses ne sont pas autorisées dans quatorze pays d’Afrique subsaharienne et dans toute l’Afrique du Nord (avec la seule exception tunisienne – mais pour combien de temps ? -) Ni le viol, ni la mise en danger de la vie de la mère, ni l’inceste, ni les malformations du fœtus : aucun de ces « motifs » n’ouvre aux femmes sénégalaises, congolaises, gabonaises ou somaliennes, entre autres, le droit à l’avortement. Pire, elles restent passibles de poursuites judiciaires dans la plupart de ces pays. Elles… et les personnes qui leur auraient porté assistance. Le géniteur trouve là une raison de plus de ne pas se mêler "au problème"…

Seuls le Cap-Vert, la Tunisie, l'Afrique du sud (et la Zambie dans une certaine mesure) autorisent les interruptions de grossesses "sur demande" – dans la limite ordinaire de 12 semaines après la procréation. Dans la plupart des autres pays d'Afrique subsaharienne, la question ne fait même pas débat : la légalisation de "l’évacuation volontaire du produit de la conception" (seules des assemblées d'hommes ventripotents et jouisseurs auraient pu inventer un euphémisme aussi sinistre que creux) n'a figuré sur aucune des plateformes politiques, d'aucun des partis politiques majeurs, durant l'ensemble des élections législatives et présidentielles organisées ces deux dernières années sur le continent.

On connaît tous le mensonge utilisé pour justifier cette situation : priorité à la contraception – "l'avortement ne peut pas être une alternative au planning familial". Laissons de côté le fait que ce mensonge est meurtrier (14% des décès maternels – soit 29.000 chaque année – sont "le résultat d'un avortement non-médicalisé", données de l'OMS "). Oublions en passant, le jeu politique scandaleux " mis en place aux Etats-Unis qui, sous les présidences républicaines, interdit le financement d'ONG promouvant la contraception (la "Mexico City Policy"). Ce qui est insupportable ici c'est que le législateur prétend qu'il y a une égalité de fait, au sein du couple, quant au choix des pratiques contraceptives. Le système fonctionne comme si. Comme si toutes les femmes africaines avaient la possibilité d'imposer le coït interrompu ou l'utilisation des préservatifs. Comme si toutes ces méthodes étaient à 100% efficaces. Comme si les femmes africaines perdaient le droit de choisir quand, à quelle fréquence et comment elles (re)deviennent mère, juste parce qu'elles ont atteint l'âge de l'être. Comme s'il n'y avait aucune pression sociale. Comme si donner le pouvoir aux femmes sur leur cycle reproductif n'était pas la solution la plus efficace jamais imaginée pour lutter contre la pauvreté. Comme si les portes du progrès s'arrêtaient au détroit de Gibraltar. Ceci rend d'autant plus scandaleux le fait que la question de la légalisation ne soit même pas posée, encore moins discutée. L'hystérie que l'avortement provoque aux Etats-Unis peut paraître puéril à bien des égards. Au moins, "là-bas", le droit des femmes à disposer de leur corps est au coeur du débat.

Mère, soeur (religieuse) ou putain. Rien d'autre. Ou plutôt si : stérile. Voici résumé tout ce à quoi une femme puisse aspirer dans quatorze pays africains, sans qu'aucun membre des classes politiques au pouvoir n'y trouve rien à redire. Si cette pensée ne vous révolte pas…

Joël Té-Léssia